L’AIDE ACTIVE À MOURIR : QUE DIT LE PROJET DE LOI ?
Article rédigé le 24 mai 2024 par Marie COURTOIS
Projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie
Le 27 mai prochain, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie sera débattu pour la première fois en séance publique par les députés : il répond à une demande sociétale.
Une demande sociétale : le droit à une fin de vie digne
Aujourd’hui, le droit à une fin de vie digne est revendiqué par une majorité des citoyens français. Nombreux dénoncent en effet, les conditions indignes de la fin de vie en France :
- L’accès aux soins palliatifs est trop imparfait: on considère que seulement 20% des personnes nécessitant ces soins y ont accès, avec de fortes disparités territoriales en termes de structures disponibles et de lits dédiés dans les hôpitaux. Or les soins palliatifs sont primordiaux pour préserver et améliorer la qualité de vie des patients atteints de maladies graves et incurables en soulageant la douleur et en apportant un soutien psychologique.
- La sédation profonde et continue, seule option autorisée en France pour accompagner un malade en fin de vie, est critiquée. Elle consiste à administrer des médicaments pour plonger le patient dans un état d’inconscience jusqu’à son décès, et n’est autorisée qu’à la demande d’un patient dont la souffrance est insupportable et dont le décès est imminent et inévitable. Ce n’est pas elle qui conduit au décès mais bien l’évolution de la naturelle de la maladie. Pour beaucoup, elle ne représente pas une véritable prise en charge de la souffrance.
- L’interdiction de l’aide active à mourir pèse sur de nombreux patients. Certains sont contraints de partir à l’étranger pour exercer leur « droit à mourir » dans des conditions dignes. Et si certains s’opposent au « droit à mourir » en invoquant le droit à la vie de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, la majorité des français semble y être favorable. Une légalisation de l’aide active à mourir :
- Permettrait de respecter la dignité humaine, nombre de personnes en fin de vie souhaitent éviter une prolongation inutile de leur souffrance. L’aide active à mourir permet aux patients de choisir de mourir dignement sans endurer des douleurs insupportables. En effet, nombre d’entre elles, ne peuvent, malgré les avancées des soins palliatifs, être soulagées.
- S’inscrirait dans la liberté individuelle, le droit à l’autodétermination qui devrait autoriser chaque citoyen à choisir le moment et les conditions de sa propre mort.
- Permettrait de mettre en place des procédures strictes et contrôlées, réduisant ainsi les risques de pratiques clandestines non sécurisées et potentiellement abusives.
En 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié un avis favorable à une aide active à mourir, sous conditions strictes, tout en soulignant la nécessité d’un renforcement parallèle des soins palliatifs.
Dans le prolongement de cet avis, la Convention citoyenne sur la fin de vie, composée de 184 citoyens, s’est prononcé en 2023, en faveur d’une aide active à mourir à 70,6%, prenant soit la forme d’un suicide assisté (28,2%) soit d’une possibilité de choix entre suicide assisté et euthanasie (39,9%). En outre, les citoyens ont proposé une série d’étapes rigoureuses à suivre visant à encadrer cette aide :
- Une expression claire de la demande.
- Un accompagnement médical et psychologique.
- Une évaluation du discernement.
- La validation de la demande
- L’établissement de conditions précises quant à la réalisation de l’acte.
- Un encadrement et un contrôle à toutes les étapes.
Face cette demande sociétale, le projet de loi, annoncé par le chef de l’état, apporte une réponse. Il tend à offrir aux patients et plus largement à tous les citoyens français, une fin de vie plus digne et mieux encadrée.
Une réponse législative : les soins palliatifs et l’aide à mourir au cœur du projet de loi
Déposé le 10 avril 2024 sur le bureau de l’Assemblée, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie a fait l’objet d’une étude en commission. Examinons ensemble le texte qui sera présenté aux députés le 27 mai prochain.
Ce projet de loi poursuit deux objectifs principaux :
- Renforcer les soins d’accompagnement, les soins palliatifs et les droits des malades notamment par la création de maisons d’accompagnement pour les personnes en fin de vie.
- Légaliser l’aide à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable en phase avancée ou terminale
Les soins palliatifs, l’accompagnement de la fin de vie et les directives anticipées
Le projet de loi rénove l’approche de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie.
Une nouvelle définition des soins palliatifs (Article 1)
Il redéfinit la notion de « soins palliatifs » dans le code de la santé publique, en l’insérant dans la catégorie des soins d’accompagnement qui englobe toutes les mesures mises en œuvre pour répondre aux besoins des malades et de leurs proches aidants (accompagnement psychologique, musicothérapie, massages, etc.). Plus particulièrement, les soins palliatifs visent à « soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. » (Article L.1110-10). Ils sont prodigués quel que soit le lieu de résidence ou de soins de la personne malade et permettent la rédaction de directives anticipées.
