L’EXERCICE MÉDICAL MULTI-SITES
Article rédigé le 8 Juillet 2019 par Pierre-Alexis Fenelon
Le 25 mai 2019, le décret n° 2019-511 du 23 mai 2019 modifiant le code de déontologie des médecins et la règlementation des sociétés d’exercice libérales et des sociétés civiles professionnelles a été publié au Journal Officiel de la République Française.
L’objet de ce décret est la modification de l’article 85 du code de déontologie des médecins et de la règlementation des sociétés d’exercices libérales et des sociétés civiles professionnelles, porté à l’article R4127-85 du code de la santé publique et relatif à l’exercice multi-sites des médecins. Il allège les procédures en passant d’un régime d’autorisation à un régime déclaratif avec droit d’opposition.
Le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) avait entériné cette modification en session plénière en juin 2018.
Par ce décret n°2019-511, l’Exécutif a unifié les régimes d’exercice professionnel multi-sites des médecins, des sociétés d’exercice libéral de médecins et des sociétés civiles professionnelles de médecins eu égard aux conditions de mise en œuvre de l’exercice professionnel multi-sites, par le passage d’un régime d’autorisation dont les conditions différaient selon la structure considérée à un régime de déclaration, qu’à la procédure applicable, notamment concernant les fondements possibles du refus opposé par le conseil départemental de l’ordre saisi par la déclaration.
L’unification de la mise en œuvre de l’exercice professionnel multi-site
Sous l’empire du décret n°2005-481 du 17 mai 2005, l’article R.4127-85 du code de la santé publique disposait qu’un médecin pouvait exercer son activité professionnelle sur plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle sous deux conditions alternatives, à savoir, « lorsqu’il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins » ou bien « lorsque les investigations et les soins qu’il entreprend nécessitent un environnement adapté, l’utilisation d’équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants ».
Dès lors que l’une ou l’autre de ces conditions était remplie, le médecin pouvait formuler une demande d’ouverture d’un lieu d’exercice distinct, adressée au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée.
C’était alors un régime d’autorisation d’exercice professionnel médical multi-sites.
Le nouvel article R.4127-85 du code de la santé publique, issu du décret n°2019-511, instaure, de son côté, un régime déclaratif d’exercice professionnel médical.
En effet, l’article R.4127-85 dispose désormais qu’un médecin peut « exercer son activité professionnelle sur un ou plusieurs sites distincts de sa résidence professionnelle habituelle, sous réserve d’adresser […], une déclaration préalable à l’ouverture d’un lieu d’exercice distinct au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée ».
Ainsi, les conditions subordonnant la possibilité d’un exercice multi-site pour un médecin ont disparu avec la nouvelle rédaction de l’article R.4127-85 du code de la santé publique, qui impose simplement au médecin désireux de pratiquer son activité professionnelle sur plusieurs sites d’adresser une déclaration préalable, au plus tard deux mois avant la date prévisionnelle de début d’activité, au conseil départemental dans le ressort duquel se situera l’activité envisagée.
Il en ressort alors un assouplissement des conditions d’exercice professionnelle multi-sites pour les médecins.
Ce nouveau régime déclaratif d’exercice multi-sites est étendu, par le décret n° 2019-511, aux sociétés d’exercice libérale (SEL), régies par l’article R.4113-23 du code de la santé publique (article 23 du code de déontologie des médecins) ainsi qu’aux sociétés civiles professionnelles (SCP) de médecins ou de chirurgiens-dentistes, régies par l’article R.4113-74 du même code (article 74 du code de déontologie des médecins).
En premier lieu, l’article R.4113-23, tel qu’issu du décret n° 2012-884 du 17 juillet 2012, autorisait les sociétés d’exercice libéral à exercer leurs activités sur un ou plusieurs sites distincts si l’un des deux conditions alternativement suivants était remplie, à savoir : « lorsqu’il existe dans le secteur géographique considéré une carence ou une insuffisance de l’offre de soins préjudiciable aux besoins des patients ou à la permanence des soins » ou « Lorsque les investigations et les soins à entreprendre nécessitent un environnement adapté, l’utilisation d’équipement particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différent intervenants ».
Dès lors que l’une de ces conditions était satisfaite, la société d’exercice professionnel devait, en plus, solliciter l’autorisation du conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée.
Dorénavant, le nouvel article R.4113-23 du code de la santé publique, issu du décret n°2019-511, ne subordonne plus l’exercice professionnel multi-sites des SEL aux conditions susmentionnées et unifie ce régime avec celui de l’exercice professionnel multi-sites du médecin, tel que définit au nouvel article R.4127-85 du code de la santé publique, à savoir, simplement adresser une déclaration préalable d’ouverture d’un lieu d’exercice distinct de celui de la résidence professionnelle au titre de laquelle elle est inscrite au tableau de l’ordre.
