BARÈME MACRON : OÙ EN EST-ON DE SON APPLICATION ?
Article rédigé le 18 octobre 2019 par Me Anne Mottet
Dans un précédent article publié sur le blog nous avions abordé deux récentes jurisprudences des Cours d’appel de Paris et de Reims relatives à l’application du « barème Macron ». Faisons le bilan sur l’application de ce barème par les juridictions. La « saga » judiciaire est-elle enfin terminée ? Il nous est permis d’en douter !
Instauré par le Gouvernement avec pour objectifs la sécurité et l’équité, le « barème Macron » est entré en vigueur depuis le 24 septembre 2017 avec l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
Il prévoit que lorsque le juge considère que le licenciement d’un salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse, l’indemnité mise à la charge de l’employeur est comprise entre des montants minimaux et maximaux fixés à l’article L.1235-3 du Code du travail, lesquels sont exprimés en mois de salaire brut variant selon l’ancienneté du salarié et le nombre de salariés dans l’entreprise (entreprises de moins de 11 salariés ou entreprises de plus de 11 salariés).
Alors que certains Conseils de prud’hommes font application de ce barème (CPH Le Mans, 26 septembre 2018, n° 17/00538 par exemple), d’autres ont décidé de l’écarter (CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036 par exemple) sur les fondements de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’article 24 de la Charte sociale européenne et de l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, créant ainsi, contrairement aux objectifs initialement visés, des disparités de traitements entre les salariés selon le Conseil de prud’hommes saisi.
C’est dans ce contexte que les Conseils de prud’hommes de Louviers et de Toulouse ont fait usage de la procédure de demande d’avis auprès de la Cour de cassation laquelle a rendu un avis favorable au « barème Macron » le 17 juillet 2019. Ce dernier sonne-t-il cependant réellement la fin d’une contestation ? Deux récents arrêts des Cours d’appel de Paris et de Reims nous permettent d’en douter.
La validation du barème Macron par la Cour de cassation
Après avoir écarté les dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1) et de l’article 24 de la Charte sociale européenne (2), la Cour de cassation a tranché dans un avis du 17 juillet 2019 : le barème Macron est conforme à l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT et doit s’appliquer (3).
- Sur l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
Les juges ont estimé que le barème n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales car les indemnités prud’homales ne constituent pas un obstacle procédural entravant l’accès à la justice pour les salariés.
- Sur l’article 24 de la Charte sociale européenne
La Cour de cassation a estimé que ce texte n’était pas d’effet direct pour les justiciables français et qu’il ne pouvait donc pas être invoqué au cours d’une instance, confirmant ainsi l’absence d’effet direct de ce texte en droit interne.
- Sur l’article 10 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’OIT
La Cour de cassation a alors retenu que l’article L. 1235-3 du Code du travail était compatible avec l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT lequel prévoit « le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement.
Pour la Cour de cassation, le terme « adéquat » réserve aux États parties une marge d’appréciation.
Elle en a déduit que le « barème Macron », qui laisse au juge le soin de déterminer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse entre un montant minimal et un montant maximal, est compatible avec les dispositions de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT puisque l’Etat dispose d’une marge d’appréciation.
La Cour de cassation rappelle dans son avis que le barème est écarté en cas de nullité du licenciement, qui sanctionne les cas les plus préjudiciables.
La fin de la contestation du barème Macron ?
Alors qu’il était permis de penser que cet avis de la Cour de cassation mettrait fin aux débats sur le « barème Marcon », la « saga » judiciaire ne semble pas terminée.
En effet, la section de départage du Conseil de Prud’hommes de Grenoble, ayant pourtant pris connaissance de l’avis de la Cour de cassation précité, a écarté le barème « afin de permettre une réparation adéquate au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT » (CPH Grenoble, 22 juillet 2019, n°18/00267).
