L’ENCADREMENT DES CENTRES DE SANTÉ : DÉCRYPTAGE DU NOUVEAU DÉCRET
Article rédigé le 18 juillet 2024 par Marie COURTOIS
Décret n°2024-568 du 20 juin 2024 visant à améliorer l’encadrement des centres de santé
Devant les graves dérives constatées ces dernières années dans l’activité de certains centres de santé, le législateur a dû d’intervenir. La loi du 19 mai 2023 a soumis les centres de santé ayant une activité dentaire, ophtalmique ou orthoptique à un contrôle renforcé assorti de lourdes sanctions. La mise en œuvre d’un agrément préalable, d’un comité médical ou dentaire, d’une certification des comptes, sont autant de mesures visant à interdire tout écart. Cette loi sera-t-elle efficace pour lutter contre les dérives ? Son décret d’application vient de paraître au Journal officiel. Permet-il de garantir son effectivité ? Quelles précisions apporte-il ? Décryptage.
Le 20 juin 2024, le décret venant en application de la loi du 19 mai 2023 a été publié au Journal officiel : il vient préciser les diverses mesures qu’elle a édictées afin d’améliorer l’encadrement des centres de santé.
La loi du 19 mai 2023 était intervenue à la suite de plusieurs scandales, en particulier suite aux affaires Dentexia et Proxidentaire en 2015 et 2021, pointant du doigt de graves dérives au sein des centres de santé (soins de mauvaises qualités, facturation excessive, fraude à l’assurance). Elle entendait lutter contre ces pratiques frauduleuses en renforçant l’encadrement des centres de santé par l’instauration de mécanismes de contrôle et l’édiction de sanctions plus sévères en cas d’écart. Le cabinet avait déjà eu l’occasion de commenter ces mesures : je vous invite à consulter l’article correspondant en cliquant ici.
Quelles précisions apportent ce nouveau décret ? Décryptage.
Les mécanismes de contrôle : une efficacité en demi-teinte
La loi du 19 mai 2023 a prescrit un contrôle renforcé des centres de santé ayant une activité dentaire, ophtalmologique et orthoptique pour lutter contre les dérives. Ce contrôle repose sur plusieurs mesures : une obligation de certification des comptes, un agrément préalable obligatoire et la mise en place d’un comité médical ou dentaire. Celles-ci permettent-elles une lutte efficace contre la fraude ?
Sur l’obligation de certification des comptes
Le décret rappelle que les comptes du gestionnaire d’un centre de santé doivent être certifiés par un commissaire aux comptes. La disposition est claire et ne subit qu’une seule exception : les comptes échappent à cette certification seulement si :
- Le gestionnaire est une collectivité territoriale
- ET le budget du centre de santé n’est pas individualisé au sein d’un budget annexe.
Sur l’obligation d’un agrément préalable
Depuis la loi du 19 mai 2023, pour ouvrir un centre de santé ayant une activité dentaire, ophtalmologique ou orthoptique, une déclaration ne suffit plus : la création d’un tel centre de santé suppose un agrément préalable du directeur général de l’agence régionale de santé (ARS).
Pour l’obtenir, il faut montrer patte blanche : un dossier d’agrément, transmis par le représentant légal de l’organisme gestionnaire sous forme dématérialisée et via une plateforme gouvernementale, doit permettre à l’ARS de vérifier l’absence de tout mécanisme frauduleux.
Le décret venant de paraître nous en dit plus sur le contenu de ce dossier. Selon l’article D.6323-9, le dossier d’agrément devra contenir :
- Le projet de santé.
- Les déclarations exhaustives, exactes et sincères des intérêts de l’ensemble des membres de l’instance dirigeante.
- Cette déclaration contient, pour chaque membre de l’instance dirigeante :
- Son identité (nom, prénoms, adresse).
- Les activités professionnelles qu’il exerce à la date de sa nomination ou a exercé au cours des trois dernières années si celles-ci ont donné lieu à une rémunération d’un montant supérieur à 3 fois la valeur annuelle du SMIC ainsi que celles, le cas échéant de son conjoint, partenaire pacsé ou concubin.
- Ses participations à un organe dirigeant d’un organisme public ou privé ou d’une société à la date de la nomination ou au cours des trois dernières années, ainsi que celles, le cas échéant de son conjoint, partenaire pacsé ou concubin.
