SUPPRESSION DE LA NOTATION DES AGENTS PUBLICS : QUELLES CONSÉQUENCES ?
Article rédigé le 20 mars 2021 par Me Antoine Tricaud
La loi de transformation de la fonction publique a quelque peu renouvelé la reconnaissance de la valeur professionnelle des agents publics.
Désormais, le législateur prévoit expressément que la valeur professionnelle des fonctionnaires doit faire l’objet d’un entretien d’évaluation individuelle pour son appréciation. La référence à la notation est ainsi bannie du statut général des fonctionnaires.
S’agissant plus précisément des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière « l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct ».
Cette évolution emporte nécessairement des conséquences immédiates sur le calcul de la prime de service.
C’est le décret n° 2020-719 du 12 juin 202 qui instaure, pour l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires hospitaliers, l’entretien professionnel, en lieu et place de la notation. Il fixe les modalités selon lesquelles il est réalisé ainsi que les conditions dans lesquelles il est pris en compte, notamment pour l’avancement de grade.
Suppression de la notation des agents publics : de nouvelles modalités d’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires hospitaliers
Les nouvelles modalités mises en œuvre par le décret du 12 juin 2000 s’appliquent aux entretiens professionnels conduits au titre de l’année 2020. D’où la nécessité d’être particulièrement vigilant dans la prise en compte du régime encadrant cette nouvelle appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière.
Le rôle actif de l’agent lors de cet entretien est également souligné : celui-ci doit être invité à formuler ses observations et propositions sur l’évolution du poste et le fonctionnement de la structure dont il relève.
Les critères à partir desquels la valeur professionnelle de l’agent doit être appréciée au cours de l’entretien annuel sont les suivants :
- « 1° Les résultats professionnels obtenus par l’agent et la réalisation des objectifs ;
- 2° Les compétences et connaissances professionnelles et techniques ;
- 3° La manière de servir de l’agent et ses qualités relationnelles ;
- 4° La capacité d’expertise et, le cas échéant, la capacité d’encadrement ou à exercer des fonctions d’un niveau supérieur ».
Ces critères dépendent de la nature des missions confiées à l’agent et du niveau de ses responsabilités. Ils sont pris en compte dans l’appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de l’agent dans le compte rendu de l’entretien.
Si l’adoption du compte rendu définitif de l’entretien professionnel est clairement défini par les dispositions du décret, il va sans dire que les délais posés par ce texte risquent très probablement de poser de nombreuses difficultés pratiques.
En effet, le nouveau régime mis en place impose à l’administration de se conformer à des délais stricts et à un cadre procédural particulièrement rigide. De son côté, l’agent devra se montrer particulièrement diligent :
- Un délai maximum de trente jours après la tenue de l’entretien est fixé pour que le compte rendu de l’entretien soit communiqué à l’agent.
- À son tour, celui-ci dispose de quinze jours pour le retourner.
- C’est alors au tour de l’administration de reprendre la main et de formuler, si elle l’estime utile, ses propres observations.
- Après toutes ces étapes, le compte rendu peut alors être notifié à l’agent qui doit alors le signer afin d’attester qu’il en a bien pris connaissance et le retourner afin qu’il soit versé à son dossier.
Aucune sanction n’a pour l’instant été prévue dans l’hypothèse où les délais prévus ne seraient pas respectés d’un côté comme de l’autre. La jurisprudence devrait sans doute y remédier assez rapidement.
La demande de révision du compte rendu obéit, elle-aussi, à des règles procédurales dont la mise en œuvre pratique risque de s’avérer relativement complexe.
L’agent dispose en effet de la faculté, dans un délai de quinze jours francs suivant la notification du compte rendu, de formuler une demande de révision de son compte rendu après de l’autorité investie du pouvoir de nomination :
- L’administration doit alors notifier sa réponse dans un délai de quinze jours francs à compter de la date de réception de la demande de révision du compte rendu de l’entretien professionnel.
