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Hopitaux GHT à quelles conditions mutualiser les tresoreries et les investissements ?
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HÔPITAUX : À QUELLES CONDITIONS MUTUALISER LES TRESORERIES ET LES INVESTISSEMENTS ?

Article rédigé le 24 septembre 2019 par Me Stéphanie Barré-Houdart

Une plus grande intégration au sein des GHT suppose de s’engager vers la voie de la mutualisation des trésoreries et des investissements et vers une forme de solidarité financière. Pour ce faire des outils juridiques et opérationnels sont nécessaires mais aussi une refondation de la gouvernance des GHT.

 

« Le cheval est dangereux devant, dangereux derrière et inconfortable au milieu »

  • Winston Churchill

 

La poursuite de l’intégration au sein des GHT dont on ne discutera pas ici de l’opportunité tant elle s’apprécie en regard des caractéristiques et des contraintes propres à chaque territoire ne peut se poursuivre sans que soient donnés aux hôpitaux les moyens d’une coopération voire d’une union en matière de financement et d’investissement.

L’occasion nous est donnée d’envisager l’opportunité offerte aux établissements par la récente réforme législative de mutualiser leurs trésoreries et d’apprécier les outils à disposition pour mener en commun des projets d’investissements d’intérêt territorial.

 

Vers l’intégration financière dans les GHT ?

L’article L. 6132-5-1 du code de la santé publique introduit par l’article 37 de la loi n°2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé participe au dispositif mis en place pour « accompagner les établissements volontaires pour davantage d’intégration»[1]au sein des groupements hospitaliers de territoire (GHT).

Il dispose :

« Les établissements parties à un même groupement hospitalier de territoire peuvent être autorisés par le directeur général de l’agence régionale de santé, dans des conditions prévues par décret en Conseil d’Etat, au regard de l’intention et des capacités de l’ensemble des établissements parties, à :
1° Mettre en commun leurs disponibilités déposées auprès de l’Etat, par dérogation aux articles L. 312-2, L. 511-5 et L. 511-7 du code monétaire et financier et à l’article L. 6145-8-1 du présent code ;
2° Elaborer un programme d’investissement et un plan global de financement pluriannuel uniques par dérogation aux 4° et 5° de l’article L. 6143-7 ;
3° Conclure avec l’agence régionale de santé, par dérogation à l’article L. 6114-1 et au 1° de l’article L. 6143-7, un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens unique pour l’ensemble des établissements du groupement.
 »

Ainsi, les établissements publics de santé, parties au même GHT, peuvent opter pour la mutualisation de leurs trésoreries, la présentation consolidée d’un programme d’investissement et d’un PGFP uniques, et la conclusion d’un seul CPOM, sous réserve de l’accord du directeur général de l’ARS. Un décret en Conseil d’Etat doit définir les conditions de délivrance de l’autorisation par la tutelle régionale qui devra prendre en compte « l’intention et les capacités de l’ensemble des établissements parties. »

Ce qui d’une part suppose la consultation de chacun des établissements du GHT pour juger de leur intention et d’autre part une appréciation du Directeur général de l’ARS de leurs capacités plus ou moins en opportunité[2].

Une première question vient immédiatement à l’esprit :  le recours à ces options impose-t-il l’adhésion et la participation de tous les établissements parties au GHT sachant que le principe d’autonomie juridique et financière des établissements publics de santé, non encore aboli, devrait interdire de l’exiger d’un hôpital qui y serait opposé ?

 

Mutualisation de trésorerie : du cash pooling en secteur public ?

Sur le fond, nous nous intéresserons ici, plus particulièrement à la mise en commun des disponibilités.

L’objectif du législateur est éclairé par l’étude d’impact[3] :

« Enfin, il s’agit de permettre aux établissements membres d’un groupement, lorsqu’ils sont volontaires pour davantage d’intégration, de faire un pas supplémentaire dans la mutualisation de certaines compétences, ce qui n’est pas actuellement permis par la loi, en mettant en place un droit d’option.

Plusieurs champs sont visés dans ces dispositions :

– La mutualisation de la trésorerie, pour permettre à la fois de compenser en gestion des mouvements d’activité internes au groupement et résultant du projet médical, mais aussi de sécuriser et de professionnaliser la gestion de la trésorerie.

