Reconstruction des EHPAD et mission d’appui à l’investissement
Article rédigé le 17 mars 2023 par Me Laurine Jeune
Le 9 mars 2023, la CNSA et l’ANAP annonçaient le lancement de la « Mission nationale d’appui à l’investissement médico-social » qui vise à soutenir les EHPAD dans leurs projets immobiliers complexes, et ambitionne d’accompagner entre 60 et 80 projets par an de 2023 à 2025.
Dans la droite ligne du plan d’aide à l’investissement « Ségur » dans le secteur médico-social qui prévoit – rappelons-le – une enveloppe de 2,1 Mds d’euros sur la période 2021 à 2025 pour financer la modernisation immobilière et numérique des établissements et services sociaux et médico-sociaux, cette mission financée à hauteur de 1,2 M d’euros doit servir à aider les EHPAD mais aussi les ARS à se doter des outils adéquats pour faciliter la transformation du parc immobilier. Et la tâche ne s’annonce pas simple en pratique !
La vétusté de nos EHPAD publics et les conditions parfois déplorables d’accueil de nos ainés, n’est pas un problème nouveau. Pour y remédier, le rapport Libault (2019) proposait à dessein le lancement d’un plan de rénovation avec une aide à l’investissement de la CNSA de l’ordre de 3 Mds d’€ sur 10 ans faisant ainsi tripler l’effort d’investissement. Le vaste plan de financement par le Ségur soutenu techniquement par la MNAI portée par la CNSA et l’ANAP sont – nous l’espérons – le signal d’une prise en compte collective des difficultés majeures auxquelles sont confrontés de trop nombreux EHPAD qui n’ont plus depuis longtemps les moyens d’assurer une prise en charge digne et de qualité de leurs résidents. Pour autant, délier la bourse publique (et encore modestement) ne doit pas conduire à se lancer dans des schémas juridiques et financiers qualifiés trompeusement de novateurs, et qui conduiront aux mêmes errements que les chemins empruntés à l’occasion d’autres plans de financements.
L’outillage juridique : des pièges à éviter
L’encadrement juridique des opérations d’investissement à venir et qui seront permises par les aides accordées sera essentielle.
Si le droit ne règle certes pas l’absence de financement, il peut néanmoins éviter des situations fâcheuses.
Il n’est pas interdit de sortir du schéma classique : EHPAD maître d’œuvre et marché de travaux.
Des outils existent. Mais les EHPAD et leurs tutelles peuvent craindre d’être rapidement rattrapés par le droit de la commande publique, le droit de la concurrence, le droit fiscal voire les juridictions financières, s’ils ne les utilisent à bon escient et avec précaution.
L’enjeu sera avant tout de bien définir et préparer son projet (que ce soit sur le plan architectural, financier) mais aussi ses contraintes temporelles, pour arrêter le montage idoine.
Halte aux « bidouillages ».
A titre d’exemple, les anciens montages dits « aller-retour » permettaient aux personnes publiques de faire préfinancer et construire des biens publics en mettant à disposition un terrain relevant de leur domaine public (l’« aller ») auprès d’un tiers chargé d’édifier un ouvrage qui était ensuite remis à disposition de la personne publique (le « retour »).
Si ces montages pouvaient présenter un intérêt certain, leur suppression par l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics est essentiellement liée à leur mauvaise utilisation.
Il serait regrettable de récidiver avec les outils à disposition des EHPAD.
Le marché de partenariat
Le marché de partenariat est souvent identifié comme LA solution. Il est vrai que le marché de partenariat prévu par l’article L. 1112-1 du code de la commande publique constitue le seul marché public permettant au titulaire de préfinancer et construire un investissement public, en contrepartie d’une rémunération qui prend la forme d’un loyer versé sur plusieurs années.
Cependant, ce dispositif n’est pas ouvert à tous.
Les établissements publics de santé et leurs groupements ne peuvent y prétendre.
L’article L. 2211-1 du code de la commande publique exclut toute possibilité de recourir à ce type de contrat : « Tout acheteur est autorisé à conclure un marché de partenariat, à l’exception des acheteurs mentionnés au second alinéa. Au sens du présent livre, les acheteurs non autorisés sont les organismes, autres que l’État, relevant de la catégorie des administrations publiques centrales dont la liste est établie par l’arrêté mentionné au I de l’article 12 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, ainsi que les établissements publics de santé et les structures de coopération sanitaire dotées de la personnalité morale publique. »
Les EHPAD gérés par un centre hospitalier ne peuvent donc s’orienter dans cette voie.
En tout état de cause, ce montage présente des risques à ne pas négliger comme cela a pu être mis en avant dans le Rapport de 2015 de la Cour des comptes pour les collectivités territoriales et le Rapport 2018 de la Cour des comptes européenne concernant les PPP.
