Aot et domaine public hospitalier
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L’AOT conclue sur le domaine public hospitalier en 5 questions / réponses

Article rédigé le 7 mars 2022 par Me Jessica Phillips

Le contrôle de la bonne gestion domaniale des établissements publics de santé ne cesse de se durcir. Tant du côté des juridictions administratives que financières.

Parmi les objectifs : inciter les récalcitrants à valoriser comme il se doit leur domaine public, et sécuriser de manière optimale leurs conventions d’occupation du domaine public. Cet article, sous forme de questions / réponses, est l’occasion de faire le point, et de revenir sur les principaux écueils

 

 

Plusieurs rapports récents de Chambres régionales des comptes ont fermement condamné la pratique de certains établissements publics de santé s’agissant des conditions d’occupation de leur domaine public.

Dans un rapport du 13 décembre dernier, la CRC PAYS DE LA LOIRE précisait par exemple :

« Quoi qu’il en soit, cet article pose le principe du paiement obligatoire d’une redevance pour toute occupation du domaine public, excepté dans quelques cas particuliers qu’il énumère et qui ne sont pas applicables en l’espèce. La perception d’une redevance en contrepartie d’une autorisation d’occupation privative du domaine public est un principe de rang législatif : il ne peut donc être aménagé et il ne peut y être dérogé que par la loi. (…)

La chambre maintient qu’il résulte de l’application combinée de ces dispositions du CGPPP et de la loi de finances rectificative du 30 juillet 2020 que le CH ne pouvait qu’exonérer son occupant au maximum du paiement du quart de la redevance due au titre de l’année 2020. (…)».

Ces considérations ne sont pas nouvelles, déjà dans un rapport annuel de 2012 la Cour des comptes considérait :

« Dans le contexte dégradé des finances hospitalières, alors que le déficit cumulé des hôpitaux a atteint près de 500 M€ et que leur endettement a dépassé 24 Md€ en 2010, l’optimisation de la gestion de ce patrimoine est indispensable, même si ce qui peut en être attendu est globalement sans commune mesure avec l’importance des ressources apportées aux établissements par l’assurance maladie.

Les établissements doivent en particulier conduire une politique active de valorisation de ces biens afin de se procurer des recettes nouvelles (par cessions ou amélioration du rendement locatif) ou d’éviter de supporter les charges d’entretien de bâtiments dont ils n’ont plus besoin ».

Mais les propos se durcissent, et se précisent.

La pleine maitrise et la bonne application des règles d’occupation du domaine public sont donc plus que jamais primordiales.

Ce question / réponse reprend les interrogations les plus fréquentes survenant à l’occasion de l’élaboration d’une convention d’occupation du domaine public – AOT – et apporte quelques premiers éléments de réponse.

 

Une mise en concurrence est-elle nécessaire avant la conclusion d’une AOT ?

Depuis une ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, tout propriétaire permettant à un occupant d’exercer une activité économique sur son domaine public doit initier une procédure de publicité préalable.

L’obligation a été reprise à l’article L2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP).

Cette publicité, librement déterminée, doit informer du projet de convention d’occupation du domaine public envisagé, et permettre à d’éventuels intéressés de présenter des offres concurrentes.

Très souvent en pratique cette publicité se limite à une publication sur le site du Centre hospitalier, pendant une durée appréciée en fonction des caractéristiques du projet.

Elle n’est donc pas particulièrement contraignante pour les propriétaires.

Nous y verrons une dimension incitative, et ne pouvons qu’encourager les établissements à s’y conformer lorsque les circonstances le permettent.

