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Reprise de dette des hôpitaux : quels en sont les grands gagnants ?
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REPRISE DE DETTE DES HÔPITAUX PUBLICS ET ESPIC : QUELS GAGNANTS ?

Article rédigé le 01 octobre 2020 par Me Stephanie Barré-Houdart et Manlius

Au cours de ces derniers mois, le schéma de la « reprise de dette des hôpitaux » portant sur un tiers de celle-ci, soit un montant en principal de 10 milliards d’Euros, et qui avait été annoncée dans le cadre du plan d’urgence pour l’hôpital présenté en novembre 2019, s’est progressivement précisé. Il est possible aujourd’hui de décrire ce que devraient être ses principales caractéristiques mais il reste à identifier les bénéficiaires.

Aide au paiement de la dette plutôt qu’une reprise de dette

 

En premier lieu, il se confirme qu’il s’agira plutôt d’une « aide au paiement d’une partie du service de la dette » que d’une « reprise de dette » proprement dite, puisque les dettes « reprises » vont rester dans les bilans des établissements qui bénéficieront de la mesure.

En effet, et comme cela avait été anticipé, il n’y a pas de « transfert » de la « dette reprise », mais une compensation économique et financière de celle-ci, sous la forme de la création par un contrat d’une créance de l’établissement bénéficiaire sur l’ACOSS, le montant total de cette créance étant par construction égal au montant total en principal et intérêts de la fraction de la dette objet de cette reprise.

Comme le Gouvernement l’avait très tôt annoncé, la « reprise de dette » va ainsi concerner non seulement les annuités en principal des dettes reprises, mais aussi les intérêts ce qui porte l’enveloppe totale de la mesure aux alentours de 13 milliards d’Euros, soit trois milliards de plus que ce qui avait été envisagé au départ.

Techniquement, la créance de l’établissement sur l’ACOSS va donc se dédoubler, en une créance de principal correspondant à l’aide au remboursement des annuités en capital de la dette « reprise » et qui constituera une forme d’apport en fonds propres, et en une créance d’intérêts qui reproduira synthétiquement les flux des intérêts annuels des dettes « reprises » et qui devraient pouvoir être comptabilisés comme des « produits constatés d’avance ».

Pour permettre à l’ACOSS d’honorer les créances dont elle sera ainsi débitrice envers les établissements bénéficiaires, il sera demandé à la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale de lever sur le marché de la dette les 13 milliards de l’enveloppe consacrée à cette mesure et de les verser à l’ACOSS qui les conservera dans sa trésorerie.

Cette opération de levée de dette sera sans doute faite très rapidement pour que la CADES puisse profiter des taux d’intérêts très bas (et y compris négatifs jusqu’à 10 ans de maturité) actuellement observés sur les obligations souveraines françaises.

Une fois ainsi « dotée », l’ACOSS versera aux établissements bénéficiaires les annuités et les intérêts des emprunts repris, a priori sous forme d’un versement annuel en début d’année pour éviter la complication d’un décaissement suivant les échéanciers différents des emprunts. Ce versement aura ainsi également l’avantage de constituer pour ses bénéficiaires une trésorerie supplémentaire jusqu’au règlement des échéances de leur dette.

Il transitera via les CNAM puis les CPAM concernées jusqu’aux établissements destinataires des fonds.

La CNAM et les CPAM serviront seulement « d’agent payeur » servant à canaliser les flux, la mesure ne crée pas d’engagements financiers à leur charge.

 

Les dettes susceptibles d’être reprises

 

S’agissant des dettes susceptibles d’être reprises, on notera avec intérêt que celles-ci devraient comprendre non seulement les emprunts bancaires, mais aussi toute forme de prêteur dès lors que la dette en cause relève bien de la catégorie des prêts tels que définis à l’article 1892 du code civil.

Sont aussi concernés les emprunts obligataires et les loyers des contrats de partenariat et des baux emphytéotiques hospitaliers.

