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Harcèlement sexuel à l'hôpital
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Harcèlement sexuel à l’hôpital et enquête administrative

Article rédigé le 27 mai 2024 par Me Guillaume Champenois

Le mouvement #Metoo vient de franchir timidement les portes de l’hôpital. Madame Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint Antoine, a révélé au travers un article de Paris Match avoir fait l’objet d’un harcèlement sexuel et moral de la part d’un praticien urgentiste. Le harcèlement sexuel défini à l’article 222-33-2 du code pénal est une réalité quotidienne pour nombres de professionnelles exerçant à l’hôpital. Comment mener une enquête administrative ? Quand et comment saisir le Procureur de la République ? Faut-il suspendre l’agent présumé auteur du harcèlement moral ? Si oui, qui est compétent pour le faire ? La réponse dans cet article.

 

 

 

 

Le site internet France Info a mis en ligne récemment un article dont le titre est le suivant ; « #MeToo à l’hôpital : l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn raconte le harcèlement qu’elle a subi lorsqu’elle était médecin ». Cet article du 7 mai 2024 fait le constat d’une libération de la parole sur le harcèlement sexuel au sein des hôpitaux publics dans la continuité du témoignage de madame Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine laquelle a rendu public, par l’intermédiaire d’un article paru dans le magazine Paris Match, le fait d’avoir subi du harcèlement sexuel et du harcèlement moral de la part de l’un de ses confrères urgentistes.

 

La dénonciation d’une situation de harcèlement sexuel est une réalité pour tout directeur d’un établissement public santé ou médico-social.

En effet, il n’est pas rare que le directeur d’un tel établissement soit destinataire d’un courrier ou d’un courrier électronique émanant d’un agent imputant à un autre professionnel de l’établissement un comportement qualifié d’inadapté et qui présente en réalité toutes les caractéristiques d’un harcèlement sexuel.

Une telle dénonciation ne doit jamais être négligée par l’employeur public.

En effet, aux termes de l’article L 133-1 du code général de la fonction publique, « aucun agent public ne doit subir les faits : 1° De harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2° Ou assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

Surtout, le harcèlement sexuel est une infraction pénale (article 222-33-2 du code pénal) tout comme le harcèlement moral (article 222-33-2-2 du code pénal).

Comme nous le verrons ci-après, cela pose nécessairement la question de l’avis à donner au Procureur de la République de la connaissance d’une telle infraction au visa et sur le fondement des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale.

Cela pose aussi et surtout la question de l’instruction d’une telle dénonciation à l’autorité administrative employeur.

 

Comment instruire la dénonciation d’un harcèlement sexuel ?

On peut distinguer schématiquement trois hypothèses, celle d’une dénonciation ne présentant aucun caractère de vraisemblance ou de sérieux, celle d’une dénonciation présentant un caractère de vraisemblance suffisant conduisant à considérer que nous sommes en présence d’une véritable présomption laquelle doit faire l’objet d’une confirmation ou d’une infirmation, et enfin l’hypothèse où l’agent public apporte la preuve incontestable de la matérialité dudit harcèlement.

Dans cette dernière hypothèse, l’analyse et les actions à mener sont simples. Le harcèlement moral comme le harcèlement sexuel sont des fautes disciplinaires d’une gravité certaine justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire parmi les plus lourdes.

Pour les fonctionnaires, il conviendra de saisir le conseil de discipline dans les règles et prescriptions des dispositions du code général de la fonction publique et du décret relatif à la procédure disciplinaire dans la fonction publique hospitalière.

Pour les praticiens nommés à titre permanent, l’autorité titulaire du pouvoir de nomination et détentrice du pouvoir disciplinaire n’est pas le directeur de l’établissement employeur mais la directrice générale du centre national de gestion. De fait, il incombe alors au chef d’établissement de saisir l’intéressée sans délai et de solliciter de sa part non seulement l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du praticien harceleur mais également sa suspension à caractère conservatoire.

C’est donc au centre national de gestion et à lui seul de prendre ici cette responsabilité.

