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Salariat en maison de santé : la dernière pierre à l’édifice, la suite ?

Article rédigé le 13 novembre 2023 par Me Marine Jacquet et Me Stéphane Wertel

Si depuis le 14 mai 2021, une Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires (ci-après SISA) a la possibilité de salarier des professionnels de santé exerçant des activités de soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours ainsi que toutes autres activités contribuant à la mise en œuvre du projet de santé, des obstacles techniques au salariat perduraient. La parution du décret du 18 juillet 2023 n°2023-617 vient-il lever les derniers freins au salariat en maison de santé ? Décryptage …

 

Le salariat au sein des SISA, une ouverture freinée par des contraintes techniques

 

Comme nous vous l’avions indiqué dans notre précédent article (Une SISARL, sinon rien !), il aura fallu attendre l’ordonnance n° 2021-584 du 12 mai 2021 et le décret n° 2021-747 du 9 juin 2021 afin que soit possible le salariat des médecins en SISA.

Ce fut une innovation de taille. Avant l’entrée en vigueur de ladite ordonnance, une SISA ne pouvait être employeur de professionnels de santé que dans la limite de la mise en œuvre des actions de coordination thérapeutique, d’éducation thérapeutique ou de coopération entre les professionnels de santé.

Dès lors, cette ouverture du salariat a permis d’ouvrir des perspectives nouvelles aux maisons de santé en leur offrant une configuration inédite qui se rapproche de celle des centres de santé.

Elle apporte notamment une réponse aux maisons de santé confrontées à de lourdes problématiques de pénurie médicale en leur permettant d’attirer des médecins plus intéressés par un exercice salarié.

Le Docteur Benjamin TROUILLET, Pharmacien et co-gérant de la SISA « Stgosanté » soulignait d’ailleurs dans nos colonnes tout l’intérêt du dispositif pour attirer des jeunes professionnels ou favoriser l’exercice de médecins retraités.

Reste que ce dispositif était confronté à des obstacles techniques liés aux modalités de facturation comme alertait le Docteur Pascal Gendry, médecin généraliste et Président d’AVEC Santé (sur le sujet : Premier bilan sur le salariat des médecins en maison de santé).

Plus précisément, les SISA n’étant pas inscrites aux ordres des professionnels de santé salariés, elles ne pouvaient recevoir leurs cartes de professionnels de santé (ci-après CPS) permettant de facturer les actes à la CPAM au titre de l’activité salariée.

La parution du décret du 18 juillet 2023 n°2023-617 vient enfin lever cet obstacle technique.

 

Un obstacle technique dépassé pour les maisons de santé, le dernier ?

 

Avec la parution du décret du 18 juillet 2023 n°2023-617, la SISA peut désormais régulièrement demander son inscription au tableau de l’ordre du professionnel qu’elle entend salarier.

Cette démarche a pour effet de lui permettre de recevoir les CPS pour les professionnels de santé salariés.

Partant, la SISA peut dorénavant encaisser sur son compte « tout ou partie des rémunérations des activités de ses membres ou de celles de tout autre professionnel concourant à la mise en œuvre du projet de santé et le reversement de rémunérations à chacun d’eux » (CSP., art. L. 4041-2).

Pour y procéder, la SISA qui souhaite salarier un professionnel de santé devra demander préalablement son inscription au tableau de l’ordre du professionnel concerné par l’intermédiaire d’un mandataire commun désigné par les associés dans les statuts de la société ou par un acte distinct.

Concernant les pharmaciens, la SISA demandera leur inscription aux sections A, G ou E du tableau de l’ordre (pharmacien titulaire d’officine ; pharmacien biologiste médical ; pharmacien des départements et collectivités d’outre-mer).

Le mandataire désigné adressera alors au conseil de l’ordre territorialement compétent la demande d’inscription par tout moyen « donnant date certaine à sa réception » y compris dématérialisé. Sa demande doit comprendre un exemplaire des statuts de la société et de ses annexes ainsi qu’un exemplaire de son extrait Kbis.

