LA LETTRE DE L’EXERCICE LIBÉRAL #5
OCTOBRE 2023
Me Stéphanie Barré-Houdart , Me Laurent Houdart, Me Lorène Gangloff, associées, et Me Charlotte Crépelle, collaboratrice du cabinet, ont participé à la rédaction de cette lettre.
LE FOCUS DU MOIS
Article rédigé par Me Lorène Gangloff
Contrôle de l’ordre sur les sociétés d’exercice libéral
Si les associés de sociétés d’exercice libéral sont au fait des démarches à accomplir et, plus particulièrement, des documents à communiquer au conseil départemental de l’ordre des médecins lorsqu’ils constituent leur société et sollicitent son inscription au tableau, ils oublient bien souvent que l’inscription n’est qu’une première étape.
En effet, le contrôle de l’ordre ne s’arrête pas là, loin s’en faut, il se poursuit tout au long de la vie sociale.
Garant de l’indépendance des professionnels, le conseil départemental est chargé de veiller à ce que les détentions capitalistiques comme la gouvernance des sociétés ne viennent pas remettre en cause ce principe cardinal.
Mais, comment s’opère ce contrôle et à quels risques sont exposés les associés après l’inscription de leur société au tableau ? Le manque de lisibilité des dispositions applicables au contrôle de l’ordre en cours de vie sociale impose un décryptage.
Les modalités du contrôle de l’ordre sur les sociétés d’exercice libéral
Les textes législatifs et réglementaires prévoient expressément que le conseil départemental de l’ordre des médecins est appelé à statuer sur les demandes d’inscription présentées par les associés de société d’exercice libéral.
Le contrôle à l’inscription
Pour obtenir l’inscription de leur société, les associés doivent ainsi remettre au conseil départemental de l’ordre des médecins les informations lui permettant d’apprécier la régularité de la structure, à savoir, en application de l’article R.4113-4 du Code de la santé publique :
«[…]
1° Un exemplaire des statuts et, s’il en a été établi, du règlement intérieur de la société ainsi que, le cas échéant, une expédition ou une copie de l’acte constitutif ;
2° Un certificat d’inscription au tableau de l’ordre de chaque associé exerçant au sein de la société ou, pour les associés non encore inscrits à ce tableau, la justification de la demande d’inscription ;
3° Une attestation du greffier du tribunal de commerce du lieu du siège social ou du tribunal judiciaire statuant commercialement constatant le dépôt au greffe de la demande et des pièces nécessaires à l’immatriculation ultérieure de la société au registre du commerce et des sociétés ;
4° Une attestation des associés indiquant :
a) La nature et l’évaluation distincte de chacun des apports effectués par les associés ;
b) Le montant du capital social, le nombre, le montant nominal et la répartition des parts sociales ou actions représentatives de ce capital ;
c) L’affirmation de la libération totale ou partielle, suivant le cas, des apports concourant à la formation du capital social.
[…]”
Le conseil départemental dispose alors d’un délai de trois mois (article L.4112-3 du Code de la santé publique), pour statuer sur cette inscription, étant précisé qu’elle ne peut être refusée que dans les hypothèses suivantes :
- Les statuts de la société ne sont pas conformes aux dispositions législatives et règlementaires (CE, 6 juin 2001, n°202920 B);
- L’absence de communication ou la communication mensongère (article L. 4113-11 du Code de la santé publique) ;
- L’existence d’engagements de la société incompatibles avec l’exercice de la profession ou susceptibles de priver la société de son indépendance professionnelle (article L. 4113-11 du Code de la santé publique).
À cet égard, la décision devant nécessairement être motivée, cette dernière doit faire état de l’un des motifs précités.
En cas de refus d’inscription, les médecins ayant vocation à devenir associés de la société pourront alors saisir le conseil régional des médecins d’un éventuel recours, dans les trente jours suivant la notification de ladite décision.
Le silence du conseil départemental à l’expiration du délai de trois mois imparti pour statuer sur la demande d’inscription, fait naître une décision implicite de rejet (article L. 4112-4 du Code de la santé publique).
Se pose dès lors la question du défaut de motivation de la décision implicite et de l’illégalité automatique ou non de la décision implicite du seul fait de cette absence de motivation.
Si la décision implicite permettait à l’administration d’échapper à son obligation de motivation, cela aurait nécessairement un effet délétère dans la mesure où elle serait très certainement incitée à s’engouffrer dans cette voie pour échapper aux affres de la contestation.
