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Une SISARL sinon rien !
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Une SISARL, sinon rien !

 

Article rédigé le 27 septembre 2021 par Me Marine Jacquet et Me Laurent Houdart

À l’exception de quelques initiés, rares sont ceux qui ont apprécié à leur juste valeur l’importance du bouleversement initié par l’Ordonnance n° 2021-584 du 12 mai 2021 et le décret n° 2021-747 du 9 juin 2021. Désormais une Société Interprofessionnelle de Soins Ambulatoires (SISA) a la possibilité de salarier tout professionnel exerçant des activités de soins de premier recours et, le cas échéant, de second recours ainsi que pour toutes autres activités contribuant à la mise en œuvre du projet de santé. Quelles perspectives pour la SISA ? Et quelles évolutions sont nécessaires pour assurer leur pérennité ?

 

Un chamboulement de taille : La SISA, un statut mixte libéral/salarié

 

Une SISA a donc désormais la possibilité de salarier tout professionnel de santé contribuant à la mise en œuvre du projet de santé.

Et par voie de conséquence, la SISA va pouvoir encaisser sur son compte « tout ou partie des rémunérations des activités de ses membres ou de celles de tout autre professionnel concourant à la mise en œuvre du projet de santé et le reversement de rémunérations à chacun d’eux ».

C’est un chamboulement de taille dans la mesure où avant l’entrée en vigueur de ladite ordonnance, une SISA ne pouvait être employeur de professionnels de santé que dans la limite de la mise en œuvre des actions de coordination thérapeutique, d’éducation thérapeutique ou de coopération entre les professionnels de santé.

À titre d’exemple, le salariat d’un médecin au-delà des quelques missions précitées, était exclu (voir notamment en ce sens l’article de Me Axel VÉRAN – Est-il possible pour une SISA de salarier un Médecin Généraliste ?).

Cette ouverture au salariat et à l’encaissement des activités correspondantes est considérable. Elle ouvre des perspectives nouvelles aux maisons de santé en leur offrant une configuration inédite qui se rapproche de celles des centres de santé. Elle apporte une réponse aux maisons de santé confrontées à de lourdes problématiques de pénurie médicale en leur permettant d’attirer des médecins plus intéressés par un exercice salarié.

La SISA serait ainsi la première structure de soins à offrir un statut mixte, libéral/salarié.

 

La SISA, une ouverture au groupement d’employeurs

 

Concernant la question plus spécifique de l’ouverture du groupement d’employeurs à la SISA, cette dernière était motivée par la possibilité de permettre à la structure de recruter des assistants médicaux et les partager entre les différents médecins de la structure.

Rappelons, à cet égard, que l’objet principal du groupement d’employeurs est de mettre à la disposition des membres du groupement des salariés liés au groupement par un contrat de travail. En d’autres termes, il permet de partager des salariés entre différents employeurs.

Si cette motivation était, à notre sens, inutile juridiquement (voir à ce sujet notre point de vue sur le sujet SISA & assistants médicaux), en revanche, une spécificité intéressante peut être relevée dans le cadre d’un groupement d’employeurs porté par une SISA.

Le décret précise que :

« lorsque le groupement d’employeurs n’est constitué qu’au bénéfice d’une partie seulement des associés de la société interprofessionnelle de soins ambulatoires, les statuts de cette société prévoient que seuls ces associés sont tenus solidairement au paiement des dettes du groupement à l’égard des salariés et des organismes créanciers. »

De manière concrète, cela signifie que si un groupement d’employeurs est constitué pour salarier des assistants médicaux, seuls les médecins bénéficiaires du travail des assistants médicaux peuvent être responsables vis-à-vis de ces salariés. Il convient néanmoins de bien l’organiser dans les statuts de la société.

Dans la mesure où les ressources humaines sont généralement la principale charge, ce mécanisme a le mérite de protéger les autres associés de la SISA des éventuelles dettes générées par le salariat des assistants médicaux.

En revanche, il ne peut qu’être regretté que cette protection n’aille pas plus loin.

Il convient de rappeler que dans une SISA les associés sont des personnes physiques uniquement. Elle n’est pas ouverte aux personnes morales (SEL, SCP, SCM). Les associés sont donc personnellement responsables des dettes de la société, sans mécanisme de protection. Un travail doit donc nécessairement être mené sur ce volet-là, qui n’est pas à ce jour abouti.

Une protection doit être apportée, en effet, mais pour tous.

 

Quelles perspectives et evolutions nécessaires à la pérenité de la SISA?

 

A l’heure où le Président de la République annonce pour les travailleurs indépendants vouloir « étendre l’insaisissabilité à l’ensemble du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel », la SISA restera t’elle le dernier bastion de responsabilité personnelle des professionnels ?

Nous l’avons déjà écrit, le pari de « ma santé 2022 » que 2000 maisons de santé soient créés en 2022 est en passe de réussir, mais si les garanties ne sont pas apportées aux milliers de professionnels de santé qui s’engagent en confiance dans la constitution de SISA, les conséquences seront catastrophiques et tout ce beau dispositif fera pschitt.

Déjà, nous voyons poindre des contentieux aux enjeux financiers sérieux portant sur plusieurs milliers d’euros (prud’hommes, baux, etc). Il est désormais urgent et prioritaire d’apporter une protection aux professionnels membres des SISA.

De surcroit, l’exercice ne serait pas difficile :

  • Pourquoi ne pas créer une Société Interprofessionnelle de soins ambulatoires à responsabilité limitée, une SISARL, à l’instar des Sociétés d’exercice libérale ? A l’heure où se prépare le projet de loi relatif à la Rationalisation des formes juridiques pour l’exercice des professions libérales réglementées, l’occasion est bonne de pouvoir y glisser la SISARL. Quelle avancée pour les professionnels de santé libéraux ! Une Société d’exercice libérale interprofessionnelle en santé !
  • Une autre solution consisterait à emprunter à d’autres métiers les garanties qui leur ont été octroyées :

 

Aux exploitations agricoles, conformément à l’article L323-1O du code rural, la responsabilité personnelle de l’associé à l’égard des tiers ayant contracté avec le groupement est limitée à deux fois la fraction du capital social qu’il possède. Les pertes éventuelles sont, dans les mêmes proportions, divisées entre les associés en fonction du nombre de parts d’intérêts qui leur appartiennent.

Aux sociétés civiles ou aux sociétés d’épargne forestière, la responsabilité de chaque associé à l’égard des tiers est engagée en fonction de sa part dans le capital et dans la limite de deux fois le montant de cette part. Les statuts de la société civile ou société d’épargne forestière peuvent prévoir que la responsabilité de chaque associé est limitée au montant de sa part dans le capital de la société (Article L214-89 CMF).

Les pouvoirs publics n’auraient donc guère de difficulté à trouver le véhicule idoine. Il reste à confirmer la volonté politique…
Dans l’attente, il ne peut qu’être préconisé aux SISA de mener un travail spécifique sur ces sujets lors des montages juridiques des projets afin de trouver la formule la plus adaptée aux intérêts de chacun.

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.