Il revient ensuite au conseil de l’ordre compétent de contrôler les statuts et annexes de la SISA, afin de s’assurer de leur conformité aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

Le Conseil de l’Ordre notifiera ensuite sa décision au mandataire et au directeur général de l’agence régionale de santé ainsi qu’aux organismes d’assurance maladie du régime général et de la mutualité sociale agricole ayant compétence dans le département.

 À noter, la Fédération AVEC Santé a publié « un mode opératoire » pour les maisons de santé souhaitant salarier un professionnel de santé adaptant celui de l’Assurance maladie. Le ministère de la santé s’est également saisi de l’occasion pour actualiser son Guide : guide SISA, ministère de la Santé et de la prévention, actualisation de juillet 2023.

 

Ne manquez pas également sur le sujet la réunion d’information organisée ce 14 novembre par l’APMSL sur le salariait en SISA, co-animée par Noémie Dekeuwer et Alice Belart, chargées de mission APMSL, Pascal Gendry, Médecin Généraliste au Pôle Santé du Sud-Ouest Mayennais et Président d’AVECSanté et Marine Jacquet, Avocate associée – Cabinet Houdart & Associés.

 

Le salariat en SISA quels enjeux de demain?

 

Bien que ce dernier frein technique soit levé, le salariat de professionnels de santé par la SISA interroge toujours quant à sa pertinence et sa faisabilité au regard des enjeux auxquels sont confrontées ces structures suivant les territoires.

Comme le soulignait le Docteur Michel DUTECH, Président de la Fecop en Occitanie, « Le salariat de médecins en Maison de santé peut être un levier formidable pour réduire fortement les tensions territoriales liées à la désertification médicale en santé, mais il faut être vigilant et comprendre les enjeux et les besoins de ces structures. » (Premier bilan sur le salariat des médecins en maison de santé)

Et pour cause, en termes de responsabilité, il convient de rappeler que dans une SISA les associés sont des personnes physiques uniquement. Elle n’est pas ouverte aux personnes morales (SEL, SCP, SCM). Les associés sont donc personnellement responsables des dettes de la société, sans mécanisme de protection.

Or, l’ouverture au salariait emporte avec elle des enjeux financiers sérieux pouvant porter sur plusieurs milliers d’euros (prud’hommes, rappel de salaire, Urssaf etc).

C’est pourquoi, nous martelons depuis un certain temps qu’un travail doit être nécessairement mené sur ce volet-là pour apporter une protection suffisante aux professionnels membres des SISA.

Comme nous le soutenions, le problème est assez simple à résoudre : créer une Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires à Responsabilité Limitée, une SISARL, à l’instar des Sociétés d’exercice libérale (Une SISARL, sinon rien !).

Ainsi, les professionnels de santé libéraux disposeraient d’un outil juridique qui leur garantisse une protection efficace de leur patrimoine. Leur responsabilité serait limitée à leur apport.

Cette idée semble faire son chemin : les députés ont adopté, dans le cadre de la proposition de loi visant à améliorer l’accès aux soins par l’engagement territorial des professionnels portée par Monsieur Frédéric Valletoux, une disposition limitant la responsabilité des associés d’une SISA à leurs apports.

L’article 3 bis C de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale intègre ainsi un nouvel article du code de la santé publique, le L.4042-4 ainsi libellé :

« Art. L. 4042-4. – La responsabilité à l’égard des tiers de chaque associé de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires est engagée dans la limite du montant de son apport dans le capital de la société.

L’associé qui n’a apporté que son industrie est tenu comme celui dont la participation dans le capital social est la plus faible. »

(pour aller plus loin : voir notre article Associés d’une SISA : la limitation de la responsabilité financière (enfin) en vue).

L’article a été présenté au Sénat en première lecture ce 25 octobre et a été adopté !

Lors des discussions, il a été mis en exergue la volonté des députés de sécuriser les professionnels de santé qui viennent travailler dans les maisons de santé pluriprofessionnelles et qui acceptent de coordonner leurs activités, en leur apportant des garanties patrimoniales minimales.

La SISARL est donc en bonne voie de déploiement !

 

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).