Fort heureusement cette conséquence a été anticipée par le législateur. Ainsi, en présence d’une décision implicite de rejet, si le ou les intéressés ne peuvent exciper de ce seul défaut de motivation pour la faire censurer, ils peuvent formuler, dans les délais de recours, en l’espèce trente jours à compter de la date à laquelle la décision implicite a été acquise, une demande de communication des motifs (article L. 232-4 du Code des relations entre le public et l’administration). Ces derniers devront ensuite lui être communiqués dans le mois suivant cette demande.
Dans cette hypothèse, le délai de recours est alors prorogé jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant la communication des motifs.
Le conseil départemental n’a donc aucun intérêt à jouer au roi du silence en matière d’inscription, puisque les médecins pourront toujours lui demander des comptes !
Au-delà des informations transmises au moment de l’inscription au tableau, les médecins doivent tenir scrupuleusement informé le conseil de l’ordre de l’évolution de la société, et ce tout au long de la vie sociale.
En premier lieu, les associés sont, à ce jour, tenus de communiquer, chaque année, au conseil de l’ordre un état de la composition du capital social de la société.
Il est temps que les praticiens se familiarisent avec cette obligation de communication annuelle souvent méconnue et, en tout état de cause, peu respectée, car dès le 1er septembre 2024, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, le champ de cette obligation de communication sera étendu à d’autres informations que la composition du capital social.
Ils devront ainsi fournir, non seulement un état de la composition du capital social, mais également :
- un état des droits de vote des associés ;
- une version à jour des statuts ;
- les conventions contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé.
Si les deux premiers points ne posent pas de difficulté, il est permis de s’interroger sur ce que recouvre la notion de « convention contenant des clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification au cours de l’exercice écoulé. »
Les statuts comptant parmi les documents qui devront obligatoirement être transmis à l’ordre, ces conventions renvoient nécessairement à des engagements extrastatutaires qui pourraient être pris par les associés pour organiser le fonctionnement de la société. Le règlement intérieur et le pacte d’associés s’il en existe, devront ainsi être transmis, mais cette liste ne saurait être exhaustive et sera complétée, le cas échéant, au regard de l’application effective qui en sera faite du texte par les médecins et par le conseil de l’ordre.
En deuxième lieu, les associés doivent impérativement communiquer, dans les mêmes formes qu’au moment de l’inscription, l’ensemble des modifications apportées :
- aux statuts ;
- aux éléments figurant sur l’attestation portant sur la nature et l’évaluation des apports, le montant du capital social, le nombre, le montant nominal et la répartition des parts sociales ou actions représentatives de ce capital, la libération totale ou partielle des apports, devant être produite au moment de l’inscription.
Si les conseils départementaux peuvent, de temps à autre, fermer les yeux en l’absence de transmission annuelle de l’état de composition du capital social, la vigilance est accrue en matière de modifications statutaires.
Cette obligation relative aux modifications apportées à la société soulève la question des modalités du contrôle opéré et de ses conséquences pour les associés, les dispositions règlementaires applicables étant silencieuses en la matière.
En effet, si l’obligation de communication des modifications opérées est expressément prévue, l’objet de ce contrôle et ses conséquences ne sont pas précisées.
Dans le silence des textes, les juridictions ont bien heureusement pris le relais et éclairci cette zone d’ombre.
Les spécificités du contrôle des modifications statutaires
L’objet du contrôle
Le conseil départemental de l’ordre des médecins, saisi de modifications statutaires, est tenu de vérifier leur conformité au regard des dispositions législatives et règlementaires applicables prévues par les articles R. 4113-1 et suivants du code de la santé publique.
Le conseil départemental attache une attention particulière à la question de la répartition du capital et des droits de vote au sein de la société.