- Après ce préalable obligatoire, l’agent peut, dans un délai d’un mois à compter de la date de notification de la réponse formulée par son administration, saisir la commission administrative paritaire compétente d’une demande de révision.
- La commission administrative paritaire pourra alors proposer à l’autorité investie du pouvoir de nomination la modification du compte rendu de l’entretien professionnel.
- Il revient enfin à l’autorité investie du pouvoir de nomination de communiquer à l’agent, qui en accuse réception, le compte rendu définitif de l’entretien professionnel.
L’agent devra ainsi être vigilant afin de ne pas voir sa demande de révision écartée en raison d’une saisine tardive de la commission administrative paritaire. Ce dispositif n’interdit évidemment pas à l’agent de contester directement son compte rendu de l’entretien professionnel devant le juge administratif.
Cette dernière voie contentieuse risque finalement d’être privilégiée par les agents compte tenu des risques qu’ils prendraient à suivre une procédure confuse et dans laquelle leurs chances de succès demeurent très hypothétiques. Il est en effet peu probable que l’autorité investie du pouvoir de nomination revienne sur sa position qu’elle aura eu l’occasion de confirmer lors de la demande de révision initiale formée par l’agent.
Quelles conséquences sur le calcul de la prime de service ?
Les dispositions du décret n° 2020-719 qui retiennent également toute l’attention sont celles de son article 8 et, notamment, de son second alinéa :
« Lorsque des régimes indemnitaires prévoient une modulation en fonction des résultats individuels ou de la valeur professionnelle, ces critères sont appréciés par l’autorité investie du pouvoir de nomination en prenant en compte le compte rendu de l’entretien professionnel ».
La difficulté majeure avec ce nouveau dispositif résulte du fait que, initialement, la prime de service était liée à la notation de l’agent.
En effet, l’arrêté du 24 mars 1967 toujours en vigueur prévoit la possibilité pour les fonctionnaires hospitaliers, titulaires et stagiaires de bénéficier d’une prime de service « liée à l’accroissement de productivité de leur travail » dont le montant varie proportionnellement aux notes obtenues par l’agent.
Pour son versement jusqu’en 2020, le montant annuel de la prime de service versé individuellement aux agents était déterminé en fonction de trois variables :
- L’indice majoré de l’agent et son traitement indiciaire brut ;
- La note de l’agent (valeur professionnelle) dès lors qu’elle est supérieure à 12,5
- La durée et le nombre d’absence de l’agent (assiduité).
La suppression de la note nécessite donc une révision du dispositif actuel.
Toutefois, à ce jour, aucun texte n’est encore intervenu afin de fixer les nouvelles modalités d’attribution de la prime ou bien une évolution vers un autre régime indemnitaire.
Les lignes directrices de gestion instaurées par la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ne paraissent pas être susceptibles d’apporter davantage de réponses. L’article 26 de la Loi n° 86-33 précise désormais que « les lignes directrices de gestion fixent les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcours », et l’article 27 du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion énonce que :
« II. – Les lignes directrices de gestion mentionnées au I visent en particulier :
1° A préciser les modalités de prise en compte de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des agents, notamment à travers la diversité du parcours et des fonctions exercées, les formations suivies, les conditions particulières d’exercice, attestant de l’engagement professionnel, de la capacité d’adaptation et, le cas échéant, de l’aptitude à l’encadrement d’équipes ».
Cependant, ces précisions sur les modalités de prise en compte de la valeur professionnelle se recoupent largement avec celles d’ores et déjà fixées par le décret du 12 juin 2020 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière.
Ainsi, si ces lignes directrices de gestion peuvent être vues comme l’opportunité pour le chef d’établissement d’affiner les conditions dans lesquelles la valeur professionnelle de ses agents est susceptible d’être appréciée, il n’est toutefois pas prévu qu’elle puisse servir de fondement à la proposition d’un mode de calcul de la prime de service.
