Scroll Top
SEL des professionnels de santé : Nouveau régime de l'ordonnance du 8 février
Partager l'article



*




SEL des professions de santé : le nouveau régime de l’Ordonnance du 8 février – 1ère partie

Article rédigé le 30 août 2024 par Me Stéphanie Barré-Houdart et Manlius

 

 

>>> La deuxième partie de cet article est à lire en suivant ce lien

 

L’Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées est entrée en vigueur le 1er septembre 2024 et il nous a semblé utile de faire à l’attention des professionnels de santé un état des lieux précis des conséquences qui en résultent pour leur exercice .

Nous noterons cependant que si les professions du droit disposent de décrets d’application, les professionnels de santé devront attendre, encore…un peu ? 

Sans doute, est-il moins facile pour cette famille d’écrire certaines dispositions notamment s’agissant des conditions de détention du capital des sociétés d’exercice… Nous en reparlerons ultérieurement.

 

Un objectif de clarification

L’Ordonnance a eu pour ambition selon les termes de son rapport de présentation au Président de la République :

  1. De clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire, ou dont le titre est protégé ; et
  2. De faciliter le développement et le financement de leurs structures d’exercice, à l’exclusion – et cette précision est caractéristique de la prudence de la réforme voulue par les pouvoirs publics- de toute ouverture supplémentaire du capital et des droits de vote à des tiers extérieurs à ces professions.

Comme l’observe également ce rapport, la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 qui encadrait l’exercice sous forme de société des professions libérales réglementées et qui régulait les sociétés de participations financières des professions libérales était devenue au gré des réformes de moins en moins lisible pour les professionnels, en particulier sur la question de la détention du capital. Elle est donc abrogée par l’Ordonnance. Le Livre premier est consacré aux dispositions communes aux sociétés d’exercices de professions libérales réglementées ( on y trouve diverses définitions et principes communs destinés à faciliter la compréhension et l’application du nouveau texte) , le Livre II aux sociétés civiles (d’exercice, de moyen ou coopérative– et sociétés en participation des professions libérales que les auteurs de la réforme considèrent comme proches de ces dernières), le Livre III aux sociétés d’exercice libéral (“SEL”), Le Livre IV aux sociétés pluri-professionnelles d’exercice (qui comme leur nom l’indique sont par nature des sociétés regroupant des professionnels libéraux de professions diverses), le Livre V aux sociétés de participations financières de professions libérales (et qui apporte de nombreuses améliorations destinées à favoriser le développement économique des professions libérales) et enfin le Livre VI aux dispositions diverses et en particulier aux conditions d’entrée en vigueur de l’Ordonnance.

 

A noter que le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées a été déposé au Sénat le 5 juillet 2023 mais qu’il n’a toujours pas été adopté, ce qui n’empêche pas l’entrée en vigueur de l’Ordonnance dès lors que selon l’article 38 de la Constitution si la procédure d’habilitation du gouvernement à prendre des ordonnances se clôt, en principe, par leur soumission à la ratification expresse du Parlement, il dispose qu’elles entrent en vigueur dès leur publication et que  dès qu’un projet de loi de ratification a été déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation, les ordonnances demeurent en vigueur y compris si le Parlement ne s’est pas expressément prononcé sur leur ratification.

Nous nous intéresserons dans le cadre contraint de notre article principalement aux SEL, outil largement privilégié par les professionnels de santé.

Des SEL par « famille » professionnelle

On notera que conformément à l’article 134 de l’Ordonnance, « les sociétés régies par le titre Ier de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 (…) le sont désormais par le livre III et disposent d’un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente ordonnance pour se mettre en conformité avec les exigences de celui-ci à l’exception de celles qui sont prévues à l’article 44. »

Aussi les SEL ont-elles jusqu’au 1er septembre 2025 pour se conformer au régime révisé par l’Ordonnance.

Dans le souci de clarification qui a présidé à la rédaction de l’Ordonnance, les dispositions de son Livre III différencient au sein des SEL trois “familles” de professions susceptibles d’être exercées sous cette forme. Après un premier chapitre consacré aux dispositions en principe communes à toutes les SEL, ce Livre III contient trois chapitres contenant, pour chaque famille ( chapitre II Des professions de santé ; Chapitre III Des professions juridiques et judiciaires ; Chapitre IV Des professions techniques et du cadre de vie), des règles exclusives les unes des autres et dérogatoires ou complémentaires aux règles communes.