Quelques principes de base doivent être respectés au sein des sociétés d’exercice libéral de médecins :
- Plus de la moitié du capital social et des droits de vote doit être détenue, directement ou par l’intermédiaire des sociétés de participation financière, par des professionnels en exercice au sein de la société ;
- Plus de la moitié du capital – mais pas des droits de vote – peut également être détenue par des professionnels exerçant la profession constituant l’objet social de la société ou par des sociétés de participation financière, sous réserve du respect de certaines conditions ;
- La détention directe ou indirecte de parts ou actions est interdite à toute personne physique ou morale exerçant sous quelque forme que ce soit :
- une autre profession médicale ou une profession paramédicale ;
- la profession de pharmacien d’officine ou de vétérinaire, soit la fonction de directeur ou de directeur adjoint de laboratoire d’analyses de biologie médicale ;
- l’activité de fournisseur, distributeur ou fabricant de matériel ayant un lien avec la profession médicale et de produits pharmaceutiques, ou celles de prestataire de services dans le secteur de la médecine ;
- les entreprises et organismes d’assurance et de capitalisation et tous les organismes de prévoyance, de retraite et de protection sociale obligatoires ou facultatifs.
Les conséquences du contrôle
L’article R. 4113-64 du Code de la santé publique applicable aux sociétés civile professionnelles (ci-après « SCP ») est rédigé comme suit :
« Si les nouvelles dispositions des statuts ne sont pas conformes aux dispositions législatives ou réglementaires et si la régularisation n’est pas opérée dans le délai imparti par le conseil départemental, celui-ci, après avoir appelé les intéressés à présenter leurs observations orales ou écrites, prononce, par décision motivée, la radiation de la société. »
A défaut de texte équivalent pour les sociétés d’exercice libéral, les juridictions se sont positionnées.
Dans un arrêt aujourd’hui ancien du 6 juin 2001, le Conseil d’Etat a ainsi jugé qu’une fois la SEL inscrite, dans le cas où lui est transmise une modification des statuts qu’il estime non conforme aux dispositions législatives et réglementaires, le conseil départemental doit mettre la société en demeure de s’y conformer, et si elle n’y procède pas, la radier du tableau.
En effet, comme cela ressort des termes de l’arrêt, les décisions qui sont prises par le conseil départemental de l’ordre des médecins en cas de modifications statutaires ne constituent pas des décisions prises en application de l’article 462 du Code de la santé publique (aujourd’hui L. 4113-9) faisant obligation aux médecins de communiquer au conseil départemental les contrats et avenants ayant pour objet l’exercice de la profession, mais des décisions prises en matière d’inscription et, par conséquent, susceptibles de recours.
Le Conseil d’État a d’ailleurs confirmé sa position dans un arrêt du 4 février 2020 (CE, 4 février 2020, n°437713) en matière de modifications statutaires d’une SELARL de chirurgiens-dentistes :
« Il résulte de ces dispositions que le conseil départemental de l’ordre des chirurgiens-dentistes, qui doit refuser l’inscription au tableau d’une société d’exercice libéral de chirurgiens-dentistes dont les statuts ne seraient pas conformes aux dispositions législatives et réglementaires, doit procéder au même examen lorsque lui est transmise une modification des statuts d’une société inscrite au tableau de l’ordre. S’il estime que cette modification n’est pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires, il lui appartient de mettre en demeure la société de se conformer à ces dispositions et, si elle ne le fait pas, de la radier du tableau. »
La circonstance que les décisions prises en matière de modifications statutaires s’apparentent à des décisions en matière d’inscription conduit à s’interroger sur les conditions et conséquences d’une opposition du conseil sur les modifications apportées, que cette opposition résulte d’une décision expresse ou d’une décision implicite.
Dans la mesure où la décision est considérée comme une décision prise en matière d’inscription, nous considérons que le conseil doit se prononcer dans un délai de trois mois à compter de la transmission des modifications par les associés et que son silence emporterait une décision implicite de rejet des modifications statutaires.
On constate ainsi que le contrôle des sociétés intervient de la constitution à la dissolution de la société.
Les médecins doivent, par conséquent faire preuve de vigilance avant d’opérer une modification de leurs statuts car, en cas d’irrégularité relevée par le conseil, ils pourront se voir mis en demeure de régulariser la situation dans un délai fixé par le conseil et, en l’absence de régularisation subséquente dans le délai imparti, se voir opposer une radiation de leur société.
Ils seront alors contraints de poursuivre leur exercice à titre individuel ou de constituer en urgence une nouvelle société.
L’inscription de la société au tableau de l’ordre n’est pas un gage pour l’avenir, il ne s’agit que du point de départ d’une route sinueuse sur laquelle chaque changement de trajectoire sera minutieusement étudié par le conseil.
Le contrôle permanent de l’ordre, dont le champ a vocation à s’étendre prochainement, n’a rien de surprenant dans la mesure où la tendance est à l’accroissement des prises de participations de personnes n’exerçant pas la profession de médecin et, notamment, de groupes de financeurs.
