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Le secret médical comme rempart a une demande de droit d accès
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Le secret médical comme rempart à une demande de droit d’accès

 

Article rédigé le 13 février 2023 par Me Laurence Huin et Raphaël Cavan

Le Conseil d’État a opposé le secret médical à une association pour faire échec à une demande de droit de communication aux documents administratifs afin d’obtenir auprès d’un centre hospitalier son registre d’isolement et de contention sans occultation préalable de l’identifiant des patients. Le Conseil d’État a pris le contrepied du tribunal administratif de Lille qui avait fait droit à la demande de l’association en opposant la sphère privée du patient dont l’état de santé mental ne regarde que lui et les professionnels de la santé intervenant dans son parcours de soin.

Cette décision laisse t’elle entrevoir une interprétation plus stricte à adopter des limites encadrant le régime des demandes CADA dans le milieu sanitaire ?

 

 

Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 8 février dernier au sujet d’une demande de droit de communication formulée par l’association « Commission des citoyens pour les droits de l’homme » (CCDH) auprès du centre hospitalier de l’arrondissement de Montreuil-sur-Mer lui demandant la communication de son registre de contention et d’isolement pour l’année 2017, ainsi que le bilan annuel de 2017 rendant compte de ces pratiques au sein du centre.

Le Conseil d’Etat a décidé de rejeter cette demande, à laquelle le Tribunal administratif avait fait droit le 25 juin 2021, en raison de l’atteinte portée à la vie privée et au secret médical des personnes inscrites dans ce registre.

Véritable mise en balance opérée entre les exigences de transparence imposées aux administrations publiques par le Code des relations entre le public et l’Administration (ci-après « CRPA ») et la protection de la vie privée des individus, le Conseil d’Etat a tranché ici avec pédagogie en rendant une décision ferme.

 

Une demande de communication trop gourmande

La demande adressée par le CCDH au centre hospitalier visait à obtenir une copie de son registre de contention et d’isolement correspondant à l’année 2017 et son rapport annuel établi pour cette même année.

L’isolement et la contention sont des pratiques de « derniers recours » et ne peuvent concerner que les « patients en hospitalisation complète sans consentement » comme le rappelle le Conseil d’Etat en citant l’article L.3222-5-1 du code de santé publique dans sa décision (point 3). Ces mesures sont prises sur décision motivée d’un psychiatre pour prévenir d’un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui.

Nous sommes donc en présence d’une demande visant un document, certes, « administratif » au sens des dispositions du CRPA puisqu’il est « achevé » (articles L.311-1 et L.311-2 du code des relations entre le public et l’administration), mais qui révèle des informations sensibles concernant les individus inscrits dans ce registre, notamment sur leur état mental.

En outre, la CCDH voulait obtenir la communication de ce registre « sans occultation préalable de l’identifiant ” anonymisé ” du patient » (point 7 de la décision), même si les éléments permettant une identification directe du patient étaient quant à eux bien occultés.

Au-delà des patients, ce sont aussi les informations des professionnels de la santé intervenus dans la mesure d’isolement et de contention du patient qui sont aussi retranscrites dans ce registre (psychiatre et personnels ayant surveillé le patient).

 

Une réponse du Conseil d’Etat sans détours

Bien que le Tribunal administratif de Lille ait fait droit à la demande de la CCDH (absence d’occultation acceptée donc) contestant le refus opposé par le centre hospitalier d’accéder à sa demande, le Conseil d’Etat est venu rappeler à l’aune des dispositions du CRPA les limites pouvant être invoquées pour faire échec à une demande CADA.

Parmi ces limites, le Conseil d’Etat vise notamment les documents dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, et au secret médical, mais aussi les informations dont la publication feraient apparaitre le comportement d’une personne, lui causant ainsi un préjudice (point 2).

Même si le Conseil d’Etat a rappelé que ces éléments présents dans les documents demandés pouvaient faire l’objet d’une occultation au préalable, il a dans une approche casuistique considéré que l’identifiant anonymisé du patient (l’identifiant permanent du patient ou « IPP » selon la pratique du centre hospitalier) devait être regardé ici comme une information dont la communication serait susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical.

Dès lors, seules les autorités expressément désignées dans le code de santé publique pouvaient prétendre à la communication de cette information (La commission départementale des soins psychiatriques, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires) ou le principal intéressé.

Ainsi, alors que la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) s’est déjà prononcée favorablement à la communication du registre d’isolement et de contention dans des cas similaires à celui-ci dans des avis rendus le 24 janvier 2019 (n°20185911, n°20186039 et n° 20190101), sous réserve d’une occultation des éléments permettant d’identifier les patients, le Conseil d’Etat a adopté une position plus ferme et prudente.

En effet, celui-ci a refusé la demande malgré l’occultation des éléments identifiants les patients, au motif que l’identifiant patient anonymisé pouvait éventuellement causer un préjudice aux personnes concernées.

Le Conseil d’Etat a finalement annulé la décision du Tribunal de Lille et a rejeté la demande de la CCDH.

La position du Conseil d’Etat est une bonne nouvelle pour les des administrations publiques, dont les exigences de transparence posées par la loi du 17 juillet 1978 (n° 78-753) instaurant le droit à la communication des documents administratifs ne sauraient être supérieures aux intérêts privés des individus ayant recours à leurs services.

Le Conseil d’Etat a donc su ici marquer les limites à l’exercice du droit à la communication des documents administratifs qui peut être dévoyé par certains acteurs, tout comme peut l’être les droits récemment posés par le règlement européen général à la protection des données (RGPD) dans un contexte de précontentieux social.

 

 

 

 

Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.