Par ailleurs, le harcèlement sexuel comme le harcèlement moral étant des infractions pénales, dans cette hypothèse d’une démonstration avérée de l’existence d’un harcèlement sexuel, le directeur d’établissement doit également adresser au Procureur de la République un signalement au visa et sur le fondement des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale qui prescrit à tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

C’est ici une obligation légale confortée par les dispositions de l’article L 121-11 du code général de la fonction publique lequel dispose que « les agents publics se conforment aux dispositions du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale pour tout crime ou délit dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. »

Au-delà de cette gestion strictement juridique, il ne faut cependant pas négliger la gestion d’une telle situation sur le terrain de la santé au travail. Il est ici nécessaire de recevoir l’agent pour lui rappeler ses droits, notamment son droit à déposer une demande d’imputabilité au service de ses arrêts de travail comme son droit à bénéficier de la protection fonctionnelle, mais aussi et surtout pour s’assurer de son état de santé. Si nécessaire, il conviendra de saisir le service de santé au travail afin que l’agent soit convoqué au plus vite par le médecin du travail.

En outre, dans l’hypothèse où la dénonciation d’une situation de harcèlement, sexuel comme moral, est opérée par plusieurs professionnels d’un même service, la direction de l’établissement pourra ici saisir la formation spécialisée du comité social d’établissement dans la finalité de mettre au vote la réalisation d’une visite de service dont la mission sera d’appréhender la situation sur le terrain des conditions de travail et des éventuels risques pour la santé des professionnels. À l’issue de cette visite de service, une restitution sera opérée en séance et il sera dressé un procès-verbal qui formulera des recommandations à l’employeur.

Dans l’hypothèse où la dénonciation ne présente aucun caractère sérieux ou aucun caractère de vraisemblance, l’employeur public doit faire le constat qu’il ne dispose pas, en l’état des pièces et informations transmises à son attention d’éléments suffisant permettant de caractériser l’existence d’une situation de harcèlement.

Concrètement, cela induit d’adresser à l’agent une réponse écrite qui expose que les éléments portés à la connaissance de la direction ne permettent pas, en l’état, de caractériser une présomption de harcèlement sexuel.

La gestion d’une telle situation est ici fonction des circonstances propres à chaque dossier.

Pour autant, il est également ici opérant de recevoir l’agent. En effet, si l’agent est ici possiblement dans un simple ressenti d’une situation qui, dans les faits, ne révèle aucun harcèlement moral ou aucun harcèlement sexuel, ledit ressenti peut néanmoins générer une réelle souffrance qui peut être particulièrement préjudiciable pour sa santé. Or, l’employeur hospitalier a, comme tout autre employeur, une obligation de moyen renforcé en termes de santé au travail.

Ainsi, en fonction des constatations opérées durant l’entretien, le chef d’établissement ou son adjoint en charge des ressources humaines, pourront saisir le service de santé au travail afin que l’agent soit convoqué par le médecin du travail.

Au-delà de cette légitime préoccupation, recevoir l’agent est opérant pour lui expliquer la notion même de harcèlement qui implique la réitération de faits et non pas l’expression d’un ressenti. Il pourra ainsi lui être expliqué qu’il est nécessaire de viser des faits précis. C’est plus opérant et efficace que la seule notification d’un courrier de rejet.

Dans l’hypothèse où les faits dénoncés par l’agent présentent un caractère de vraisemblance, la direction de l’établissement doit ici chercher à confirmer ou à infirmer l’existence d’un tel harcèlement sexuel par tout moyen à sa disposition. Ce faisant, à la différence des deux précédentes hypothèses, la nécessité de confirmer ou infirmer la présomption de harcèlement sexuel ainsi établie par l’agent doit conduire à ordonner l’ouverture d’une enquête administrative.

Enfin, tout comme dans les hypothèses précédentes, il conviendra également de recevoir l’agent et d’évoquer avec lui les faits ainsi dénoncés et de s’assurer de son état de santé.

 

Comment mener une enquête administrative ?

En dehors du chapitre IV du titre 1er du livre 1 du code de la sécurité intérieur portant sur les enquêtes administratives dans le cadre du recrutement de professionnels occupant des emplois très spécifiques et mises en œuvre au visa de l’article L 114-1 dudit code, aucun autre texte n’encadre l’ouverture comme n’encadre le déroulement d’une enquête administrative.

