La prise en charge fautive d’un patient : Quelles conséquences ?
Article rédigé le 25 octobre 2023 par Marie Courtois
Dans un arrêt du 12 juillet 2023, le Conseil d’état estime qu’il n’était pas démontré de manière absolument certaine, que même une prise en charge adéquate du patient, n’aurait pas permis d’éviter son décès. L’établissement hospitalier ne peut donc pas échapper à l’engagement de sa responsabilité au titre des fautes commises dans la prise en charge de son patient et devra indemniser le préjudice tiré de la perte de chance d’éviter le dommage.
La prise en charge fautive d’un patient : le cas d’espèce
En l’espèce, un homme souffre de douleurs thoraciques, de malaises et de vertiges. Il se rend, en fin de soirée, dans le service des urgences de l’hôpital René Dunois. Les médecins réalisent un électrocardiogramme et des analyses sanguines sur le patient puis lui administrent du paracétamol. Six heures plus tard, il est autorisé à quitter l’hôpital. A peine rentré chez lui, il se ressent de nouveau un malaise : il décide cette fois-ci de se rendre au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue. Il est alors immédiatement hospitalisé et une coronarographie est pratiquée, les médecins suspectant un syndrome coronarien ST. Malheureusement, il régit très mal au produit de contraste utilisé et malgré des tentatives de réanimation, le patient décède dans la soirée.
Son épouse, désormais veuve, a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation d’Ile de France d’une demande d’indemnisation au titre du préjudice subi du fait du décès de son mari. La commission a prescrit la réalisation d’une expertise et a rendu un avis favorable à son indemnisation mais le centre hospitalier René Dubois refuse de l’indemniser. L’épouse assigne alors le centre hospitalier en réparation des préjudices résultant du décès de son mari. Le tribunal administratif de Cergy Pontoise, dans un jugement du 29 janvier 2019, condamne le centre hospitalier à l’indemniser au titre des préjudices invoqués. Il est fait appel de cette décision.
La question qui se pose en l’espèce vise à savoir si la responsabilité d’un établissement de santé peut être recherchée au titre d’une prise en charge fautive d’un patient alors même que le décès de celui-ci résulte de l’administration d’un produit de contraste lors d’un examen médical réalisé par un autre établissement de santé qui lui n’a commis aucune faute dans sa prise en charge.
Si la Cour d’appel considère, dans un arrêt du 23 décembre 2021, que les fautes commises par le premier établissement de santé ne peuvent pas engager sa responsabilité car elles ne sont que la cause indirecte et exclusive du décès, le Conseil d’état refuse cet argument. Il considère qu’un établissement hospitalier qui commet une faute dans la prise en charge de son patient, n’échappe à sa responsabilité qu’en apportant la preuve certaine que même si la prise en charge du patient n’avait pas été fautive, le patient aurait tout de même subi une détérioration de son état. Quel est le raisonnement des deux juridictions ?
Les conséquences : L’engagement de la responsabilité de l’établissement hospitalier pour faute et l’obligation d’indemnisation du préjudice subi
L’établissement hospitalier doit-il indemniser intégralement le préjudice corporel tiré de la mort du patient ou uniquement la perte de chance pour celui-ci d’éviter le dommage ?
En vertu de l’article L.1142-1 du code de la santé publique, les établissements de santé sont responsables des conséquences dommageables des fautes médicales commises par les médecins et autres professionnels de santé qu’ils emploient, lors d’actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins.
Au stade de l’indemnisation du préjudice subi par la victime, il convient de distinguer selon que :
- La faute médicale est la cause directe, certaine et exclusive du dommage: l’indemnisation est alors intégrale.
- La faute médicale n’est une cause qu’indirecte du dommage subi par le patient : Dans ce cas, elle a seulement fait « perdre une chance au patient d’éviter le dommage », l’indemnisation n’est pas intégrale et « est évaluée en fonction de l’ampleur de la chance perdue ». C’est d’ailleurs ce qu’affirme le Conseil d’état, au visa du code de la santé publique et de la justice administrative. L’établissement ne doit indemniser qu’une fraction du dommage corporel subi par le patient qui correspond au pourcentage de chance que ce dernier a perdue d’éviter le dommage. Ce caractère indirect est établi par le fait que si la faute commise lors de la prise en charge du patient, a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, il ne peut pas être établi avec certitude, que le dommage ne serait pas quand même advenu indépendamment de toute faute.
