Responsabilité financière des gestionnaires publics
Article rédigé le 20 décembre 2022 par Me Laurent Houdart
À partir du mois de janvier 2023 est mis en place de façon effective un nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics et des gestionnaires des organismes relevant du code de la sécurité sociale. L’objectif a été d’unifier les régimes de responsabilité des comptables et des ordonnateurs.
La réforme suscite inquiétudes et craintes des gestionnaires et a entraîné nombre de commentaires trop souvent approximatifs voire erronés.
Et tout d’abord qui est concerné ?
Ce sont toutes les personnes justiciables de la Cour des comptes, c’est-à-dire les fonctionnaires ou agents civil ou militaire de l’Etat, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements des collectivités territoriales mais aussi tout représentant et administrateur des autres organismes soumis au contrôle de la Cour des comptes ou des chambres régionales.
Pour simplifier retenons plutôt qu’à l’inverse seuls sont exclus les Ministres et les élus locaux.
Les directeurs d’administration ou encore les tutelles, je pense bien évidemment aux directeurs d’agence régionale de santé sont donc également concernés.
De quoi peut on les poursuivre ?
Il s’agit là de l’une des grandes nouveautés de la réforme. Sont créés trois nouvelles infractions :
A / La première, prévue à l’article L 131-9 du code des juridictions financières est très générale. Elle est composée de 3 éléments :
- est tout d’abord visé toute infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’Etat, des collectivités, établissements. Le champ est ainsi très large et est de nature à inquiéter. Nous dépassons très largement le champ des précédentes infractions soumises à la CDBF ;
- cette infraction doit être constitutive d’une faute grave. Il ne s’agit pas de la simple négligence ou erreur. La gravité de la faute doit être caractérisée par l’accusation et sera appréciée par les magistrats ;
- un 3ème élément a été introduit : le préjudice financier causé doit être On pense immédiatement à la définition de « ce qui est indispensable à la grandeur numérique », donc à l’importance du montant du préjudice. Le DG d’un CHU serait il alors plus exposé que celui d’un EHPAD ? C’est oublier la seconde définition de significatif c’est-à-dire « ce qui exprime clairement quelque chose ». Nous comprenons que cette dernière caractéristique de l’infraction dépendra très étroitement de l’appréciation des magistrats.
En résumé, il s’agit d’une infraction dont le champ est en effet bien plus large mais dont les caractéristiques ont été encadrées par les pouvoirs publics. Le dernier mot appartiendra aux juridictions qui en donneront le sens.
B / La seconde, prévue à l’article L 131-10 du code des juridictions financières est identique au précédent mais concerne cette fois ci les personnes qui occupent un emploi de direction dans les ESPIC, dans des organismes, filiales ou établissements publics industriels et commerciaux. Nous pensons aux GIP, aux filiales des CHU, aux GIE, GCS par exemple.
Les éléments de l’infraction sont identiques, à ceci près qu’il n’y a plus de faute grave exigée mais sont visés :
- des agissements manifestement incompatibles avec les intérêts de celui-ci ;
- des carences graves dans les contrôles qui lui incombaient ;
- ou des omissions ou négligences répétées dans son rôle de direction.
En quelques mots, la qualification des faits sera plus exigeante que dans la première infraction.
C / Par ailleurs, une infraction nouvelle visant à sanctionner les agissements ayant eu pour effet de faire échec à une procédure de mandatement d’office est créée.
D / Précisons enfin que les autres infractions issues du régime CDBF sont conservées :
- l’octroi d’un avantage injustifié ;
- le non-respect des règles applicables en matière de contrôle budgétaire pour l’engagement de dépenses ;
- l’engagement de dépenses sans avoir la qualité d’ordonnateur ;
- l’inexécution des décisions de justice ;
- la gestion de fait constituera une infraction en tant que telle, tout comme l’absence de production des comptes.
Quelles sont les sanctions ?
Le juge pourra prononcer des amendes plafonnées à six mois de rémunération, ou un mois pour les infractions formelles. Les amendes, individualisées, seront proportionnées à la gravité des faits reprochés.
Disons le tout net, par expérience, les amendes ne dépassent rarement un mois de traitement ou salaire. La question est moins le montant de l’amende que les conséquences professionnelles.
Quid des juridictions ? Est-ce toujours la CDBF ?
La CDBF disparait et d’ailleurs à compter du 19 décembre le greffe est fermé pour préparer le transfert des dossiers à la chambre du contentieux de la Cour des comptes. Elle comprendra des membres de la Cour et des magistrats des chambres régionales et territoriales des comptes, instruira et jugera les affaires.
Afin de renforcer les droits des justiciables, une Cour d’appel financière, présidée par le Premier président de la Cour des comptes est créée. Elle sera composée de quatre conseillers d’Etat, de quatre conseillers maîtres à la Cour des comptes et de deux personnalités qualifiées L’appel sera suspensif. Le Conseil d’Etat demeurera la juridiction de cassation.
Nous regretterons que cette réforme ne soit pas allée jusqu’au bout dans la protection des droits des justiciables puisque le Ministère public, non seulement est seul à décider des suites à donner aux déférés mais surtout à apprécier les suites à donner à la clôture de l’instruction. Nous aurions souhaité que cela soit confié, comme au pénal, à un juge indépendant.
Qui peut saisir la juridiction ?
Peuvent déférer au Ministère public près la Cour des Comptes, les mêmes autorités qu’aujourd’hui mais la liste se rallonge et nous citerons particulièrement ;
- les chefs de service des inspections générales de l’État ;
- les commissaires aux comptes des organismes soumis au contrôle des juridictions financières.
Cette extension est regrettable : les inspections générales de l’État devraient se cantonner à leur rôle et c’est à l’autorité qui les a mandatés de décider de la suite. En leur offrant la possibilité de déférer au ministère public, on leur confère un rôle et un pouvoir qui ne devrait pas être le leur. Idem pour les commissaires aux comptes. Leur octroyer la faculté de déférer un justiciable devant la chambre du contentieux pourrait rappeler leur devoir d’alerte lorsqu’ils interviennent auprès d’entreprises privées. Saisir un tribunal de commerce pour des faits commis par une entreprise n’a rien à voir avec celui de déférer au ministère public une personne physique.
En synthèse, le nouveau régime de responsabilité des gestionnaires apparaît complexe, il exigera très vite des éclaircissements qu’apporteront la jurisprudence. Formons l’espoir que les juges apporteront la tempérance nécessaire dans le souci de protection des justiciables et non de stigmatiser un peu plus des professions qui ne le mérite pas .
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.