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LA LETTRE DE L’EXERCICE LIBÉRAL
MAI 2023

Me Stéphanie Barré-Houdart , Me Lorène Gangloff, associées, et  Me Charlotte Crépelle, collaboratrice du cabinet, ont participé à la rédaction de cette lettre.

SOMMAIRE

LE FOCUS DU MOIS

Mon associé, malade, doit cesser son exercice, quelles conséquences ?

Lorsqu’ils s’associent dans le cadre de structures d’exercice ou de moyens, les médecins recherchent naturellement une amélioration de leurs conditions de travail.Toutefois, l’association n’est pas un long fleuve tranquille et de nombreux évènements peuvent venir impacter son équilibre.Que se passe-t-il quand surgit un évènement imprévisible tel qu’un accident ou une maladie ?Comment concilier le devoir d’entre-aide, la préservation de la structure, et les intérêts de chacun ?

Tout est question d’anticipation. Les dispositions législatives et réglementaires étant silencieuses en la matière, qu’il s’agisse d’une structure d’exercice ou de moyens, les clauses des statuts et du règlement intérieur doivent apporter des réponses adaptées aux différents cas qui peuvent se présenter.

 

La maladie ou l’accident d’un associé soulève la question de son incapacité à exercer (I) et de ses conséquences. Si certaines de ces conséquences sont communes aux deux catégories de structures, à savoir, le sort des parts sociales ou actions (II) et des mandats sociaux (III), certaines, à l’inverse, sont spécifiques à chaque type de structure. On retrouve ainsi, la question de la contribution aux charges (IV) dans les sociétés de mise en commun de moyens et celles de la prise en charge de la patientèle du confrère absent et de sa rémunération (V), dans les sociétés d’exercice.

 

L’incapacité à exercer de l’associé

La maladie ou l’accident de l’associé médecin amène à s’interroger sur la notion d’incapacité à d’exercice.

L’exercice libéral n’étant pas régi par les dispositions du code du travail, l’incapacité à exercer n’est pas définie par les textes, toutefois il apparaît raisonnable de considérer que l’incapacité naît à compter de la délivrance d’un arrêt de travail qui permet d’objectiver l’état de l’associé concerné.

En tout état de cause, il est recommandé aux associés de définir dès la constitution de la société la notion d’incapacité d’exercice dans les statuts ou le règlement intérieur.

Mais au-delà de la notion d’incapacité, la dichotomie entre incapacité temporaire et incapacité définitive peut poser des difficultés.

Ici encore, il est préférable de préciser à partir de quelle durée d’incapacité cette dernière peut être considérée comme définitive ou poser d’autres critères tels que le constat d’une incapacité définitive par un médecin tiers à la structure, pour éviter toute divergence d’interprétation.

En pratique, il est courant que les statuts définissent l’incapacité définitive d’exercer comme une incapacité continue pendant une période fixée entre un et deux ans.

 

Le sort des titres de l’associé en incapacité d’exercer

Dans les sociétés de forme civile (sociétés civiles professionnelles, sociétés civiles de moyens) comme les sociétés de forme commerciale (sociétés d’exercice libéral), la détention de titres (parts sociales ou actions) joue un rôle majeur dans le fonctionnement de la société dans la mesure où elle détermine les droits de vote de l’associé et, ainsi, son poids dans les décisions collectives, et ses droits, le cas échéant, à percevoir des dividendes.

Tant que l’associé conserve ses parts sociales ou actions, ce dernier doit, en principe, pouvoir jouir des droits y afférents et ainsi prendre part aux décisions collectives et bénéficier d’une partie du résultat.

Le maintien de tels droits peut interroger, en particulier, lorsque l’incapacité se prolonge.

Pour éviter que cette situation ne devienne problématique, les associés doivent le plus précisément possible organiser la poursuite de l’exercice des droits pendant la période d’incapacité et, le cas échéant, prévoir la cession des titres.

Il peut, par exemple, être prévu qu’à compter du moment où le praticien associé se trouve dans l’incapacité définitive d’exercer son activité, telle que définie par les statuts ou le règlement intérieur, ce dernier s’engage à céder ses parts sociales ou actions.