Par exception, une publicité préalable peut être évitée dans les hypothèses suivantes, visées aux articles L. 2122-1-2 et 3 du CGPPP :

    • L’urgence (prudence : la durée de l’occupation ne doit alors pas dépasser un an) ;
    • En cas de risque pour la sécurité publique ou lorsque des impératifs tenant à l’exercice de l’autorité publique le justifient ;
    • La prolongation d’une convention d’occupation existante ;
    • L’hypothèse du titre d’occupation conféré par un contrat de la commande publique ou s’inscrivant dans le cadre d’un montage contractuel ayant déjà donné lieu à une procédure de sélection ou publicité ;
    • L’hypothèse où une seule personne est en droit d’occuper la dépendance du domaine public en cause ;
    • Pour l’occupant dont la gestion est soumise à la surveillance directe ou un contrôle étroit du propriétaire ;
    • En cas de première procédure de sélection infructueuse ;
    • Lorsque les caractéristiques particulières de la dépendance, notamment géographiques, physiques, techniques ou fonctionnelles, ses conditions particulières d’occupation ou d’utilisation, ou les spécificités de son affectation le justifient au regard de l’exercice de l’activité économique projetée.

 

Cette dernière exception est sans nul doute la plus fréquemment invoquée. Elle doit néanmoins être utilisée à bon escient, et donner lieu à une motivation particulièrement solide.

Nous vient instinctivement à l’esprit l’hypothèse d’une autorisation ARS permettant l’exploitation d’un scanner ou d’un appareil IRM sur le domaine public hospitalier car s’inscrivant dans la mise en place d’une coopération globale entre le Centre hospitalier et l’occupant. Cependant, ce serait oublier, conformément à la jurisprudence GOGLOWSKI (Conseil d’Etat, 4 / 1 SSR, du 13 octobre 1989), qu’il y a obligation pour un établissement public de santé qui souhaite mutualiser une ou plusieurs autorisations d’équipements matériels lourds avec des partenaires privés, de le proposer préalablement à tous les cabinets libéraux du territoire.  La publicité préalable de l’AOT pourra ainsi être intégrée à celle, plus large concernant les conditions de mutualisation des équipements.

Pour finir sur cette première question de la publicité préalable, précisons que si l’établissement propriétaire entend faire jouer l’une des exceptions visées à l‘article L2122-1-3 du CGPPP pour se dispenser de publicité préalable, il doit en tout état de cause préciser, de manière publique, les considérations de droit et de fait le justifiant.

Dans ces conditions, n’est-il pas tout aussi contraignant (mais nettement plus sécurisant) de procéder à la publicité elle-même ? Nous laisserons ce point à la libre appréciation des propriétaires.

 

Faut-il concéder des droits réels ?

Ici la réponse est plus simple, et dépend des caractéristiques du projet concerné par la convention d’occupation.

Par essence, le droit réel confère à son titulaire, pour la durée et selon les modalités de la convention, les prérogatives et obligations du propriétaire.

Ainsi, et de manière schématique, si le projet envisagé dans le cadre de la convention d’occupation comprend certains travaux, en général conséquents, que le propriétaire entend laisser à la charge et sous la gestion de l’occupant, la convention sera constitutive de droits réels.

A contrario, si l’occupant est simplement amené à occuper des locaux préexistants, dont la gestion et l’entretien seront laissés à la prérogative du propriétaire, la convention ne sera pas constitutive de droits réels, et l’établissement conservera la mainmise sur le bien.

 

Quelle durée d’occupation privilégier ?

La durée de la convention d’occupation doit être calculée en fonction de la durée strictement nécessaire pour amortir les investissements réalisés (article L2122-2 du CGPPP), plan de financement à l’appui donc, et assurer une rémunération équitable et suffisante de l’occupant.

Naturellement, les AOT constitutives de droits réels ont vocation à impliquer des investissements plus lourds, et donc justifier des durées plus longues.

Souvent plafonnée en pratique à trente ans, pour les établissements publics de l’Etat, la durée d’occupation peut en principe aller jusqu’à soixante-dix ans :

« Le titre fixe la durée de l’autorisation, en fonction de la nature de l’activité et de celle des ouvrages autorisés, et compte tenu de l’importance de ces derniers, sans pouvoir excéder soixante-dix ans » (article L2122-6 du CGPPP).

Mais toujours sous réserve d’une part, que les investissements le justifient, d’autre part, de ne pas fausser la concurrence.

Ici aussi, l’occupant devra alors apporter des éléments financiers précis, démontrant de manière probante qu’une durée inférieure ne permet pas d’amortir les investissements, lourds, engagés.

 

Comment fixer la redevance d’occupation ?