L’enquête administrative visant à établir la matérialité d’un fait fautif dans l’exercice des fonctions d’un agent public donc n’est pas normée par un texte législatif ou règlementaire. Le code général de la fonction publique n’en fait pas mention. C’est la jurisprudence du conseil d’État qui en a fixé, au fil des années, les contours et les limites.

En premier lieu, il n’existe aucun texte législatif ou règlementaire comme aucun principe général du droit qui conduit à contraindre l’autorité administrative employeur à diligenter ou ordonner une enquête administrative. Le corollaire de ce constat est que relevant du libre pouvoir d’appréciation de l’administration, la décision consistant à diligenter une enquête administrative interne est une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours (Cour administrative d’appel de Paris – 4ème chambre 11 mars 2022 / n° 21PA04591 : « La décision de procéder ou non à une enquête interne constitue une mesure d’ordre intérieur »).

En deuxième lieu, l’enquête administrative n’est pas un acte de procédure pénale et la retranscription des entretiens ne s’analysent pas tout à fait comme des procès-verbaux d’un service d’enquête judiciaire. Plus précisément, nous sommes ici sur des comptes rendus d’entretien lesquels n’ont pas nécessairement à être co-signés par la personne entendue. Il ne ressort en effet d’aucun texte que la personne entendue dans le cadre d’une enquête administrative doit signer la retranscription des réponses apportées aux questions qui lui sont posées.

En troisième lieu, l’enquête administrative n’est pas une procédure disciplinaire de sorte que l’agent entendu n’a aucun droit à être assisté de la personne de son choix comme il n’a aucun droit à exiger une quelconque confrontation. Ce faisant, si ce n’est pas un droit pour l’agent, rien ne fait obstacle à ce que l’administration employeur accepte que l’agent entendu soit assisté d’une tierce personne mais de préférence un représentant du personnel de l’établissement.

Ce faisant, l’actualité de la jurisprudence des juridictions administratives conduit à devoir se poser la question du droit de se taire de l’agent entendu par une délégation d’enquête et donc de refuser de répondre aux questions.

 

En l’état de la jurisprudence, le droit de se taire lors de la procédure disciplinaire ne s’étend pas à l’enquête administrative

Comme précisé précédemment, l’enquête administrative n’est pas normée et aucun texte ne pose le principe que l’agent entendu dispose du droit de se taire et donc ne pas répondre aux questions qui lui sont posées. Ce faisant, par un arrêt du 2 avril 2024 rendu sous le numéro 22PA03578, faisant suite à une décision du conseil constitutionnel n°2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris a jugé ceci ;

« 2. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ” Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi “. Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

Le principe ainsi dégagé par la jurisprudence est simple. L’agent à l’encontre duquel est engagé une procédure disciplinaire doit être informé qu’il a le droit de se taire.

Ce faisant, la jurisprudence du conseil d’Etat est constante quant au fait qu’une enquête administrative n’est pas assimilable à une enquête disciplinaire raison d’ailleurs pour laquelle la haute juridiction administrative dénie à l’agent le droit d’être assisté par le défenseur de son choix lors de son audition par la délégation d’enquête.

Aussi, faut-il craindre une évolution de la jurisprudence qui conduirait  à devoir informer chaque agent entendu dans le cadre d’une enquête administrative qu’il a le droit de se taire et donc de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées ?

En droit, le conseil constitutionnel vise bien les seules procédures disciplinaires dans sa décision du 8 décembre 2023 précitée. Le juge administratif a fait de même dans son arrêt de la CAA de Paris du 2 avril 2024. Ainsi, le fait que le conseil d’Etat juge de manière constante que l’enquête administrative n’est pas assimilable à une procédure disciplinaire conduit à faire le constat que l’agent entendu dans le cadre de l’enquête administrative ne devrait avoir aucun droit de se taire et donc de refuser de répondre aux questions.