À mesure que la santé se financiarisera, il est fort à parier que le pouvoir de l’ordre se renforcera pour que l’indépendance des professionnels soit, autant que faire se peut, préservée.
L’ACTU BRÛLANTE
Article rédigé par Me Charlotte Crépelle
La France en alerte : vers une grève illimitée des médecins libéraux ?
Le 28 février dernier, les syndicats de médecins libéraux disaient « non » à la nouvelle convention proposée par l’Assurance maladie (voir notre article sur le sujet : Médecins libéraux : après l’échec des négociations, l’attente du règlement arbitral).
Face à cet échec des négociations, un règlement arbitral avec de timides revalorisations tarifaires a été arrêté (voir notre article sur le sujet : Approbation du règlement arbitral : un véritable compromis ?)
Comme le précise l’article 1 du règlement arbitral, celui-ci s’applique pour une durée de 5 ans mais une nouvelle convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie peut être conclue antérieurement à ce délai.
Cinq ans, un délai d’attente trop long pour les médecins libéraux…Il était évident que tôt ou tard ces questions tarifaires allaient être remises sur la table des négociations en vue de conclure une nouvelle convention entre l’Assurance maladie et les médecins libéraux.
Le suspens fut de courte durée, puisque certains syndicats de médecins libéraux (l’Union française pour une médecine libre (UFML Syndicat) ; le Syndicat des médecins libéraux (SML)…) ont appelé à une « grève illimitée » à partir du 13 octobre prochain, dans le but ultime de revendiquer une augmentation significative des tarifs des consultations médicales et donc de rouvrir ces négociations.
La Fédération des médecins de France (FMF) a rencontré le Ministre de la Santé Aurélien Rousseau pour un entretien centré sur la relance des négociations conventionnelles. Même si le Ministre a émis le souhait de trouver un accord, la FMP a quelques exigences :
- pas un acte coté en dessous de 30 euros (35 euros pour les DROM) ;
- maintien de chaque professionnel de santé dans son champ de compétences.
Le 18 septembre dernier, la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) a même rejoint le mouvement en indiquant dans un communiqué ses doubles revendications :
- « suppression de toutes les mesures coercitives pesant sur la médecine libérale dans la PPL VALLETOUX. Cela concerne particulièrement l’obligation individuelle de garde ou d’astreinte et l’obligation de les assurer à l’hôpital public.
- assurance d’avoir les moyens nécessaires pour aboutir sans délai à une convention ambitieuse qui valorisera l’expertise du médecin. Pour la CSMF le C à 26,50 €, c’est non ! »
La CSMF appelle même tous les médecins libéraux, généralistes et spécialistes, à suivre massivement ce mouvement et à déprogrammer leur activité médicale à compter du 13 octobre.
Cette nouvelle mobilisation rouvrira-t-elle la porte des négociations, avec comme perspective un compromis plus avantageux que le règlement arbitral ?
L’ensemble des médecins exerçant en établissement de santé pourront-ils être contraints de participer à la permanence des soins en établissement de santé ou au sein d’autres titulaires d’autorisation ?
Cette grève saura-t-elle faire plier le gouvernement et l’assurance maladie à un moment ou d’autres incendies vont devoir être éteints, notamment à l’hôpital ? Il n’y a pas que le temps qui est chaud en cet automne…
QUOI DE NEUF DEVANT LES JURIDICTIONS ?
Article rédigé par Me Charlotte Crépelle
Entre révélations d’informations couvertes par le secret médical et besoins de la défense : une appréciation circonstanciée ?
Dans le système judiciaire français, un professionnel tenu au secret peut, lorsqu’il s’agit pour lui du seul moyen d’éviter une condamnation, divulguer une information couverte par ce secret.
En effet, la position des juridictions peut être résumée de la manière suivante : « on ne saurait reprocher à qui que ce soit le droit de défendre, et cette liberté essentielle ne peut être mise en échec par les règles du secret professionnel. » [Cour d’appel de Douai, 26 oct. 1961, Gaz.Pal. 1951, 2 p. 425].