L’objectif est donc de permettre la mise en place, soit d’un système de gestion centralisée de la trésorerie (« cash pooling ») au sein des groupements hospitaliers de territoire, soit un système plus léger, inspiré des prêts et avances des collectivités territoriales, permettant des avances de trésorerie ponctuelles et infra-annuelles entre les établissements membres via l’établissement support. Cette disposition implique donc de faire entrer cette mission dans le champ de compétences de établissements hospitaliers, et de déroger au principe de monopole bancaire et à l’obligation des établissements publics de santé de déposer leurs fonds disponibles auprès de l’Etat ; (…) »

L’article L. 6132-5-1 du code de la santé publique en donnant cette compétence aux établissements publics de santé parties au GHT et en autorisant les dérogations aux articles L. 312-2, L. 511-5 et L. 511-7 du code monétaire et financier (monopole bancaire) et à l’article L. 6145-8-1 du code de la santé publique (obligation de dépôt des disponibilités au trésor) met à disposition le cadre légal nécessaire.

Si l’on se veut ambitieux, que pourrait être un système de véritable cash pooling au sein d’un GHT ?

Si l’on s’inspire du modèle existant dans les groupes de sociétés privées, le schéma pourrait être le suivant :

L’établissement support joue le rôle de la société centralisatrice et dispose d’un compte centralisateur. Les autres établissements détiennent des comptes dits centralisés.

Dans le compte centralisateur sont regroupés les soldes positifs des établissements dont les trésoreries sont excédentaires et à partir de ce compte sont effectués les avances de trésorerie aux membres qui ont un besoin de financement à court terme.

La facturation d’intérêts aux établissements déficitaires au bénéfice des établissements prêteurs doit par ailleurs inciter à une gestion optimale de la trésorerie de chacun.

Dans les groupes privés, le principe est que seul le compte centralisateur peut être déficitaire et le cas échéant recourir à une ligne de trésorerie, les comptes centralisés devant en fin de journée comptable être à l’équilibre.

Si chacun des établissements parties garde un compte au trésor, des mouvements doivent donc être organisés entre les comptes 515 des établissements centralisateur et centralisés.

La mise en place d’une centralisation de trésoreries suppose que l’ensemble des comptes soit piloté par une même entité qui met en place une plateforme de cash management permettant le balayage périodique des soldes et le calcul des rémunérations à payer ou à recevoir des différents membres : rôle attribué dans le secteur commercial aux banques.

Est-ce le trésor qui va assurer un tel rôle, dispose-t-il des outils notamment de systèmes d’information le permettant ?

Bien sûr, l’ambition peut être plus mesurée : il peut s’agir d’organiser non pas une centralisation de trésorerie mais des avances ponctuelles et des prêts entre établissements parties à un GHT…

En tout état de cause, il est impératif de rappeler qu’une mutualisation de trésorerie n’appelle aucune solidarité effective entre les membres, que chacun reste créancier de ses avoirs et débiteur de ses créances, qu’elle n’emporte aucune confusion de patrimoine.

L’autre volet de l’intégration porte sur les investissements qui présente un intérêt territorial ou autrement dit qui s’inscrit dans le projet porté par le GHT.

 

GHT : l’investissement commun porté par l’établissement support ?

Relevons en premier lieu qu’aucune disposition n’organise à ce jour de forme de co-propriété entre établissements parties d’un GHT.

Le GHT ne disposant pas de la personnalité morale, tous les engagements juridiques pris au nom du GHT le sont par l’établissement support sans que les textes n’aient prévu ni organisé une quelconque responsabilité des établissements parties.

De même, tous les investissements qui seront réalisés seront supportés par l’établissement support qui devra, en tant que de besoin, s’endetter à ce titre[4].

L’établissement support devra également supporter, en trésorerie, les conséquences des délais de paiement des établissements parties au GHT, étant rappelé que les personnes morales de droit public ne peuvent être l’objet de voies d’exécution forcée, les deniers et propriétés publics étant insaisissables[5].