En opportunité, informer l’ensemble des agents entendus qu’ils ont le droit de se taire et donc de ne pas répondre aux questions de la délégation d’enquête va à l’encontre même du principe de l’enquête administrative. Il apparait ici inopérant d’inviter ou de proposer à un agent qui est entendu en tant que seul témoin de se taire. C’est d’autant moins opérant que le droit de se taire a pour objectif de s’assurer que l’agent puisse ne pas s’accuser et reconnaître la matérialité de la faute. La Cour administrative d’appel de Paris motive son arrêt ainsi ; « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi “. Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. »

C’est ici un point qui n’est pas anodin alors que la jurisprudence considère qu’un grief reproché à l’agent public est établi dès lors que l’intéressé l’a reconnu (arrêt du 30 avril 2024 de la CAA de Lyon rendu sous le numéro 22LY02714).

eOr, la présumée victime comme la personne simplement témoin d’une scène ou d’un fait ne saurait « s’accuser » en répondant aux questions qui lui sont posées.

Ce faisant, la question se pose avec plus d’acuité pour la personne qui est entendue comme auteur présumé d’un harcèlement sexuel . En effet, si la procédure d’enquête administrative n’est pas une procédure disciplinaire, les propos, explications et autre observations formulées par l’agent entendu dans le cadre de l’enquête pourront être utilisés contre lui ultérieurement au cours de la procédure disciplinaire.

De fait, pour prévenir tout risque juridique, il peut paraître opérant d’informer cet agent qu’il a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées. C’est ici une précaution qui permet de sécuriser la procédure d’enquête.

Au demeurant, dans les faits, on constate en réalité que les agents ainsi mis en cause sont plutôt en demande d’être entendu et plus précisément d’être entendu en la présence de leur conseil. Ils sont attachés à combattre l’imputation de harcèlement sexuel formulée à leur encontre. Aussi, l’information ainsi délivrée que l’agent concerné dispose du droit de se taire ne devrait pas constituer une difficulté prégnante pour finaliser l’enquête administrative.

 

La bonne méthodologie pour réaliser l’enquête administrative

Au-delà de ces points de droit, la question de l’enquête administrative pose nécessairement la question de son déroulé, de celle des questions pouvant ou devant être posées, de celle de la synthèse des comptes rendus d’entretien. Autrement formulé, et c’est là un point à ne pas négliger, diligenter une enquête administrative c’est aussi adopter une méthodologie rigoureuse permettant de garantir la confidentialité des échanges comme la nécessaire objectivation des faits.

La première étape est celle de la constitution d’une délégation d’enquête et la fixation de la lettre de mission du chef d’établissement à son attention laquelle doit être rédigée de manière neutre et doit présenter un périmètre suffisamment large pour permettre aux membres de la délégation d’enquête d’entendre l’ensemble des professionnels susceptibles d’apporter un éclairage sur les faits portés à la connaissance de la direction et présentés comme des faits de harcèlement sexuel.

Si l’imputation de harcèlement sexuel est opéré à l’encontre d’un praticien, la délégation d’enquête sera opportunément composé d’un ou plusieurs membres de la gouvernance médicale (PCME ou chef de pôle) et d’un représentant de la direction en la personne, par exemple, du directeur des affaires médicales.

Dans un deuxième temps, il convient de préparer en amont des entretiens la liste des questions qui seront posées aux professionnels entendus par la délégation d’enquête. Celles-ci doivent être parfaitement objectives ; Avez-vous fait l’objet de propos répétés à connotations sexuelle ? monsieur X a-t-il formulé des avances sexuelles ? Monsieur X a-t-il apposé ses mains sur une partie de votre corps et si oui laquelle ou lesquelles ? Peut on objectivement qualifié monsieur X de « tactile » et si oui pourquoi ? Pouvez-vous situez le lieu et la date des faits ? Avez-vous été témoin de propos à connotation sexuelle de la part de monsieur X ? Si oui pouvez-vous dater les faits ? etc…

La nature des questions sera naturellement fonction de la nature du harcèlement dénoncé et il conviendra de tenir compte des caractéristiques propres au harcèlement moral comme des caractéristiques propres au harcèlement sexuel.

Il faut faire preuve d’une capacité d’adaptation et donc savoir rebondir sur une réponse qui permet d’ouvrir un autre champ de questions et de réponses même si cela conduit évoquer un comportement fautif qui va, dans sa nature, au-delà dudit harcèlement sexuel.