- Ses participations financières directes dans le capital d’une société à la date de la nomination et au cours des trois dernières années, ainsi que celles, le cas échéant de son conjoint, partenaire pacsé ou concubin.
- Le dirigeant du centre de santé doit déclarer l’absence de tout lien d’intérêts direct ou indirect avec des entreprises privées délivrant des prestations rémunérées à la structure gestionnaire.
- Les déclarations doivent être constamment actualisées.
- Cette déclaration contient, pour chaque membre de l’instance dirigeante :
- Les contrats liant l’organisme gestionnaire à des sociétés tierces énumérées dans la déclaration d’intérêts, à l’exclusion de tous les contrats issus de la commande publique. Il s’agit de révéler les contrats qui placeraient l’organisme gestionnaire dans une situation de conflits d’intérêts.
Au regard des pièces demandées, l’intention n’est d’opérer qu’une vérification formelle de l’absence de fraude. En effet, les documents transmis permettront seulement de vérifier que les membres de l’instance dirigeante ne sont pas en position de conflit d’intérêts. Ce contrôle formel sera-t-il suffisant ? Il est aisé par le truchement de sociétés de détourner un conflit d’intérêt apparent. N’aurait-il pas été préférable de pouvoir vérifier, au-delà de l’identité des personnes, les liens statutaires et/ou contractuels du centre et de s’assurer de la réalité de son indépendance, ceux-ci pouvant masquer une réalité lucrative à la création du centre de santé.
Sur la mise en place d’un fichier national recensant les mesures de suspension et de fermeture d’un centre de santé
La loi du 19 mai 2023 a modifié l’article L.6323-1-12 du Code de la santé publique et a créé un fichier national recensant les mesures de suspension et de fermeture de centres de santé. Le décret du 20 juin 2024 donne, après avoir rappelé le but de ce fichier, des précisions quant aux informations contenues dans ce répertoire et ses modalités de mise en œuvre.
Ce fichier vise à assurer l’effectivité des mesures de suspension et de fermetures des centres de santé et de leurs effets, mais aussi de faciliter l’exercice, par les autorités compétentes, de leurs missions de contrôle et de pilotage de l’activité des centres de santé.
Il est placé sous la responsabilité de la direction générale de l’offre de soins et contient :
- La décision de suspension ou de fermeture d’un centre de santé, son motif, sa date. En cas de suspension, figure aussi la durée de la mesure et la date de sa levée.
- Le nom du centre de santé concerné.
- La raison sociale de l’organisme gestionnaire du centre de santé et son numéro SIREN ou SIRET.
- Les noms, prénoms et année de naissance du représentant légal de cet organisme.
Ce fichier national sera accessible aux agents spécialement habilités de la direction générale de l’offre de soins, aux agents des ARS spécialement habilitées par le directeur général de l’ARS, et aux agents spécialement habilités des organismes d’assurance maladie.
C’est fini : les centres de santé ne pourront plus passer sous les radars.
Sur le comité médical ou le comité dentaire
En raison des abus et des atteintes à la sécurité des patients et à la qualité des soins, la loi de 2023 a contraint les centres de santé ayant une activité dentaire ou ophtalmologique et employant plus d’un professionnel médical à constituer un comité médical ou un comité dentaire (Article L.6323-1-5 du CSP). Qu’apporte le décret ? Des indications quant à sa composition, ses missions et ses modalités de fonctionnement.
Qui le compose ?
Si le décret rappelle que le comité médical ou dentaire est composé de l’ensemble des personnels médicaux exerçant dans le centre au titre des activités dentaire et ophtalmologique, à l’exclusion du représentant légal de l’organisme gestionnaire, il prévoit que ce dernier peut être convié aux réunions lorsque son expertise est utile au bon déroulement des missions du comité sur un point inscrit à l’ordre du jour.
Cette précision est la bienvenue puisqu’elle répond à la critique formulée par le cabinet au moment de la parution de la loi au Journal Officiel. Si nous avions salué la décision d’impliquer les acteurs de santé, celle d’écarter le gestionnaire du comité nous paraissait inopportune. En effet, comment le gestionnaire pourrait-il œuvrer avec le comité à l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins s’il exclut de ses réunions ? Le décret donne raison à cette critique en permettant au gestionnaire d’assister à la partie des débats relative aux questions motivant sa présence. S’il ne peut pas prendre part au vote, ne disposant pas d’une voix délibérative, sa présence lui permettra de faire entendre son point de vue.
