Les sociétés de téléconsultation : une espèce en voie de normalisation
Article rédigé le 18 octobre 2022 par Me Nicolas Porte
Depuis l’entrée de la télémédecine dans notre droit en 2009, la numérisation de l’économie et le confinement ont donné un coup d’accélérateur à la médecine à distance et singulièrement à la téléconsultation qui permet aux personnes résidant dans des déserts médicaux ou n’ayant pas de médecin traitant d’accéder plus facilement à un médecin.
Des plateformes internet spécialisées dans cette activité sont apparues il y a quelques années, mais elles ne disposent pour l’heure d’aucun encadrement juridique spécifique, ce qui constitue une anomalie dans un secteur aussi règlementé que celui de la santé.
C’est ce à quoi va remédier le législateur en soumettant les sociétés de téléconsultation à un agrément grâce auquel elles pourront facturer les soins qu’elles délivrent à l’assurance maladie.
Avec l’avènement de la télémédecine, sont apparues en France depuis quelques années des plateformes de télémédecine. Elles se nomment Qare, Livi, Maiia, Concilio ou encore Medadom et permettent en quelques clics de bénéficier d’une consultation médicale en ligne, d’être orienté vers un médecin spécialiste, ou encore de prendre rendez-vous dans un centre de soins pour effectuer un bilan de santé.
Ces plateformes internet gérées par des sociétés commerciales ont connu une forte croissance de leur activité à la faveur du confinement, durant lequel la téléconsultation était presque le seul moyen d’accéder à un médecin généraliste.
Comment fonctionnent ces entreprises de télémédecine et quelle place occupent-elles aujourd’hui dans notre système de santé ?
La nécessaire clarification de la situation juridique des sociétés de télémédecine.
Actuellement, les sociétés de télémédecine interviennent de trois manières :
- soit en tant que prestataires de services; elles mettent à la disposition des professionnels de santé des outils numériques leur permettant de réaliser seuls des actes de télémédecine ;
- soit en tant qu’intermédiaires ; les plateformes assurent la prise de rendez-vous entre les patients et des médecins libéraux référencés et fournissent la prestation technique permettant de réaliser les consultations en ligne ;
- soit en agissant en tant qu’opérateurs de soins. Les plateformes proposent alors des téléconsultations réalisées par des médecins qu’elles salarient.
Pour ce faire, les sociétés de télémédecine ont créé des associations gestionnaires de centres de santé qui peuvent légalement salarier des médecins et facturer leurs actes aux caisses d’assurance maladie.
Mais cette structuration juridique – choisie faute d’autre solution – n’est guère satisfaisante, car elle revient à détourner les centres de santé de leur objet, fondé sur l’accueil physique et la non-lucrativité. De plus, l’accord national des centres de santé (article 28.8) impose depuis 2022 un quota maximum de 20% de l’activité annuelle des centres pouvant être réalisée à distance, ce qui remet en cause la viabilité économique du modèle associatif pour les plateformes concernées.
Bien que leur volume d’activité en tant qu’opérateur de soins soit encore relativement modeste (d’après l’étude d’impact et l’exposé des motifs de la loi, l’activité réalisée par les médecins salariés des plateformes de télémédecine représente 0,3% de l’activité totale des médecins généralistes en 2020), les sociétés de téléconsultation ont une utilité indéniable, Elles contribuent à la réponse aux besoins des patients sans médecin traitant et/ou à ceux habitant dans des zones sous denses (d’après une étude réalisée par l’association Les Entreprises de Télémédecine (LET), 25% des patients qui téléconsultent vivent dans un désert médical et parmi les patients téléconsultants, il y a 2,5 fois plus de patients sans médecin traitant qu’en population générale.
C’est dans ce contexte que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 prévoit d’introduire dans le code de la santé publique un régime juridique encadrant l’activité des sociétés de téléconsultation.
Le législateur entend ainsi doter ces sociétés d’un statut ad hoc, pour les inscrire véritablement dans l’offre de soins et clarifier leur situation juridique.
