Scroll Top
EHPAD et COVID-19 pas de carence de l'État
Partager l'article



*




EHPAD ET COVID-19 LE CONSEIL D’ÉTAT REJETTE TOUTE CARENCE DE L’ÉTAT

Article rédigé le 19 juin 2020 par  Me Camille Faour

Le Conseil d’État, saisi en référé, s’est prononcé sur la politique gouvernementale de dépistage et d’égal accès aux soins dans les EHPAD. Les demandes, visant à renforcer les mesures prises en faveur des résidents et du personnel des EHPAD afin de faire face à l’épidémie de coronavirus, n’ont pas été accueillies par la haute juridiction qui n’a relevé aucune carence portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.

 

 

Dépistage systématique et régulier et égal accès aux soins dans les EHPAD

 

Dans deux décisions du 15 avril 2020, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté les requêtes émanant d’associations visant à renforcer les mesures prises en faveur des résidents et du personnel des EHPAD afin de faire face à l’épidémie de coronavirus.

 

Revenons plus en détails sur les décisions rendues par le Conseil d’État en la matière pendant la crise sanitaire.

 

Dépistage systématique et régulier des résidents et personnels des EHPAD « matériellement impossible »

 

Dans une première affaire (CE, Ordonnance du 15 avril 2020, n° 440002, Union Nationale des Syndicats Force Ouvrière santé privée), plusieurs organisations syndicales du secteur sanitaire ont demandé au Conseil d’État d’ordonner au Gouvernement de prendre : « des mesures réglementaires propres à assurer le dépistage systématique et régulier des résidents, personnels et intervenants au sein des EHPAD, y compris lorsqu’ils sont asymptomatiques, et prendre les mesures propres à affecter prioritairement à leur dépistage le matériel nécessaire ».

 

Par suite, les requérants sollicitaient la distribution et l’usage de matériels de protection nécessaires (masques, gants, blouses, gel hydro-alcoolique) ainsi que la mise à disposition de matériels d’oxygénation à haut débit pour les résidents qui ne nécessitent pas une hospitalisation.

 

Le juge des référés a tout d’abord relevé que :

 

  • Le Ministre chargé de la santé, allant au-delà des recommandations du Haut Conseil de santé publique (HCSP), avait annoncé une campagne de dépistage systématique des personnels et résidents des EHPAD dans lesquels un cas de contamination au COVID-19 avait été constaté.
  • De plus, certaines collectivités des zones particulièrement touchées par le virus avaient également annoncé des campagnes de dépistage au sein de tous les EHPAD de leur ressort.

 

Le juge a rappelé que la capacité de test par jour ouvré s’élevait à 21 000 tests en France au 11 avril et que des achats avaient été effectués pour l’augmenter à 48 000 tests par automates et 40 000 tests PCR à la fin du mois d’avril et 60 000 dans les semaines suivantes. Enfin, il a ajouté que les préfets avaient été habilités par décret à ordonner la réquisition des équipements et des personnels nécessaires au fonctionnement des laboratoires de biologie médicale qui réalisaient cet examen.

 

  • S’agissant des masques de protection, il a été rappelé que les personnels des EHPAD faisaient partie des professionnels prioritaires pour en disposer, avec un objectif de 500 000 masques chirurgicaux par jour. Lors de l’audience du 13 avril 2020, le Ministère a détaillé les mesures prises pour augmenter le nombre de masques disponibles en France (une politique d’importation massive et un encouragement de la production nationale qui devrait passer d’environ 6 millions de masques par semaine en mars à plus de 10 millions par semaine en mai 2020).
  • S’agissant des matériels d’oxygénation, le juge a relevé que le Ministre chargé de la santé avait défini une stratégie de gestion de l’oxygène médical en EHPAD, et qu’il l’avait complétée par de nouvelles consignes compte tenu des tensions d’approvisionnement en concentrateurs individuels afin d’assouplir les conditions d’accès à des solutions alternatives d’oxygénation.

 

En conséquence de quoi, la haute juridiction a rejeté les demandes des requérants en constatant que les mesures gouvernementales mises en œuvre étaient suffisantes.

 

En effet, le juge n’a relevé aucune carence portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant qu’il ordonne les mesures demandées par les syndicats en raison de l’impossibilité matérielle de procéder, à bref délai, à un dépistage systématique et régulier, compte tenu des moyens dont disposait l’administration et des mesures déjà prises.

 

L’égal accès aux soins hospitaliers et aux soins palliatifs des résidents en EHPAD

 

Dans une seconde affaire (CE, Ordonnance du 15 avril 2020, n° 439910, Association Coronavictimes et autres), l’Association Coronavirus et l’Association Comité anti-amiante Jussieu ont demandé au Conseil d’État d’enjoindre le Gouvernement de prendre des mesures générales pour assurer un accès égal aux soins hospitaliers et aux soins palliatifs pour les résidents en EHPAD présentant des symptômes du COVID-19.

 

Les associations précitées demandaient l’établissement d’un protocole national pour l’admission en établissements de santé, et leur éventuelle prise en charge en réanimation, des résidents d’EHPAD susceptibles d’être atteints d’une forme grave du COVID-19, de même que leur accès à des soins palliatifs et à la présence d’un de leurs proches, en fin de vie.

 

Sur l’égal accès aux soins hospitaliers, la haute juridiction a tout d’abord observé :

 

  • qu’il n’était pas établi que de manière générale les hôpitaux refusaient l’admission dans leurs services des personnes résidant en EHPAD. Plusieurs recommandations préconisaient au contraire d’admettre ces patients dans les hôpitaux lorsque leur état de santé le justifiait, et les chiffres communiqués par le Ministère en charge de la santé attestaient que leur admission se poursuivait.