En l’espèce, il s’agissait donc dans un premier temps de déterminer si les fautes commises par l’hôpital René Dunois étaient la cause directe ou indirecte du décès du patient.
Selon la Cour d’appel, « les fautes commises par le centre hospitalier René Dubois ne pouvaient être regardées comme la cause directe et exclusive du décès de l’intéressé et n’avait pu avoir que pour seul effet de le priver d’une chance d’éviter, le lendemain, après son admission au centre Marie Lannelongue, la réalisation de cette coronarographie qui a causé sa mort ».
Le Conseil d’état approuve le raisonnement de la cour d’appel : les fautes commises ne sont que la cause indirecte du dommage subi et l’indemnisation ne portera que sur la perte de chance du patient d’éviter le dommage.
L’établissement hospitalier peut-il échapper à sa responsabilité en démontrant que le caractère fautif de la prise en charge d’un patient est indifférent au dommage subi par celui-ci ?
Si l’établissement hospitalier est tenu d’indemniser la victime à raison des fautes commises dans sa prise en charge qui lui ont fait perdre une chance d’éviter le dommage, cette indemnisation peut être écartée « lorsqu’il est affirmé de manière certaine qu’une prise en charge adéquate n’aurait pas permis d’éviter ces conséquences ».
Sur ce point, le Conseil d’état désapprouve la décision de la cour d’appel.
La Cour d’appel considère, en effet, que le fait que la prise en charge du patient ait été fautive n’importe peu puisque même si l’établissement hospitalier avait pris en charge le patient dans des conditions adéquates, il n’aurait pas pu éviter son décès. Ainsi, elle affirme que l’établissement hospitalier René Dubois n’est pas tenu d’indemniser la victime.
Sa considération s’appuie sur le fait que le second établissement, qui a pris en charge le patient dans des conditions non fautives, n’a pas pu empêcher son décès. L’idée étant que si le second établissement n’a pas pu empêcher le décès, le premier ne l’aurait pas pu non plus. Autrement dit, même si le centre hospitalier n’avait pas commis de faute et avait réalisé des investigations supplémentaires afin de poser un diagnostic sur les maux du patient, celui-ci serait tout de même décédé in fine car la prise en charge non fautive du patient aurait conduit les médecins à prescrire une coronarographie.
Le Conseil d’état casse l’arrêt d’appel et estime que celle-ci a commis une erreur de droit. Il considère que la cour d’appel ne pouvait pas déduire des conséquences de la prise en charge non fautive du patient par le second établissement, qu’une prise en charge adéquate par le premier établissement n’aurait pas permis d’éviter le dommage. Autrement dit, le Conseil d’état considère qu’il n’est pas possible d’affirmer avec certitude, que la prise en charge adéquate du patient par le premier établissement, n’aurait pas permis d’éviter son décès en se fondant sur le fait que le second établissement qui l’a pris en charge sans commettre de faute, n’a pas pu l’empêcher.
Le raisonnement de la cour d’appel est rejeté en raison de l’incertitude de l’affirmation qu’il émet. Il ne peut pas être démontré avec certitude qui si la faute n’avait pas été commise, le patient serait décédé. Si la prise en charge non fautive du patient a conduit à son décès provoqué par une réaction allergique, imprévisible, à un produit de contraste utilisé lors d’un examen médical visant à poser un diagnostic, il n’est pas certain que toute prise en charge non fautive de celui-ci aurait conduit à la réalisation de cet examen et donc au décès du patient.
Le Conseil d’état, au visa du code de la santé publique et du code de la justice administrative, annule l’arrêt d’appel et condamne le centre hospitalier René Dubois à rembourser les frais exposés par la veuve pour la défense de ces intérêts.
Etudiante en première année de master, Marie Courtois a rejoint le Cabinet HOUDART & Associés, en qualité de juriste, en septembre 2023.
En charge de la veille juridique et jurisprudentielle, elle met ses compétences rédactionnelles au service du cabinet. Attentive à l’actualité législative, règlementaire et jurisprudentielle liée au domaine médico-social, elle décrypte pour vous les derniers arrêts rendus par la Cour de cassation ou le Conseil d’État et les textes récents.