mineurs victimes de maltraitances : articulation entre devoir de signalement et secret professionnEL du médecin
Article rédigé par Alice Agard et Maître Mathilde Tchernoukha
Décision Conseil d’Etat, 30 mai 2022, 448646
Dans un arrêt en date du 30 mai dernier, le Conseil d’Etat a considéré que le signalement par une médecin de maltraitances au juge des enfants déjà saisi de la situation ne caractérise pas un manquement au secret professionnel de ce médecin.
En l’espèce, une médecin spécialiste chargée du suivi d’une patiente âgée de huit ans suspectait des maltraitances de la part de son père. Elle avait ainsi adressé plusieurs signalements au procureur de la république et au juge des enfants, lequel était déjà saisi de la situation de l’enfant.
Le conseil départemental de l’ordre des médecins ayant alors porté plainte contre la médecin pour méconnaissance de l’obligation déontologique de secret professionnel, une sanction d’avertissement a été prononcée par la chambre disciplinaire de première instance d’Occitanie de l’ordre des médecins. Une sanction d’interdiction d’exercer la médecine pendant trois mois a ensuite été décidée par le conseil départemental du Haute Garonne de l’ordre des médecins.
La médecin se pourvoit en cassation contre la décision de la chambre disciplinaire.
La Haute juridiction administrative rappelle dans un premier temps l’exigence de secret professionnel posée par les articles L.1110-4 et R.4127-4 du CSP, celui-ci couvrant « tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris ».
Si l’article 226-13 du code pénal punit la violation du secret professionnel par un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, cette sanction n’est toutefois pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret et n’est pas non plus applicable dans certains cas listés, notamment s’agissant du « médecin qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. ». Par ailleurs, « Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ». De même, l’article R. 4127-44 du CSP dispose que dans le cas d’un mineur ou d’une personne hors d’état de se protéger, le médecin alerte les autorités judiciaires ou administratives.
Prenant en compte ces dispositions, le Conseil d’Etat en déduit que « La seule circonstance que ce signalement, contenant des éléments couverts par le secret professionnel, ait été adressé au juge des enfants, qui n’est pas au nombre des autorités mentionnées au 2° de l’article 226-14 du code pénal, ne saurait, à elle seule, alors que le juge des enfants était, en l’espèce, déjà saisi de la situation de cet enfant, caractériser un manquement aux dispositions du I de l’article L. 1110-4 et de l’article R. 4127-4 du code de la santé publique ».
Il en résulte que ne viole pas son obligation de secret professionnel le médecin qui signale au juge des enfants déjà saisi de la situation de l’enfant des maltraitances subies par celui-ci. Le Conseil d’Etat opère ainsi une mise en balance entre secret professionnel et respect des exigences procédurales d’une part, et prise en compte de l’intérêt de l’enfant d’autre part.