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Praticiens hospitaliers et concurrence déloyale
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Praticiens hospitaliers et concurrence déloyale

Article rédigé le 15 février 2021 par Me Guillaume Champenois

 

La possibilité pour un chef d’établissement d’interdire au praticien hospitalier démissionnaire d’exercer une activité rémunérée à proximité de l’hôpital pour une durée maximale de 2 ans selon l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique. Cependant, ce texte législatif conditionnait son application à un décret d’application lequel devait intervenir à une date permettant l’entrée en vigueur de cette interdiction le 1er janvier 2022 au plus tard. Le texte règlementaire était attendu des directions d’établissements et a été publié le 5 février 2022. On constate que le texte législatif donnait déjà toutes les indications et précisions utiles pour son application et que le texte règlementaire vient uniquement fixer la procédure de sanction en cas de non-respect de cette interdiction.

 

 

Le métier de praticien hospitalier fait partie de ces métiers en très forte tension. Année après année, il est toujours plus difficile de recruter des médecins notamment sur certaines spécialités. Confronté à un vrai déficit d’attractivité, l’hôpital public doit en outre faire face à une concurrence très forte du secteur privé qui ne ménage pas ses efforts pour attirer et recruter les médecins du secteur public.
C’est la raison pour laquelle les directeurs d’établissements publics de santé réclamaient depuis de nombreuses années l’intégration dans le statut des praticiens hospitaliers comme dans le statut des praticiens contractuels des dispositions spécifiques permettant de sanctionner les pratiques de concurrence déloyale à l’image des clauses de non-concurrence insérées dans les contrats des médecins recrutés sur contrat d’exercice libéral par les cliniques.

 

L’adoption dans la loi du 24 juillet 2019 d’un dispositif censé empêcher la concurrence déloyale

Le législateur a fini par voter un tel dispositif qui figure à l’article 14 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé lequel introduit un article L 6152-5-1 dans le code de la santé publique dont l’objet est d’encadrer l’exercice privé ou libéral d’un praticien hospitalier démissionnaire de ses fonctions au sein d’un établissement public de santé.

Cet article L 6152-5-1 du code du travail prévoit que lorsqu’ils risquent d’entrer en concurrence directe avec l’établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal, il peut être interdit, en cas de départ temporaire ou définitif, aux praticiens d’exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie se trouvant à proximité de l’hôpital.

On remarque que ce texte législatif prévoit en son dernier alinéa qu’un décret en conseil d’État fixe les modalités d’application de ces dispositions et qu’en application de l’ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021, ces dispositions législatives doivent entrer en vigueur à la date du 1er janvier 2022 au plus tard.

 

Un décret publié tardivement

Ces dispositions règlementaires n’ont finalement été publié que le 5 février 2022 par Décret n°2022-132 portant diverses dispositions relatives aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé.

Ce décret insère au sein du code de la santé publique des articles R 6152-827 à R 6152-829 lesquels précisent que :

    • L’interdiction instaurée par l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique est portée à la connaissance des praticiens par tout moyen approprié ;
    • Les praticiens qui envisagent de quitter l’hôpital dans lequel ils exercent à titre principal pour exercer en libéral ou en qualité de salarié en informe le directeur dans un délai de deux mois avant le début de l’exercice de cette activité ;
    • Lorsque le directeur de l’établissement dans lequel le praticien exerce à titre principal constate le non-respect de l’interdiction mentionnée au I de l’article L. 6152-5-1, il convoque le praticien à un entretien auquel assiste le président de la CME en respectant un délai de prévenance de 15 jours. La convocation précise que le praticien peut se faire assister par la personne de son choix et présenter des observations écrites. A l’issue de l’entretien, le directeur d’établissement notifie au praticien sa décision ainsi que le montant de l’indemnité prévue au quatrième alinéa du I de l’article L. 6152-5-1 dans un délai d’un mois, par lettre recommandée avec accusé de réception.

 

Ce dispositif est un mécanisme ayant pour objet d’interdire temporairement au praticien concerné de s’installer à proximité de l’établissement afin d’éviter toute captation de patientèle et donc de faire une concurrence déloyale à l’hôpital public. On relève que le texte règlementaire ne vient préciser que les modalités de la procédure tendant à sanctionner un praticien qui ne respecte pas cette interdiction.

 

Les modalités de cette interdiction d’exercer une activité rémunérée

L’article L 6152-5-1 du code de la santé publique précise déjà toutes les informations nécessaires à la mise en œuvre de cette interdiction.

En effet, il précise :

  • les personnels concernés par cette possible interdiction d’exercer une activité concurrente à proximité de l’hôpital (aux praticiens mentionnés à l’article L. 6151-1 (le personnel enseignant hospitalier), au 1° de l’article L. 6152-1 (les médecins, les odontologistes et les pharmaciens nommés à titre permanent) et à ceux mentionnés au 2° du même article L. 6152-1 (les médecins, les odontologistes et les pharmaciens recrutés par contrat), dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 %)
  • la nature de l’interdiction (l’interdiction d’exercer une activité rémunérée)
  • les structures au sein desquelles le praticien ne doit pas exercer une activité rémunérée (établissement de santé privé à but lucratif, cabinet libéral, laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie).
  • une limite temporelle dans cette interdiction d’exercer (24 mois maximum)
  • une limite géographique dans cette interdiction d’exercer (10 kilomètres)
  • la nature de la sanction en cas de non-respect de cette interdiction (soit une sanction financière)
  • le plafond de cette sanction financière (30% de la rémunération mensuelle moyenne reçue pendant les six derniers mois)

 

Une procédure de mise en œuvre critiquable car lourde

 

Par ailleurs, on relève que l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique confie au directeur de l’établissement support du GHT le soin de préciser les modalités de mise en œuvre de cette interdiction après avis de la commission médicale de groupement et avis du comité stratégique.