Pour ce qui concerne l’ordre des entretiens, on peut conseiller d’entendre en premier lieu la personne ayant dénoncé les faits de harcèlement sexuel auprès de la direction. A cette occasion, il pourra être demandé à l’agent d’étayer ses propos par des exemples précis et concret outre la communication de toute pièce, tout témoignage à l’appui de son propos.

Si la dénonciation vise nominativement un ou une professionnelle de l’établissement, celle-ci devra nécessairement être entendue par la délégation d’enquête. Il est ici préférable de l’entendre en dernier, une fois que la délégation d’enquête dispose de l’ensemble des comptes rendu d’entretien de l’ensemble des professionnels entendus. C’est ici la logique du cercle concentrique. Après avoir entendu la présumée victime, il faut commencer les entretiens dans un ordre qui évoque un cercle qui se resserre petit à petit jusqu’à la personne même à l’encontre de laquelle est dénoncé des faits de harcèlement sexuel.

Le point le plus important est celui de la bonne rédaction des comptes rendus d’entretien. Par bonne rédaction, il faut entendre une rédaction qui reflète avec précision les réponses des agents entendus sur les questions précises et objectives posées par les membres de la délégation d’enquête.

Une rédaction trop générale et peu précise préjudicie à la démonstration de la matérialité d’un fait fautif. Cela fragilise donc l’ensemble de la procédure d’enquête administrative.

Dernière étape de l’enquête administrative, il faut établir un rapport de synthèse de l’enquête administrative ou rapport d’enquête. Un tel rapport ne se limite pas à la retranscription de tels ou tels entretiens. Il est le reflet de l’analyse de la délégation d’enquête sur les faits dénoncés à la lumière des informations, pièces et témoignages recueillis quant à l’existence ou non de faits laissant présumer un harcèlement. Cela induit de maîtriser a minima la notion juridique de harcèlement sexuel comme la notion de harcèlement moral.

Ce rapport d’enquête administrative, une fois finalisé, a vocation à être adressé au chef d’établissement lequel doit en accuser réception et donner ses instructions qui découlent des conclusions de ladite enquête.

Si l’enquête administrative conclut à l’existence d’un harcèlement sexuel, le chef d’établissement doit alors donner instruction de l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Tout autant, il doit saisir sans délai le ministère public au visa et sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale s’il ne l’a pas déjà fait.

A l’inverse, si les conclusions de l’enquête conduisent à constater qu’il n’existe pas d’éléments permettant de confirmer l’imputation d’un harcèlement, l’autorité administrative employeur doit clore le dossier.

Durant le déroulé de l’enquête, la direction pourra utilement faire passer le message dans le service que l’agent mis en cause est présumé innocent des faits qui lui sont imputés et que l’enquête administrative interne n’est pas une procédure disciplinaire.

 

Faut-il prononcer la suspension à caractère conservatoire de l’agent visé par des imputations de harcèlement sexuel ?

Lorsqu’il est établi qu’un agent public a commis des faits de harcèlement sexuel ou que les faits ainsi imputés présentent un caractère de vraisemblance suffisant pour considérer que lesdits faits ont eu lieu, il est pertinent de prononcer la suspension à caractère conservatoire de l’agent.

Si cela ne pose aucune difficulté pour les fonctionnaires (suspension prononcée au visa du code général de la fonction publique) comme pour les agents contractuels (suspension prononcée au visa du décret n°91-155 du 6 février 1991), il en est tout autrement pour les praticiens nommés à titre permanent. En effet, pour ces professionnels, seule la directrice générale du centre national de gestion est juridiquement compétente pour prononcer la suspension à caractère conservatoire du praticien hospitalier en prévision de l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

Si le chef d’établissement peut suspendre un praticien hospitalier si des circonstances exceptionnelles révèlent tout à la fois une mise en péril du patient et une mise en péril de la continuité du service, ce n’est ici qu’une simple tolérance prétorienne. Elle a d’ailleurs tendance à se restreindre de plus en plus année après année, le juge administratif considérant que le recours à cette mesure de suspension à caractère conservatoire ne doit pas devenir un mode de gestion habituelle des comportements fautifs des praticiens.