En ce sens, le décret n°2019-511 constitue bien un assouplissement du régime de l’exercice professionnelle médical multi-sites.
En second lieu, l’article R.4113-74 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue du décret n° 2004-802 du 29 juillet 2004, disposait qu’une société civile professionnelle (SCP) de médecins ou de chirurgiens-dentistes pouvait être autorisée, par le conseil départemental de l’ordre, à exercer dans un ou plusieurs cabinets secondaires, l’une ou toutes les discipline(s) pratiquée(s) à condition que « la situation des cabinets secondaires par rapport au cabinet principal » et « que l’organisation des soins dans ces cabinets secondaires permettent de répondre aux urgences ».
Le second alinéa du même article permettait, pendant un an au maximum, que la SCP puisse exercer dans le cabinet où exerçait un associé lors de son entrée dans la SCP, à condition qu’ « aucun médecin ou aucun chirurgien-dentiste n’exerce dans cette localité ».
Depuis le décret n°2019-511, le nouvel article R.4113-74 du code de la santé publique autorise les SCP de médecins, uniquement, à exercer leurs activités professionnelles sur un ou plusieurs sites distincts de leurs résidences professionnelles habituelles, dès lors qu’une déclaration préalable d’ouverture d’un lieu distinct a été adressée, au moins deux mois avant la date prévisionnelle de début d’activité, au conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée.
En revanche, aucun changement n’a été apporté au régime s’appliquant aux SCP de chirurgiens-dentistes.
Là encore, le décret n°2019-511 emporte simplification du régime d’exercice professionnel multi-sites.
Il en ressort ainsi une unification des conditions de mise en œuvre d’exercice professionnel multi-sites pour les médecins, les SEL de médecins et les SCP de médecins.
Une procédure de déclaration commune
Le décret n°2019-511 a apporté une procédure de déclaration commune pour l’exercice professionnel multi-site du médecins (R.4127-85 du code de la santé publique), des sociétés d’exercice libéral de médecins (R.4113-23 du même code) et des sociétés civiles professionnelles de médecins (R.4113-74 du même code).
Dorénavant, pour exercer leur profession sur un ou plusieurs sites distincts de leur résidence professionnelle habituelle, il leur suffit de faire parvenir une déclaration préalable d’ouverture d’un lieu d’exercice distinct au conseil départemental de l’ordre dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée. La déclaration est personnelle, c’est-à-dire liée à son auteur, et incessible, c’est-à-dire que la déclaration ne peut être donnée par son auteur à une tierce personne, pas même à un confrère exerçant la même activité au même endroit.
Cette déclaration doit être réceptionnée, par le conseil départemental concerné, au plus tard deux mois avant la date prévisionnelle de début d’activité.
La déclaration préalable d’ouverture doit ainsi être envoyée par tous moyens permettant de donner une date certaine à sa réception. Tel serait le cas d’un envoi par lettre recommandée avec accusé de réception, par exemple.
Dans l’hypothèse où l’activité envisagée est située dans un autre département que celui dans lequel le médecin ou la structure a sa résidence professionnelle habituelle, le conseil départemental de l’ordre saisi devra communiquer, sans délai, cette déclaration au conseil départemental au tableau duquel le médecin ou la structure est inscrit(e).
Le conseil départemental dans le ressort duquel se situe l’activité envisagée, soit le conseil départemental destinataire de la déclaration préalable d’ouverture, peut s’opposer à cet exercice professionnel multi-sites dans son département.
Les motifs d’opposition sont strictement définis par le décret n°2019-511. Ainsi, le conseil départemental saisi ne peut s’opposer à cet exercice professionnel multi-sites que pour des motifs tirés d’une méconnaissance des obligations de qualité, sécurité et continuité des soins et des dispositions législatives et règlementaires.
Le conseil départemental dispose alors d’un délai de deux mois, à compter de la réception de la déclaration pour faire connaître son opposition par une décision motivée.
Cette décision d’opposition est notifiée, par tout moyen permettant de donner une date certaine à sa réception.
Il convient également de souligner que le conseil départemental peut, à tout moment, s’opposer à la poursuite de l’activité en cas de constat de manquement à des obligations de qualité, sécurité et continuité des soins.
Les décisions des conseils départementaux peuvent faire l’objet d’un recours hiérarchique, soit devant le conseil national de l’ordre. Ce recours est, par ailleurs, la condition préalable avant tout recours contentieux contre une décision d’un conseil départemental.