 

Le sort du mandat social de l’associé en incapacité d’exercer

Au-delà de la question de la détention de titres dans la société qui est inhérente à la qualité d’associé, le médecin dans l’incapacité de poursuivre son exercice peut être titulaire d’un mandat social de gérant, en société civile ou en société d’exercice libéral à responsabilité limitée, ou encore de président, en société d’exercice libéral par actions simplifiée.

Aucun texte législatif ou règlementaire ne prévoit que l’incapacité d’exercer en raison d’une maladie ou d’un accident met fin au mandat social de l’associé. Ainsi, le mandat se poursuit jusqu’à son éventuelle révocation.

Dès lors, se pose la question de la rémunération du mandat social.

Le simple fait que l’associé soit malade et qu’il ne puisse plus exercer suffit-il à justifier la cessation du versement de la rémunération correspondante ?

Dans un arrêt du 21 juin 2017(Com. 21 juin 2017, n°15-19.593), la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu’en cas de maladie d’un associé co-gérant d’une société à responsabilité limitée, dont la rémunération est fixée par les statuts ou une décision collective, ce dernier devait continuer à percevoir sa rémunération en l’absence de révocation de son mandat.

 

La contribution aux charges de l’associé pendant l’incapacité d’exercice

Dans une structure de mise en commun de moyens, type société civile de moyens (SCM), la participation des associés aux charges de la structure est déterminée par les associés eux-mêmes, que ce soit au sein des statuts ou du règlement intérieur.

Celle-ci peut être fixée en fonction des moyens effectivement utilisés par l’associé ou selon une proportion fixée par les statuts ou le règlement intérieur.

Si la participation aux charges est corrélée à ce qu’utilise réellement le professionnel dans le cadre de son activité en termes de matériel, de personnel ou de services, l’incapacité du médecin va nécessairement se traduire par une baisse de sa contribution aux charges.

A l’inverse, si la contribution aux charges est arrêtée en dehors de toute prise en considération de l’utilisation des moyens (à parts égales entre les associés ou selon une autre proportion), il pourra être prévu une adaptation de cette contribution en cas de cessation d’activité d’un associé pour maladie ou accident et ce au titre du devoir d’entraide entre médecins.

 

La patientèle et la rémunération de l’associé en incapacité d’exercer

Dans une structure d’exercice en commun, les associés exercent leur activité au travers de la société. Ainsi, la patientèle n’est pas celle du praticien associé, mais celle de la société et les honoraires sont facturés par et pour la société.

Pour assurer la continuité des soins et le maintien du même niveau d’honoraires, l’activité du praticien doit être assurée par un autre associé de la structure ou un remplaçant.

Les modalités de répartition de la charge de travail entre les associés et de rémunération varient d’une structure à l’autre, mais la question se pose nécessairement de l’adaptation de ces règles lorsque l’un des associés se trouve dans l’incapacité d’exercer son activité.

Dans ces conditions, il convient de statuer sur :

  • les conditions de prise en charge de la patientèle du praticien malade, par un praticien de la structure ou un remplaçant ;
  • en cas de recours à un remplaçant, la prise en charge, ou non, par la structure de son coût ;
  • le maintien ou non de la rémunération du praticien en incapacité d’exercer, le cas échéant, en fonction de la durée de l’incapacité ;
  • en cas de maintien de la rémunération, son montant.

 

La lecture de statuts de sociétés d’exercice révèle la grande diversité des modalités de prise en charge qui peuvent être prévues par les associés, mais comme en matière de détention de parts sociales, il est souvent opéré une distinction entre l’incapacité temporaire et l’incapacité définitive, à compter de laquelle la solidarité mise en place pour accompagner le confrère malade prend fin et ce en vue de préserver l’équilibre de la structure.

La maladie de l’associé, lorsqu’elle se traduit par une cessation de son exercice, soulève ainsi de nombreuses problématiques. Au vu des contradictions pouvant exister entre les intérêts des différents associés, il convient d’anticiper ces questions et de déterminer précisément la marche à suivre dans une telle situation car, à défaut, celles-ci risquent d’être source de tensions voire de contentieux (CA Basse-Terre, 19 avril 2021, n°18-00956, CA Riom, 22 mars 2023, n°21/01362).