Une autre réponse pourrait être à rechercher du côté du protocole d’accord issu du SEGUR relatif aux personnels non médicaux signé le 13 juillet 2020. Celui-ci réserve effectivement une bonne place à la prime de service. La mesure n° 4 qui s’intitule « rendre plus simples et plus transparents les régimes indemnitaires » précise ainsi que « la suppression de la notation, prévue en 2021 par la loi de transformation de la fonction publique, ouvre de ce point de vue l’occasion d’une refonte du régime indemnitaire et de valorisation de l’engagement individuel ».
Une telle refonte n’est pas sans rappeler celle opérée dans le statut de la FPE par le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 qui a permis la création d’un nouveau régime indemnitaire avec comme objectif affiché de simplifier « le paysage indemnitaire » existant.
Ce régime indemnitaire se compose d’une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) tenant compte de l’expérience professionnelle et d’un complément indemnitaire annuel (CIA). L’IFSE est versée mensuellement à l’agent et pour objectif de valoriser l’exercice des fonctions. Le décret n° 2014-513 du 20 mai 2014 instaurant cette indemnité prévoit que son montant est fixé selon le niveau de responsabilité et d’expertise requis dans l’exercice des fonctions.
Le CIA, lié à l’évaluation professionnelle de l’agent, repose, quant à lui, sur l’engagement professionnel et la manière de servir de l’agent. Il constitue une part variable versé annuellement, en une ou deux fractions.
Un tel alignement sur le régime indemnitaire existant dans les autres versants de la fonction publique demeure l’hypothèse la plus vraisemblable. Commentant le décret n° 2014-513, le sous-directeur des rémunérations, de la protection sociale et des conditions de travail à la DGAFP, indiquait expressément que le régime indemnitaire instauré dans la FPE avait « vocation à être étendu aux deux autres versants » de la fonction publique (Interview pour Trajectoires n° 33 – septembre 2014).
Le président du syndicat des manageurs publics de santé (SMPS) plébiscite cette solution, au moins pour les attachés d’administration hospitalière. Cela s’inscrirait selon lui dans une logique de simplification du régime indemnitaire (Courrier adressé le 10 décembre 2020 au ministère de la Transformation et de la Fonction publiques).
Le protocole d’accord issu du Ségur de la Santé prévoit que « le chantier de rénovation du régime indemnitaire sera engagé à compter de septembre 2020 en concertation avec les signataires du présent accord et devra être achevé au plus tard le 1er janvier 2022. Dans ce cadre, il examinera le nouveau mode de calcul de la prime de service compte tenu de la suppression de la notation ». D’après la fédération hospitalière de France les travaux ministériels réunissant l’ensemble des signataires de l’accord (CFDT, FO, UNSA et FHF) en 2021 permettront de déterminer les modalités de ce nouveau régime indemnitaire.
Dans l’attente d’une refonte effective du régime indemnitaire, il est prévu qu’à défaut de notation notifiée à l’agent au plus tard le 31 décembre 2020 au titre de l’année 2020, la note à prendre en compte est celle obtenue au titre de l’année 2019 à laquelle est appliquée un taux d’évolution annuelle fixé par le directeur de l’établissement dans lequel l’agent exerce ses fonctions.
Ce dispositif transitoire devrait être reconduit en 2021 afin de garantir l’attribution d’une prime de service aux professionnels avant que celle-ci ne soit définitivement réintégrer dans un régime indemnitaire global et plus lisible.
Affaire à suivre.
Antoine TRICAUD, avocat à la Cour, a d’abord exercé dans un cabinet d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation, avant d’intégrer le pôle social du cabinet en septembre 2020.
Très au fait des règles gouvernant la procédure administrative, il dispose de compétences solides dans les matières structurant le droit public, avec un goût prononcé pour le droit de la fonction publique.
Il représente les établissements publics aussi bien devant les juridictions administratives que disciplinaires.
Antoine TRICAUD conseille également ces établissements dans la gestion de la carrière de leur personnel médical et non médical ainsi que dans la mise en œuvre de projets stratégiques (transfert d’activité, fusion, suppression d’un service).