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Nouvelles règles en propriété intellectuelle pour les doctorants, stagiaires , étudiants
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DOCTORANTS, STAGIAIRES… NOUVELLES RÈGLES EN PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

Article rédigé le 17 janvier 2022 par Me Laurence Huin, Céline Cadoret et Adriane Louyer

 

Aucun régime de dévolution des droits de propriété intellectuelle n’était prévu pour les personnes telles que des stagiaires, doctorants, professeurs amenés à travailler pour des structures de recherche et ne relevant ni du statut de salarié, ni de celui d’agent public. Ce vide juridique méritait donc un encadrement spécifique, notamment dans le cadre de recherches impliquant de l’intelligence artificielle où de nombreux acteurs interviennent.
Désormais, les nouvelles règles dispenseront les structures de recherche de négocier des clauses de cession en ce qui concerne du moins les logiciels et inventions. Néanmoins, la conclusion de conventions avec les inventeurs et créateurs de logiciels restera nécessaire pour bénéficier de cette dévolution légale. Une simplification tout sauf simple !

 

 

Habilité par l’article 44 de la loi de programmation de la recherche adoptée le 24 décembre 2020, le gouvernement a récemment pris une ordonnance n°2021-1658 du 15 décembre 2021 relative à la dévolution des droits de propriété intellectuelle sur les actifs obtenus par des auteurs de logiciels ou inventeurs qui n’étaient ni des salariés, ni des agents publics, et qui étaient pour autant accueillis par une personne morale réalisant de la recherche.
Cette question est particulièrement cruciale dans le domaine de la recherche et notamment lorsque des recherches impliquent de l’intelligence artificielle faisant intervenir de nombreux acteurs dans le développement de la technologie. En effet, les résultats issus de recherches peuvent contribuer au développement de logiciels ou d’inventions dans ce domaine.
Il convient donc d’étudier les conditions de dévolution des droits de propriété intellectuelle dévolus à une structure réalisant de la recherche, fixées par cette nouvelle ordonnance.

 

Rétrospective sur les règles applicables aux salariés et aux agents publics

A titre liminaire, il sera noté que ces nouvelles règles concernent uniquement les logiciels protégeables au titre du droit d’auteur et/ou les inventions protégeables au titre du droit des brevets. Les règles en matière de droit d’auteur hors logiciel restent inchangées.

Cette ordonnance a pour objectif d’aligner le régime de dévolution des droits de propriété intellectuelle de ces personnes avec celui qui est réglementé par le Code de la propriété intellectuelle pour les salariés et les agents publics (articles L113-9, L131-3-1 du CPI et L611-7 du CPI).

Pour rappel, l’article L. 113-9 du CPI prévoit qu’à défaut de dispositions statutaires ou stipulations contraires plus favorables, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par des employés ou agents publics dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur sont dévolus à l’employeur ou à l’Etat (combinaison des articles L113-9 et L131-3-1 du CPI).

Le nouvel article L. 113-9-1 a pour objectif d’aligner ce même régime de dévolution automatique des droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation pour les personnes qui ne sont ni des salariés, ni des agents publics.

On retrouve un régime semblable pour une invention, c’est-à-dire « un produit ou un procédé qui apporte une nouvelle solution technique à un problème technique donné » (1), protégeable par le droit des brevets. Lorsque des salariés ou des agents publics créent des inventions protégeables au titre de droits de propriété industrielle (brevets) dans le cadre de l’exécution d’un contrat de travail comportant une mission inventive qui correspond à leurs fonctions effectives, soit d’études et de recherches et qui leur sont explicitement confiées, elles appartiennent en conséquent à leur employeur (article L611-7 du Code de la santé publique). Cette règle sera également intégrée au sein d’un nouvel article L.611-7-1 pour accorder cette dévolution à des personnes ne relevant ni du salariat, ni du statut des agents publics.

 

Quelles sont les personnes concernées par ce nouveau régime de dévolution des droits de propriété intellectuelle ?

Cette ordonnance prévoit que sont concernées les personnes ou inventeurs qui ne relèvent pas des articles L.113-9 et L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle.

Publié au JO du 16 décembre 2021, le rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance dresse une liste non exhaustive des personnes visées par cette ordonnance et « notamment les stagiaires, doctorants étrangers et professeurs ou directeurs émérites, et qui exercent des missions au sein et avec les moyens d’une personne morale de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche ».

De son côté, la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, dans son rapport relatif au projet de loi de programmation de la recherche évoquait de manière un peu plus large « les doctorants » et non les seuls doctorants étrangers et les « boursiers étrangers ».

On comprend que l’utilisation du terme « notamment » dans le rapport au Président de la République implique que cette liste ne soit pas exhaustive et comprend donc toute personne qui ne relèverait pas du régime du salariat ou du statut de l’agent public.

 

Une formulation large de la notion de « structure réalisant de la recherche »

Ni l’ordonnance, ni la loi de programmation de recherche ne définissent le périmètre des entités qui peuvent être concernées et bénéficier de ce nouveau régime, l’ordonnance indiquant seulement que ce sont des personnes morales « de droit public ou de droit privé réalisant de la recherche ».

