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Les modalités d'organisation du télétravail dans la fonction publique hospitalière
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LES MODALITÉS D’ORGANISATION DU TÉLÉTRAVAIL DANS LA FPH

Article rédigé le 3juillet 2020 par Me Xavier Laurent

Le confinement de la population au plus fort de l’épidémie de covid-19 a contraint l’ensemble des employeurs du pays à repenser en profondeur l’organisation du travail, avec un recours massif au télétravail. Si la notion de télétravail est appréhendée par le secteur privé depuis une quinzaine d’années (accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail), elle reste, en dépit du décret du 11 février 2016 une modalité d’exercice des fonctions largement inusitée dans la fonction publique en général, et dans les établissements publics de santé en particulier, où la nature soignante de l’activité requiert par essence une présence effective.

La crise sanitaire a toutefois mis en évidence la pertinence du recours au télétravail pour une partie des effectifs, notamment la filière administrative. C’est dans ce contexte d’urgence qu’un décret du 5 mai 2020 a modifié le décret du 11 février 2016 afin de faciliter et d’assouplir le recours au télétravail dans la fonction publique. Retour sur les apports de ce décret et les récentes prises de position jurisprudentielles.

 

Un principe de recours au télétravail posé dès 2012

 

S’il a fallu attendre le décret du 11 février 2016 pour pouvoir mettre concrètement en œuvre le télétravail dans la fonction publique, le principe de l’exercice des fonctions dans ce cadre a été énoncé dès la loi du 12 mars 2012 et son article 133.   Depuis l’origine, le recours au télétravail suppose une demande préalable de l’agent public (sans distinction entre fonctionnaires et contractuels) et un nécessaire « accord du chef de service » ; en outre, « il peut y être mis fin à tout moment, sous réserve d’un délai de prévenance ». Les nécessités et l’intérêt du service restent ainsi toujours prioritaires. Ces principes généraux posés, le pouvoir réglementaire a quelque peu précisé les choses par le décret du 11 février 2016.

 

Une organisation encadrée mais souple du télétravail

 

Après avoir posé que le télétravail supposait l’utilisation des technologies de l’information et la communication, l’article 2 du décret précise qu’il peut être organisé selon l’une ou plusieurs des possibilités suivantes :

  • au domicile de l’agent,
  • dans un autre lieu privé,
  • dans tout lieu à usage professionnel.

Pour plus de souplesse également, le recours au télétravail peut être, au choix :

  • régulier ou ponctuel,
  • fixé précisément ou selon un volume de jours flottants,
  • prévu sur la semaine ou le mois (voire l’année en cas de jours flottants).

Une même autorisation de télétravail peut porter sur plusieurs des possibilités énoncées ci-dessus. L’article 3 du décret pose une limite hebdomadaire maximale de trois jours de télétravail, avec un travail en présentiel au minimum deux jours par semaine. Dans sa rédaction initiale, le décret prévoyait la possibilité de déroger à la limite des trois jours pour des agents présentant un état de santé particulier. Le décret du 5 mai 2020 pris spécifiquement pour répondre à la situation d’urgence sanitaire ouvre de nouvelles exceptions pour des agents dont le handicap ou l’état de grossesse le justifient et pour une durée maximale de 6 mois, ou en cas de situation exceptionnelle perturbant l’accès au site ou le travail sur site (article 4). Précisons également que le décret du 5 mai 2020 a supprimé la durée d’un an antérieurement prévue pour l’autorisation de télétravail, de sorte que l’autorisation de télétravail est désormais accordée pour une durée indéterminée.

 

Une demande préalable de l’agent et un accord exprès de l’établissement

 

La demande de recours au télétravail doit être écrite et préciser les modalités d’organisation souhaitées (article 5). La direction de l’établissement (pour la FPH) « apprécie la compatibilité de la demande avec la nature des activités exercées et l’intérêt du service ». La décision d’autoriser ou non la demande de télétravail relève en dernière analyse de l’établissement. L’établissement dispose donc d’un pouvoir discrétionnaire dans l’organisation du service, soumis à un contrôle restreint du juge administratif, lequel va limiter son examen de la légalité du refus à l’erreur manifeste d’appréciation dans la situation de l’agent.   Précisons qu’en contrepoint de ce pouvoir discrétionnaire, l’établissement à l’obligation de motiver son refus d’autorisation de télétravail et doit le faire précéder d’un entretien. L’autorisation de télétravail ne constitue donc pas une mesure d’organisation interne, qui est par nature insusceptible de recours. En tout état de cause, une réponse écrite doit être donnée à l’agent dans un délai d’un mois. Bien que le décret ne le précise pas, le silence gardé par l’administration au-delà d’un mois s’interprète nécessairement comme une décision implicite de rejet.

