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DÉLAI DE PRÉAVIS LORS DE LA RUPTURE D’UN CONTRAT D’EXERCICE LIBÉRAL

Article rédigé le 17 avril 2019 par Marina Debray

 

L’article 2 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016[1] réformant le droit des contrats a confirmé la jurisprudence antérieure interdisant les engagements perpétuels et permettant aux parties d’un contrat à durée indéterminée d’y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter un délai de préavis prévu contractuellement, ou à défaut, en respectant un délai de préavis raisonnable[2]. Deux décisions de jurisprudence très récentes précisent les modalités permettant de fixer le délai de préavis en cas de rupture d’un contrat d’exercice libéral entre un professionnel de santé et une clinique.

 

Dans un premier arrêt de la cour d’appel de Bordeaux en date du 28 février 2019[3], une clinique a rompu un contrat d’exercice libéral conclu verbalement avec un chirurgien vasculaire. En l’absence d’écrit, le médecin demandait l’application du délai de préavis de deux années prévu par le contrat type de l’Ordre des médecins, alors que la clinique faisait valoir qu’il était d’usage dans son établissement d’appliquer un délai de préavis de six mois dans les contrats d’exercice libéral, délai qu’elle considérait comme raisonnable.

La cour d’appel, faisant application de son pouvoir souverain d’appréciation[4], décide de faire prévaloir l’usage existant au sein de l’établissement de santé sur le contrat type de l’Ordre des médecins pour fixer le délai de préavis de la rupture contractuelle entre un médecin libéral et une clinique aux motifs que :

« en l’absence d’un contrat écrit, le régime juridique de l’exercice prolongé d’un médecin au sein d’un établissement privé doit être regardé comme une convention verbale à durée indéterminée résiliable sans motif à la seule volonté des parties, sous réserve de l’abus de droit, et que, soumise aux principes généraux du droit des contrats, cette convention peut donc faire application des usages, le modèle ordinal étant à cet égard également une référence d’usage. Enfin, un usage ancien et connu des praticiens au sein d’un établissement prime nécessairement le modèle général proposé par l’Ordre des médecins ».

L’établissement démontrant que le praticien avait connaissance de l’usage ancien et constant existant en son sein, il convenait donc d’appliquer le délai de préavis de six mois, et non le délai de préavis de deux ans tel que prévu dans le modèle de contrat-type de l’Ordre des médecins : le particulier prime sur le général.

 

Dans un second arrêt, rendu par la cour d’appel de Limoges en date du 19 mars 2019[5], une polyclinique a rompu les liens contractuels avec un médecin anesthésiste qui, après avoir conclu un contrat d’exercice libéral, a exercé dans le cadre d’une société d’exercice libérale constituée avec deux de ses confrères.

Le professionnel de santé alléguait que le délai de préavis de dix-huit mois stipulé dans son contrat d’exercice libéral devait s’appliquer, alors que la polyclinique sollicitait, sur le fondement de la caducité du contrat conclu avec le praticien personne physique et en l’absence de contrat écrit avec la SELARL, l’application d’un délai de préavis de six mois, conformément aux usages de la profession.

La cour d’appel de Limoges considère de prime abord que l’article R. 4113-1 du code de la santé publique interdisant à un professionnel de santé associé d’une société d’exercice libérale de cumuler cette forme d’exercice avec l’exercice à titre individuel, n’est pas d’ordre public, et qu’un contrat peut y déroger expressément, comme en l’espèce, écartant ainsi toute nullité du contrat d’exercice libérale pour ces motifs.

La juridiction en déduit que le contrat d’exercice libéral privilégié conclu entre le médecin et la polyclinique continue toujours d’exister malgré l’entrée du professionnel de santé au sein de la société d’exercice libérale et que, par conséquent, la polyclinique doit appliquer le délai de préavis de dix-huit mois prévu au sein du contrat d’exercice libéral privilégié (et fixé en fonction de l’ancienneté du praticien), et non pas le délai de préavis de six mois qui serait fondé sur les usages de la profession.

La cour a d’ailleurs précisé que le choix d’un professionnel de santé de ne pas poursuivre sa relation professionnelle avec la polyclinique pour partir exercer dans le secteur public ne saurait constituer une faute de nature à le priver, totalement ou partiellement, de son droit à indemnisation, du fait de la réalisation brutale du contrat d’exercice libéral.

Mais la solution aurait été certainement différente dans l’hypothèse où le contrat écrit entre le professionnel de santé et la clinique ne prévoyait pas expressément une dérogation à l’interdiction de cumuler un exercice individuel avec un exercice au sein d’une société d’exercice libéral, ou encore dans l’hypothèse d’un contrat écrit entre la société d’exercice libéral nouvellement rejointe par le praticien et la clinique prévoyant expressément un délai de préavis.

À titre d’exemple, une cour d’appel a pu considérer que la polyclinique devait respecter un délai de préavis de six mois conformément aux usages de la profession, puisque la société d’exercice libérale prévoyait dans ses statuts l’interdiction pour les professionnels de santé associés d’exercer à titre individuel en vertu de l’article R. 4113-1 du code de la santé publique[6].

 

Marina DEBRAY, élève-avocate

 

 


[1] Articles 1210 et 1211 du code civil insérés par l’article 2 de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

[2]Conseil constitutionnel 9 novembre 1999 n°99-419 et Cour de cassation, Chambre civile 1, 16 mai 2006 LPA 12 juillet 2006.

[3]Cour d’appel de Bordeaux, 1èreChambre civile, 28 février 2019, n°17/03109.

[4]Cour de cassation, Chambre civile 1, 11 mai 2017, n°16-15695

[5]Cour d’appel de Limoges, Chambre civile, 19 mars 2019, n°17/01305.

[6]Cour d’appel de Grenoble, 6 mars 2018, n°15/05431.