Les montages « VEFA » et apparentés
Certains établissements ou certaines collectivités territoriales ne manquent pas d’inventivité et s’orientent vers la promotion immobilière pour, par exemple, acheter des immeubles à construire et y installer une activité d’EHPAD.
Ils utilisent alors des techniques telle que la vente en l’état futur d’achèvement (VEFA).
Mais le recours à ce dispositif peut être risqué en particulier lorsque le terrain sur lequel est construit le bien immobilier, relève de la propriété de la personne publique.
Tout l’enjeu consiste alors à appréhender la faisabilité du montage où une personne publique mettrait à disposition un terrain lui appartenant en fixant ses éventuelles « conditions » sans tomber dans la logique de la commande publique, et en veillant au respect des règles propres à la domanialité publique.
Il ne faut pas se méprendre ; le juge regarde d’abord et avant tout quel besoin initial l’investissement satisfait.
Les montages mis en place par les collectivités territoriales sont source d’inspiration.
Toutefois il ne faut pas perdre de vue que les règles applicables aux collectivités territoriales qui sont souvent bien au fait de l’état du droit qui les régit, peuvent largement différer de celles applicables aux EHPAD publics hospitaliers ou autonomes. Ce qui est admis pour les uns, n’est pas nécessairement ouvert aux autres.
Le recours à un bailleur social souvent privilégié par les départements n’est pas sans soulever plusieurs interrogations au premier titre desquelles la compatibilité entre le champ d’action d’un bailleur social défini par le code de la construction et de l’habitation et la construction d’un EHPAD.
Les bailleurs sociaux ont en effet pour objet premier de construire et de gérer du logement à caractère social destiné principalement aux personnes et aux familles de ressources modestes. Ils peuvent néanmoins réaliser sous conditions des équipements hospitaliers ou médico-sociaux répondant aux besoins d’un établissements public de santé en vertu de l’article L. 421-3 du code de la construction et de l’habitation.
En outre, le recours à un bailleur social n’exonère pas la personne publique du respect des règles de la commande publique.
Enfin, il a pu être souligné par la Cour des comptes que ce « montage offre des facilités aux établissements mais peut se révéler plus coûteux que la réalisation directe. »
Un choix à opérer : une approche public/public ou public/privé
En tout état de cause, le besoin de reconstruction ou de rénovation des EHPAD publics conduit à s’interroger sur un point fondamental : veut-on et doit-on rechercher une solution auprès d’un tiers privé ?
Si certains EHPAD publics ont pu tenter l’expérience en sollicitant des opérateurs privés pour participer au financement des travaux, force est de constater que les projets ont rarement pu aboutir sauf à s’inscrire dans une perspective de délégation voire de transfert d’activité qui est bien éloignée des considérations initiales. En effet, les EHPAD publics n’entendent pas forcément se départir de la gestion de leur activité.
Surtout, le recours à un opérateur privé interroge sur le sens de la démarche lorsque celle-ci a pour conséquence d’appauvrir à tout le moins patrimonialement, encore davantage les EHPAD les plus fragiles.
Or, des solutions permettant aux personnes publiques de partager leurs projets et de mutualiser l’investissement existent et méritent d’être expertisées que ce soit à travers des outils de coopération (GCSMS notamment) que dans le cadre de montages qui leur sont propres (par exemple les GHT s’agissant des EHPAD hospitaliers ou publics autonomes).
Privilégier une approche entre personnes publiques quelles qu’elles soient, reviendrait en outre pour les personnes publiques à demeurer dans le sillage de leurs missions de service public tant que les moyens dont elles disposent le permettent.
Reste à savoir si la CNSA et la MNAI soutiendront ces projets qui, de notre point de vue, ont de l’avenir.
Me Laurine Jeune, avocate associée, a rejoint le Cabinet Houdart et Associés en janvier 2011.
Elle conseille et accompagne depuis plus de douze ans les acteurs du secteur de la santé et du médico-social, publics comme privés, dans leurs projets d’organisation ou de réorganisation de leurs activités :
- Coopération (GCS de moyens, GCS exploitant, GCS érigé en établissement, GCSMS, GCSMS exploitant, GIE, GIP, convention de coopération, co-construction,…etc.)
- Transfert partiel ou total d’activité (reprise d’activités entre établissements (privés vers public, public vers privé, privé/privé, public/public),
- Fusion (fusion d’association, fusion entre établissements),
- Délégation et mandat de gestion,
- GHT, etc.
Me Laurine Jeune intervient également en qualité de conseil juridique auprès des acteurs privés en matière de création et de fonctionnement de leurs structures (droit des associations, droit des fondations, droit des sociétés).
Enfin, elle intervient sur des problématiques juridiques spécifiquement liés à :
- la biologie médicale,
- la pharmacie hospitalière,
- l’imagerie médicale,
- aux activités logistiques (blanchisserie, restauration),
- ou encore à la recherche médicale.