Recherche clinique : impacts du projet de loi “simplification de la vie économique”
Article rédigé le 08 mai 2025 par Théophile Simon et Me Laurence Huin
Alors que l’Assemblée nationale examine actuellement le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique, plusieurs articles du projet de loi visant à modifier le cadre juridique applicable à la recherche clinique en France méritent un point d’attention.
Décentralisation des lieux de recherche, contrôle qualité à distance des essais cliniques, facilitation de l’accès aux produits de santé pour les promoteurs académiques ou encore mise en place d’un comité scientifique et éthique local : tour d’horizon des principales évolutions envisagées.
La recherche clinique est aujourd’hui confrontée à de nombreuses contraintes réglementaires. Dans ce contexte, le projet de loi de simplification de la vie économique vise parmi de nombreux autres secteurs (agriculture, …) la recherche et entend lever certains freins structurels pour dynamiser le secteur à travers deux grandes idées : « Faciliter l’innovation issue de la recherche, notamment en santé » et « Mieux prendre en compte l’enjeu d’innovation dans la régulation de la donnée ».
En abordant les notions de territoire de recherche, en encadrant le contrôle qualité à distance, ou encore en repensant les circuits d’approvisionnement pour les promoteurs académiques, ces mesures traduisent une volonté de modernisation du droit plus en phase avec les réalités du terrain.
Reste donc à savoir si ces modifications encore débattues à l’Assemblée nationale et au Sénat, parviendront à répondre pleinement aux attentes des acteurs du terrain.
Vers une modification du lieu de recherche
Une nouvelle définition du « lieu de recherche » ainsi que l’intégration d’une nouvelle notion « le territoire de recherche » sont prévus par le projet de loi simplification de la vie économique. Mais qu’en est-il plus précisément ?
Tout d’abord il est important de noter que ces modifications du lieu de recherche concernent l’ensemble des dispositions sur la recherche clinique. En effet, le projet de loi modifie :
- L’article L 1121-13 Code de la santé publique pour les recherches impliquant la personne humaine et les essais cliniques (par renvoi à l’article L1124-1 Code de la santé publique)
- L’article L.1125-12 Code de la santé publique pour les investigations cliniques
- L’article L1126-11 Code de la santé publique pour les études de performances
Il est précisé pour chacune de ces recherches que le lieu de recherche peut être « tout lieu de soins, et tout autre lieu d’exercice des professionnels de santé dont, le cas échéant, le domicile du patient et tout autre lieu de proximité nécessaire au parcours de la personne participant à la recherche ainsi que tout autre lieu autorisé […] ».
Ainsi, le projet de loi vient entériner une pratique déjà existante, celle des recherches décentralisées. Avec ces modifications, il est considéré explicitement que le domicile peut-être un lieu de recherche. Cette précision dans la définition du lieu de recherche constitue un indispensable pour permettre d’appliquer pleinement la décentralisation de la recherche.
Cette modification de la loi s’inscrit pleinement dans les récentes dynamiques visant à décentraliser les essais cliniques, à l’image de la phase pilote réalisée par la DGS, la DGOS, l’ANSM et la CNIL, de janvier à septembre 2024, pour la réalisation d’essais décentralisés. Cette tendance s’inscrit également dans la consultation sur la refonte des référentiels et méthodologies de référence en santé organisée par la CNIL, lancée en mai 2024 et dont la synthèse des retours a été présentée en décembre 2024.
Par ailleurs, s’agissant de l’autorisation du lieu de recherche, le projet de loi modifie uniquement l’article L1121-13 CSP s’agissant des RIPH 1 et des essais cliniques. En effet, l’article sera rédigé comme suivant :
« Ce lieu doit être autorisé, à cet effet, pour une durée déterminée, lorsqu’il s’agit de recherches mentionnées au 1° de l’article L. 1121-1 réalisées en dehors des lieux de soins, ainsi que dans des services hospitaliers et dans tout autre lieu d’exercice des professionnels de santé lorsque ces recherches nécessitent des actes autres que ceux qu’ils pratiquent usuellement dans le cadre de leur activité ou lorsque ces recherches sont réalisées sur des personnes présentant une condition clinique distincte de celle pour laquelle le service a compétence et que ces recherches nécessitent des actes autres que ceux pratiqués usuellement dans ce lieu »
En revanche, les dispositions concernant les investigations cliniques et les études de performance restent identiques à leur version initiale. D’une part, il est encore regrettable de constater que toutes les dispositions sur la recherche ne font pas l’objet d’une harmonisation dans le Code de la santé publique. D’autre part, ce manque d’harmonisation induit une incohérence même dans les dispositions des articles puisque, pour les investigations cliniques, le domicile se retrouve cité à la fois comme lieu de recherche mais aussi comme lieu devant faire l’objet d’une autorisation, et ce contrairement aux dispositions encadrant le lieu de recherche pour les RIPH 1, les essais cliniques et les études de performance.
