transfert d’entreprise et protection du salarié protégé : les précisions de la chambre sociale
Article rédigé par Alice Agard et Guillaume Champenois
Cour de cassation, chambre sociale, 1er juin 2023, n°21-21.191
Dans un arrêt en date du 1er juin dernier, la chambre sociale a jugé que l’absence de mention par l’entreprise cédante du mandat de représentant personnel d’un salarié ne dispense pas l’employeur cessionnaire de respecter la procédure applicable au licenciement des salariés protégés. Le cas échéant, l’indemnité pour violation du statut protecteur doit prendre en compte le salaire moyen des douze derniers mois précédant son arrêt de travail pour maladie.
En l’espèce, un salarié est élu en 2015 délégué du personnel suppléant. En 2017, la société l’employant est cédée à une société cessionnaire. Placé par la suite en arrêt de travail, le salarié est déclaré inapte à son poste de travail lors d’une visite de reprise, puis licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.
Invoquant la violation de son statut protecteur, le salarié saisi la juridiction prud’homale de demandes tendant à la nullité de son licenciement prononcé sans autorisation administrative préalable et au paiement de sommes subséquentes formées à l’encontre de son nouvel employeur.
La Cour d’appel de Limoges accueille ses demandes.
La société cessionnaire forme alors un pourvoi en cassation.
L’employeur fait d’abord valoir qu’il n’avait pas connaissance du mandat représentatif du salarié : celui-ci « ne pouvait se prévaloir à l’appui de sa demande tendant à voir juger son licenciement nul, d’un mandat de délégué du personnel suppléant dont l’existence avait été occultée par l’entreprise cédante lors de son transfert et qu’il lui avait lui-même dissimulé en s’abstenant volontairement, tout au long de l’exécution de son contrat de travail, d’exercer les attributions que ce mandat lui avait confiées ».
La Cour de cassation rejette cet argument. Elle rappelle qu’aux termes de l’article L.2314-28 du Code du travail dans sa version antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, en cas de modification dans la situation juridique de l’employeur, le mandat des délégués du personnel de l’entreprise cédée subsiste lorsque celle-ci conserve son autonomie juridique. Or, en l’espèce, l’entreprise avait conservé son autonomie à l’issue du transfert, de sorte que le salarié avait conservé son mandat de délégué du personnel suppléant. L’employeur aurait donc dû solliciter l’autorisation de l’inspecteur du travail pour licencier un salarié délégué du personnel, conformément à l’article L. 2411-5 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 2017. Il en découle que « le statut protecteur du salarié imposait à la société SODAC de solliciter auprès de l’inspecteur du travail l’autorisation préalable de le licencier, peu important que l’acte de cession ne fasse pas mention de ce mandat et que le salarié n’en ait pas fait état auprès d’elle ».
La société cessionnaire reprochait aussi à l’arrêt d’appel de la renvoyer à mieux se pourvoir auprès du tribunal de commerce pour toutes les demandes en garantie formées à l’encontre de la société cédante. La chambre sociale écarte également cet argument : la compétence du conseil de prud’hommes pour connaître du litige opposant un salarié protégé à la société cessionnaire « ne peut être étendue au différend opposant la société cessionnaire à la société cédante fondé sur l’absence alléguée de mention dans l’acte de cession de l’existence du mandat du salarié. ».
La Haute juridiction accueille en revanche le pourvoi incident formé par le salarié. Celui-ci reprochait à la Cour d’appel d’avoir calculé l’indemnité pour violation de son statut protecteur en prenant en compte les salaires perçus pendant son congé maladie, excluant ainsi les commissions.
Au visa des articles L. 2411-1 et L. 2411-2, la chambre sociale rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle le salarié licencié en méconnaissance de son statut protecteur et qui ne demande pas la réintégration peut prétendre à la rémunération qu’il aurait dû percevoir depuis son éviction jusqu’à l’expiration de la période de protection dans une limite de trente mois (Soc., 5 janv. 2022, n°20-16.287).
Or, en vertu de l’article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 22 mai 2019, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en raison de son état de santé.
Dès lors, « lorsque le salarié protégé a été en arrêt de travail pour maladie pendant la période d’éviction, la rémunération à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité due au titre de la violation du statut protecteur est le salaire moyen des douze derniers mois perçu avant l’arrêt de travail ». La cour applique ce faisant au salarié protégé une solution qu’elle avait déjà pu dégager par le passé (not. Soc. 26 juin 2019, n°18-17.120). La cour d’appel aurait ainsi du prendre en considération la rémunération moyenne du salarié perçue pendant les douze mois précédant son arrêt de travail pour maladie et non avant la rupture du contrat.