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LES DÉPASSEMENTS D’HONORAIRES DANS LES HÔPITAUX PUBLICS NE SONT PAS CONTRAIRES À LA CONSTITUTION

Article rédigé le 26 juin 2019 par Claude Évin

Le Journal officiel daté du samedi 22 juin publie la décision du Conseil constitutionnel considérant que la dérogation dont peuvent bénéficier les praticiens hospitaliers temps plein de pratiquer des dépassements d’honoraires au sein des établissements publics de santé est conforme à la Constitution. Il n’en reste pas moins qu’on peut s’interroger sur l’obligation qui est faite aux établissements de santé privés qui souhaitent assurer le service public hospitalier d’avoir l’ensemble de leurs activités réalisées sans dépassement d’honoraires alors que cette obligation n’est pas demandée aux établissements publics.   

 

Le contexte

 

Deux cliniques privées de la région Centre Val de Loire avaient demandé à être habilitées à assurer le service public hospitalier sur le fondement du 4° de l’article L. 6112-3 du code de la santé publique. Cette demande leur ayant été refusée par l’Agence régionale de santé, ces deux cliniques, appuyées par la Fédération de l’hospitalisation privée, avaient engagé devant le tribunal administratif d’Orléans une procédure pour excès de pouvoir. Avant qu’il ne soit statué sur les demandes des cliniques, le vice-président du tribunal administratif a transmis au Conseil d’Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du dernier alinéa du II de l’article L. 6154-2 du code de la santé publique.

 

Le II de l’article L. 6254-2 détermine certaines des conditions dans lesquelles les praticiens hospitaliers temps plein des établissements publics de santé peuvent être autorisés à exercer une activité libérale. Suite à l’ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017, le dernier alinéa de ce II ouvre la possibilité au pouvoir réglementaire de déroger, pour les seuls praticiens hospitaliers aux dispositions du 4° du I de l’article L. 6112-2 relatif aux dépassements de tarifs et d’honoraires.

 

Le Conseil d’Etat, dans une décision du 12 avril 2019, considérant que cette disposition « porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité entre praticiens des établissements publics de santé et des établissements privés de santé habilités à assurer le service public hospitalier, soulève une question présentant un caractère sérieux » avait décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

 

L’argument des établissements privés

 

Les requérants ont reproché aux dispositions contestées de créer une double différence de traitement contraire au principe d’égalité devant la loi. La première en établissant entre les patients des établissements publics de santé une différence selon qu’ils sont soignés par un praticien exerçant ou non à titre libéral, ils ne bénéficieraient pas tous de la garantie d’absence de dépassement d’honoraires. La seconde différence de traitement distinguerait entre établissements publics de santé et établissements privés habilités à assurer le service public hospitalier, dans la mesure où seuls les établissements publics de santé peuvent recruter des médecins autorisés à pratiquer des dépassements d’honoraires dans le cadre de leur activité libérale. Les parties requérantes faisaient valoir qu’en réservant une telle possibilité de recrutement qu’aux établissements publics, ces dispositions rendaient trop difficile l’habilitation des établissements privés à l’exercice du service public hospitalier.

 

La position du Conseil constitutionnel

 

Dans sa décision n° 2019-792 du 21 juin 2019 ; le Conseil constitutionnel a considéré que, « lorsqu’ils exercent une activité libérale au sein de leur établissement, les praticiens des établissements publics de santé n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier ». Pour le Conseil, compte tenu des obligations d’information du patient et de neutralité de son orientation entre activité libérale et activité publique qui pèsent sur l’établissement tel que prévu au paragraphe II de l’article L. 6154-2, le patient peut dans un établissement public bénéficier d’une prestation assurée soit par un praticien exerçant à titre libéral en dehors du cadre du service public hospitalier, et dans ce cas, il n’aura pas effectivement la garantie de ne pas avoir de dépassement d’honoraires, soit par un praticien intervenant dans le cadre du service public sans dépassement d’honoraires.

