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télémédecine
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On devrait donc – enfin – au cours de l’année 2018 voir se mettre en place un financement sécurisé de la télémédecine. Enfin, d’une partie de la télémédecine ! L’article 54 de la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 prévoit en effet que les négociations conventionnelles entre les organismes d’assurance maladie et les organisations professionnelles permettent de définir « le tarif et les modalités de réalisation des actes de télémédecine définie à l’article L. 6316-1 du code de la santé publique ».

Si cet article législatif indique bien que « la télémédecine est une pratique médicale à distance utilisant les technologies de l’information et de la communication », c’est l’article R. 6316-1 qui définit les actes de télémédecine, à savoir : la téléconsultation, la téléexpertise, la télésurveillance médicale, la téléassistance médicale et la régulation médicale des SAMU.

Or les négociations conventionnelles, qui ont commencé le 18 janvier, ne devraient porter que sur la téléconsultation et la téléexpertise si on se réfère à l’étude d’impact déposée par le gouvernement lors de l’examen parlementaire et confirmée dans le rapport d’Olivier Veran à l’Assemblée nationale[1].

Un peu d’histoire qui témoigne de la lenteur ou/et la timidité[2] des pouvoirs publics à prendre des décisions dans ce domaine

Si la télémédecine avait été introduite dans notre législation en 2004[3], ce n’est que dans la loi de 2009[4] dite « Loi HPST » qu’elle a été réellement définie et c’est par un décret d’octobre 2010[5] que la définition des actes ainsi que les conditions de mise en œuvre et l’organisation de la télémédecine ont été précisées. Il était par ailleurs demandé aux ARS d’introduire dans leurs Projets régionaux de santé un volet télémédecine[6].

Malgré ces différents textes, la télémédecine est restée marginale. Au 31 aout 2017, on ne comptait que 299 actes de téléconsultation et 156 actes de téléexpertise qui avaient été pris en charge par l’assurance maladie.

La raison essentielle est due à la réticence longtemps soutenue par l’assurance maladie d’en assurer le financement.

Un dispositif expérimental de financement a bien été prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014[7]. Mis en place pour quatre ans, il ne concernait toutefois que « des régions pilotes dont la liste est arrêtée par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ». Un arrêté du 10 juin 2014 fixait la liste limitative de neuf régions sélectionnées pour être autorisées à conduire ces expérimentations.

Non seulement le nombre de régions expérimentatrices était limité mais les actes et les populations auprès desquelles il était possible de conduire ces expérimentations étaient encadrées. Les expérimentations ne pouvaient porter que sur la réalisation d’actes de télémédecine « pour des patients pris en charge, d’une part, en médecine de ville et, d’autre part, en structures médico-sociales. ». Ces expérimentations concernaient la téléconsultation, la télé-expertise et la télésurveillance pour les patients en EHPAD et la télésurveillance et la télé-expertise pour les patients pris en charge « en ville ». Ces expérimentations ne pouvaient pas, par contre, concerner des patients hospitalisés.

Comme souvent lorsqu’on envisage des expérimentations, les conditions de leur mise en œuvre devaient être définies dans un cahier des charges arrêté par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.

Un premier cahier des charges relatif à la prise en charge par télémédecine des plaies chroniques et/ou complexes était publié par arrêté en date du 17 avril 2015. Puis, deux autres cahiers des charges l’étaient au cours de l’année 2016, l’un portant sur la prise en charge par téléconsultation et téléexpertise des patients atteints d’une ALD ou résident en EHPAD[8], cet arrêté annulait celui de 2015. L’autre arrêté[9] portait sur trois cahiers des charges concernant la prise en charge par télésurveillance des patients insuffisants cardiaques chroniques, des patients insuffisants rénaux chroniques et de patients en insuffisance respiratoire chronique. Un autre cahier des charges sera publié en avril 2017 concernant la télésurveillance des patients diabétiques[10].

Au cours des années 2014 et 2015 étaient par ailleurs publiés les décrets relatifs à la protection des données personnelles dans le cadre de la télémédecine[11].

