jurisprudence administrative
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professionnels de santé libéraux et validité du déconventionnement en urgence

Article rédigé par Alice Agard

Conseil d’État – 1ère et 4ème chambres réunies, 11 février 2022 / n° 449199

Dans une décision du 11 février dernier, le Conseil d’Etat s’est prononcé en faveur de la légalité de la procédure de déconventionnement en urgence, prévue par un décret du 27 novembre 2020.

En l’espèce, plusieurs syndicats et fédérations de santé (dont le Syndicat des médecins libéraux (SML), le syndicat des biologistes (SDB), l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes)) contestaient cette procédure telle qu’elle résulte de l’article 1er du décret du 27 novembre 2020.

Outre la procédure de déconventionnement d’un professionnel de santé pour violation de ses engagements, l’article L 162-15-1 du code de la sécurité sociale prévoit une procédure d’urgence permettant à l’organisme de sécurité sociale une suspension des effets de la convention.
L’article R 162-54-10 du décret litigieux en fixe les conditions et modalités. Le déclenchement de la procédure d’urgence requiert ainsi une violation « particulièrement grave des engagements conventionnels d’un professionnel de santé (…) notamment dans les cas de nature à justifier, en présence d’un préjudice financier pour l’assurance maladie, le dépôt d’une plainte pénale » (c’est-à-dire pour une fraude constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret).
La procédure d’urgence ainsi prévue permet au directeur de la caisse du lieu d’exercice du professionnel de suspendre son conventionnement pour une durée maximale de 3 mois (et sous réserve d’avoir recueilli l’avis du directeur général de l’union nationale des caisses d’assurance maladie). Plusieurs modalités et conditions de délais doivent être en outre avoir été préalablement respectées, notamment : la communication au professionnel d’un courrier indiquant les faits reprochés, la mesure de suspension envisagée et sa durée ; un délai de 8 jours à compter de la notification de ce courrier « pour demander à être entendu, assisté le cas échéant de la personne de son choix, dans un délai qui ne saurait excéder quinze jours à compter de la même date » ; « Il peut également, dans ce délai de quinze jours, présenter des observations écrites ».

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat estime que la mesure de suspension en urgence du conventionnement pour une durée maximale de 3 mois revêt un caractère conservatoire et ne présente pas le caractère d’une sanction (contrairement à la mesure de déconventionnement elle-même). Dès lors, « les moyens tirés de que les dispositions attaquées méconnaîtraient les principes constitutionnels de présomption d’innocence, d’impartialité et la règle ” non bis in idem ” sont inopérants ».

La Haute juridiction administrative considère en outre qu’au regard de l’envoi du courrier précité au professionnel, la procédure d’urgence prévue par le décret ne méconnait pas la possibilité laissée au professionnel de présenter ses observations avant toute décision de suspension. Elle ne viole pas non plus le principe général des droits de la défense lesquels n’imposent pas « par eux-mêmes, ni d’organiser l’accès de l’intéressé aux pièces du dossier sur la base duquel la procédure est engagée, ni que soit précisé au professionnel, préalablement à la décision de suspension, si les faits reprochés sont de nature à justifier le dépôt d’une plainte pénale (…) ou les éléments caractérisant l’urgence, ou encore les voies et délais de recours contre la décision de suspension susceptible d’intervenir ».
Par ailleurs, le Conseil d’Etat estime que le délai laissé au professionnel (8 jours pour demander à être entendu et 15 jours pour son audition) tient compte de l’urgence attachée à la situation et constitue un « délai utile pour préparer ses observations orales », ne portant ainsi pas non plus atteinte au principe des droits de la défense.

Dans un second temps, le Conseil d’Etat considère que le principe de sécurité juridique ou l’objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme n’ont pas été méconnus par la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » dès lors que le décret la précise en renvoyant notamment « aux cas de nature à justifier, en présence d’un préjudice financier pour l’assurance maladie, le dépôt d’une plainte pénale », dispositions jugées suffisamment précises et non équivoques.

La prise en considération de l’ensemble de ces éléments conduit la Haute juridiction à rejeter le recours pour excès de pouvoir, et à valider ainsi la procédure de déconventionnement en urgence telle qu’elle est actuellement prévue.

 

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