 

Surtout et en l’état des textes, il ne devrait être légitime à porter un investissement pour le compte d’un GHT que s’il conduit à la réalisation d’un équipement servant les fonctions et activités qui lui sont transférées en qualité d’établissement support au titre de l’article L. 6132-3 du code de la santé publique[6]. Il n’a pas vocation à devenir la SCI des autres établissements parties…

 

L’investissement commun porté par un GCS ?

Les GCS qui disposent de la personnalité morale et d’une pleine capacité juridique sont en droit de réaliser et de gérer toutes formes d’équipements dès lors qu’ils répondent à l’intérêt commun de ses membres et ce, conformément à l’article L. 6133-1 du code de la santé publique.

Il est ainsi en capacité de revêtir la qualité de maître de l’ouvrage, de passer tout contrat utile et de recourir à tous types de financements : capitaux propres, financements bancaires, subventions ARS/ collectivités territoriales, prêts accordés par ses membres y compris publics.

Cependant les actes constitutifs (convention constitutive et règlement intérieur) doivent être soigneusement élaborés afin de préserver l’intérêt de chacune des parties et éviter que la défaillance ou la carence de l’une d’elles n’entraîne une charge indue pour d’autres.

Il sera relevé que les textes légaux et réglementaires laissent une large part d’appréciation aux rédacteurs.

  • Le régime permet une réelle codécision des membres du groupement selon des règles librement décidées par la convention constitutive, proportionnellement à leurs apports ou à leur participation aux charges de fonctionnement (articles L. 6133-4, R. 6133-1, R. 6133-2, R. 6133-3). Cette codécision concerne un champ extrêmement étendu (article R. 6133-26). Les règles de quorum (article R. 6133-25) et de majorité (article R. 6133-26) à l’assemblée générale sont particulièrement protectrices des intérêts bien compris de chacun des membres.
  • Il permet également une juste répartition des charges entre les membres du groupement selon des règles librement déterminées qui doivent figurer dans la convention constitutive (articles L. 6133-4 et R. 6133-1), notamment selon des critères économiques et qui peuvent être précisées dans le règlement intérieur du groupement. Les contributions aux charges doivent tenir compte des moyens mis à disposition par les membres dont l’évaluation doit être faite sur la base de leur valeur nette comptable ou de leur coût réel (article R. 6133-3).
  • Les textes relatifs aux GCS imposent aux membres du groupement de définir un régime de responsabilité aux dettes (articles L. 6133-4 et R. 6133-1) dont la mise en œuvre interviendra aussi bien en cas de liquidation, pour quelque cause que ce soit, du groupement qu’en cas de retrait (article R. 6133-7 II) ou d’exclusion (article R6133-7 III) d’un membre, ce qui constitue une garantie pour l’ensemble des parties concernées.
  • Même si le GCS n’organise pas stricto sensu une copropriété des membres sur les actifs du groupement, on relèvera avec intérêt les dispositions du II de l’article R. 6133-8 du CSP : « En cas de dissolution, l’ensemble de l’actif et du passif du groupement ainsi que ses droits et obligations sont répartis entre les membres conformément aux règles définies par la convention constitutive. Les biens mobiliers et immobiliers mis à disposition du groupement par un membre restent la propriété de ce membre. » Ainsi, par exemple des clauses d’attribution préférentielle au bénéfice de tel ou tel membre des biens financés par le groupement peuvent être prévues.
  • En outre, des sanctions de divers ordres ( pénalités, suspension de droits, …) peuvent être prévues en cas de méconnaissance par l’un des membres de ses obligations en particulier financières.

C’est donc le GCS qui enregistre dans sa comptabilité les éléments d’actif et de passif liés aux coopérations mises en œuvre et qui supporte l’endettement relatif aux investissements afférents et les risques associés.

 

Une intégration financière qui impose une gouvernance adaptée

Sauf à leur imposer, les établissements ne se lanceront dans les différentes voies décrites que s’ils y trouvent un intérêt et qu’ils ne vivent pas cette nouvelle étape comme une forme d’amoindrissement de leur autonomie.

Aussi il nous semble non seulement que l’adhésion de chacun s’inscrivant dans un projet commun est un préalable mais aussi que la mise en place d’une gouvernance fondée sur la co-décision, la co-responsabilité et une forme de solidarité est une nécessité.