C’est ensuite le Conseil de prud’hommes de Troyes qui a, à son tour, écarté le barème au motif qu’il ne permet pas d’indemniser de façon adéquate le salarié licencié à tort (CPH de Troyes, 29 juillet 2019, n°18/00169).
Si la Cour d’appel de Paris valide le barème, dans un arrêt du 18 septembre 2019, sa motivation laisse cependant une porte ouverte à la possibilité de l’écarter si celui-ci ne constitue pas une indemnisation appropriée et adéquate :
« L’article L.1235-3 du Code du travail prévoit que « Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.
Pour un an d’ancienneté ce montant est fixé dans une fourchette comprise entre 1 et 2 mois de salaire L’article 10 de la convention de l’OIT n° 158 et l’article 24 de la Charte européenne ratifié par la France le 7 mai 1999 et qui s’impose aux juridictions française affirment déclaration d’appel dans ces dispositions relatives à la cessation de la relation de travail à l’initiative de l’employeur que le salarié doit se voir allouer une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.
En l’espèce, la cour estimant que la réparation à hauteur des deux mois prévus par le barème constitue une réparation du préjudice adéquate et appropriée à la situation d’espèce, il n’y a pas lieu de déroger au barème réglementaire et de considérer le dit barème contraire aux conventions précitées. » (CA Paris, 18 septembre 2019, n°17/06676)
En l’espèce la Cour d’appel de Paris a donc accepté de vérifier si, dans le cas d’espèce, la réparation était appropriée et ne semble pas exclure de ne pas appliquer le barème si elle estime que tel n’est pas le cas.
De la même manière, la Cour d’appel Reims, dans un arrêt du 25 septembre dernier, envisage également la possibilité d’écarter le « barème Macron ».
En effet, pour la Cour d’appel de Reims le plafonnement du « barème Macron » n’est pas contraire « en lui-même » aux engagements internationaux sauf « en cas d’atteinte disproportionnée aux droits du salarié » :
« Le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné c’est-à-dire en lui imposant des charges démesurées par rapport au résultat recherché.
La recherche de proportionnalité, entendue cette fois “in concreto” et non “in abstracto”, doit toutefois avoir été demandée par le salarié.
Elle ne saurait être exercée d’office par le juge du fond qui ne peut, de sa seule initiative, procéder à une recherche visant à écarter, le cas échéant, un dispositif dont il reconnaît le caractère conventionnel.
Or, Mme xx, qui ne fait qu’exposer sa situation et son préjudice de perte d’emploi qu’elle qualifie d’important, n’a sollicité qu’un contrôle de conventionnalité “in abstracto” et non “in concreto” » (CA, 25 sept 2019 Reims 19/00003).
Les derniers arrêts des Cours d’appel de Paris et de Reims sont moins tranchés que l’avis de la Cour de cassation quant à l’application du « barème Macron ». Une brèche semble donc rester ouverte pour donner au salarié la possibilité de demander une indemnisation au-delà du barème tenant compte de la situation particulière du salarié.
Attendons désormais que la Cour de Cassation se prononce dans le cadre plus ordinaire de son pouvoir juridictionnel en rendant son premier arrêt.
Après avoir exercé son activité au sein du département de droit social d’un Cabinet de droit des affaires parisien, où elle a développé une expertise tant en droit du travail (relations individuelles et relations collectives) qu’en droit de la sécurité sociale, Anne MOTTET a rejoint le département Ressources Humaines du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS en octobre 2017 en tant qu’avocat.
Présentant une compétence en droit du travail, elle a également élargi son domaine d’intervention au droit de la fonction publique et accompagne aujourd’hui les établissements privés et publics de santé dans la gestion de leurs personnels (salariés de droit privé, personnels statutaires et contractuels).
Elle conseille également les établissements publics et privés de santé sur le volet social de leurs projets à enjeux stratégiques (déménagement d’établissements, fusion d’établissements, suppression d’un service, intégration de personnels de droit privés au sein de l’hôpital dans le cadre d’un transfert d’activité).