En principe, l’autorisation d’occupation conclue sur le domaine public hospitalier doit donner lieu au versement d’une redevance par l’occupant :

« Toute occupation ou utilisation du domaine public d’une personne publique mentionnée à l’article L. 1 donne lieu au paiement d’une redevance sauf lorsque l’occupation ou l’utilisation concerne l’installation par l’Etat des équipements visant à améliorer la sécurité routière ou nécessaires à la liquidation et au constat des irrégularités de paiement de toute taxe perçue au titre de l’usage du domaine public routier » (article L2125-1 du CGPPP).

Ce principe connait (sans surprise… n’est-ce pas le propre de tout principe ?) des exceptions.

Ces exceptions sont aujourd’hui ancrées dans la pratique, mais, force est de constater, plus ou moins maîtrisées par les propriétaires :

    • Occupation condition naturelle et forcée de l’exécution de travaux ou de la présence d’un ouvrage, intéressant un service public bénéficiant gratuitement à tous ;
    • Occupation contribuant directement à assurer la conservation du domaine public lui-même ;
    • Occupation contribuant directement à assurer l’exercice des missions des services de l’Etat chargés de la paix, de la sécurité et de l’ordre publics ou du contrôle aux frontières dans les aéroports, les ports et les gares ;
    • Occupation permettant l’exécution de travaux relatifs à une infrastructure de transport public ferroviaire ou guidé ;
    • Occupation consentie à un occupant ayant qualité d’association à but non lucratif qui concourent à la satisfaction d’un intérêt général » (article L2125-1 du code général de la propriété des personnes publiques).

Cette liste est, il est vrai, exhaustive, mais les établissements peuvent malgré tout, et à bon droit, en apprécier les contours avec une certaine souplesse lorsque les circonstances et l’intérêt général le justifient.

Ainsi :

Soit le propriétaire est en mesure de faire jouer une des exceptions susvisées, et il pourra envisager, mais toujours avec précaution et en étant conscient qu’il ne s’agit pas de la règle mais d’une exception à encadrer et sécuriser, la gratuité.

Soit une redevance est imposée et nous préconisons alors la prise en compte :

    • D’une part calculée selon la valeur locative du bien, au prorata de la surface occupée (les domaines peuvent être saisis au besoin) ;
    • D’une part calculée selon les bénéfices escomptés par l’occupant.

Les charges (eau, électricité – on ne pourra que préconiser l’installation de sous-compteurs, téléphonie, chauffage, traitement d’air, maintenance, nettoyage, etc.), impôts et taxes peuvent être intégrés à la redevance, ou donner lieu au versement d’un montant dédié en sus.

 

Quel doit être le sort du bien à l’arrivée à échéance de la convention d’occupation ?

S’agissant du sort du bien, construit, ou non, par l’occupant, à l’arrivée à échéance de la convention d’occupation, les règles de la propriété publique vont dans le sens d’une intégration dans le patrimoine de la personne publique propriétaire.

Cela posé, comme pour toute convention, l’AOT induit une certaine liberté contractuelle, et les parties demeurent libres d’en décider autrement, en prévoyant qu’à l’issue de la convention, le bien construit intégrera le patrimoine immobilier de l’occupant.

Souvent bloquant, ce point doit pourtant, pour une sécurité juridique optimale, être envisagé dès les prémices du projet.

Quoi qu’il en soit, la clause d’accession intégrée à la convention doit être rédigée avec la plus extrême précaution.

 

Le respect des garde-fous susvisés permettra aux Centres hospitaliers à la fois une meilleure valorisation de leur patrimoine, et une sécurisation optimale des conventions conclues. Il n’y a plus qu’à… !

 

Jessica PHILLIPS a travaillé au sein de plusieurs collectivités territoriales et établissements publics, avant de prêter serment et d’intégrer un cabinet d’Avocats spécialisé en droit public.

En janvier 2019, elle rejoint le pôle économique du Cabinet, au sein du Département contrats et marchés publics.

Elle intervient auprès d’acteurs privés et publics, et les accompagne aussi bien en conseil, qu’en contentieux et précontentieux.