Dans ces conditions, les établissements pourront enfourcher cette nouvelle monture et nous ferons mentir Churchill.

 

 


[1]Titre du chapitre III « Renforcer la stratégie et la gouvernance médicales au niveau du groupement hospitalier de territoire, et accompagner les établissements volontaires pour davantage d’intégration » du Titre II de la Loi « Créer un collectif de soins au service des patients et mieux structurer l’offre de soins dans les territoires »

[2]selon quels critères objectifs va-t-on en mesurer la valeur ?

[3]https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?idDocument=JORFDOLE000038124322&type=general&typeLoi=proj&legislature=15

[4]Même si les dispositions comptables actuelles d’une part, prévoient que l’investissement puisse être financé par plusieurs établissements membres sous forme de « contribution à l’investissement commun »

identifiée au sein de la comptabilité de l’établissement support sous forme de « financement rattaché à un actif identifié » aussi appelé « subvention d’investissement reçue », d’autre part, autorisent des financements mixtes, dans lesquelles les deux sources de financement coexistent « redevances d’utilisation » pour certains membres et « subvention d’investissement » pour d’autres.

 

Compte 1316 GHT – Contributions aux investissements communs. « Le compte 1316 retrace dans la comptabilité de l’établissement support du groupement hospitalier de territoire (GHT) les contributions aux investissements communs effectuées par les autres établissements membres. Ces financements rattachés à un actif déterminé (le bien objet de l’investissement commun des GHT) évoluent symétriquement à l’actif qu’ils financent. Ainsi, pour un actif amortissable, le virement du financement au compte de résultat est effectué sur la même durée et au même rythme que l’amortissement de l’actif financé. »

 

Compte 204 – Contribution aux investissements communs des GHT. « Le compte 204 retrace dans la comptabilité des établissements membres du groupement hospitalier de territoire (GHT) les contributions aux investissements communs du GHT versés à l’établissement support. L’existence d’un potentiel de service ou d’un avantage économique attaché à la « contribution à l’investissement futur », que l’établissement membre contrôle, permet de la considérer comme un de ses actifs. L’amortissement de cet actif incorporel spécifique au niveau du compte de résultat traduit la consommation de l’avantage économique ou du potentiel de service. Le compte 6811 « Dotations aux amortissements des immobilisations incorporelles et corporelles » est débité par le crédit du compte 2804 « Contribution aux investissements communs des GHT».

 

 

[5]TC 9 déc. 1899, n°00515, Association syndicale du canal de Gignac.

[6]I.-L’établissement support désigné par la convention constitutive assure les fonctions suivantes pour le compte des établissements parties au groupement :

1° La stratégie, l’optimisation et la gestion commune d’un système d’information hospitalier convergent, en particulier la mise en place d’un dossier patient permettant une prise en charge coordonnée des patients au sein des établissements parties au groupement. Les informations concernant une personne prise en charge par un établissement public de santé partie à un groupement peuvent être partagées, dans les conditions prévues à l’article L. 1110-4. L’établissement support met en œuvre, dans le cadre de la gestion du système d’information, les mesures techniques de nature à assurer le respect des obligations prévues par la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment à son article 34 ;

2° La gestion d’un département de l’information médicale de territoire. Par dérogation à l’article L. 6113-7, les praticiens transmettent les données médicales nominatives nécessaires à l’analyse de l’activité au médecin responsable de l’information médicale du groupement ;

3° La fonction achats ;

4° La coordination des instituts et des écoles de formation paramédicale du groupement et des plans de formation continue et de développement professionnel continu des personnels des établissements parties au groupement.

II.-L’établissement support du groupement hospitalier de territoire peut gérer pour le compte des établissements parties au groupement des équipes médicales communes, la mise en place de pôles interétablissements tels que définis dans la convention constitutive du groupement ainsi que des activités administratives, logistiques, techniques et médico-techniques.

III.-Les établissements parties au groupement hospitalier de territoire organisent en commun les activités d’imagerie diagnostique et interventionnelle, le cas échéant au sein d’un pôle interétablissement. Ils organisent en commun, dans les mêmes conditions, les activités de biologie médicale.

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).