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jurisprudence judiciaire
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Santé et contrat de travail

Article rédigé le 16 novembre 2023 par Marie Courtois

 

Dans cette veille juridique, revenons sur certains arrêts récents rendus par la Cour de cassation et plus précisément sur ceux touchant à des thématiques liées à la santé.

 

 

 

Indemnisation du préjudice d’anxiété résultant d’une exposition à l’amiante

 

Cass, Soc, 24 mai 2023, n°21-17.536

 

Dans un arrêt du 24 mai 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation précise que le salarié qui entre 1949 et 1996, a occupé un poste de travail susceptible de lui ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité (ACAATA), est fondé à obtenir l’indemnisation de son préjudice d’anxiété même s’il a saisi la juridiction prud’homale avant que la société ne soit inscrite par arrêté sur la liste des établissements concernés.

 

En l’espèce, un salarié exerçait des fonctions de laborantin pendant la période s’étendant de 1949 à 1996. Le 13 juin 2013, il saisissait la juridiction prud’homale aux fins de réparation d’un préjudice résultat d’une exposition à l’amiante. A cette date, la société dans laquelle il exerçait ses fonctions n’était pas inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACAATA. Elle le fut par un arrêté du 2 décembre 2013.

La question posée était la suivante : les juges du fond peuvent-ils appliquer le régime dérogatoire issu de la loi du 23 décembre 1998 pour indemniser le préjudice d’anxiété du salarié alors même qu’au jour de la saisine, l’établissement du salarié n’était pas visé par ce régime ?

La Cour d’appel considère que non. Elle estime que l’indemnisation ne peut s’opérer qu’en application des règles du droit commun c’est-à-dire sur le fondement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. Cette décision prive le salarié du bénéfice de la loi du 23 décembre 1998 qui permet l’indemnisation du préjudice d’anxiété dès lors que le salarié perçoit l’ACAATA. Elle rend beaucoup plus difficile l’indemnisation du préjudice subi par le salarié.

 

En effet, la loi du 23 décembre 1998 prévoit un régime de preuve dérogatoire, dispensant le salarié de justifier à la fois de son exposition à l’amiante, de la faute de l’employeur et de son préjudice lorsque :

  • Le salarié a travaillé dans l’un des établissements mentionnés par l’article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante. Notons que trois arrêtés du 13 septembre viennent compléter cette liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.
  • Le salarié a atteint l’âge de 60 ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés, sans que cet âge puisse être inférieur à 50 ans.

Si ces conditions sont remplies, le préjudice d’anxiété est établi et il y a lieu à indemnisation.

 

A l’inverse, par application des règles de droit commun, le salarié doit démontrer :

  • Une exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave.
  • Un préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié qui résulte de cette exposition.

 

En l’espèce, le salarié n’est pas indemnisé de son préjudice car il ne démontre pas qu’il a subi un préjudice personnel du fait de l’exposition à l’amiante.

 

Afin d’assurer l’indemnisation du préjudice subi par le salarié, la Cour de cassation accepte l’application du régime dérogatoire de la loi du 23 décembre 1998 dès lors que l’établissement dans lequel travaillait le salarié pendant la période visée a été inscrit sur la liste, peu importe que cette inscription ait été effectuée avant ou après la saisine du tribunal des prud’hommes.

 

Le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement : l’absence d’indemnité compensatrice de préavis et l’obligation de reprise des paiements des salaires

 

Cass, Soc, 5 juillet 2023 n°21-25-797 

 

Le salarié déclaré inapte puis licencié à la suite d’une maladie ou d’un accident professionnel a-t-il droit à une indemnité compensatrice de préavis dès lors que son employeur a manqué à son obligation de reprise du paiement des salaires ? C’est à cette question que la Cour de cassation répond dans un arrêt du 5 juillet 2023.

 

En l’espèce, un salarié est déclaré inapte à son poste de travail après des examens médicaux et il est licencié, deux mois plus tard, pour inaptitude et impossibilité de reclassement. Il ne peut pas exécuter son préavis en raison de son inaptitude physique à l’emploi.

 

Que prévoit la loi ?

 

  • L’absence d’indemnité compensatrice de préavis

En principe, l’inexécution du préavis donne toujours lieu à une indemnité compensatrice sous réserve d’une faute grave (Article L.1234-5) qui n’a pas été commise en l’espèce. Toutefois, par exception, l’Article L.1226-4 dans son troisième alinéa, prévoit qu’en cas de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement, l’inexécution du prévis ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice.