Ainsi, le chef d’établissement partie à un GHT qui souhaite instaurer un dispositif de non-concurrence aurait tout intérêt à proposer au plus vite au directeur de l’établissement support du GHT les conditions de mise en œuvre de cette interdiction. Une fois saisi par le directeur de l’établissement partie au GHT, le directeur de l’établissement support devra saisir la commission médicale de groupement et le comité stratégique pour avis avant de prendre sa décision.

 

Quid des GHT qui ont disparus ensuite de la fusion des établissements parties à la convention constitutive ?

Ce faisant, il convient de relever que plusieurs GHT ont disparu après la fusion des établissements parties à la convention constitutive et que plusieurs GHT vont, dans les années à venir, ainsi disparaître pour la même raison.

Comment faire si le GHT n’a plus d’existence légale ?

Si le législateur n’a pas prévu cette hypothèse pourtant prévisible de la fusion des établissements composant un GHT, cette seule circonstance ne saurait à notre sens faire obstacle à la fixation par l’établissement né de cette fusion des conditions de mise en œuvre de cette interdiction.

On peut légitimement procéder ici par analogie.

Ce sera alors le directeur de l’établissement né de la fusion qui devra fixer les dispositions nécessaires à l’application de cette interdiction après avis de la commission médicale d’établissement et avis du directoire.

 

Une sanction financière dérisoire

Enfin et surtout, la préservation des intérêts de l’hôpital public et de ses usagers ne saurait se limiter à une sanction financière prise par l’établissement public de santé à l’encontre du praticien fautif.

En effet, la sanction financière prévue à l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique vient, comme son nom l’indique, sanctionner le non-respect d’une interdiction s’imposant aux praticiens et ne vient nullement réparer le préjudice subi par l’hôpital public en cas de détournement de patientèle.

Au surplus, on observe que cette sanction financière est très limitée dans son quantum car le texte législatif prévoit un plafond correspondant à 30% de la rémunération brute versée durant les six derniers mois du départ du praticien. Nous sommes ici assez éloignés des pénalités financières pour non-respect des clauses de non-concurrence des médecins recrutés par contrat d’exercice libéral au sein d’une clinique dont les montants atteignent 1 an de rémunération.

En application de l’article L 6152-5-1 du code de la santé publique, le praticien hospitalier titulaire qui perçoit le montant maximum des émoluments de la grille de rémunération fixé par l’arrêté du 28 septembre 2020 modifiant l’arrêté du 15 juin 2016 relatif aux émoluments, rémunérations ou indemnités des personnels médicaux, pharmaceutiques et odontologiques exerçant leurs fonctions à temps plein ou à temps partiel dans les établissements publics de santé, perçoit 45.004,945 euros brut en six mois.

Sur une telle rémunération, la plus élevée de la grille et correspondant aux praticiens hospitaliers ayant une très longue carrière derrière eux, la sanction financière atteint au maximum la somme de 13.501 euros à comparer avec une année de rémunération pour les praticiens libéraux des cliniques.

Pour un praticien qui n’exerce que depuis quelques années, ce dispositif de non-concurrence revient à verser une somme symbolique pour ne pas dire dérisoire.

 

L’option d’une action en concurrence déloyale devant le tribunal judiciaire

En pareille hypothèse, le chef d’établissement n’aura pas d’autres choix que d’engager une action juridictionnelle à l’encontre, suivant les circonstances, du praticien ou de la structure de droit privé qui l’aura recruté aux fins d’obtenir la condamnation, du praticien ou de la personne morale de droit privé qui l’aura recruté, à l’indemniser des préjudices subis.

La difficulté ici réside dans la démonstration d’une manœuvre ayant pour objet ou pour effet de concurrencer l’hôpital public de manière déloyale. Cette preuve est plus ou moins aisée à apporter selon les circonstances.

Ainsi, lorsque plusieurs praticiens d’un même service notifient au chef d’établissement leur démission pour rejoindre à une même date une clinique qui est géographiquement implantée à proximité immédiate de l’hôpital, il est possible de faire la preuve d’une concertation visant à un débauchage massif au sein d’un service.

Or, il est de jurisprudence constante, que « constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d’une société, entraînant sa désorganisation » (notamment Cour de cassation – Chambre commerciale, 3 Mars 2015, N°13-18.164).

 

En conclusion

En conclusion, la montagne accouche d’une souris et ce dispositif nous conduit à formuler deux observations.

Première observation, le texte législatif instaure une simple faculté d’interdire l’exercice d’une activité rémunérée qui pourrait faire concurrence à l’hôpital public et le dispositif est lourd puisqu’il mobilise le directeur de l’établissement partie au GHT, lequel doit saisir le directeur de l’établissement support, lequel doit recueillir l’avis de la commission médicale de groupement ainsi que l’avis du comité stratégique avant de prendre une décision opposable.

S’il y a concurrence déloyale, il faut y mettre un terme ou pouvoir s’y opposer. Autrement formulé, il aurait été préférable d’intégrer dans le statut des praticiens hospitaliers comme dans le statut des praticiens contractuels une interdiction de principe, pure et simple, de toute concurrence déloyale faite à l’hôpital public dans lequel le praticien a pu exercer ses fonctions.

Il suffisait d’inscrire cette interdiction dans le statut avec une limite de temps et de lieu à l’image de ce qui se pratique dans les contrats des praticiens libéraux recrutés par les cliniques.

Deuxième observation, le montant de la sanction financière est ridiculement bas. Cela ne présente donc aucun caractère dissuasif.

On contente donc une demande des directeurs des établissements publics de santé par un dispositif qui contente les médecins. C’est donc peu opérant pour ne pas dire inopérant.

 

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).