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La voie d'exception pour contester l'illégalité d'un accord collectif
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La voie d’exception pour contester l’illégalité d’un accord collectif

Article rédigé le 22 mars 2022 par Me Marine Jacquet

 

En principe, toute action en nullité d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois.
Néanmoins, les salariés ont la possibilité de contester, sans condition de délai autre que la prescription de leur créance, par la voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif.
La Haute juridiction vient de préciser que ce même droit devait être reconnu aux instances représentative du personnel et aux syndicats dans le cadre des prérogatives qui leurs sont reconnues par la loi. Côté employeur, cette décision fragilise considérablement la portée de tel accord.

 

Retour sur une contestation tardive d’un accord collectif

Un Comité social et économique (ci-après CSE) a désigné un expert dans le cadre de consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise.

L’employeur a saisi le président du tribunal de grande instance pour demander l’annulation de la délibération, invoquant les termes d’un accord collectif sur le dialogue social réservant au seul comité central d’entreprise les consultations périodiques en la matière.

En défense, le CSE fait valoir l’illégalité de l’accord dont se prévaut l’employeur.

L’employeur oppose le fait que l’illégalité de l’accord ne peut plus être soulevé sur le fondement de l’article L. 2262-14 du code du travail, dont le délai était dépassé dans les faits de l’espèce.  Cet article prévoit, en effet, que toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :

    • De la notification de l’accord d’entreprise pour les organisations disposant d’une section syndicale dans l’entreprise ;
    • De la publication de l’accord dans tous les autres cas.

 

Un arrêt de cassation pour une novation jurisprudentielle redoutable ?

La Cour de cassation rappelle que toute action en nullité de tout ou partie d’une convention ou d’un accord collectif doit, à peine d’irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois.

Néanmoins, elle revient sur la décision du Conseil constitutionnel. Ce dernier a précisé que l’article L. 2262-14 ne prive pas les salariés de la possibilité de contester, sans condition de délai, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de convention ou d’accord collectif, à l’occasion d’un litige individuel la mettant en œuvre (Conseil constitutionnel, décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018 point n°36).

A noter : L’exception d’illégalité est un moyen permettant de contester indirectement la légalité d’un acte administratif à l’occasion d’un recours à l’encontre d’une mesure d’application de cet acte. L’exception d’illégalité est perpétuelle. La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de la demande.

Dans cet arrêt, se posait la question de savoir si l’exception d’illégalité pouvait être ouverte au CSE, faute d’avoir exercé son droit à un recours dans le délai de deux mois.

La Cour de cassation statue ainsi :

 

« Au égard au droit à un recours juridictionnel effectif garanti tant par l’article 16 de la Déclaration de 1789 que par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, applicable en l’espèce du fait de la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, et l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un comité social et économique est recevable à invoquer par voie d’exception, sans condition de délai, l’illégalité d’une clause d’un accord collectif aux motifs que cette clause viole ses droits propres résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi. »(Cour de cassation, 2 mars 2022 n° 20-16002).

 

La chambre sociale reconnait donc au CSE la possibilité de soulever l’illégalité d’un accord collectif par voie d’exception, c’est-à-dire sans condition de délai, s’il a un droit propre à défendre résultant des prérogatives qui lui sont reconnues par la loi.

Il s’ensuit que la contestation du CSE relative à l’illicéité d’une clause conventionnelle écartant sa compétence dans le cadre des consultations sur la situation économique et financière de l’entreprise est donc recevable par la voie de l’exception, en ce qu’elle porte atteinte à ses droits propres.

Ce même droit a été reconnu par un arrêt de la même date aux syndicats (Cour de cassation, 2 mars 2022, n° 20-18.442). Dans cette seconde décision, la contestation du syndicat portait sur un avenant à un accord collectif d’entreprise relatif au périmètre des établissements distincts pour l’élection des représentants du personnel.

En revanche, dans une notice explicative, la Haute juridiction ajoute que « la question demeure plus ouverte s’agissant de l’action d’un syndicat au titre de la seule défense de l’intérêt collectif de la profession au sens de l’article L.2132-3 du code du travail. »

 

Les implications potentielles de cette voie d’exception

Le CSE et les Syndicats peuvent désormais contester, sans condition de délai, l’illégalité d’une convention ou d’une clause d’un accord collectif par la voie de l’exception, sous réserve que l’accord viole leurs droits propres résultant des prérogatives qui leurs sont reconnues par la loi.

Cette décision n’est pas neutre. Elle fragilise, en effet, considérablement la portée des accords collectifs, fruit d’une négociation collective parfois durement menée avec les syndicats. Cette insécurité juridique planant, sans condition de délai, génère un risque important pour l’employeur, qui peut être dissuasif et ainsi nuire au dialogue social pourtant essentiel en entreprise.

 

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).