Les sociétés de téléconsultation : de nouveaux opérateurs de santé.
a) L’obtention d’un agrément ministériel, condition sine qua non du remboursement des téléconsultations par l’assurance maladie.
L’article 28 projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 modifie l’article L 162-1-7 du code de la sécurité sociale afin d’ajouter les sociétés de téléconsultation à la liste des professionnels et opérateurs de santé autorisés à facturer les soins à l’assurance maladie.
La mesure est hautement symbolique : les plateformes de téléconsultation sont ainsi admises dans le cercle plutôt restreint des opérateurs de santé autorisés à délivrer des soins remboursables aux assurés sociaux, aux côtés des professionnels de santé libéraux, des centres de santé, des maisons de santé, des maisons de naissance, des établissements et services médico-sociaux et des établissements de santé.
Le PLFSS introduit ensuite dans le livre préliminaire de la 4e partie du code de la santé publique un titre VIII intitulé « Agréments des sociétés de téléconsultation » (articles L 4081- 1 à L 4081- 4) prévoyant que les sociétés de téléconsultation ayant reçu l’agrément des ministres de la santé et de la sécurité sociale peuvent facturer les actes de téléconsultation réalisés par les médecins qu’elles salarient (articles L 4081-1).
Pour être agréées, les sociétés de téléconsultation doivent remplir les conditions suivantes :
- elles doivent avoir la forme de sociétés commerciales régies par le code de commerce et avoir pour objet, exclusif ou non, de proposer une offre médicale de téléconsultations ;
- elles ne doivent pas être sous le contrôle au sens de l’article L 233-3 du code de commerce d’une personne physique ou morale exerçant une activité de fournisseur, de distributeur ou de fabricant de médicaments, de dispositifs médicaux ou de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, à l’exception des dispositifs permettant la réalisation d’un acte de téléconsultation ;
- leurs outils et services numériques doivent respecter les règles relatives à la protection des données personnelles, ainsi que les référentiels d’interopérabilité, de sécurité et d’éthique élaborés par l’agence du numérique en santé.
Bien que le texte du projet de loi ne le précise pas, l’étude d’impact indique qu’un cahier des charges définissant les diverses exigences imposées aux sociétés de téléconsultation sera élaboré et servira de base à l’agrément des sociétés candidates.
La Haute Autorité de Santé sera quant à elle chargée d’élaborer un référentiel de bonnes pratiques professionnelles de la téléconsultation (article L 161-37 20° du CSS) et de proposer des méthodes d’évaluation des plateformes.
En ce qui concerne leur organisation et leur fonctionnement, le projet de loi prévoit que les sociétés de téléconsultation agréées doivent élaborer, après avis de leur comité médical, un programme d’actions visant à garantir le respect des obligations qui s’imposent à elles, assorti d’indicateurs de suivi. Ce programme est transmis au conseil départemental de l’ordre des médecins du lieu de son siège social et aux ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé.
Elles doivent également transmettre chaque année à ce même conseil départemental de l’ordre des médecins et aux ministres chargés de la sécurité sociale et de la santé un rapport de leurs activités comportant notamment le suivi de leur programme d’actions.
Les sociétés de téléconsultation doivent également réunir les médecins qu’elles emploient au sein d’un comité médical chargé de donner son avis sur la politique médicale de la société et sur le programme d’actions précité, de contribuer à la définition de la politique médicale de la société et à l’élaboration de la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins (article L 4081-3 du CSP) et de s’assurer de la cohérence de la formation médicale continue des médecins salariés de la société.
La durée de l’agrément ministériel et ses modalités de renouvellement seront fixées par décret, mais l’étude d’’impact évoque d’ores-et-déjà une autorisation temporaire de facturation d’une durée de 2 ans, dans une logique « d’ouverture progressive de ce nouveau statut » et afin de pouvoir procéder à des ajustements au terme de cette première période, dont on comprend qu’elle a une valeur probatoire.
Le renouvellement de l’agrément est soumis :
1° au contrôle du respect du référentiel de bonnes pratiques élaboré par la HAS ;
2° au respect des règles de prise en charge par l’assurance maladie fixées par la convention médicale ;
3° au respect des obligations mentionnées à l’article L 4081-3 du code de la santé publique.