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2017[12] a modifié le cadre de ces expérimentations, l’élargissant à l’ensemble du territoire national et non plus à quelques régions. Le champ des patients concernés a été lui aussi élargi puisque les expérimentations portaient désormais sur la réalisation d’actes de télémédecine pour des patients pris en charge « en médecine de ville, en établissement de santé dans le cadre des consultations et actes externes… et en structures médico-sociales. ». Par ailleurs, l’obligation de contractualiser avec l’ARS était supprimée, au profit d’une déclaration de conformité à réaliser ainsi que la transmission d’une lettre d’engagement dans le cadre de la télé expertise.  

Au cours de l’année 2016, deux actes de télémédecine étaient inscrits dans la nomenclature et admis au remboursement de droit commun[13] afin de renforcer l’accès aux soins et le suivi des personnes âgées résidant en EHPAD : un acte de téléconsultation en urgence d’un résident en EHPAD par le médecin traitant afin d’éviter une hospitalisation inutile et un acte de télé expertise entre deux médecins généralistes pour un patient lors de son admission en EHPAD afin d’assurer la transmission d’éléments utiles à la continuité de la prise en charge par le nouveau médecin traitant.

En habilitant les partenaires conventionnels à négocier avec l’Union nationale des Caisses d’Assurance Maladie « en particulier le tarif et les modalités de réalisation des actes de télémédecine », la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permettra, il faut l’espérer, un nouveau pas.

Mais, il aura donc fallu 14 ans pour que, depuis sa reconnaissance en 2004, une partie de la télémédecine bénéficie enfin d’un financement de droit commun.

Le dispositif de financement de la télémédecine en 2018

Il va, en fait, nous falloir attendre l’aboutissement des négociations conventionnelles pour apprécier les modalités de réalisation des actes de télémédecine dont le financement sera ainsi assuré.

La loi nous dit déjà que ne seront remboursés par l’assurance maladie que les actes de consultations « effectués par vidéotransmission », excluant ainsi le remboursement des sollicitations téléphoniques.

Si la loi abroge au 1er janvier 2018 l’article 36 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, les dispositions réglementaires et les stipulations conventionnelles qui avaient été prises en application de cet article continueront de produire leurs effets jusqu’à la date d’entrée en vigueur des dispositions conventionnelles, « et au plus tard au 1er juillet 2019 ». Ce qui peut encore laisser au an et demi aux partenaires conventionnels pour aboutir dans leurs négociations.

Le fruit des négociations conventionnelles devrait s’appliquer également aux actes et consultations externes réalisés en établissements de santé (soit de façon automatique s’agissant des nouvelles prestations, soit via l’actualisation de l’arrêté relatif aux majorations applicables aux tarifs des actes et consultations externes des établissements de santé publics et des établissements de santé privés).

En attendant, à l’exception des très rares actes dont nous avons indiqué précédemment qu’ils avaient été inscrits à la nomenclature, l’activité de télémédecine continuera d’être financée sur des crédits du Fonds d’intervention régional (FIR) des Agences régionales de santé.

La télésurveillance n’aura pas, elle, la possibilité d’être financée dans le cadre du droit commun avant au moins quatre années. Malgré le fait que la Cour des Comptes considère que « la télésurveillance des malades chroniques grâce à des dispositifs connectés apparaît comme la forme de télémédecine la plus prometteuse »[14], et qu’elle évalue à 2,6 Md€ l’économie que la télésurveillance pourrait générer dans la prise en charge de trois pathologies (diabète traité par insuline, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale) et d’un facteur de risque (hypertension artérielle), l’article 54 de la LFSS ne prévoit que des expérimentations « pour une durée maximale de quatre ans » sur la réalisation d’actes de télésurveillance pour des patients pris en charge en médecine de ville, en établissement de santé ou en structure médico-sociale. Ces expérimentations devront être financées par le FIR.

Toutefois, des dispositifs financiers particuliers permettent de soutenir les établissements qui s’engagent dans des activités de télémédecine.