De plus, cette tendance à la décentralisation des recherches, initiée de manière contrainte au cours de la pandémie de Covid-19, se poursuit avec l’intégration d’une nouvelle notion le « territoire de recherche ». L’objet de cette nouvelle notion a été développé par le Sénat comme « permettant de mutualiser les démarches des différents établissements de recherche d’un territoire, en regroupant hospitaliers, maisons de santé et libéraux, tous volontaires, et en accélérant et facilitant alors les phases de contractualisation et d’ouverture des centres pour les essais cliniques à promotion industrielle et académique ». Il est par ailleurs précisé que « Le déploiement des territoires de recherche constitue ainsi la première étape dans la mise en place opérationnelle de la décentralisation de la recherche clinique. »
Cet amendement prévoit qu’ « Un territoire de recherche est un regroupement coordonné d’acteurs agissant, dans le cadre de recherches mentionnées au présent titre, selon une stratégie qu’ils définissent par voie conventionnelle ».
À ce stade, il reste difficile de savoir comment les acteurs de la recherche s’empareront de ce nouvel outil juridique, sans personnalité morale organisé sous forme conventionnelle.
Le contrôle à distance dans les essais cliniques
Depuis la crise sanitaire liée à la COVID-19, le recours au contrôle qualité à distance dans les essais cliniques s’est considérablement intensifié, favorisé par des outils numériques de plus en plus généralisés. Traditionnellement effectué sur site par le promoteur, ce contrôle est désormais souvent réalisé à distance, permettant une vérification efficace des données de recherche tout en limitant les déplacements. Cette évolution s’inscrit dans la pratique des acteurs et de la décentralisation des essais cliniques.
Toutefois, cette transition vers le numérique soulève des questions en matière de protection des données personnelles et de conformité réglementaire. La CNIL s’est déjà positionnée sur cette thématique et a actualisé ses recommandations en mai 2024 pour encadrer ces pratiques, insistant sur l’importance de l’information des participants, le respect du principe de minimisation des données et la mise en place de mesures de sécurité adaptées. En ce sens, si à ce stade, le contrôle à distance nécessite l’autorisation de la CNIL pour la recherche et ne peut s’inscrire dans une méthodologie de référence, la CNIL envisage d’intégrer le contrôle qualité à distance des essais cliniques dans les méthodologies de référence qui devraient être modifiées prochainement.
Dans ce contexte, le projet de loi prévoit d’intégrer le contrôle qualité à distance dans le Code de la Santé publique comme suivant : « Lorsque des composantes du contrôle ou de l’assurance de qualité sont effectuées à distance, elles respectent le règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ainsi que la loi n° 78 17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. »
Tout comme le lieu de recherche, ces modifications concernent l’ensemble des dispositions sur la recherche clinique. En effet, le projet de loi modifie :
- L’article L 1121-3 Code de la santé publique pour les recherches impliquant la personne humaine et les essais cliniques ;
- L’article L.1125-6 Code de la santé publique pour les investigations cliniques ;
- L’article L1126-5 Code de la santé publique pour les études de performances.
Ainsi, l’introduction du contrôle qualité à distance dans le projet de loi de simplification de la vie économique consacre pour la première fois, dans la loi française, cette modalité de suivi déjà largement utilisée dans les essais cliniques.
Toutefois, cette reconnaissance législative reste incomplète sur le plan pratique, puisqu’elle ne précise pas les conditions concrètes permettant aux promoteurs et aux investigateurs de garantir la conformité de ces contrôles avec le RGPD.
Les recommandations publiées par la CNIL jouent donc un rôle clé : elles constituent aujourd’hui la seule source d’orientation opérationnelle permettant d’identifier les critères à respecter (traçabilité, sécurité des accès, information des personnes, etc.). Il reste désormais à la CNIL de finaliser la mise à jour de ses référentiels de méthodologie de référence MR-001 et MR-003 notamment, afin d’assurer une cohérence d’ensemble et de sécuriser juridiquement les pratiques répandues de contrôle à distance dans le champ de la recherche clinique.