Des précisions auraient été souhaitées sur ce point, pour savoir notamment si ces établissements sont ceux visés au livre III du Code de la recherche (établissements publics de recherche ou établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche ou unités de recherche ou encore les établissements privés participant au service public de la recherche) et qui participent nécessairement au service public de la recherche au sens de l’article L.112-1 du Code de la recherche ou bien si cette notion doit être entendue plus largement. En effet, le code de la santé publique prévoit par exemple que les établissements publics de santé peuvent être appelés à assurer, en tout ou partie, une ou plusieurs missions de service public dont la recherche (article L.6112-1 du Code de la santé publique).

Si une incertitude persiste, il sera néanmoins noté que la formulation de l’article visant également « la structure d’accueil » laisse supposer une interprétation large de la notion, sans référence à une catégorie spécifique d’acteurs de la recherche.

De nombreux acteurs seront donc concernés par ces nouvelles dispositions et pourront se prévaloir de cette dévolution des droits, tels que les établissements publics de santé mais également les associations de recherche par exemple.

 

Les conditions de dévolution des droits de propriété intellectuelle

Outre le fait que les personnes ne doivent pas relever des dispositions de l’article L.113-9 ou de l’article L.611-7 du CPI, les nouveaux articles L.113-9-1 et L.611-7-1 prévoient certaines conditions afin que les droits soient dévolus à la structure d’accueil.

 

Pour les logiciels

Il sera nécessaire que la personne créatrice du logiciel soit « accueillie dans le cadre d’une convention par une personne morale de droit privé ou de droit public réalisant de la recherche » et qu’elle crée des logiciels « dans le cadre de l’exercice de ses missions ou d’après les instructions de la structure d’accueil ».

Par ailleurs, la personne physique accueillie doit se trouver à l’égard de la structure d’accueil dans une situation où elle perçoit une contrepartie et où elle est « placée sous l’autorité d’un responsable de ladite structure ». Le rapport au Président de la République précité prévoit que cette contrepartie peut être de nature financière et/ou matérielle.

Ces conditions sont cumulatives et si elles ne sont pas réunies, la structure de recherche ne pourra se prévaloir de la dévolution légale des droits de propriété intellectuelle sur les logiciels qui auront été développés par la personne accueillie. On comprend donc qu’une convention devra nécessairement être conclue, précisant les missions et/ou instructions et organisant la hiérarchie ainsi que la contrepartie.

 

Pour les inventions 

La structure d’accueil devra établir avec la personne une « convention comportant une mission inventive qui correspond à ses missions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées ».

A défaut et conformément au 2° de l’article L611-7-1 du CPI, toutes les autres inventions réalisées appartiennent à la personne physique accueillie, sauf si pendant la durée de son accueil, cette dernière a réalisé une invention (a) soit dans l’exécution de ses missions et activités; (b) soit dans le domaine des activités confiées par cette personne morale; (c) soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou des moyens spécifiques à cette personne morale, ou de données procurées par celle-ci.

Conformément aux usages spécifiques en matière de brevets, l’inventeur devra en obtenir un juste prix qui, à défaut d’accord avec la structure d’accueil, sera déterminé par une commission de conciliation.

Un décret en conseil d’état devra fixer les modalités d’application de cette dévolution (4° de l’article L611-7-1 du CPI), et notamment les conditions dans lesquelles la personne bénéficiera d’une contrepartie financière ainsi que celles dans lesquelles la structure réalisant de la recherche qui l’accueille, peut se faire attribuer la propriété ou la jouissance de tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l’invention. Nous attendons en conséquent la publication de ce décret, et notamment des précisions sur les cas listés au 2° de cet article.

Pour conclure, ce nouveau régime de dévolution, en faveur des structures réalisant de la recherche, permet de veiller à ce que ces dernières obtiennent bien les droits de propriété intellectuelle sur toute création de logiciel ou d’invention réalisée en son sein, sans avoir à établir contractuellement de clauses de cession.

Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.

Avant de rejoindre le cabinet Houdart & Associés en 2021, Adriane Louyer a travaillé au sein de cabinets d’avocats et de plusieurs administrations publiques. Elle dispose de compétences en droit administratif et a développé une expertise juridique en droit des données dans le secteur public (droit des données personnelles, open data, droit d’accès aux documents administratifs).

Au sein du pôle santé numérique, elle conseille et assiste les établissements publics et privés du secteur sanitaire et médico-social en droit du numérique.

Céline Cadoret a rejoint le pôle santé numérique du Cabinet Houdart et Associés en 2021.

Avant de rejoindre le cabinet, elle a travaillé dans différentes structures lui permettant d’acquérir des compétences notamment en droit du numérique, en propriété intellectuelle et en droit des contrats.

Désormais, elle accompagne les acteurs de la santé publics ou privés pour leur porter conseil et assistance sur ces sujets et notamment sur :

La mise en conformité à la règlementation sur la protection des données à caractère personnel (audits, formations, rédaction de documentations liées au principe d’accountability, négociation et rédaction de DPA et de contrats de responsabilité conjointe, formalités en matière de recherche en santé…) ;
La rédaction et la négociation de contrats informatiques (contrat de logiciel, d’infogérance, d’hébergement de données de santé à caractère personnel…) ou de recherche et d’innovation (contrat de collaboration de recherche scientifique, contrat de prestation technique…) ;
Les problématiques juridiques en matière de propriété intellectuelle (droits d’auteur, droit des marques, droit des bases de données…).