 

Le Conseil constitutionnel considère par ailleurs que les praticiens hospitaliers sont tenus de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalière et universitaires, ce qui n’est pas le cas des médecins libéraux employés par un établissement de santé assurant le service public hospitalier. La différence de traitement constatée entre les établissements publics et les établissements privés repose donc pour le Conseil sur une différence de situation.

 

Le Conseil constitutionnel rappelle les conditions auxquelles sont soumis les praticiens hospitaliers temps plein qui exercent une activité libérale au sein d’un établissement public de santé et précise que : « L’exercice, dans de telles conditions, d’une activité libérale vise à offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires temps plein des établissements publics de santé. Il permet ainsi d’améliorer l’attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé ».

 

Ainsi, pour le Conseil, « Dans la mesure où la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires contribue à cette attractivité, la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l’objet de la loi. Il résulte de tout ce qui précède que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté ».

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel, exprime une jurisprudence qui lui est constante : l’égalité ne peut être un droit fondamental absolu et inconditionnel mais est au contraire une norme relative et contingente.

 

Ne serait-il pas pour autant utile de modifier la loi ?

On peut se demander si pour faire valoir leurs droits à demander à être reconnus comme pouvant être habilités à assurer le service public hospitalier, les cliniques privées ont usé d’un argument pertinent. Plutôt que de focaliser leurs reproches sur la possibilité ou non pour les praticiens hospitaliers de pratiquer des dépassements d’honoraires dans des établissements publics de santé, n’aurait-il pas été préférable de s’interroger sur la constitutionnalité du sixième alinéa de l’article L. 6112-3 du code de la santé publique ?

Cet article définit les établissements susceptibles d’exercer le service public hospitalier. Peuvent ainsi être habilités, sur leur demande, par le directeur général de l’Agence régionale de santé, les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC) ainsi que les autres établissements privés s’ils s’engagent, précise le sixième alinéa de cet article, « dans le cadre de leurs négociations contractuelles mentionnées à l’article L. 6114-1, à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions énoncées à l’article L. 6112-2. ». Pour être habilités à exercer le service public hospitalier, les établissements privés doivent donc s’engager à ce que l’ensemble de l’activité réalisée en leur sein le soit sans dépassement d’honoraire, alors que les établissements publics ne sont pas soumis à la même obligation.

Il faut en effet rappeler que, si comme le précise le Conseil constitutionnel, « les praticiens hospitaliers qui exercent une activité libérale au sein de leur établissement n’interviennent pas dans le cadre du service public hospitalier », leur activité « s’exerce exclusivement au sein des établissements dans lesquels les praticiens ont été nommés » (art. L. 6154-2, CSP). Ainsi les établissements publics peuvent avoir en leur sein une activité réalisée avec dépassement d’honoraire alors que les établissements privés assurant un service public hospitalier n’ont pas cette possibilité.

Si des établissements privés sont prêts à assurer des engagements de service public, ne faudrait-il leur en donner la possibilité en assouplissant le cadre législatif et en permettant que ces établissements puissent être ainsi habilités en s’engageant à ce que, comme dans les établissements publics de santé, une part limitée de l’exercice pratiqué en leur sein puisse l’être sans interdiction de dépassement d’horaire ? Il serait pour cela nécessaire de modifier la loi ce qui permettrait d’ancrer ces établissements privés dans une démarche de service public.

Claude Evin est avocat depuis avril 2004, associé au sein du Cabinet Houdart au 1er septembre 2016.

Il a auparavant exercé diverses responsabilités politiques : élu municipal et régional, député, ministre.

Au cours de son activité parlementaire et ministérielle il a constamment travaillé sur les questions relatives à la santé et à la protection sociale : président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale et rapporteur de nombreux textes de loi sur ces sujets.

Sa connaissance du secteur hospitalier s'est forgée dans le cadre de diverses responsabilités notamment au sein de la Fédération hospitalière de France. Appelé à préfigurer l'Agence régionale de santé d'Ile de France en octobre 2009, il en a assuré la direction générale jusqu'en aout 2015, date à laquelle il a repris son activité d'avocat.