L’ACTU BRÛLANTE

Réorientation possible des médecins spécialistes : le nombre de place est désormais fixé pour 2023

Un médecin généraliste peut-il devenir pédiatre ? la réponse est oui. Le Décret n°2017-535 du 12 avril 2017 modifié par le décret n°2022-658 du 25 avril 2022 est venu autoriser les médecins en exercice à changer de spécialité, mais sous certaines conditions.

Cette mesure devait entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2021, mais ce n’est que deux ans plus tard, le 1er janvier 2023 qu’elle a enfin été rendue possible, avec la parution de l’arrêté du 25 avril 2022.

Désormais les médecins en exercice peuvent postuler au troisième cycle des études de médecine (internat) pour y suivre :

Cette demande sera examinée par la commission régionale de coordination de la spécialité désignée (Article R632-13 du code de l’éducation) qui sera chargée de l’instruction des dossiers de candidature et de l’audition des candidats retenus.

Pour obtenir une nouvelle qualification de spécialiste, le médecin devra justifier d’une formation et expérience dans la spécialité sollicitée, au moyen de la transmission à la commission d’attestations faisant preuve des formations théoriques et pratiques suivies(DIU, Capacités, FMC, Stages, CRO…).

L’arrêté du 4 avril 2023 fixe, pour l’année universitaire 2023-2024, le nombre de médecins en exercice susceptibles d’accéder au troisième cycle des études de médecine pour y suivre un DES, une option ou une FST par spécialité et par subdivision.

Leur expérience professionnelle sera-t-elle prise en considération lors du suivi de leur nouvelle formation ? Même si les médecins admis suivront selon les mêmes modalités que les étudiants de troisième cycle des études médecine la formation requise, ils pourront bénéficier d’aménagements en fonction de l’expérience professionnelle préalablement acquise. Partant, les dispenses envisagées ne pourront toutefois excéder la moitié de la durée minimale de la formation de médecin spécialiste concernée.

Que permet concrètement ce nouveau dispositif ?

Il offre à tous les médecins en exercice la possibilité de changer de spécialité et ainsi d’acquérir une qualification de spécialiste différente de leur qualification initiale ou de se surspécialiser. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment va être utilisé ce nouveau dispositif de réorientation professionnelle. Servira-t-il d’outil de validation d’une expérience déjà acquise pour le médecin concerné ou de passerelle vers une spécialité inexplorée jusqu’alors ?

QUOI DE NEUF DEVANT LES JURIDICTIONS ?

• Que risque le médecin qui méconnaît une promesse synallagmatique de cession de parts sociales ?

 

Lorsque la promesse de cession est dite « synallagmatique », elle engage définitivement les deux parties :

  • Le médecin cédant s’engage envers le médecin bénéficiaire à lui céder ses parts et ce, à un prix déterminé ;
  • Le cessionnaire s’engage à les acquérir.

Dans cette hypothèse, que se passe-t-il en cas de défaut de paiement du cessionnaire ? La décision rendue par la Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins le 15 septembre 2021 (n°14189) en donne une illustration.

Dans cette affaire, un médecin généraliste avait cédé 99 de ses 100 parts de société civile de moyens (SCM) à un autre médecin, qui s’était engagé à lui en verser un certain prix et à rembourser le solde de son compte courant d’associé dans la société. Malgré plusieurs relances, cette promesse n’avait pas prospéré, aucune somme ne fut versée par le médecin cessionnaire.

Le médecin cédant a alors entamé deux procédures :

  • La première devant la juridiction judiciaire ;
  • La deuxième devant la juridiction disciplinaire ;

Ayant été sanctionné par une interdiction temporaire d’exercer pour une durée de 6 mois, dont 3 mois avec sursis, par décision du 5 octobre 2018 de la chambre disciplinaire de première instance d’Ile-de-France, le médecin cessionnaire décidait de saisir la Chambre disciplinaire nationale en vue de réformation. En vain.

Dans la décision du 15 septembre 2021, est venu confirmer que le médecin n’ayant pas honoré ses engagements avait manqué à plusieurs principes déontologiques, à savoir, prévus aux articles R. 4127-3 (probité, moralité et dévouement), R. 4127-31 (interdiction de tout acte de nature à déconsidérer la profession) et R.4127-56 (confraternité) du Code de la santé publique.