Rappelons d’abord ce qu’il doit être entendu par “professions de santé” : selon l’article 2 de l’Ordonnance  “les professions libérales réglementées mentionnées à la quatrième partie législative du code de la santé publique [NB : Professionnels médicaux : Médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens ; Auxiliaires médicaux : infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, orthophonistes, orthoptistes] ainsi que les biologistes médicaux”

On relèvera que les ostéopathes n’étant pas cités à la quatrième partie mais étant toutefois une profession libérale réglementée, les dispositions applicables seraient celles du Chapitre IV de l’Ordonnance « Des professions techniques et du cadre de vie ».

Ensuite précisons qu’une “société d’exercice libéral” n’est ni plus ni moins qu’une société commerciale de droit commun constituée sous la forme d’une société à responsabilité limitée, d’une société anonyme, d’une société par actions simplifiée ou encore d’une société en commandite par actions.

Des règles adaptées aux contraintes professionnelles et déontologiques

 On retiendra ensuite que puisque cette société par nature “commerciale” exerce :

  • Une profession libérale c’est à dire “une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client, du patient et du public, des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées”,
  • Et une profession libérale réglementée” c’est à dire soumise à “un statut législatif ou réglementaire (ou dont le titre est protégé) et “au respect de principes éthiques ou d’une déontologie professionnelle susceptibles d’être sanctionnés par l’autorité compétente en matière disciplinaire”, ( article 1er de l’Ordonnance),

il est indispensable d’adapter les règles de constitution, de fonctionnement et de transmission du capital des sociétés commerciales “normales” pour respecter les contraintes particulières de qualification professionnelle et d’exercice qui sont propres à la profession libérale réglementée qu’elle va exercer.

Il s’en infère deux règles majeures :

  • une SEL de médecins ne va pouvoir exercer la profession qui constitue son objet social que par l’intermédiaire de l’un de ses membres ayant qualité pour exercer cette profession,
  •  au moins un professionnel exerçant au sein de la société doit en être associé, soit directement, soit par l’intermédiaire d’une société de participations financières de professions libérales (article 40 de l’Ordonnance).

Un des apports de l’Ordonnance est d’ailleurs d’introduire une définition du “professionnel exerçant” comme étant une personne physique ayant qualité pour exercer sa profession ou son ministère, enregistrée en France conformément aux textes qui réglementent la profession, et qui réalise de façon indépendante des actes relevant de sa profession ou de son ministère”( article 3 de l’Ordonnance).

Un contrôle renforcé des Ordres

C’est pourquoi également une telle société ne va pouvoir exercer la profession à laquelle elle entend se consacrer qu’après son agrément par l’autorité compétente ou son inscription sur la liste ou au tableau de l’ordre professionnel (art. 42). En pratique cet agrément sera subordonné à l’examen des statuts (et le cas échéant des conventions extrastatutaires portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance de la société) de la SEL par l’Ordre professionnel dont elle dépend afin que ce dernier puisse vérifier que leur contenu n’altère pas directement ou indirectement l’indépendance professionnelle des “professionnels exerçant” ni n’est susceptible de remettre en cause le respect des principes déontologiques.  La règle suivant laquelle la SEL ne peut être immatriculée qu’après son agrément ou son inscription au tableau est évidemment conservée (art. 42).

C’est pourquoi encore, afin de responsabiliser la société et ses associés pour les fautes professionnelles  qui seraient commises dans l’exercice de leur profession, il est prévu que même si sa forme sociale fait que ses associés ne sont en principe pas tenus du passif de la société au-delà du montant de leurs apports, chaque associé devra tout de même   répondre sur l‘ensemble de son patrimoine des actes professionnels qu’il accomplit et que la société en sera solidairement responsable avec lui (art. 43).

On notera que, néanmoins, la responsabilité patrimoniale des associés d’une SEL pour les passifs autres que ceux résultants de leurs propres actes professionnels va donc demeurer substantiellement différente de celle des associés d’une société civile professionnelle, puisque, sauf pour les associés commandités de la SELCA responsables indéfiniment et solidairement, ils ne sont pas responsables des dettes de la société elle-même, leur responsabilité étant limitée aux apports.

Au moment de son agrément ou de son inscription sur la liste ou au tableau de son ordre professionnel il importe qu’une SEL ait été constituée régulièrement et remplisse toutes les conditions imposées pour être agréée ou y figurer. Mais il importe aussi qu’elle continue de respecter ces conditions et ce tout au long de son existence et de son exercice professionnel.

