protection du secret médical : les dernières précisions du conseil d’etat
Article rédigé par Alice Agard et Mathilde Tchernoukha
Conseil d’Etat – 4e et 1ère chambre réunies – 15 novembre 2022 (n°441387)
Dans un arrêt en date du 15 novembre dernier, le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions quant à la protection du secret médical.
Emboitant le pas à la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim, 16 mars 2021), il rappelle ainsi que les informations couvertes par le secret médical ne peuvent être échangées qu’entre médecins participant à la même prise en charge médicale, et qu’à défaut d’appartenance à une même équipe de soins, le consentement préalable de l’intéressé est requis.
En l’espèce, à la suite d’un accident de la circulation ayant fait une victime, une procédure d’indemnisation amiable est mise en œuvre en application de la loi du 5 juillet 1985. Dans le cadre de celle-ci, l’assureur de la victime communique le rapport d’expertise amiable à l’assureur de l’autre conducteur, qui le remet à son médecin-conseil.
Suite à l’échec de la procédure amiable, la victime saisit le juge des référés. Celui-ci désigne un expert judiciaire, chargé de recueillir « tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime ». L’ordonnance du juge précise toutefois que la communication de toute pièce médicale à un tiers est subordonnée à l’accord de la personne concernée.
Or, le médecin conseil désigné par l’assurance de la partie adverse communique à l’expert judiciaire le rapport d’expertise amiable, sans que la victime n’ait donné son accord préalable.
La victime a alors porté plainte devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l’Ordre des médecins contre le médecin conseil, pour violation du secret médical dans le cadre de cette expertise judiciaire. Celle-ci inflige la sanction du blâme au médecin conseil. Le médecin ayant interjeté appel, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins annule la première décision et rejette la plainte de la victime. Selon elle, le secret médical n’a pas été méconnu dès lors que l’obligation de respecter le secret médical s’appliquait aux deux médecins et que l’échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice.
La victime a alors formé un pourvoi en cassation : le Conseil d’Etat casse et annule la décision de la chambre disciplinaire nationale, renvoyant l’affaire devant celle-ci.
Le Conseil d’Etat rappelle d’abord la portée du secret médical posé par les articles L 1110-4 et R 4127-4 du CSP. Le secret couvre l’ensemble des informations venues à la connaissance du médecin concernant la personne. De plus, les professionnels de santé ne peuvent échanger des informations couvertes par le secret médical qu’à la condition qu’ils participent tous à la prise en charge médicale de la même personne et que les informations soient « strictement nécessaires à la coordination et à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social ». Si ces professionnels n’appartiennent pas à la même équipe de soins, le partage entre eux de telles informations requiert en outre le consentement préalable de l’intéressé, recueilli par tout moyen.
Quant à l’intérêt d’une « bonne administration de la justice » qui selon la chambre disciplinaire, justifiait la communication des données médicales, la Haute juridiction considère que l’article 275 du code de procédure civile régissant l’expertise judiciaire ne permet pas de déroger au secret médical posé par l’article L 1110-4 du CSP. Le consentement préalable de la personne concernée demeurait donc indispensable.
Le médecin conseil défendeur invoquait en effet un arrêt de la 2e chambre civile de la Cour de cassation (2e Civ, 22 novembre 2007), selon lequel le secret médical ne saurait être opposé à un médecin-expert appelé à éclairer le juge sur les conditions d’attribution d’une prestation sociale, l’expertise médicale constituant un élément de preuve essentiel devant pouvoir être débattu par les parties. La situation envisagée dans le présent arrêt apparait toutefois différente dès lors que le rapport du médecin conseil n’était pas indispensable à la mission de l’expert, lequel pouvait apprécier lui-même état de santé de la victime.
La présente solution s’explique par le fait que le titulaire du secret médical demeure, en toutes hypothèses, le patient. Ce dernier est seul à même d’y renoncer en dehors des cas strictement prévus par les textes, comme l’hypothèse où les professionnels font partie d’une même équipe de soins visée par le II. De l’article L. 1110-4 du code de la santé publique. Or, le fait pour deux médecins d’intervenir conjointement dans le cadre de l’expertise d’un patient ne suffit pas à octroyer cette qualification.
Assurant ainsi une délicate conciliation entre secret médical et droit de la preuve, la Haute juridiction administrative conclut que « le partage d’informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d’une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, ce à quoi l’article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger ».
La seule qualité de médecin et la bonne administration de la justice ne sauraient ainsi justifier à eux seuls l’échange d’informations protégées par le secret médical.