Cependant, les juges ont pris soin de poser en matière de révélation du secret professionnel certains garde-fous, puisqu’il est imposé au professionnel de limiter la divulgation d’informations couvertes par le secret professionnel aux faits strictement nécessaires à la défense de ses intérêts (TGI Paris, 26 juin 1998, chambre correctionnelle 17). Récemment le Conseil d’État dans sa décision du 22 août 2023 en donne une parfaite illustration.
Dans cette affaire, un patient a subi une opération chirurgicale, une pénoplastie d’allongement et d’augmentation du volume de la verge. Une seconde intervention dite de retouche a été pratiquée car à la suite de ces opérations, ce patient présentait une neuropathie sensitive du nerf dorsal de la verge lui occasionnant des douleurs permanentes, le privant ainsi de toute vie sexuelle et le conduisant à une hospitalisation en psychiatrie suivie de deux tentatives de suicide.
Face à la situation, ce patient a déposé plainte devant la juridiction ordinale contre le praticien ayant réalisé l’intervention.
Le 9 février 2002, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a retenu à l’encontre de ce praticien de nombreux manquements déontologiques et a prononcé la sanction d’interdiction d’exercer la médecine pour deux ans, dont un an avec sursis.
Le patient a formé un pourvoi en Cassation contre cette décision, dont l’un de ses motifs était basé sur la communication par ce praticien d’éléments médicaux susceptibles d’étayer l’affirmation selon laquelle celui-ci présenterait « une pathologie psychiatrique » pouvant rendre compte de son attitude et du caractère exagéré de ses griefs. En effet, le praticien avait indiqué que pour les besoins de sa défense et cela dans le cadre de son instance disciplinaire, il avait dû produire des pièces couvertes par le secret médical mais que cette production intervenant pour les besoins de sa défense ne pouvait être considérées comme une violation du secret médical.
Ce même argument avait également été développé par un médecin dans le cadre de sa défense dans un litige porté devant le conseil de prud’hommes, celui-ci avait alors communiqué une copie du registre de ses interventions en bloc opératoire à son avocat qui l’avait transmise au conseil de la partie adverse. Cependant, même si praticien avait violé le secret médical en omettant d’oblitérer préalablement les noms des patients mentionnés sur le registre, eu égard la bonne foi de l’intéressé cette faute ne caractérisait pas un manquement à l’honneur, cette révélation ayant pu faire l’objet du bénéfice de l’amnistie (Conseil d’État, 13 janvier 1999, n°177913).
Dans son arrêt du mois d’août, le Conseil d’État a ainsi dû répondre aux questions suivantes :
- la production d’éléments relatifs à la santé mentale du requérant était-elle réellement nécessaire lors de cette instance disciplinaire ?
- en révélant ces informations, sachant qu’elles étaient couvertes par le secret médical, le professionnel de santé était-il de bonne foi ?
- la révélation de ces informations était-elle en lien avec la faute du médecin ?
Dès lors que le secret est le principe, que la dérogation à ce secret est l’exception le juge doit nécessairement vérifier que les conditions pour admettre cette dérogation soient réunies.
Dans la continuité de la jurisprudence antérieure, le Conseil d’Etat a estimé que la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins aurait dû vérifier si la production d’éléments relatifs à la santé mentale du requérant était « strictement » nécessaire et non juste nécessaire.
Dans ses conclusions, le rapporteur public dénonce la motivation de la décision de la CDN :
« (…) Il ne fait en effet aucun doute que la communication d’informations médicales selon lesquelles M. B… est atteint d’un trouble mental dit de « fonctionnement limite » sur un « mode anaclitique (situation de carence affective maternelle) », est en « quête de perfection et de l’estime de l’autre », d’un besoin d’un « étayage constant » pour « survivre » et de « l’incapacité à être seul » et se trouve sous traitement antipsychotique et anxiolytique, n’était absolument pas strictement nécessaire à la défense de ses droits par le praticien.
Ces informations n’ont strictement aucun rapport avec les fautes reprochées au médecin et leur communication tendait seulement à décrédibiliser l’auteur de la plainte en mettant sa démarche sur le compte de ses troubles psychiatriques. La circonstance avancée en défense devant vous que certains traitements antipsychotiques peuvent avoir des effets secondaires affectant les fonctions sexuelles est totalement hors sujet dès lors que ce n’est pas ce dont se plaignait M. B… et encore moins ce qu’il reprochait au praticien. »
Pour le Conseil d’État, la communication de ces informations médicales sans rapport avec la faute du médecin, n’avait pas lieu d’être devant une juridiction ordinale, et cela même pour la défense du médecin.