Pour ce faire les rédacteurs de l’Ordonnance ont, et c’est une nouveauté, imposé à chaque SEL de faire parvenir chaque année à l’autorité d’agrément ou à l’ordre professionnel dont elle relève un état de la composition de son capital et des droits de vote afférents, ainsi qu’une version à jour de ses statuts. 

Devront de même être transmises par les associés toutes les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance de la société et qui auront fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé (art. 44).  

On notera à cet égard que ces dispositions ne devraient pas être applicables aux pactes dont l’objet se limite aux transferts de parts ou d’actions dans la mesure où de tels pactes ne concernent pas stricto sensu l’organisation de la société ni les pouvoirs de ses organes sociaux. Mais ces pactes devront eux respecter les dispositions de l’Ordonnance qui régissent ces transferts (cf. infra)

Cette nouvelle obligation d’information et de mise à jour des données fournies aux autorités d’agrément ou au Ordres professionnels a évidemment pour but de donner à ces derniers le moyen et l’occasion de vérifier le respect des règles particulières de détention du capital et de fonctionnement applicables à leurs ouailles. Sont naturellement visés les divers “montages” fondés sur une combinaison de statuts et de pactes extrastatutaires proposés par des professionnels “investisseurs” ou des bailleurs de fonds extérieurs attirés par la rentabilité de certaines professions de santé et qui, pour certains, cherchent à contourner les règles garantissant le contrôle effectif de la société par les associés professionnels au bénéfice de ces bailleurs de fonds.

 

Faire échec à la financiarisation de la santé ?

Des arrêts récents (10 juillet 2023 n° d’arrêt 442911 et 452448) du Conseil d’État qui ont validé la radiation par leur Ordre de deux SEL de vétérinaires au motif que les garanties légales de contrôle effectif de ces SEL par les professionnels y exerçant sont en fait  “privées d’effet”, dès lors qu’il résulte des statuts et des pactes d’associés adoptés “que les associés vétérinaires, quoique détenant la majorité du capital et des droits de vote, ne sont pas en mesure de contrôler effectivement la société” illustrent bien les dérives, et les limites, de ce type de montages. On se reportera à cet égard à l’article Financiarisation des cabinets médicaux : clap de fin ? (cliquez ici)

Ces dispositions ne resteront pas purement théoriques, du moins en principe et si tous les Ordres se saisissent effectivement de la question. En effet, comme le prévoyait déjà l’article 5 de la loi de 1990, l’Ordonnance permet de sanctionner les sociétés qui ne respecteraient pas ces dispositions que ce soit celles relatives à la détention du capital ou celles relatives à la gouvernance, en les exposant à un risque de dissolution judiciaire si elle ne se mettent pas en conformité.

On verra dans la seconde partie de cet article que ces règles sont complexes et d’application difficile, et que ce contrôle annuel va imposer un travail certes utile mais compliqué aux autorités et aux ordres professionnels concernés. Pour les professions de santé les modalités d’application de ces obligations nouvelles pourront être ultérieurement précisées par un décret à paraître. Il n’est pas sans intérêt de relever que l’article 139 du Décret 2024-872 qui intéresse la profession d’avocat prévoit s’agissant des SPFPL auxquelles il est fréquemment fait recours pour porter les parts de SEL :

« Chaque société de participations financières de profession libérale d’avocats fait l’objet, au moins une fois tous les quatre ans, d’un contrôle portant sur le respect des dispositions législatives et réglementaires qui régissent la composition de son capital et l’étendue de ses activités. Ce contrôle est assuré par le conseil de l’ordre du barreau établi auprès du tribunal judiciaire dans le ressort duquel la société a son siège, dans les conditions définies par le règlement intérieur de ce barreau. »

Encore faudra-t-il que les Ordres disposent de moyens adéquats…

D’autres décrets parus ou à paraître précisent ou devront préciser aussi pour chaque profession concernée les effets des interdictions temporaires d’exercice dont une SEL ou un de ses associés peut être frappée ou encore les cas possibles et les conditions d’exclusion d’un associé d’une SEL (art. 45), ce qui serait de nature à mettre fin aux nombreuses incertitudes rencontrées en pratique dans ce domaine. 

 

>>> La deuxième partie de cet article est à lire en suivant ce lien

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).