Les engagements financiers résultant de ces dernières opérations peuvent être lourds et coûteux. Que ce dispositif d’aide puisse les prendre en charge (probablement pour la seule fraction dite « financière » du loyer) est certainement une bonne nouvelle.

Il ne semble pas en revanche que les engagements financiers résultant des instruments financiers à terme, tels que swaps ou options de taux ayant pu être contractés par certains établissements soient actuellement dans le périmètre de la mesure. Ce point mériterait d’être reconsidéré car ces contrats forment en principe un tout avec les emprunts qu’ils couvrent et devraient être traités au même niveau.

 

Un mécanisme qui interroge s’agissant des emprunts à taux variable

 

On notera également que le schéma retenu et qui consiste à fixer au départ une enveloppe globale, avec pour chaque établissement un montant d’aide « préfixé » par contrat, n’est pas très bien adapté pour une reprise des dettes résultant des emprunts à taux variables et a fortiori des emprunts structurés, et en particulier des emprunts structurés « hors charte GISSLER » que certains établissements, et non des moindres, conservent malheureusement encore à leur bilan.

Si pour les emprunts à taux variable référencés sur des indices « normaux » de marché l’inconvénient peut paraître secondaire vu le niveau actuel et prévisible des taux et surtout la forte probabilité que la majorité de ces emprunts aient été couverts par des swaps ou des options de taux, le problème posé par l’imprévisibilité du coût des emprunts structurés dès lors que les structures ont été activées demeure entier : de quelle façon le coût de ces emprunts va-t-il être estimé pour calibrer le montant de l’aide servant à leur « reprise » ?

Calculera-t-on le niveau de l’aide à partir de la valeur actualisée des instruments financiers à terme ayant été intégrés à ces emprunts ? Projettera-t-on sur la durée de l’emprunt le montant des échéances payées en 2019 date d’arrêté des comptes servant au calcul de l’aide ? Décidera-t-on d’en finir une fois pour toute en subordonnant le versement de l’aide à la conversion de ces emprunts en emprunts à taux fixe ? ( ce qui serait très coûteux et poserait problème dès lors que les emprunts ainsi convertis pourraient être considérés comme des emprunts postérieurs au 31 décembre 2019), la question est compliquée et a priori encore ouverte.

 

Une aide limitée dans le temps

 

Le mécanisme de reprise de dette qui est pratiquement finalisé retiendrait aussi une limitation à 15 ans de sa durée de vie.

Si la durée des emprunts « repris » au moyen de ce mécanisme est supérieure à 15 ans, il est prévu que les annuités et frais financiers de la période excédant cette durée soient couverts par un « versement final global » en fin de vie du mécanisme. Ce qui constituera à nouveau pour les intéressés une avance de trésorerie bienvenue.

Des questions techniques se posent et se poseront donc encore, mais dans l’ensemble l’architecture technique du mécanisme d’aide est maintenant très largement définie.

 

Qui profitera du dispositif de l’aide ?

 

La « mère de toutes les batailles » va pouvoir commencer :

  • A qui cette aide va-t-elle finalement bénéficier ?
  • Commente sera calculée la part revenant à chaque bénéficiaire ?

Et, comme il n’y a pas de repas gratuit, quelles seront les contreparties exigées des heureux bénéficiaires ?

 

Échapper à la qualification d’aide d’État

 

Il n’est pas question de répartir cette aise au hasard et/ou arbitrairement  : Comme signalé par le Conseil d’État, dans son avis du 26 mai 2020 sur le projet de loi organique et le projet de loi relatifs à la dette sociale qui jettent les bases du dispositif, celui-ci s’analyse en une aide d’État susceptible d’être notifiée à la Commission Européenne afin que celle-ci s’assure de sa compatibilité avec les règles de concurrence du marché intérieur de l’Union Européenne.

