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Médicalisation des décisions à l'hôpital : Analyse
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Analyse de la médicalisation des décisions à l’hôpital

 

Article rédigé le 25 mai 2021 par Me Guillaume Champenois

 

L’ordonnance n°2021-291 du 17 mars 2021 relative aux groupements hospitaliers de territoire et à la médicalisation des décisions à l’hôpital officialise la volonté des pouvoirs publics d’octroyer au corps médical un pouvoir de décision accru dans la gestion de l’hôpital. A cette fin, le Président de la CME devient co-décisionnaire avec le directeur pour la nomination des chefs de pôles et pour le retrait des fonctions de chefs de pôle. Cependant, ce dispositif ne va pas sans poser de nombreuses interrogations en raison de l’absence de tout dispositif d’arbitrage réglant les éventuels désaccords entre ces deux décisionnaires.

 

 

La médicalisation est l’action de médicaliser et donc de donner un caractère médical. Ce n’est pas exactement ce que propose l’Ordonnance du 17 mars 2021 : la médicalisation des décisions à l’hôpital ne tend pas conférer un caractère médical à une décision de gestion administrative mais à transmettre au corps médical la capacité juridique de prendre les décisions administratives.

 

Un élargissement important du rôle confié au corps médical dans la gestion de l’hôpital

 

L’article 37 de la LOI n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé avait institué une commission médicale de groupement en insérant un article L 6144-2-1 au sein du Code de la santé publique.

Ces dispositions sont abrogées au profit d’un article L 6132-2-1 du Code de la santé lequel dispose :

« Il est institué dans chaque groupement hospitalier de territoire une commission médicale de groupement. « La commission médicale de groupement exerce les missions et les attributions suivantes : « 1° Elle élabore la stratégie médicale du groupement et le projet médical partagé du groupement, et participe à leur mise en œuvre ; « 2° Elle contribue à l’élaboration de la politique territoriale d’amélioration continue de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins, ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers. « II.- La commission médicale de groupement est composée de représentants des personnels médicaux, odontologiques, pharmaceutiques et maïeutiques. Elle élit son président. « III.- Un décret détermine les conditions d’application du présent article, notamment la composition et les règles de fonctionnement de la commission médicale de groupement, ainsi que les matières sur lesquelles elle est consultée. »

La différence entre l’ancien texte issu de la Loi du 24 juillet 2019 et le texte issu de l’ordonnance du 17 mars 2021 est subtile mais bien réelle :

Jusqu’alors, la commission médicale de groupement « contribuait » à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie médicale du groupement et du projet médical partagé. Désormais, ladite commission « élabore » la stratégie médicale du groupement et le projet médical partagé. De la contribution à la responsabilité de l’élaboration, le rubicond est franchi.

Par ailleurs, le président de cette commission médicale de groupement dispose désormais de prérogatives importantes comme en atteste les dispositions de l’article L 6132-2-2 du Code de la santé publique puisqu’il « coordonne, en lien avec le président du comité stratégique, l’élaboration du projet médical partagé et sa mise en œuvre », « coordonne la politique médicale du groupement hospitalier de territoire », « veille, en lien avec le président du comité stratégique, à la cohérence des projets médicaux d’établissements avec le projet médical partagé » mais encore « définit » la politique territoriale d’amélioration continue de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers « conjointement avec le président du comité stratégique ».

Sur un terrain strictement juridique, nous devons nous interroger sur le dispositif mis en place et la portée de la mission confiée au Président de la commission médicale de groupement de procéder à la coordination de l’élaboration du projet médical partagé « en lien » avec le Directeur de l’établissement support. Les termes « en lien » n’emportent pas de définition juridique précise. Tout au plus peut-on en déduire que le président de la commission médicale a mission et obligation de coordonner et d’y associer le directeur de l’établissement support.

 

Un Président de la commission médicale d’établissement aux prérogatives renforcées

 

Cette place importante et nouvelle confiée au corps médical dans la gouvernance et la gestion de l’hôpital se vérifie également à l’échelon de l’établissement public de santé, partie au GHT, comme en atteste l’article L.6143-7-3 du Code de la santé publique issue de cette ordonnance.