Optimiser l’accès aux produits de santé pour les promoteurs académiques
Dans le cadre des recherches scientifiques impliquant la personne humaine, et plus particulièrement des essais cliniques portant sur des médicaments ou des investigations cliniques portant sur des dispositifs médicaux, la fourniture du produit étudié (Médicament expérimental ou dispositif médical testé) constitue une étape indispensable. Or, cette fourniture du produit, objet de la recherche, représente un enjeu financier majeur pour les promoteurs de recherche à finalité non commerciale, notamment les promoteurs académiques.
En effet, « l’achat du médicament expérimental ou du dispositif médical testé, les éventuelles étapes de fabrication, ainsi que le stockage et la distribution vers les centres investigateurs, peuvent représenter jusqu’à 50 % du budget global d’une recherche clinique » précise le député ayant déposé l’amendement en collaboration avec Unicancer. Ces contraintes financières pèsent lourdement sur la faisabilité de nombreuses recherches à visée non lucrative.
Pour rappel, l’article L.5126-1 du Code de la santé publique encadre strictement les missions des pharmacies à usage intérieur (ci-après « PUI »). Ces structures, rattachées aux établissements de santé, sont notamment chargées d’assurer la gestion, l’approvisionnement, la détention, la préparation, le contrôle, la dispensation et la délivrance des médicaments aux patients hospitalisés ou suivis en ambulatoire. Elles peuvent également intervenir dans le cadre des recherches cliniques, en assurant la mise à disposition des médicaments expérimentaux ou des dispositifs médicaux nécessaires. Toutefois, les PUI ne peuvent actuellement céder ces produits qu’à d’autres structures autorisées, dans des conditions précisément définies par la réglementation. Dès lors, cela limite les possibilités de mutualisation et de rationalisation des achats dans le cadre de recherches académiques conduites sans pharmacie interne.
Il est rapporté dans l’argumentation de l’amendement que les promoteurs académiques qui ne disposent pas d’une PUI doivent « avoir recours à des prestataires de service habilités à effectuer les opérations nécessaires à la fourniture des produits de santé. » Or, lorsqu’ils délèguent l’achat à ces prestataires, ils perdent la possibilité de bénéficier de tarifs négociés auprès des fabricants, et doivent en outre s’acquitter d’un forfait d’achat supplémentaire.
Afin de lever cet obstacle, l’amendement propose d’autoriser à un promoteur sans PUI de déléguer l’achat des médicaments, dispositifs médicaux ou autres produits de santé à une PUI. Cette dernière devrait soit appartenir au même réseau que le promoteur (GCS ou autre groupement), soit être la PUI d’un établissement de santé participant à l’étude en tant que centre investigateur. Le texte prévoit également la possibilité, pour cette PUI, de revendre les produits de santé concernés à un prestataire de service autorisé, au prix d’achat majoré, le cas échéant, des frais liés à la gestion logistique.
Ainsi, cette proposition vise à faciliter l’accès aux produits de santé pour les promoteurs académiques ne disposant pas de PUI.
Des démarches allégées pour l’importation ou l’exportation d’éléments ou de produits issus du corps humain
Plusieurs mesures ont pour objectif de simplifier et clarifier les démarches administratives des promoteurs de recherches impliquant la personne humaine (RIPH) (ou relevant des règlements européens sur le médicament, le dispositif médical ou le dispositif médical de diagnostic in vitro ayant reçu une autorisation et/ou un avis favorable pour la mise en œuvre de la recherche afin qu’ils puissent importer ou exporter les échantillons nécessaires à la recherche sans accomplir de formalité supplémentaire.
Aujourd’hui, dans le cadre d’une recherche impliquant la personne humaine, la préparation et l’utilisation d’échantillons biologiques humains sont encadrées par le Code de la santé publique. Plus précisément, l’article L1243-3 précise qu’aucune démarche auprès du CODECOH n’est nécessaire pour ces activités dans le cadre d’une recherche clinique.
A l’instar des articles L1243- 3 CSP et R1233-49 CSP, le projet de loi simplification de la vie économique vient clarifier les formalités à accomplir en cas d’exportation ou d’importation d’échantillons biologiques humains en prévoyant explicitement qu’aucune démarche CODECOH ne sera requise.