 

  • Une obligation de reprise du paiement du salaire à la charge de l’employeur

Selon l’alinéa 1 de l’article L.1226-4, si le salarié n’est pas licencié ou reclassé dans le mois qui suit l’examen médical constatant son inaptitude, l’employeur devra lui verser le salaire correspondant à l’emploi qu’il occupait avant la suspension de son contrat pour inaptitude. Autrement dit, lorsque le salarié est déclaré inapte et que son contrat de travail est, de fait, suspendu, l’employeur sera tenu de reprendre le paiement du salaire s’il ne le reclasse ou ne le licencie pas dans le mois qui suit le constat d’inaptitude.

 

Que disent les juges ?

 

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence, dans un arrêt du 18 juin 2021, condamne l’employeur à verser au salarié des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents.

Elle considère que « si en principe un salarié ne peut pas prétendre au paiement d’une indemnité pour un préavis qu’il est dans l’impossibilité physique d’exécuter en raison de son inaptitude physique à son emploi, cette indemnité est due en cas de non reprise du paiement du salaire à l’issue du délai d’un mois ».

Ainsi, les juges du fonds estiment que en cas de manquement de l’employeur à son obligation de reprise du paiement des salaires prévue par l’alinéa 1 de l’article L.1226-4, il y a lieu au versement de l’indemnité compensatrice de préavis par dérogation au troisième alinéa.

 

La Cour de cassation saisi d’un pourvoi, devait alors répondre à la question suivante : l’employeur est-il tenu de verser une indemnité compensatrice de préavis dès lors qu’il ne reprend pas le versement du salaire à l’issue du délai d’un mois ? Elle répond par la négative à cette question et affirme que lorsqu’un préavis n’est pas exécuté à la suite d’un licenciement pour inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel et impossibilité de reclassement, cette inexécution ne donne pas lieu au versement d’une indemnité compensatrice de préavis. L’indemnité n’est pas due même si l’employeur manque à son obligation de reprise du versement du salaire en cas d’absence de licenciement ou de reclassement dans le délai d’un mois qui suit le constat d’inaptitude.

 

L’interprétation stricte de la dispense de reclassement du salarié inapte

 

Cass, 13 septembre 2023, n°22.12.970 

Dans un arrêt du 13 septembre 2023, la Cour de cassation opère une interprétation stricte de l’Article L.1226-2-1 du Code du travail et restreint alors le domaine de la dispense de l’employeur de procéder à des recherches de reclassement du salarié inapte aux seules hypothèses prévues par le texte.

 

Selon l’article L.1226-2-1, « L’employeur ne peut rompre un contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévue à l’article L.1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ».

 

En l’espèce, un salarié, engagé en qualité d’administrateur de base de données incidents, est déclaré inapte, après deux ans d’arrêt maladie, par le médecin du travail. L’avis d’inaptitude énonçait : « Inapte, étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l’employeur réalisés le 16 août 2017 : tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé. ». L’employeur décide de le licencier pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La question posée à la Cour de cassation était de savoir si la mention « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » rédigée dans l’avis d’inaptitude, dispensait l’employeur de son obligation de reclassement au regard de l’article L.1226-2-1 du code du travail.

 

Un doute pouvait naitre ici quant à l’interprétation de l’article L.1226-2-1 et notamment des termes « tout maintien du salarié dans un emploi ».

  • Selon une interprétation restrictive, le fait que le salarié ne puisse pas se maintenir dans un emploi au sein de l’entreprise, suffit à dispenser le débiteur de son obligation de reclassement.
  • Selon une interprétation stricte, l’employeur ne peut échapper à son obligation de reclassement qu’en démontrant que le salarié ne peut ni se maintenir dans un emploi au sein de l’entreprise ni dans aucun autre emploi. En effet, là où le texte ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

 

C’est cette conception stricte du texte qui est retenue par la Cour de cassation confirmant alors l’analyse de la cour d’appel. L’employeur n’est dispensé de son obligation de reclassement que si les termes employés par le médecin dans l’avis d’inaptitude affirment la nécessité d’un éloignement du salarié de toute situation de travail.