Cette solution est également bien établie devant la chambre criminelle de la Cour de Cassation, qui veille à ce que la révélation d’une pièce couverte par le secret médical constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans la défense du professionnel de santé. En effet, dans sa décision en 2007, la Cour de Cassation avait déjà précisé qu’en ce qui concerne la production en justice de pièces d’un dossier médical et psychologique par un médecin psychiatre accusé d’agression sexuelle sur un patient incapable majeur n’aurait pas dû être produite par la partie poursuivante en ce qu’il n’avait pas été recherché :
« si l’examen public et contradictoire, devant la juridiction correctionnelle de ces pièces, couvertes par le secret médical professionnel, constitue une mesure nécessaire et proportionnée à la défense de l’ordre et à la protection des droits de la partie civile au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme » (Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 24 avril 2007, 06-88.051).
En matière de secret médical, la prudence reste de mise, trop dévoiler pour se protéger est un pari risqué !
ces régionales de santé et les directeurs régionaux et départementaux des finances publiques pourront s’y référer.
QUESTION PRATIQUE
Article rédigé par Me Charlotte Crépelle
Encadrement des Avantages : quel bilan pour le CNOM ?
En mars 2023, le Conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM) a rendu son rapport d’évaluation pour les années 2020 à 2022 en ce qui concerne le dispositif « Encadrement des Avantages » issu de l’ordonnance n°2017-49 du 19 janvier 2017, qu’il contrôle.
Pour rappel, initié par la loi n°93-121 du 27 janvier 1993, ce dispositif met en place un système d’encadrement des avantages dans le but de moraliser les relations entre industriels et professionnels de santé et de prévenir les conflits d’intérêts entre industriels et acteurs de la santé.
Il est en principe interdit aux personnes énumérées à l’article L. 1453-4 du code de la santé publique (ci-après « CSP »), parmi elles, les personnes exerçant une profession de santé réglementée par le CSP ainsi que les ostéopathes, les chiropracteurs et les psychothérapeutes, de recevoir des avantages en espèces ou en nature, sous quelque forme que ce soit, par des personnes assurant des prestations de santé, produisant ou commercialisant des produits faisant l’objet d’une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ou de certains produits listés à l’article L5311-1 II du code de la santé publique.
Ce principe connaît certaines exceptions subordonnées au respect d’une procédure de déclaration ou d’autorisation préalable.
- Certains avantages peuvent être octroyés sous conditions :
Depuis le 1er octobre 2020, une procédure de contrôle « Encadrement des avantages » est mise en place.
La liste des avantages concernés est mentionnée à l’article L. 1453-7 du CSP :
- La rémunération, l’indemnisation et le défraiement d’activités de recherche, de valorisation de la recherche, d’évaluation scientifique, de conseil, de prestation de services ou de promotion commerciale, dès lors que la rémunération est proportionnée au service rendu et que l’indemnisation ou le défraiement n’excède pas les coûts effectivement supportés par les personnes concernées par le dispositif ;
- Les dons et libéralités, en espèces ou en nature, destinés à financer exclusivement des activités de recherche, de valorisation de la recherche ou d’évaluation scientifique ;
- Les dons et libéralités destinés aux personnes mentionnées au 3° de l’article L. 1453-4, [à l’exception des conseils nationaux professionnels mentionnés à l’article L. 4021-3 et des associations dont l’objet est sans rapport avec leur activité professionnelle] ;
- L’hospitalité offerte, de manière directe ou indirecte, lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique, ou lors de manifestations de promotion des produits ou prestations mentionnés à l’article L. 1453-5, dès lors que cette hospitalité est d’un niveau raisonnable, strictement limitée à l’objectif principal de la manifestation et qu’elle n’est pas étendue à des personnes autres que celles mentionnées à l’article L. 1453-4, à l’exception des étudiants en formation initiale mentionnés au 2° du même article L. 1453-4 et des associations d’étudiants mentionnées au 3° dudit article L. 1453-4 ;
- Le financement ou la participation au financement d’actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu.
- Les modalités de contrôle mise en œuvre
Lorsqu’une entreprise du médicament ou l’une des personnes assurant des prestations de santé, produisant ou commercialisant des produits faisant l’objet d’une prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale souhaite octroyer un avantage à un professionnel concerné par le dispositif (acteurs de la santé), un médecin exerçant à titre libéral par exemple, une convention détaillant la nature de l’avantage, sa valeur est alors conclue entre les parties.