 

La priorité donnée aux nécessités du service

 

Il peut être mis fin à l’autorisation de télétravail à la demande de l’administration ou de l’agent, suivant un délai de prévenance de deux mois pouvant être réduit pour l’administration « en cas de nécessité du service dûment motivée ». L’intérêt du service reste donc absolument prioritaire. L’interruption du télétravail à l’initiative de l’établissement doit toutefois, comme pour le refus d’autorisation, être motivée et précédée d’un entretien préalable. Le pouvoir réglementaire a donc prévu un mécanisme souple, privilégiant un échange constructif entre l’agent et l’établissement sur les modalités du télétravail mais priorisant en dernière analyse les nécessités du service.

 

La possibilité de saisir les instances paritaires en cas de rejet de la demande

 

Le refus d’autorisation comme l’interruption du télétravail peut être soumis par le fonctionnaire à l’avis de la commission administrative paritaire dont il relève (ou de la commission consultative paritaire pour les agents contractuels). Cet avis est toutefois purement consultatif et ne lie pas l’établissement, qui peut parfaitement maintenir sa décision en dépit d’un avis contraire de l’instance.

 

L’établissement a l’obligation de fixer ses propres modalités de mise en œuvre du télétravail

 

L’article 7 du décret du 11 février 2016 prévoit, pour la fonction publique hospitalière, qu’une décision à caractère règlementaire (c’est-à-dire à portée générale, donc à différencier de la décision d’octroi ou de refus du télétravail, qui est une décision administrative individuelle) doit, après avis du comité technique d’établissement, fixer les conditions et modalités d’organisation du télétravail. Il appartient donc aux établissements publics de santé d’édicter une décision cadre fixant précisément les modalités de mise en œuvre du télétravail à partir d’une liste d’items énoncés par l’article 7 du décret, notamment :

  • les activités éligibles au télétravail,
  • les règles à respecter en matière de sécurité des systèmes d’information et de protection des données,
  • les règles à respecter en matière de temps de travail, de sécurité et de protection de la santé,
  • les modalités de contrôle et de comptabilisation du temps de travail,
  • les modalités de formation aux équipements et outils nécessaires à l’exercice du télétravail.

Précisons sur ce point que le Conseil d’Etat a très récemment rappelé l’obligation qui pesait sur l’administration d’édicter une telle décision (Conseil d’État, 10/06/2020, 435574).   En l’espèce, sur le fondement de l’article 7 du décret, une organisation syndicale avait demandé au ministre de tutelle de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité de prendre l’arrêté fixant les modalités de mise en œuvre du télétravail en son sein. Le silence de l’administration sur cette demande avait fait naître une décision implicite de rejet, que le Conseil d’Etat a annulé en considérant que la tutelle de l’agence était tenue « de prendre dans un délai raisonnable l’arrêté fixant les modalités de mise en œuvre du télétravail ». Le refus intervenu « plus de trois ans et demi après la publication du décret du 11 février 2016, soit après l’expiration du délai raisonnable qui lui était imparti pour le prendre » est nécessairement illégal. Les établissements publics de santé doivent donc fixer leurs propres modalités d’organisation du télétravail et les soumettre pour avis au CTE.

 

Si évidemment l’absence de décision cadre ne s’oppose pas à ce que le télétravail soit autorisé dans les établissements, le fait d’édicter une telle décision a pour objet de fixer précisément les conditions et modalités du télétravail ouvert aux agents éligibles après consultation des représentants du personnel à travers l’avis du CTE. In fine, c’est bien la recherche d’une organisation de travail adaptée en lien avec les partenaires sociaux sur un socle de règles propres à chaque établissement qui est privilégiée, avec l’adaptation nécessaire des règles communes du décret à la réalité du terrain. Au-delà du fait qu’il s’agit d’une obligation, les établissements auront tout intérêt à fixer une liste précise des activités et catégories de personnel éligibles au télétravail, ce qui permettra d’adapter chaque autorisation aux besoins du service mais également de faire œuvre pédagogique. On ne saurait en effet jamais trop rappeler le proverbe selon lequel « quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup » ; en énonçant précisément les différentes modalités de mise en œuvre du télétravail après les avoir discutées devant les instances représentatives du personnel, les établissements se placent dans les meilleures conditions possibles pour un exercice des fonctions en télétravail aussi fluide et souple que bien encadré.

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).