Si les conditions susmentionnées cessent d’être réunies, les ministres compétents peuvent suspendre ou retirer l’agrément dans des conditions qui seront définies par décret.
b) Les sociétés de téléconsultation sont soumises au respect de la convention médicale.
Le législateur circonscrit le périmètre de prise en charge par l’assurance maladie aux seules téléconsultations réalisées par les médecins salariés des plateformes de télémédecine ; sont donc exclus les autres actes de télémédecine énumérés à l’article R 6316-1 du code de la santé publique (téléexpertise, téléassistance, télésurveillance et téléassistance médicale).
Par souci d’équité à l’égard des autres offreurs de soins, le projet de loi n’accorde pas de régime de faveur aux sociétés de téléconsultation puisque celles-ci sont tenues « au respect des règles de prise en charge par l’assurance maladie fixées par la convention médicale » (article L 4081-4 du CSP).
Selon les textes conventionnels (article 28.6.1 de la convention médicale), la prise en charge par l’assurance maladie des téléconsultations s’articule autour de trois conditions cumulatives :
1° Le respect du parcours de soins coordonné.
Le respect du parcours de soins coordonné suppose que le patient soit orienté par son médecin traitant vers un médecin téléconsultant, sauf pour les spécialistes en accès direct (gynécologie, ophtalmologie, psychiatrie…) et les patients âgés de moins de 16 ans.
En outre, la convention médicale prévoit que dans cinq situations, une téléconsultation de proximité, sans orientation initiale du médecin traitant, peut être proposée au patient dans le cadre d’une organisation coordonnée territoriale de téléconsultation référencée par la CPAM (CPTS, maisons de santé pluriprofessionnelles, centres de santé, équipes de soins primaire, équipe de soins spécialisés associations de professionnels de santé, URPS…) : 1/ patient ne disposant pas d’un médecin traitant ; 2/médecin traitant non disponible dans un délai compatible avec l’état de santé du patient ; 3/situations d’urgences (telles que définies à l’article R 160-6 du code de la sécurité sociale) ; 4/personnes détenues ; 5/personnes résidant en EHPAD ou en établissement pour personnes handicapées.
2° L’alternance de consultations et de téléconsultations.
Le suivi régulier du patient s’effectue par une alternance de consultations en présentiel et de téléconsultations, au regard des besoins du patient et de l’appréciation du médecin.
3° Le principe de territorialité.
Le recours aux téléconsultations, qu’elles soient réalisées sur orientation du médecin traitant ou sans l’intervention préalable de celui-ci, doivent être organisées dans une logique d’ancrage territorial de proximité permettant au patient d’être orienté et pris en charge rapidement, d’accéder à un médecin, notamment par le biais de la téléconsultation, et de pouvoir être orienté si nécessaire vers une consultation en présentiel et/ou un médecin traitant.
Par exception, l’exigence du principe de territorialité pour le recours à la téléconsultation ne s’applique pas :
- pour les patients résidant dans les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins (c’est-à-dire, les zones dites « d’intervention prioritaires ») et en l’absence d’organisation territoriale de téléconsultation. En outre, pour les consultations de médecine générale, le patient ne doit pas avoir de médecin traitant désigné ;
- pour les patients orientés par le régulateur du Service d’Accès aux Soins (SAS), en cas d’échec d’une prise de rendez-vous sur le territoire.
c) La limitation du volume d’activité pouvant être réalisé en téléconsultation.
Considérant que la prise en charge des patients exclusivement en téléconsultation porte atteinte aux exigences déontologiques de qualité, de sécurité et de continuité des soins, les partenaires conventionnels, conformément à la position exprimée par le Conseil national de l’Ordre des médecins, sont convenus qu’un médecin conventionné ne peut pas réaliser plus 20% de son volume d’activité globale conventionnée à distance sur une année civile (article 28.6.3 de la convention médicale).
Les sociétés de téléconsultation : des opérateurs de santé subsidiaires.