La création des maisons d’accompagnement (Article 2)
L’article 2 du projet de loi crée une nouvelle catégorie d’établissements médico-sociaux, les « maisons d’accompagnement », dotées de la personnalité morale. Ce sont des structures intermédiaires entre le domicile et l’hôpital, ayant vocation à accueillir et accompagner des personnes en fin de vie et leurs proches. Il s’agit d’offrir une solution à celles et ceux qui ne pourraient pas rentrer chez eux après une hospitalisation ou pour qui une prise en charge en établissement médico-social classique ne serait pas appropriée. Ces maisons fourniront tous les soins d’accompagnement nécessaires aux résidents et leur financement sera assuré par l’Assurance maladie et par un forfait journalier payé par les pensionnaires.
La formalisation systématique d’un plan personnalisé d’accompagnement des patients atteints d’une affection grave (Article 3)
Le projet de loi insère après l’article L.1110-10, un article L.1110-10-1 dans le code de la santé publique selon lequel, lors de l’annonce d’un diagnostic d’une maladie grave, le patient doit pouvoir bénéficier d’un temps d’échange avec le médecin ou un professionnel de santé de l’équipe de soins afin de discuter de sa prise en charge sanitaire, sociale et médico-sociale mais aussi la prise en charge de sa douleur. Le médecin doit lui proposer de rédiger ou de réviser ses directives anticipées.
Un plan personnalisé d’accompagnement est ainsi formalisé par écrit en tenant compte des directives anticipées du patient.
Le médecin est également tenu de sensibiliser les proches aidants sur les enjeux liés à l’accompagnement d’un proche en soins palliatifs et à la fin de vie et de les informer sur les droits et les dispositifs d’accompagnement sociaux, économiques et psychologiques dont ils peuvent bénéficier en tant qu’aidant.
Les directives anticipées (Article 4)
Le projet de loi s’intéresse dans son Article 4 aux directives anticipées.
En théorie, depuis la loi Leonetti de 2005, une personne majeure a la possibilité de rédiger à tout moment des directives anticipées. Celles-ci s’imposent au médecin depuis une loi du 2 février 2016, sauf dans l’hypothèse où elles seraient manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient (Article L.1111-11 du CSP dont la conformité à la Constitution a été affirmée par une décision du Conseil constitutionnel du 10 novembre 2022).
Toutefois, en pratique, les directives anticipées sont très rares et l’objectif du projet de loi est justement d’inciter tout patient à en rédiger. Pour cela, il est notamment prévu que :
- Les bénéficiaires d’un plan personnalisé d’accompagnement pourront l’annexer à leurs directives anticipées.
- Les directives anticipées seront conservées dans le dossier médical partagé. Leur présence dans cet espace numérique de santé, sera régulièrement rappelée à leur auteur qui pourra d’ailleurs autoriser un parent ou un proche aidant à accéder à cet espace.
L’aide à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable en phase avancée ou terminale
Le projet de loi autorise l’aide à mourir et répond ainsi aux attentes sociétales. Cette aide active à mourir est définie par l’article 5 du projet qui insère un article L.1111-12-1 dans le Code de la santé publique.
Article L.1111-12-1 du CSP : « I- L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en exprimé la demande à recourir à une substance létale, dans les conditions et selon les modalités prévues aux articles L.111-12-2 à L.1111-12-7, afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne majeure qu’elle désigne et qui se manifeste pour le faire. Cette dernière ne peut percevoir aucune rémunération ou gratification à quelque titre que ce soit en contrepartie de sa désignation. Elle est accompagnée et assistée par le médecin ou l’infirmier
II- L’aide à mourir est un acte autorisé par la loi au sens de l’article 122-4 du code pénal. »
Qui pourra accéder à cette aide à mourir ?
L’article 6 du projet de loi prévoit les conditions d’accès à cette aide à mourir qui figureront à l’article L.1111-12-2 du code de la santé publique. Selon cet article, pour accéder à l’aide à mourir, la personne devra :
- Être âgé d’au moins dix-huit ans.
- Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière en France.
- Être atteinte d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale. Cette condition résulte d’un amendement voté par la commission spéciale sur le texte original déposé à l’assemblée. En effet, le texte déposé le 10 avril exigeait une « affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou moyen terme ». Or, il a été jugé que :
- La notion de « moyen terme » était trop difficile à définir : plusieurs médecins ont affirmé ne pas être en capacité d’établir le délai d’engagement d’un pronostic vital au regard de l’évolution de la maladie et des réactions du malade.
- Ce critère « écartait un nombre trop considérable de patients qui pourraient bénéficier de l’aide à mourir parce qu’atteints d’une maladie incurable mais dont le pronostic vital n’entre pas dans la définition précise de court ou moyen terme ». Ainsi :
- Dans le cas de maladies neurodégénératives, les souffrances physiques ou psychologiques, réfractaires ou insupportables, peuvent survenir dès les stades avancés de la maladie.
- Quelle que soit l’affection, le patient peut souhaiter, dès lors qu’il se trouve frappé d’une affection grave et incurable, ne pas connaître les affres de la maladie même si son pronostic vital n’est pas directement engagé.
- Les termes « avancée ou terminale » permettent d’élargir la possibilité d’accéder à l’aide à mourir tout en préservant un cadre strict.