 

La Cour de cassation rappelle que l’employeur n’est tenu de rechercher un reclassement du salarié inapte que dans les deux hypothèses strictement énumérées par le texte :

  • L’avis d’inaptitude mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.
  • L’avis d’inaptitude mentionne expressément que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

 

Ainsi, lorsque l’avis d’inaptitude mentionne de manière expresse que « tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé » et non pas que « tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », l’employeur n’est pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués de la personne.

 

L’erreur du médecin du travail sur le poste occupé dans l’avis d’inaptitude et ses conséquences sur le licenciement

 

Cass, Soc, 25 octobre 2023 n°22-12.833

 

Dans un souci de précision, la Cour de cassation vient rappeler dans cet arrêt que à défaut de recours exercé devant le conseil de prud’hommes contre l’avis d’inaptitude rendu par le médecin, le salarié ne peut pas contester le bien-fondé de son licenciement pour inaptitude au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail.

 

En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité de préparateur aéronautique et par un avenant à son contrat de travail, il est devenu, en outre, responsable d’activité de préparation A340. Il est placé en arrêt de travail puis déclaré inapte « au poste de coordinateur ». Le médecin précisant que l’état de santé du salarié faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi, l’employeur le licencie sans qu’il soit nécessaire qu’il procède à des recherches de reclassement (Article L.1226-2-1).

La question était la suivante : L’erreur sur la désignation du poste dans l’avis d’inaptitude peut-elle être invoquée pour contester le bien-fondé du licenciement du salarié déclaré inapte alors même que l’avis d’inaptitude n’a pas été contesté sur ce motif devant le conseil des prud’hommes ?

 

La Cour de cassation répond par la négative à cette question.

Elle rappelle que selon l’article L.4624-7 du code du travail, si le salarié conteste les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale, il peut saisir le conseil de prud’hommes en la forme des référés qui pourra confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail. Le conseil des prud’hommes doit être saisi dans un délai de quinze jours à compter de leur notification (Article R.4624-45).

Elle en déduit que l’avis émis par le médecin peut faire l’objet d’une contestation devant le conseil de prud’hommes et que celui-ci peut examiner les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis. Ainsi, en l’absence d’un tel recours, l’avis s’impose aux parties et au juge saisi de la contestation du licenciement.

Elle refuse alors de distinguer, comme l’avait fait la cour d’appel de Toulouse entre les contestations portant sur des éléments de nature médicale qui doivent faire l’objet d’un recours dans les 15 jours à compter de la notification de l’avis et les éléments qui ne sont pas de nature médicale comme le non-respect de la procédure de constat d’inaptitude. Si la cour d’appel considérait que ces éléments non médicaux pouvaient motiver la contestation du licenciement car ils ne faisaient pas l’objet de l’examen du conseil des prud’hommes, la cour de cassation refuse cette analyse : le Conseil de prud’hommes examine « les éléments de toute nature ayant conduit au prononcé de l’avis ».

Dès lors, la Cour de cassation conclut que le salarié ne peut pas contester devant les juges du fonds la légitimité de son licenciement pour inaptitude au motif que le médecin du travail aurait utilisé un terme inexact pour désigner son poste de travail : il aurait dû agir, plus tôt, en contestation de l’avis d’inaptitude.

 

Le mi-temps thérapeutique pris en compte pour le calcul de l’assiette de la participation due au salarié

 

Cass, Soc, 20 septembre 2023 n°22-12.293

 

La Cour de cassation, dans un arrêt du 20 septembre 2023 énonce que : « La période pendant laquelle un salarié, en raison de son état de santé, travaille selon un mi-temps thérapeutique doit être assimilée à une période de présence dans l’entreprise, de sorte que le salaire à prendre en compte pour le calcul de l’assiette de la participation due à ce salarié est le salaire perçu avant le mi-temps thérapeutique et l’arrêt de travail pour maladie l’ayant précédé ».

 

En l’espèce, l’article 5.2 de l’accord de participation du 2 février 2015 énonce que « seules les heures de travail effectif ou assimilées du salarié » sont prises en compte pour le calcul du droit individuel de chaque salarié. Si cet article ne mentionne pas, parmi les heures devant être assimilées à des heures de travail effectif, les heures non travaillées dans le cadre d’un mi-temps thérapeutiques, la Cour de cassation, approuvant les juges du fond, considère qu’au nom du principe de non-discrimination en raison de l’état de santé, ces heures doivent être assimilées comme du temps de travail effectif et il faut en tenir compte pour le calcul de la prime de participation.