Que prévoit le projet de loi ?
Trois grandes nouveautés sont proposées pour alléger les formalités liées à l’importation et à l’exportation de matériaux biologiques nécessaires à la recherche :
- Sang et ses dérivés Les promoteurs de recherches déjà autorisées (ou ayant reçu un avis favorable) pourront importer ou exporter du sang, de ses composants ou de ses produits dérivés sans devoir solliciter une autorisation supplémentaire. L’article L1221-12 CSP serait modifié en conséquence.
- Organes : La même simplification s’applique à l’importation et à l’exportation d’organes, dès lors que ceux-ci sont utilisés dans le cadre d’une recherche autorisée selon les textes applicables. L’article L1235-1 CSP serait modifié en conséquence.
- Tissus, cellules et dérivés: le projet de loi prévoit que lorsqu’une recherche impliquant tissus, dérivés et cellules issues du corps humain, reçoit une autorisation de l’ANSM et/ou un avis favorable du comité de protection des personnes, cette autorisation inclut automatiquement la possibilité d’importer ou d’exporter les dérivés, tissus ou cellules concernés. L’article L1243-4 CSP serait modifié en conséquence.
Ces évolutions sont particulièrement bienvenues pour les acteurs de la recherche clarifiant grandement le régime juridique applicable à l’importation et l’exportation des échantillons biologiques dans le cadre des recherches cliniques.
Une procédure dérogatoire à l’avis du CESREES envisagée avec la mise en place d’un comité scientifique et éthique local
Le projet de loi relatif à la simplification de la vie économique prévoit une modification de l’article 76 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (ci-après « LIL »). Cette modification introduirait une dérogation à l’obligation de solliciter l’avis préalable du Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (ci-après « CESREES »), s’agissant des études ou des évaluations ainsi que des recherches n’impliquant pas la personne humaine.
Elle introduit une notion nouvelle dans le dispositif juridique existant : celle de comité scientifique et éthique local, susceptible de se substituer au CESREES pour les études ou les évaluations ainsi que les recherches n’impliquant pas la personne humaine
Pour rappel, l’article 76 de la LIL encadre les conditions dans lesquelles les responsables de traitement peuvent engager des recherches, études ou évaluations dans le domaine de la santé, lorsqu’un traitement de données à caractère personnel est mis en œuvre. En principe, les études ou des évaluations ainsi que des recherches n’impliquant pas la personne humaine doivent être soumis à l’avis du CESREES, préalable à la demande d’autorisation auprès de la CNIL. Cet avis évalue la pertinence scientifique et éthique du projet, dans une logique de protection des droits des personnes concernées.
La nouvelle rédaction envisagée permettrait de dispenser de l’avis du CESREES les demandes d’autorisation relatives à des études, des évaluations ou des recherches n’impliquant pas la personne humaine, à condition qu’elles aient fait l’objet d’un avis favorable d’un comité scientifique et éthique local. Cette possibilité serait encadrée par un décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL. Il s’agit donc d’une évolution vers une forme de déconcentration de l’examen éthique, pour des projets à faible risque.
La composition de ces comités scientifiques et éthiques locaux, les modalités de désignation de leurs membres ainsi que leurs règles de fonctionnement devront respecter un cahier des charges établi au niveau national. Ce cahier des charges sera défini par un arrêté des ministres chargés de la santé et de la recherche, pris après avis du CESREES et de la CNIL.
Ainsi, pour les acteurs de la recherche cette modification pourrait permettre, pour certains projets, une délivrance plus rapide de l’avis éthique, et ainsi contribuer à réduire les délais nécessaires à l’obtention d’une autorisation de recherche. Reste à voir comment vont être mis en place ces comités scientifiques et éthiques locaux .
Ainsi, la modification de l’article 76 de la LIL s’inscrit pleinement dans la recommandation du rapport Marchand-Arvier sur l’utilisation secondaire des données (Recommandation n°11) d’instaurer des Comités scientifiques et éthiques locaux comme alternative au CESRESS pour les projets n’impliquant pas la personne humaine. Plus récemment, la Stratégie interministérielle pour construire notre patrimoine national des données de santé 2025 – 2028 évoquait aussi cette alternative.au point 9.2 « Réduire le recours aux procédures d’autorisation CNIL / CESREES ».
Maître Laurence Huin exerce une activité de conseil et de contentieux auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
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