- Présenter une souffrance physique, accompagnée éventuellement d’une souffrance psychologique liée à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable lorsque la personne ne reçoit pas de traitement ou a choisi d’arrêter d’en recevoir.
- Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. Autrement dit, la personne ne peut demander à bénéficier de l’aide à mourir que si elle a conscience de la portée et des conséquences de son choix. Cela exclut les personnes atteint d’une maladie psychiatrique qui souffre d’une altération de leur discernement.
Notons qu’en cas de recours à un tel dispositif, la personne devra avoir souscrit à une assurance spécifique qui couvre le risque de décès en cas de mis en œuvre de l’aide à mourir (Article 20).
Quelle procédure faudra-t-il respecter ?
Pour accéder à l’aide à mourir, une procédure stricte devra être respectée :
- Une demande expresse: La personne qui souhaite accéder à l’aide à mourir devra en faire la demande expresse à un médecin en activité qui n’est ni son parent, ni son allié, ni son conjoint, concubin ou partenaire pacsé, ni son ayant droit.
- Un examen médical:
- Au cours d’un examen médical, hors téléconsultation, le médecin devra délivrer un certain nombre d’informations à la patiente :
- L’Informer de son état de santé, des perspectives de son évolution et des traitements et dispositifs d’accompagnement disponibles.
- Lui proposer de bénéficier des soins palliatifs.
- Lui proposer de l’orienter vers un psychologue ou un psychiatre.
- Lui indiquer qu’elle peut renoncer à tout moment à sa demande.
- Lui expliquer les conditions d’accès à l’aide à mourir et sa mise en œuvre.
- Le médecin vérifiera ensuite que la patiente remplie les conditions d’accès à l’aide à mourir précitées. La vérification des trois dernières conditions suppose une procédure collégiale. Le médecin devra recueillir l’avis d’un autre médecin, spécialiste de la pathologie de la patiente et d’un auxiliaire médical ou d’un aide-soignant qui intervient auprès de la patiente. Il peut également demander l’avis d’autres professionnels notamment un psychologue qui connait la personne.
- Au cours d’un examen médical, hors téléconsultation, le médecin devra délivrer un certain nombre d’informations à la patiente :
- Une décision du médecin: Le médecin doit prendre sa décision dans les 15 jours à qui suivent la demande. Sa décision devra être motivée et notifiée à la patiente oralement et par écrit.
- L’obligation de respecter un délai de réflexion : La patiente dispose alors d’un délai de réflexion d’au moins deux jours à compter de la notification de la décision du médecin. Une fois ce délai écoulé, elle pourra confirmer ou non au médecin qu’elle demande l’administration de la substance létale.
- En cas de confirmation de la demande: Le médecin sera tenu de l’informer des modalités d’administration et d’action de la substance létale qu’il lui prescrira. Les substances létales utilisées seront évaluées et contrôlées par la HAS et l’ANSM. Le jour de l’administration de la substance létale, le médecin ou l’infirmier chargé d’accompagner la personne devra :
- Vérifier que la personne confirme qu’elle veut procéder à l’administration.
- Prépare, le cas échéant, l’administration de la substance létale.
- Assure la surveillance de l’administration de la substance létale.
L’article 17 institue une commission chargée de contrôler, pour chaque procédure d’aide à mourir, le respect des conditions d’accès à cette aide et des étapes permettant sa mise en œuvre. Cette commission est composée d’au moins deux médecins.
Quels seront les droits de la personne demandant l’aide à mourir ?
Selon l’article 9 du projet de loi, la personne qui demande l’aide à mourir a le droit de :
- Choisir la date de sa mort (Article L.1111-12-5 I).
- Choisir de mourir seul ou accompagné et à ou en dehors de son domicile (Article L.111-12-5 II).
Les frais afférents à la mise en œuvre de l’aide à mourir sont entièrement pris en charge par l’Assurance maladie (Article 19).
Quels seront les droits de médecins ?
L’article 16 du projet de loi institue une clause de conscience pour les professionnels de santé : ils ne seront pas tenus de concourir à la mise en œuvre de l’aide à mourir. Le médecin qui refuserait de participer à une procédure d’aide à mourir, devra simplement, le cas échéant, en informer sans délai le patient et lui communiquer le nom d’un professionnel de santé disposé à y participer.
A suivre…
Une législation sur la fin de vie était attendue et nécessaire. Par l’adoption de ce projet de loi, un dispositif assurant à tous les citoyens français une fin de vie digne et encadrée serait enfin mis en place.
Le projet qui sera soumis à l’Assemblée lundi prochain est plus ambitieux que celui déposé devant elle le 10 avril dernier : il consacre un réel droit à mourir en toute dignité, accessible à tout patient atteint d’une maladie grave et incurable en phase avancée ou terminale, subissant des souffrances réfractaires et insupportables. Les débats s’annoncent intenses entre les partisans du droit à mourir et ses opposants notamment quant à la fixation de ses conditions d’accès. Quoi qu’il en soit, un compromis devra être trouvé.
Le sort est désormais entre les mains des députés.
Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.
En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.