La signature d’une promesse synallagmatique de cession de parts sociales est engageante pour un médecin. Ainsi la méconnaissance d’une telle promesse peut être sanctionnée non seulement par les juridictions judiciaires en vue d’une indemnisation du cocontractant lésé, mais également par les juridictions disciplinaires au regard des principes déontologiques qui s’imposent à lui.

QUESTION PRATIQUE

Droit de présentation à patientèle de médecin : comment déterminer son prix ?

Déménagement, cessation de votre activité, différentes raisons peuvent vous conduire à céder votre cabinet que vous soyez installé en ville ou que vous exerciez votre activité au sein d’une clinique. A cette occasion, seront cédés les éléments corporels de votre cabinet (bureaux, matériel médical, en fonction de votre spécialité, équipements), mais également les éléments incorporels au titre desquels figure votre patientèle.

Si la cession de patientèle est autorisée (Civ. 1ère, 7 novembre 2000, 98-17.731) dès lors qu’elle ne met pas à mal le libre choix du patient, raison pour laquelle on privilégie la notion de « présentation à patientèle », encore faut-il en déterminer le prix.

En contrepartie de ce prix, le cédant s’engage à présenter le cessionnaire comme son successeur à sa patientèle.

La fixation du prix est un exercice complexe, puisque la relation patient/médecin repose sur un contrat intuitu personae. En l’absence de règle juridique, le prix de vente de la patientèle relève de la liberté contractuelle et est librement négocié et convenu entre les parties.

Cependant, en pratique la valorisation repose sur certains critères usuels.

La valeur s’apprécie généralement au regard du chiffre d’affaires (Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 5, 21 Juin 2012 – n° 11/05079, Cour d’appel, Versailles, 2e chambre, 3e section, 18 Décembre 2014 – n° 13/03253) ou du montant des honoraires de l’année écoulée ou de leur moyenne sur plusieurs années, modulé selon divers critères :

  • Les possibilités d’accroissement : potentiel de développement, intensité concurrentielle, valeur ajoutée des missions ;
  • La nature de la patientèle : son ancienneté, son volume (nombre de patients), sa récurrence, sa localisation, l’origine de la prescription, les délais de paiement des patients et leur élasticité au prix ;
  • La qualité du personnel, des équipements, du matériel ou encore de l’organisation (la tenue des dossiers, le niveau d’informatisation du cabinet ou encore l’archivage réalisé) ;
  • L’engagement ou non du cédant de ne pas se réinstaller à proximité du cabinet (clause de non-concurrence) ;
  • La possibilité d’exercer les actes techniques dans une clinique ;
  • La situation géographique du cabinet (milieu rural ou urbain, la région) ;
  • L’implantation structurelle du cabinet : en ville ou en clinique ;
  • L’exercice dans une structure individuelle ou en groupe ;
  • Les recettes et charges du cabinet.

Enfin, autre point essentiel : la spécialité exercée et le cadre dans lequel elle se déploie.

Selon une étude menée par Interfimo (Prix de cession des 100 dernières transactions de cabinets médicaux – étudiées par Interfimo – janvier 2016), et sans grande surprise, les médecins généralistes vendent leur cabinet moins cher que les autres spécialistes.

La patientèle des chirurgiens dont l’activité est essentiellement technique, est la plus fortement valorisée en moyenne. Les spécialités cliniques (37%) seraient en moyenne moins valorisées que celles avec plateau technique (49%).

Avant d’entamer des discussions avec un potentiel successeur, il est donc essentiel que vous preniez le temps de procéder à la valorisation de votre droit de présentation à patientèle. Le recours à un expert peut être recommandé.  

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RESPONSABLES DU PÔLE EXERCICE LIBÉRAL

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).

Avocat au Barreau de Paris depuis janvier 2016, Lorène Gangloff a rejoint le Cabinet Houdart & Associé en janvier 2020 et intervient au sein du pôle Organisation.

Après plusieurs années passées au sein du département santé d’un cabinet de droit des affaires, elle accompagne principalement les professionnels de santé libéraux en conseil (création et fonctionnement de leurs structures d’exercice, opérations de rachat ou fusion de cabinets, relations contractuelles avec les établissements de santé) comme en contentieux (conflits entre associés, ruptures de contrat d’exercice).

Elle assiste également les établissements de santé dans leurs projets de restructuration ou de coopération et les représente dans le cadre d’éventuels contentieux.