Cette convention doit être transmise via un système de télé-procédure.
Il en existe deux :
- Soit « IDAHE» lorsque l’avantage est perçu par un médecin (système géré par l’Ordre national des médecins) ;
- Soit « Ethique des professionnels de santé» lorsque l’avantage est perçu par tout autre profession concernée (système géré soit par les ordres des professions de santé si le professionnel concerné exerce une profession de santé attachée à un ordre ou par les agences régionales de santé (ARS) pour les autres professions)
Autrement dit, l’autorité compétente en matière de contrôle ne sera pas la même en fonction de la profession exercée puisqu’il peut s’agir :
- Du Conseil National de l’Ordre d’une profession ou,
- De l’Agence régionale de santé.
Une fois la convention transmise à l’autorité compétente via le système de télé-procédure, une deuxième étape s’impose pour la validation de l’avantage : la déclaration ou la demande d’autorisation. En d’autres termes, les entreprises ne peuvent pas commencer à rémunérer un professionnel de santé ou une association avant d’avoir déclaré l’opération ou obtenu l’autorisation.
- Le choix du régime préalable : une question de seuil
Régime | Déclaration | Autorisation |
---|---|---|
Rôle de l’autorité compétente : | Émettre des recommandations | Rendre une décision |
Délai de déclaration ou d’obtention d’une autorisation : | Les opérations comportant des avantages soumis à déclaration doivent être notifiées aux Ordres ou Ars dans un délai de 8 jours ouvrables avant la date de la manifestation, du début de la prestation ou du versement du don ou de la libéralité | Les opérations comportant des avantages soumis à autorisation doivent être notifiées au minimum 2 mois avant la date de la manifestation, du début de la prestation ou du versement du don ou de la libéralité. |
Conséquences de l’absence de recommandations ou du refus d’autorisation par l’Ordre ou l’ARS : | L’autorité compétente a la faculté d’émettre ces recommandations, elles sont non-contraignantes et pourront être prises en compte par les services de contrôle en cas d’enquête ou de contentieux lié à l’octroi d’un avantage Il n’y a pas d’incidence en cas d’absence de recommandations. | Les entreprises peuvent modifier le contrat pour prendre en compte les motifs du refus et demander un deuxième examen. En cas de refus définitif, l’opération doit être annulée et l’entreprise en informe le professionnel de santé ou l’association concernée. |
Comment savoir de quel régime l’octroi cet avantage relève ? cet avantage implique-t-il une déclaration ou d’une demande d’autorisation préalable ?
Pour le savoir, deux arrêtés en date du 7 août 2020 viennent fixer des seuils au-delà desquels une autorisation est une obligation, en deçà il s’agira en principe du régime de déclaration sauf si la valeur de l’avantage octroyé est dite « négligeable ».
Le premier arrêté fixe les seuils en deçà desquels la valeur de l’avantage (toutes taxes comprises) est considérée comme négligeable et ne nécessite même pas de déclaration auprès de l’autorité compétente. Ces avantages devront néanmoins être déclarés par l’offrant sur Transparence santé.
Sont concernés :
Nature de l’avantage | Seuils en deçà desquels une convention ne nécessite pas de déclaration |
---|---|
Repas et collation à caractère impromptu et ayant trait à la profession du bénéficiaire | 30 € dans la limite de deux par année civile |
Livre, ouvrage ou revue, y compris abonnement, relatif à l’exercice de la profession du bénéficiaire | 30 € par livre, ouvrage ou revue et dans une limite totale, incluant les abonnements, de 150 € par année civile |
Échantillon de produits de santé à finalité sanitaire ou exemplaire de démonstration | 20 € dans la limite de trois par année civile, sauf exceptions |
Fournitures de bureaux | 20 € au total par année civile |
Autre produit ou service qui a trait à l’exercice de la profession du bénéficiaire | 20 € au total par année civile |
Sont néanmoins autorisés sans limite de montant les produits dont la fourniture aux professionnels est demandée par une autorité publique |
Le deuxième arrêté fixe les seuils au-delà desquels une convention doit faire l’objet d’une autorisation.