Notons que le décret précise que les membres du comité ne peuvent pas avoir de droits sociaux ni exercer de fonctions dirigeantes au sein du centre de santé qui les salarie ou de son organisme gestionnaire et qu’ils sont soumis au secret médical.
Quelles sont ses missions ?
Le décret ne les détaille pas vraiment. Il ajoute simplement que le comité rend un avis sur toute modification du projet de santé du centre.
Quelles sont ses modalités de fonctionnement ?
Selon l’article D.6323-13 du Code de la santé publique, l’organisation, le fonctionnement et les modalités de désignation de la présidence du comité sont définis par celui-ci dans un règlement de fonctionnement spécifique fixé conjointement avec l’organisme gestionnaire.
S’agissant du vote, le décret indique chaque membre du comité dispose d’une voix à l’exception de son président qui bénéficie, en cas de partage des voix, d’une double voix. Il exige un quorum : si le centre de santé comprend plus de deux médecins ophtalmologistes ou chirurgiens-dentistes salariés, le comité ne pourra délibérer valablement sur première convocation que si la moitié au moins de ses membres sont présents. A défaut, le comité devra être à nouveau convoqué dans un délai de 15 jours, peu importe alors que le quorum soit atteint.
Un dispositif dissuasif efficace avec la mise en œuvre d’un barème des amendes administratives et astreintes journalières
La loi du 19 mai 2023 ne se contente pas d’exiger l’agrément des centres de santé ayant une activité dentaire, ophtalmologique ou orthoptique et le contrôle de leurs activités, elle prévoit également un arsenal coercitif. Les montants de l’amende administrative et de l’astreinte journalière sont surélevés pour une meilleure dissuasion.
Le décret du 20 juin 2024 livre un barème permettant aux directeurs généraux d’ARS de déterminer le montant précis de la sanction à appliquer face à tel ou tel manquement.
Manquements reprochés | Montant maximal de l’amende administrative | Montant maximal de l’astreinte journalière |
Non-respect de l’obligation de transmission d’une des pièces du dossier d’agrément | 50 000 euros
250 000 euros en cas de récidive | 500 euros par jour
2 500 euros par jour en cas de récidive |
Transmission d’informations erronées | 100 000 euros
250 000 euros en cas de récidive | 1 000 euros par jour
2 500 euros par jour en cas de récidive |
Éléments manquants dans les délais impartis au sein des pièces du dossier d’agrément | 100 000 euros
250 000 euros en cas de récidive | 1 000 euros par jour
2 500 euros par jour en cas de récidive |
Non-inscription des professionnels de santé salariés aux ordres concernés. | 250 000 euros
500 000 euros en cas de récidive | 2 500 euros par jour
5 000 euros par jour en cas de récidive |
Non-respect des obligations du gestionnaire relatives à la mise en place et au fonctionnement du comité médical ou dentaire | 250 000 euros
500 000 euros en cas de récidive | 2 500 euros par jour
5 000 euros par jour en cas de récidive |
Manquements compromettant la qualité ou la sécurité des soins | 500 000 euros | 5 000 euros par jour |
Non-respect des autres dispositions législatives et règlementaire relatives aux centres de santé | 500 000 euros | 5 000 euros par jour |
Abus de droit | 500 000 euros | 5 000 euros par jour
|
Fraude commise à l’égard des organismes de sécurité sociale ou des assurés sociaux | 500 000 euros | 5 000 euros par jour |
Si plusieurs manquements sont constatés, l’amende ne pourra pas être supérieure à 500 000 euros. L’astreinte journalière ne pourra pas excéder 5 000 euros par jour.
La sanction doit faire l’objet d’une publicité sur le site internet du centre de santé pendant une durée de trente jours. Plus précisément, elle devra figurer sur leur site, en « caractères noirs sur fond blanc d’une taille au moins égale à 20% de l’écran ».
L’objectif de la loi du 19 mai 2023 était clair : mettre un terme aux dérives existantes dans les centres de santé. Pour cela : plus de contrôle et plus de sanctions. Ce décret, en apportant notamment des précisions quant à la mise en œuvre de l’agrément préalable, à la mise en place du comité médical mais aussi en établissant le barème des amendes administratives, s’aligne dans cet objectif. Reste à savoir, si les ARS, placés au cœur du dispositif, auront les moyens nécessaires pour procéder à ces contrôles.
Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.
En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.