En effet, cet article prévoit l’obligation de conclure « une charte de gouvernance » entre le Président de la commission médicale d’établissement et le directeur de l’établissement ayant pour objet, « les modalités de participation du président de la commission médicale d’établissement aux échanges avec des autorités ou organismes extérieurs qui concernent l’établissement », « pour les activités relevant des compétences de la commission médicale d’établissement, les modalités de fonctionnement retenues pour les relations entre le président de la commission médicale d’établissement et les directions fonctionnelles » et enfin « les moyens matériels et humains mis à la disposition du président de la commission médicale d’établissement pour assurer ses missions ».

L’objet de cette charte de gouvernance est clair, associer le Président de la commission médicale d’établissement à la gestion de l’établissement tant pour des sujets internes, par le lien créé avec les directions fonctionnelles, que pour les sujets externes, par la participation du Président de la commission médicale d’établissement aux échanges avec les tiers à l’établissement.

 

Le risque associé au régime de la « décision conjointe »

 

Cet article L. 6143-7-3 du Code de la santé publique prévoit également que le président de la commission médicale d’établissement nomme, conjointement avec le directeur de l’établissement, les chefs de pôle et les responsables des structures internes, services ou unités fonctionnelles des pôles d’activité et, toujours conjointement avec le directeur, met fin à leur fonction :

  • Article L. 6143-7-3 du Code de la santé publique :

« II.-Le président de la commission médicale d’établissement exerce les missions et les attributions suivantes :

1° Il coordonne, en lien avec le directeur, l’élaboration et la mise en œuvre du projet médical de l’établissement, en conformité avec le contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens et avec le projet médical partagé si l’établissement est partie à un groupement hospitalier de territoire ;

2° Il coordonne la politique médicale de l’établissement ;

3° Conjointement avec le directeur de l’établissement et après concertation avec le directoire, il :

  1. Définit la politique d’amélioration continue de la qualité, de la sécurité et de la pertinence des soins, ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers ;
  2. Arrête l’organisation interne de l’établissement pour les activités cliniques et médico-techniques;
  3. Signe les contrats de pôles cliniques ou médico-techniques mentionnés à l’article L. 6146-1.»

 

Pour rappel, jusqu’à présent, les chefs de pôles et les responsables des structures internes et des services étaient nommés par le directeur sur proposition du Président de la commission médicale d’établissement. Surtout, il appartenait au seul directeur de mettre fin aux fonctions des chefs de pôle après avis simple du président de la commission médicale d’établissement.

Désormais, c’est une décision conjointe. En d’autres termes, la décision, pour être valable juridiquement, doit bénéficier de l’accord de l’un et de l’autre. Il n’y a – en cas de désaccord – aucune procédure spécifique de prééminence ou d’arbitrage entre les deux co-décisionnaires.

Véritable dyarchie introduite dans le système hospitalier, nous ne disposons d’aucun mécanisme analogue. Il reste à envisager, en pratique, son fonctionnement ou plus précisément les cas de désaccord :

  • La nomination par décision conjointe ne devrait pas poser de difficultés insurmontables. Si le directeur et le président de la commission médicale d’établissement ne s’accordent pas pour nommer tel ou tel praticien en qualité de chef de pôle, ils seront bien contraints de nommer une tierce personne. C’est ici l’apprentissage d’une gestion partagée et de l’obligation de s’entendre.
  • Il en ira tout autrement pour la décision ayant pour objet de mettre fin aux fonctions d’un chef de pôle ; Il peut y avoir un désaccord entre les deux co-décisionnaires, l’un considérant que le chef de pôle n’est pas en mesure d’assurer les missions administratives qui lui incombent et et le second le refusant. Les conséquences pour le pôle et subséquemment pour l’établissement pourraient être particulièrement délétères. En l’absence d’accord, il y a de facto un statu quo au risque d’une aggravation de la situation.

Si dans la majorité des cas, Chef d’établissement et Président de CME trouveront les clés d’un fonctionnement harmonieux, il est bien dommage qu’il n’ait pas été prévu de dispositif spécifique destiné à régler les désaccords.

L’histoire retient des dyarchies – que ce soit à Sparte ou à Rome – des résolutions que nous ne pouvons souhaiter mais qui augurent de la nécessité, en l’absence d’un encadrement réglementaire, de poser entre les deux co-décisionnaires les bases d’un règlement spécifique.

 

 

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).