La suspension conservatoire d’un praticien hospitalier au motif qu’il est établi qu’il a commis du harcèlement sexuel sans que ne soit démontré l’existence d’une telle situation exceptionnelle conduira invariablement à l’annulation de la mesure de suspension par le juge administratif.

A titre d’exemple, dans un jugement du 1er juillet 2021 rendu sous le numéro 1806768 le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de suspension prononcée par un directeur d’établissement à l’encontre d’un praticien par les considérants suivants ;

« Le 25 janvier 2018, deux autres infirmières de bloc opératoire ont informé le directeur du centre hospitalier de X qu’elles faisaient également l’objet de la part de M. Y de gestes et remarques particulièrement indélicats. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et en particulier d’une feuille d’événement indésirable datée du 16 décembre 2015 et des témoignages de praticiens recueillis par le directeur du centre hospitalier de X, que le comportement regrettable de M. Y, qui est défavorablement connu pour son attitude inconvenante à l’égard des femmes, imposant des contacts physiques non désirés et multipliant gestes choquants et remarques dégradantes à caractère sexuel, est notoire depuis plusieurs années au sein de l’établissement. Le centre hospitalier X n’apporte aucun élément de nature à établir que la poursuite de l’activité hospitalière de M. Y était de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service ou la sécurité des patients. Dans ces circonstances, M. Y est fondé à soutenir qu’en le suspendant de ses fonctions par la décision attaquée, le directeur du centre hospitalier de X a fait une inexacte application des principes rappelés au point 2 et, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à demander l’annulation de cette décision, ainsi que de la décision de rejet de son recours gracieux. »

La direction d’un établissement public de santé est donc ici totalement dépendant du centre national de gestion et ce n’est pas sans poser de réelles et récurrentes difficultés.

Or, il est rare que l’on puisse faire la démonstration d’une mise en péril tout à la fois du patient et de la continuité du service en raison d’un harcèlement sexuel commis par un praticien sur une infirmière et ou une aide-soignante ou a préjudice de l’une de ses consœurs.

Dans les faits, un directeur d’établissement peut donc se retrouver dans une situation où il est démontré la réalité d’une situation de harcèlement sexuel au préjudice du personnel féminin de l’établissement par un praticien hospitalier nommé à titre permanent sans que ledit praticien ne soit suspendu du fait de l’absence de toute mesure prise en ce sens par le centre national de gestion.

 

En conclusion

L’expérience de ces dossiers montre que l’enquête administrative est le plus souvent indispensable. Elle permet de disposer d’une vision claire de la situation et permet de contribuer à la libération de la parole au sein du service. Au-delà de cette instruction d’une dénonciation d’un harcèlement sexuel porté à la connaissance de la direction d’un établissement, il est pertinent de s’inscrire au long cours dans une logique de prévention. Il faut bien percevoir que nous sommes ici, au-delà du débat juridique, sur un sujet de savoir être et que nombres de personnels médicaux n’ont toujours pas compris qu’il est des comportements qui n’ont plus lieu d’être.

Sur ce terrain de la prévention, la direction d’un établissement public de santé peut utilement recourir à la formation spécialisée du comité social d’établissement pour proposer aux représentants du personnel y siégeant différentes actions communes sur le terrain de la prévention. C’est ici l’opportunité de les amener à réaliser des actions de prévention concrètes aux côtés de l’employeur ce qui ne peut être que bénéfique sur le terrain du dialogue social.

La seule réelle difficulté prégnante et hautement problématique à laquelle un chef d’établissement est aujourd’hui confrontée dans ce type de dossier c’est lorsque la dénonciation portée à sa connaissance vise un praticien hospitalier nommé à titre permanent. En effet, en pareille hypothèse, l’action du chef d’établissement se limite à pouvoir engager une enquête administrative et, le cas échéant, à saisir le procureur de la République. Le chef d’établissement est ici totalement dépendant du centre national de gestion et donc de son bon vouloir. Si l’enquête administrative interne confirme la présomption de harcèlement sexuel, le chef d’établissement sera néanmoins totalement dépourvu pour écarter temporairement du service l’intéressé. Il demeure dépendant du bon vouloir du centre national de gestion.

Cela pose, dans les faits et au quotidien, de graves et récurrentes difficultés.

 

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).