Qpc : constitutionnalité des interdictions de concurrence imposées à certains praticiens d’établissements publics de santé
Article rédigé par Alice Agard et Florine Cirefice
Décision du Conseil constitutionnel n°2022-1027/1028 QPC du 9 décembre 2022
Saisi par le Conseil d’Etat d’une question prioritaire de constitutionnalité le 9 décembre 2022, le Conseil Constitutionnel a jugé conforme à la Constitution l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique (CSP) dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales hospitalières.
Pour rappel, cet article contesté par le Conseil national de l’Ordre des médecins prévoit une clause de non concurrence s’imposant à certains praticiens d’établissements publics de santé. Il peut ainsi leur être interdit d’exercer, dans un périmètre déterminé, une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie. Le texte envisage deux situations :
- Le premier paragraphe de l’article permet d’appliquer cette interdiction à certains praticiens (membres du personnel enseignant et hospitalier des centres hospitaliers universitaires ainsi qu’aux médecins, odontologistes et pharmaciens titulaires ou contractuels) qui quittent un établissement public au sein duquel ils exerçaient à titre principal et dont la quotité de travail était au minimum de 50 %.
L’interdiction ne peut alors excéder une durée de vingt-quatre mois et ne peut s’appliquer que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l’établissement public de santé.
En cas de non-respect de cette interdiction, une indemnité dont le montant ne peut être supérieur à 30 % de la rémunération mensuelle moyenne perçue durant les six derniers mois d’activité est due pour chaque mois durant lequel l’interdiction n’est pas respectée.
- Le second paragraphe prévoit une interdiction de concurrence semblable pour les médecins, odontologistes et pharmaciens titulaires exerçant à temps partiel au sein de l’établissement public de santé, parallèlement à une activité privée.
L’interdiction d’exercer une activité rémunérée ne peut de la même façon s’appliquer que dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l’établissement public de santé.
En cas d’inobservation de cette interdiction, il est mis fin à l’autorisation d’exercer à temps partiel.
Dans leur décision, les Sages écartent l’ensemble des griefs invoqués par le Conseil national de l’ordre des médecins. Ce dernier reprochait en effet au texte de violer la liberté d’entreprendre, de méconnaitre l’incompétence négative du législateur et le principe de légalité des délits et des peines.
Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord que la liberté d’entreprendre découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (“DDHC”) de 1789 peut être limitée par le législateur par d’autres exigences constitutionnelles ou d’intérêt général, à condition de respecter le principe de proportionnalité.
Il considère d’abord que les limitations apportées à la liberté d’entreprendre sont bien justifiées par une exigence constitutionnelle. En effet, en ce que les dispositions contestées régulent l’installation de praticiens à proximité des établissements publics de santé, elles permettent de préserver leur activité, laquelle est nécessaire au service public hospitalier. Ces interdictions de concurrence participent donc de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.
Les conditions d’interdiction ne sont en outre jugées ni imprécises ni équivoques par les Sages.
Les mesures d’interdiction ne sont pas non plus manifestement disproportionnées, dès lors qu’elles ne peuvent s’appliquer que dans la limite d’un rayon maximal de 10 kilomètres, et pour une durée de maximum 24 mois concernant les anciens praticiens d’un établissement public.
Enfin, le Conseil constitutionnel écarte l’argument tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines. Le grief est en outre jugé inopérant s’agissant de la décision de mettre fin à l’autorisation d’exercer à temps partiel, celle-ci n’ayant pas le caractère d’une punition.
Les clauses de non concurrence pouvant être imposées tant aux anciens praticiens d’établissements de santé publics qu’à ceux y exerçant à temps partiel pourront donc valablement perdurer.