C’est ainsi qu’un arrêté du 10 juillet 2017 a prévu un financement forfaitaire pour les établissements de santé ; les établissements médico-sociaux ; les centres de santé ; les maisons de santé pluri professionnelles qui accueillent des patients dans le cadre des téléconsultations. Ce financement a notamment pour but de compenser les charges supplémentaires pesant sur l’établissement ou la structure (espace dédié, sas de déshabillage et d’habillage, personnel dédié à l’accompagnement des patients). Le montant annuel de ce financement forfaitaire est fixé à 28 000 €. 50 % de ce financement est versé à la signature de la convention, et les 50 % restant, à la réalisation du seuil de 50 téléconsultations. Le seuil de 50 téléconsultations doit être atteint au plus tard un an après la signature de la convention.

Plus récemment, la DGOS a lancé un appel à projets doté de 25 millions d’euros pour financer le déploiement des activités de télémédecine entre différents établissements parties d’un même GHT pour les consultations dites avancées (pré ou post-hospitalisation), pour la réalisation d’examens médico-techniques à visée diagnostique ou pour la télésurveillance de suivi des patients atteints de pathologies chroniques, après leur hospitalisation[15].

En conclusion

Même si, comme nous l’avons ici rappelé, la télémédecine est trop longtemps restée marginale, on peut penser que, si les pouvoirs publics passent enfin d’un discours à une mise en œuvre notamment du financement des actes dans un cadre de droit commun, l’organisation des soins en sera modifiée. Il appartient donc aux différents acteurs, professionnels et établissements du secteur sanitaire et médico-social de prendre d’ores et déjà toutes les initiatives pour être au rendez-vous de cette nouvelle organisation.

 

 

[1] Rapport n° 316 de la Commission des affaires sociales, octobre 2017, p. 462.

[2] Dans son rapport sur la Sécurité sociale de septembre 2017, la Cour des comptes pointe « L’attentisme des pouvoirs publics, leurs actions dispersées, leur incapacité à définir un cadre clair pour la diffusion de la télémédecine, … » (p. 315)

[3] Article 32 et 33 de la loi n° 2004-810 du 13 aout 2004 relative à l’assurance maladie

[4] Article 78 de la loi n°2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires

[5] Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine (art. R. 6316-1 à R. 6316-11, CSP)

[6] Décret n° 2010-514 du 18 mai 2010

[7] Article 36 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014

[8] Arrêté du 28 avril 2016 (JO du 5/05/2016)

[9] Arrêté du 6 décembre 2016 (JO du 15/12/2016)

[10] Arrêté du 25 avril 2017 (JO du 28/04/2017)

[11] Le décret n° 2014-1523 du 16 décembre 2014 autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel pour le dépistage de la rétinopathie diabétique, et le décret n° 2015-1263 du 9 octobre 2015 autorisant la création de traitements de données à caractère personnel pour la mise en œuvre des actes de télémédecine issus des expérimentations fondées sur l’article 36 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014

[12] L’article 91 de la loi n° 2016-1827 du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 a modifié l’article 36 de la loi de 2013.

[13] Avenant n° 2 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie, signée le 25 août 2016 (JO du 29/04/2017)

[14] Rapport sur la sécurité sociale septembre 2017, p. 303

[15] Les GHT ont jusqu’au 15 janvier 2018 pour soumettre leurs projets aux ARS.

Claude Evin est avocat depuis avril 2004, associé au sein du Cabinet Houdart au 1er septembre 2016.

Il a auparavant exercé diverses responsabilités politiques : élu municipal et régional, député, ministre.

Au cours de son activité parlementaire et ministérielle il a constamment travaillé sur les questions relatives à la santé et à la protection sociale : président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée Nationale et rapporteur de nombreux textes de loi sur ces sujets.

Sa connaissance du secteur hospitalier s'est forgée dans le cadre de diverses responsabilités notamment au sein de la Fédération hospitalière de France. Appelé à préfigurer l'Agence régionale de santé d'Ile de France en octobre 2009, il en a assuré la direction générale jusqu'en aout 2015, date à laquelle il a repris son activité d'avocat.