 

Sur l’égal accès à la réanimation, le juge a précisé :

 

  • qu’il n’était pas établi que les décisions médicales d’admission en réanimation reposaient sur des critères plus stricts « du fait de l’anticipation d’une éventuelle saturation de l’offre de soins» ou qui « isolant le critère de l’âge », discrimineraient les patients les plus âgés. Plusieurs recommandations de sociétés savantes ont rappelé que l’admission en réanimation ne pouvait se fonder uniquement sur le critère de l’âge ou sur tout autre critère pris isolément.

 

Sur l’accès aux soins palliatifs des résidents en EHPAD, le juge a relevé que :

 

  • des mesures avaient été prises pour faciliter les interventions en soins palliatifs, aussi bien pour les personnes à domicile que pour les personnes résidant dans les EHPAD afin de garantir à chacun « une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance » (mise en place d’une astreinte « soins palliatifs » ou encore dispensation de spécialités pharmaceutiques spécifiques);
  • des autorisations exceptionnelles de visite pouvaient être accordées par les directeurs d’établissement, notamment aux proches d’un résident dont la vie prenait fin, dès lors que des mesures pouvaient être prises pour protéger la santé de tous.
  • qu’une opération générale de dépistage dans les EHPAD avait été annoncée et que le Haut Conseil de santé publique ne recommandait pas à ce stade de l’épidémie, et en l’état des capacités de diagnostic virologique, de réaliser un test de dépistage du COVID-19 chez les personnes décédées.

 

Par conséquent, la haute juridiction a ici aussi rejeté la requête formulée par les associations.

 

Absence de carence de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la sauvegarde d’une liberté fondamentale

 

Dans les deux décisions précitées, les requérants ont introduit un référé-liberté (article L. 521-2 du Code de la justice administrative). Cette procédure permet d’obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration, (une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public), aurait porté, dans l’exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Les libertés fondamentales garanties par le juge des référés libertés sont issues de la Constitution, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou encore plus largement de la jurisprudence.

 

L’introduction d’un référé liberté est subordonnée à trois conditions cumulatives, celles de :

  • justifier de l’urgence,
  • démontrer qu’une liberté fondamentale est en cause,
  • démontrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale.

 

En l’espèce, les requérants ont fait valoir le droit au respect de la vie rappelé notamment par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au droit de ne pas subir des traitements inhumains et dégradants, rappelés notamment à l’article 3 de la même convention, au droit de recevoir les traitements et les soins appropriés à son état de santé, à  droit à la protection de la santé, notamment défini à l’article L. 1110-1 du Code de la santé publique ou encore au principe de sauvegarde de la dignité humaine, notamment défini à l’article L. 1110-2 du Code de la santé publique.

 

Dans son mémoire en défense du 11 avril 2020 (dans la procédure n° 440002), le Ministère chargé de la santé a fait valoir que « les requérants n’ont établi aucune action ou carence de l’autorité publique de nature à créer un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, et par suite à porter une attente grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».

 

Cette position a été suivie par le Conseil d’État qui a rejeté les demandes des requérants en constatant que les mesures gouvernementales mises en œuvre étaient suffisantes et ne saurait justifier une carence de l’État.

 

De la même façon, une décision récente du Conseil d’État du 11 mai dernier (CE, Ordonnance du 11 mai 2020, n° 440251) a de nouveau rejeté les demandes formulées par une résidente d’un EHPAD et de sa fille tendant à mettre en œuvre une politique de dépistage systématique des résidents, personnels et intervenants, qu’un secteur dédié aux malades contaminés soit mis en place, avec l’affectation de personnels dédiés et qu’un accès des résidents à tous les soins nécessaires, dans l’EHPAD ou à l’hôpital, y compris la ventilation et l’oxygénothérapie, soit assuré.

 

Approbation de l’action du gouvernement

 

La jurisprudence en la matière s’inscrit plus largement dans celle établie par le Conseil d’État durant la crise du COVID-19 tendant à confirmer les mesures gouvernementales mises en œuvre. En effet, la haute juridiction a choisi de suivre une ligne de conduite, celle de ne pas entraver, ni d’affaiblir l’action de l’État dans l’épidémie de coronavirus. Utilisé comme un moyen de pression sur les pouvoirs publics, les demandes formulées par les requérants n’ont néanmoins pas permis de donner satisfaction à nos seniors et à nos soignants.

 

AVOCATE AU BARREAU DE PARIS

Camille FAOUR a rejoint le Cabinet HOUDART et ASSOCIÉS en novembre 2018 et intervient au sein du pôle « Organisation » du Cabinet.

Elle apporte son expertise juridique et technique au service d’établissements publics et privés du secteur sanitaire et médico-social.
Camille exerce des missions d’accompagnement juridique relatives aux projets d’organisation et de restructuration de l’offre de soins sur le territoire.
Elle accompagne plus spécifiquement les établissements et institutions publics et privés du secteur sanitaire et médico-social dans la création de groupements, notamment groupement d’intérêt économique (GIE), groupement de coopération sanitaire (GCS/GCSMS) et groupement d’intérêt public (GIP). Elle assure une mission de conseil pour ces groupements une fois ceux-ci créés.
Elle accompagne les associations et fondations dans leurs projets d’évolution et participe aux regroupements territoriaux des acteurs de santé (Maison de Santé Pluriprofessionnelle (MSP), Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS), Maison des Aînés et des Aidants (M2A…).
Enfin, elle assiste également les gestionnaires des Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC) existants (Réseaux de santé, MAIA, CLIC, CTA, PTA…) impliqués dans la convergence au sein d’un dispositif d’appui unique.