Le positionnement du statut des sociétés de téléconsultation dans les dispositions génériques du livre préliminaire de la quatrième partie du code de la santé publique, consacré aux professions de santé n’est pas neutre. Il semble marquer la volonté du législateur de ne pas reconnaître (en tout cas pas de suite) les sociétés de téléconsultation comme des offreurs de santé « de plein exercice ». La logique voudrait que le statut des sociétés de téléconsultation prenne place dans le titre II du livre troisième de la sixième partie du code de la santé publique intitulé « autres services de santé », aux côtés notamment des maisons de santé et des centres de santé.
Cette reconnaissance viendra sans doute plus tard, lorsque ces plateformes se seront durablement installées dans le paysage sanitaire.
Pour l’heure, la place qui leur est faite est encore limitée. En alignant strictement les conditions de prise en charge de leurs actes par l’assurance maladie sur celles des médecins libéraux, le législateur cantonne de facto, les sociétés de téléconsultation dans un rôle subsidiaire : celui consistant à prendre en charge les patients habitant en zone sous-dense, ainsi que ceux n’ayant pas de médecin traitant ou qui sont orientés par le service d’accès aux soins.
L’étude d’impact est à cet égard sans ambiguïté sur les intentions du législateur (p. 175) : « C’est tel que prévu par les partenaires conventionnels et en subsidiarité de l’offre de soins existante que seront positionnées les sociétés de téléconsultation ».
Des conditions d’exercice sans doute trop restrictives pour garantir la pérennité des plateformes de téléconsultation.
L’obligation de respecter le parcours de soins coordonné et le principe de territorialité ne rendra en pratique possible l’accès direct à la téléconsultation (c’est-à-dire sans passer par le médecin traitant ni par une organisation territoriale de téléconsultation, ni par le SAS) que dans les zones sous-dotées. Même s’il est vrai que plus de 17% de la population vit aujourd’hui dans un désert médical et que les zones d’intervention prioritaires représentent une part significative du territoire national (cf. la carte des zones d’intervention prioritaires des médecins généralistes consultable sur le site [email protected]), cette limitation territoriale risque de constituer un frein au développement des sociétés de téléconsultation. L’enjeu pour ces sociétés sera de parvenir à s’insérer dans les organisations territoriales coordonnées afin d’élargir leur champ d’intervention géographique, ce qui implique qu’elles recrutent des téléconsultants exerçant dans les territoires concernés.
Autre limitation, celle du quota de 20% de l’activité annuelle en téléconsultation. A lire l’exposé des motifs de la loi, le cadre juridique proposé résout le problème en permettant aux plateformes de télémédecine de s’abstraire de l’accord national des centres de santé.
Certes, les sociétés de télémédecine ne seront plus soumises à ce quota, mais celui-ci continuera de s’appliquer individuellement aux médecins qu’elles salarient ou qu’elles référencent, en application de la convention médicale.
Pour respecter strictement ce quota, les sociétés de téléconsultation devront salarier ou référencer pas moins de cinq médecins différents à temps partiel pour obtenir un équivalent temps plein !
Outre les problématiques de recrutement et de gestion du temps médical qu’il suscite, le quota de 20% risque également de dissuader les praticiens de s’engager dans un véritable un exercice en distanciel, ou alors dans des conditions pas nécessairement optimales (ex. créneaux de téléconsultations depuis le domicile, en complément d’une activité salariée ou libérale à temps plein). Pour le dire autrement, le quota de 20% risque de cantonner la téléconsultation dans sa condition d’activité d’appoint pour les médecins.
Le souci des pouvoirs publics d’assurer l’équité vis à vis des autres offreurs de soins est compréhensible, mais il risque de pénaliser les sociétés de téléconsultations dans leur recherche d’un modèle économique pérenne et partant, d’empêcher la filière de se structurer correctement.
Bien entendu, il ne s’agit pas d’affranchir la téléconsultation de toute contrainte, mais seulement d’assouplir les règles actuelles (notamment, en relevant le quota de 20%), pour permettre à la téléconsultation et à ses acteurs (plateformes et médecins) de trouver leur juste place dans l’offre de soins.
Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.
Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.
Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.
Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.