En ce qui concerne les avantages bénéficiant aux professions médicales, professions d’auxiliaires médicaux, personnes exerçant une profession de santé réglementée, ostéopathes, chiropracteurs et psychothérapeutes, les seuils sont fixés comme suit :
Nature de l’avantage | Seuils en deçà desquels une convention ne nécessite pas de déclaration |
---|---|
Rémunération nette, indemnisation et défraiement d’activités de recherche, de valorisation de la recherche, d’évaluation scientifique, de conseil, de prestation de services ou de promotion commerciale | 200 € par heure, dans la limite de 800 € par demi-journée et de 2 000 € pour l’ensemble de la convention |
Dons et libéralités destinés à financer exclusivement des activités de recherche, de valorisation de la recherche ou d’évaluation scientifique | 5 000 € |
Hospitalité offerte lors de manifestations à caractère exclusivement professionnel ou scientifique, ou lors de manifestations de promotion des produits ou prestations | 150 € par nuitée, 50 € par repas et 15 € par collation, et 2 000 € pour l’ensemble de la convention incluant le coût des transports pour se rendre sur le lieu de la manifestation. |
Financement ou participation au financement d’actions de formation professionnelle ou de développement professionnel continu | 1000 € |
- Après deux ans d’encadrement des avantages, quel bilan pour le CNOM ?
Le CNOM constate qu’en 2022, 54 448 recommandations ont été émises contre 12 453 autorisations accordées permettant ainsi à 115 361 médecins de bénéficier directement ou indirectement d’avantages, contre seulement 75 étudiants en formation initiale se destinant à une profession de santé.
Parmi les 153 239 conventions déclarées au CNOM en 2022, seules 29 % d’entre elles ont reçues une recommandation.
Ces chiffres mettent en exergue un contrôle restreint des dossiers soumis à la procédure de déclaration.
Le CNOM expose également dans son rapport les principaux motifs de refus de convention :
- Hospitalité trop élevée
- Honoraires trop élevés
- Temps libre excessif par rapport à la durée du programme scientifique
- Absence d’autorisation de l’autorisation de la hiérarchie
- Discordance entre le contenu de l’autorisation de la hiérarchie et celui de la convention
- Aucun intérêt scientifique à la participation du médecin à un évènement à l’étranger
- Hospitalité interdite aux étudiants.
- Hors procédure – le délai de soumission de la convention n’ayant pas été respecté, car il est d’au moins 8 jours avant l’octroi de l’avantage s’il s’agit d’une recommandation et d’au moins deux mois s’il s’agit d’une demande d’autorisation.
Après deux ans de mise en application du dispositif, le CNOM met notamment en évidence la difficulté de traitement des dossiers dans le délai réglementaire.
A cet égard, dans un contexte de forte inflation, le CNOM est favorable à une augmentation des seuils en ce qui concerne l’octroi d’avantages soumis à autorisation en ce que cela réduirait le nombre de dossiers soumis par les industriels sous le régime des autorisations.
Les modalités du dispositif « Encadrement Avantages » précisées par le décret n°2020-730 ont permis d’organiser les relations entre les médecins et l’industrie des médicaments et des dispositifs médicaux tout en contribuant à garantir l’indépendance professionnelle des médecins.
Ainsi, bien que certains points mériteraient selon le CNOM d’être revus voire, simplifiés en ce qui concerne notamment les modalités de traitement du régime d’autorisation, ce qui signifie que le dispositif sera probablement amené à évoluer, le bilan reste, pour l’Ordre, plutôt positif.
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RESPONSABLES DU PÔLE EXERCICE LIBÉRAL
Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.
Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :
- contrats d’exercice, de recherche,
- tarification à l’activité,
- recouvrement de créances,
- restructuration de la dette, financements désintermédiés,
- emprunts toxiques
Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.
Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).
Avocat au Barreau de Paris depuis janvier 2016, Lorène Gangloff a rejoint le Cabinet Houdart & Associé en janvier 2020 et intervient au sein du pôle Organisation.
Après plusieurs années passées au sein du département santé d’un cabinet de droit des affaires, elle accompagne principalement les professionnels de santé libéraux en conseil (création et fonctionnement de leurs structures d’exercice, opérations de rachat ou fusion de cabinets, relations contractuelles avec les établissements de santé) comme en contentieux (conflits entre associés, ruptures de contrat d’exercice).
Elle assiste également les établissements de santé dans leurs projets de restructuration ou de coopération et les représente dans le cadre d’éventuels contentieux.
Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.
Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …).
Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).
Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.
Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.