Manifestement, les concepteurs du dispositif espèrent le faire échapper à l’obligation de notification en faisant en sorte que ce dispositif respecte les différents critères d’exemption de notification posés par la décision « service d’intérêt économique général (SIEG) » de 2012 (Décision du 20 décembre 2011 relative à l’application de l’article 106§2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, dite « décision SIEG 2012 », faisant suite à la décision 2005/842/CE de la Commission du 28 novembre 2005 concernant l’application des dispositions de l’article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général.).  C’est une des raisons pour lesquelles, ils prévoient que l’aide soit attribuée dans le cadre d’un « contrat » , qui tiendra lieu « du mandat de service public » exigé par cette décision, et que son montant soit limité de façon « à ne pas excéder les coûts nets des obligations de service public des intéressés » ni à créer de « surcompensation ».

Cependant, un des critères d’exemption de notification et, au-delà, de validité de la mesure au regard du droit européen, semble être demeurer dans l’ombre du travail desdits concepteurs. Il s’agit du critère « d’absence de discrimination », que la commission européenne définit comme le fait pour une autorité qui « confie la prestation d’un même SIEG à plusieurs entreprises », de calculer la compensation « selon la même méthode pour chaque entreprise ». Or on sait que le premier mouvement des initiateurs avait été de ne faire bénéficier que les établissements publics de santé de cette aide publique.

Une aide qui ne peut être réservée aux seuls établissements publics de santé

 

Ce qui avait conduit le Conseil d’État dans son avis précité à les mettre en garde contre la discrimination (« rupture d’égalité devant la loi ») à laquelle cela conduirait au détriment des établissements de santé privés assurant le service public hospitalier, en particulier les établissements de santé privés d’intérêt collectif (ESPIC). Dans le projet de loi en cours d’élaboration ces derniers ont donc été réintégrés dans le champ du dispositif. On relèvera ici que ces établissements ESPIC peuvent être gérés sous de nombreuses formes sociales et recouvrent des réalités très disparates.

Cependant, le Diable étant dans les détails, il ne faudrait pas que les critères d’attribution et de calcul des aides à distribuer aux différents bénéficiaires soient définis de telle sorte qu’ils aboutissent à traiter les établissements du secteur public de façon beaucoup plus favorable que les établissements du secteur privé, au risque que la mesure soit, éventuellement à la demande de ces derniers, retoquée par la Commission Européenne…

 

Une mise en œuvre qui doit servir la réorganisation et la modernisation de l’offre de santé

 

Il ne faudrait pas non plus que le syndrome de « la Gouvernance par les Nombres » fasse encore de nouvelles victimes.

Il est légitime que l’attribution de l’aide et le niveau de cette aide s’accompagnent de contreparties, en termes de meilleure gestion des intéressés, et puissent aussi servir de levier pour déclencher ou accélérer des réorganisations que chacun reconnaît comme souhaitables.

Mais évitons de confier la définition des conditionnalités complexes et des mécanismes à des services de l’Etat qui ajouteraient de la bureaucratie là où il faudrait gagner en pragmatisme.

Pour les critères, une règle semble devoir s’imposer : ciblons en priorité les établissements qui en raison de leur rôle sur le territoire sont tenus d’engager des investissements  et qui peuvent faire que ces investissements soient un minimum rentables, et qui en sont empêchés par un surendettement les privant de toute capacité de se projeter dans l’avenir et d’améliorer le service rendu aux populations..

Enfin, on ne voit pas comment les collectivités territoriales, et s’agissant des établissements publics, les GHT et leurs instances stratégiques ne pourraient être associés à la mise en œuvre de l’aide.  Consacrer 13 milliards de fonds publics au service public hospitalier impose tant aux initiateurs qu’aux bénéficiaires que des comptes soient rendus à la Nation en termes d’amélioration de la qualité et d’accès aux soins pour tous et sur l’ensemble du territoire.

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).