L’opportunité du décret facilitant les conditions d’exercice multi-sites des médecins
Ce décret substitue, comme établit ci-dessus, au régime d’autorisation d’exercice médical multi-site un régime déclaratif.
Cet assouplissement des conditions d’exercice multi-sites des médecins s’est traduit par la disparition des prérequis nécessaires justifiant cet exercice multi-sites.
Du temps du régime d’autorisation, le praticien désireux d’ouvrir un cabinet médical supplémentaire devait justifier qu’il existait, dans la zone où il souhaitait ouvrir ledit nouveau cabinet, au choix :
- Une carence ou une insuffisance de l’offre de soins ;
- Que les investigations et les soins qu’il entreprend nécessitent un environnement adapté, l’utilisation d’équipements particuliers, la mise en œuvre de techniques spécifiques ou la coordination de différents intervenants.
Ces conditions d’ouverture de cabinet médical supplémentaire permettaient ainsi de réguler le développement des cabinets secondaires afin que ceux-ci ait une utilité pour les patients et surtout pour les patients résidents dans des zones géographiques médicalement mal desservies, dits déserts médicaux.
Cet enjeu est une problématique bien connue en France et largement médiatisée.
Pourtant, ces modifications apportées par le décret n° 2019-511 sont déconnectées de cette réalité. La suppression des conditions d’ouverture de cabinets médicaux secondaires emporte une liberté quasi-totale pour les médecins dans le choix du lieu d’ouverture de cabinets médicaux secondaires.
L’effet de ce décret ne se fera pas attendre et sans doute assisterons-nous a une explosion d’ouvertures de cabinets dans des zones géographiques attractives mais d’ores et déjà suffisamment desservies d’un point de vue médical tandis que les zones connaissant des pénuries de médecins n’auront plus ce coup de pouce, de la part du gouvernement.
Ce décret apparaît d’autant plus à contre-courant que les travaux parlementaires afférents au projet de loi relatif à l’organisation et la transformation du système de santé, n° 1681, déposé le 13 février 2019 devant l’Assemblée Nationale semblent indiquer une volonté très claire : celle de diminuer les inégalités d’accès aux soins.
En effet, il appert des débats parlementaires une réaffirmation de la nécessité de tenir compte des inégalités d’accès aux soins dans les territoires périurbains, ruraux et ultramarins (objet de l’amendement AS646 de Mme BENIN).
On notera, par exemple, que l’article 2 bis du texte adopté par l’Assemblée Nationale en première lecture propose que les offres de formations et de stages répondent aux besoins des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou des difficultés d’accès aux soins.
Dans le même esprit le projet de loi propose la possibilité d’exercer la médecine en tant qu’adjoint d’un médecin dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins ou, dans l’intérêt de la population, lorsqu’une carence ponctuelle est constatée dans l’offre de soins par le conseil départemental de l’ordre des médecins.
On ne pourra que constater cette incohérence entre ce décret pris par le Premier ministre et la réforme de l’organisation et la transformation du système de santé, en cour de débats.
Enfin, les doutes quant à l’opportunité de ce décret sont d’autant plus prégnants que le Conseil d’Etat, réuni en sous-sections, avait, dans un arrêt du 23 septembre 2010, validé la limitation à la liberté d’installation, porté par le régime antérieur au décret n° 2019-511, en indiquant, par rapport aux dispositions communautaire, « d’une part, sont justifiées par un motif impérieux d’intérêt général tenant au maintien d’un service de soins de qualité, équilibré et accessible à tous, d’autre part, sont proportionnées à l’objectif ainsi poursuivi et, enfin, s’appliquent sans discrimination tenant à la nationalité des médecins concernés ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré de la violation de ces libertés de circulation communautaires doit être écarté ».
Ainsi, si ce décret est accueilli favorablement par la communauté des médecins, ses effets, quant aux patients, apparaissent fort préjudiciables.
Pour finir sur une note plus légère, il nous est apparu, lors de la consultation de ce décret sur le site Légifrance, que le lien vers l’article 85 du code déontologie des médecins, objet de la modification du décret n° 2019-511, renvoie vers la version abrogée au 8 septembre 1995 de l’article 85 du code de déontologie médicale, relative à l’exercice de la médecine d’expertise, et que les versions postérieures à cette abrogation ne sont consultables, sur Légifrance, que par le code de la santé publique (à l’article R.4127-85).
Il serait sans doute temps pour le secrétariat général du gouvernement, sous lequel est placée la responsabilité éditoriale du site, de faire un audit des mises à jour du site !
Pierre-Alexis Fenelon