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jurisprudence judiciaire
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exposition à l’amiante et responsabilité de l’employeur : les précisions jurisprudentielles récentes

Article rédigé par Alice Agard et Pierre-Yves Fouré

Dans plusieurs arrêts en date de février dernier, la Cour de cassation a apporté des précisions relatives à la responsabilité de l’employeur en cas d’exposition de ses salariés à l’amiante.

Cour de cassation, chambre sociale, 15 février 2023, n°21-19.094

Dans un arrêt du 15 février 2023, la chambre sociale a considéré que la production tardive ou incomplète par l’employeur de l’attestation d’exposition aux agents chimiques dangereux à son salarié relève de l’exécution du contrat de travail, soumettant ainsi l’action du salarié à la prescription biennale de deux ans.

Pour rappel, l’article R. 4412-58 du code du travail prévoit l’obligation pour l’employeur de remettre une attestation d’exposition aux agents chimiques dangereux au travailleur à son départ de l’établissement, quel qu’en soit le motif.

En l’espèce, un salarié avait fait valoir ses droits à une allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, et son contrat de travail à durée indéterminée avait pris fin le 31 décembre 2013. Ayant reçu l’attestation d’exposition le 31 juillet 2014, il saisit alors le conseil des prud’hommes afin d’être indemnisé du préjudice résultant de la remise tardive et incomplète des documents nécessaires au suivi médical post-professionnel prévu pour les salariés exposés à des produits dangereux. L’employeur oppose la prescription biennale prévue par l’article L. 1471-1 alinéa 1 du code du travail (dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017), applicable aux actions portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Le salarié soutient au contraire que la violation de l’article R. 4412-58 relève de la prescription quinquennale de droit commun.

La Cour d’appel juge recevables les demandes du salariés fondées sur la tardiveté et le caractère incomplet de l’attestation, en considérant que « l’attestation d’exposition s’inscrit dans le dispositif spécifique de prévention des conséquences de l’exposition à l’amiante et aux produits dangereux ». Il en résulte pour celle-ci que le manquement de l’employeur à cet égard ne saurait relever de la courte prescription édictée par l’article L. 1471-1 du code du travail, la prescription quinquennale devant donc trouver ici à s’appliquer.

Cassation par la Haute juridiction : « l’action par laquelle un salarié sollicite la réparation du préjudice résultant de la remise tardive ou incomplète de l’attestation d’exposition aux agents chimiques dangereux prévue par l’article R. 4412-58 du code du travail, alors applicable, se rattache à l’exécution du contrat de travail » et relève dès lors du délai de prescription biennale prévu par l’article L. 1471-1 du code du travail.
Il en résulte en l’espèce que le délai de prescription de l’action du salarié expirait « au plus tard le 31 juillet 2016, en sorte que les demandes du salarié, introduites le 26 décembre 2016 sont prescrites ».

Cour de cassation, chambre sociale, 16 février 2023, n°21-16.168

Dans un arrêt du 16 février 2023, la 2ème chambre civile a quant à elle rappelé qu’en application des articles L. 431-2 du code de la sécurité sociale et 2241 du code civil, « l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable ».

En l’espèce, la société auteure du pourvoi faisait valoir que les deux actions en reconnaissance de la faute inexcusable introduites par le salarié à l’encontre de l’un des employeurs, puis de l’autre ne procédaient pas d’un fait dommageable unique mais « relevaient de périodes d’exposition au risque distinctes à plusieurs années d’intervalle dans des circonstances différentes », de sorte qu’il n’était pas possible de retenir que la première action avait eu pour effet d’interrompre la prescription de la seconde.

La Haute juridiction rejette le pourvoi.

Elle rappelle d’abord que « l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur interrompt la prescription à l’égard de toute autre action procédant du même fait dommageable ». Le caractère professionnel de la pathologie présentée par la victime ayant été reconnu le 20 août 2012, l’action en reconnaissance de faute inexcusable engagée contre le second employeur le 15 avril 2013 a été introduite dans le délai de prescription de 2 ans : cette action a ainsi eu pour effet d’interrompre la prescription à l’égard du premier employeur au service duquel le salarié a été exposé au risque, de sorte que son action contre ce dernier est recevable.

Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n°21-14.534
Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n°21-14.451

Dans deux arrêts en date du 8 février 2023, la chambre sociale a jugé que l’employeur qui a continué à utiliser de l’amiante alors qu’il n’était plus titulaire d’aucune autorisation dérogatoire a manqué à son obligation d’exécuter les contrats de travail de bonne foi.

En l’espèce, un arrêté ministériel du 30 septembre 2005 avait inscrit l’établissement de travail des salariés sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) pour la période 1916-2001 et un arrêté du 23 aout 2013 avait étendu cette période jusqu’en 2005. Les salariés de cet établissement saisissent alors la juridiction prud’homale pour obtenir réparation notamment d’un préjudice au titre d’un manquement à l’obligation de loyauté.

La cour d’appel accueille l’action des salariés au titre du manquement de l’employeur à son obligation de loyauté et le condamne à payer une somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice en résultant.

L’employeur forme alors un pourvoi en cassation. Il soutient que l’indemnisation accordée au titre du préjudice d’anxiété répare l’ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence résultant du risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante. Le salarié dont le droit à réparation au titre du préjudice d’anxiété, en application de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, est éteint n’est donc pas recevable à solliciter le versement de dommages-intérêts au titre d’une utilisation d’amiante par l’employeur sur un autre fondement juridique. A titre subsidiaire, l’employeur souligne que même à supposer que le salarié puisse invoquer un manquement à l’obligation de loyauté, l’arrêt n’avait pas caractérisé l’existence d’un préjudice personnellement subi par les salariés, résultant de ce manquement.

La Cour de cassation rejette le pourvoi.

A titre liminaire, celle-ci rappelle sa jurisprudence selon laquelle il résulte de l’article L. 1222-1 du code du travail que l’atteinte à la dignité de son salarié constitue pour l’employeur un manquement grave à son obligation d’exécuter de bonne foi le contrat de travail (Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.686, Bull. 2012, V, n° 58).
Il en résulte en l’espèce que l’employeur, qui avait bénéficié d’une dérogation l’autorisant à poursuivre l’utilisation de l’amiante malgré l’entrée en vigueur de l’interdiction de cette substance, et qui a continué, en toute illégalité, à utiliser ce matériau pendant 3 ans (de 2002 à 2005) alors qu’il n’était plus titulaire d’aucune autorisation dérogatoire, a manqué à son obligation d’exécuter de bonne foi les contrats de travail et doit être condamné à indemniser le salarié.

Quant au second argument invoqué, la Haute juridiction relève que l’employeur ne peut pas présenter devant elle un moyen selon lequel les salariés ne justifiaient pas d’une exposition personnelle à l’amiante alors qu’il avait soutenu devant la juridiction d’appel que tous les salariés de l’établissement avaient reçu leur attestation d’exposition à l’amiante à leur départ de l’entreprise.

Elle relève enfin que les salariés n’invoquaient pas l’existence d’un préjudice d’anxiété au soutien de leur demande au titre de l’obligation de loyauté.

Cour de cassation, chambre sociale, 8 février 2023, n°20-23.312

Dans un autre arrêt du même jour, la chambre sociale s’est également prononcée sur la responsabilité d’une entreprise utilisatrice.

En l’espèce, pour le compte de la société l’employant et dans le cadre d’un marché conclu avec la SNCF, un salarié avait effectué des travaux de manutention au sein de différents établissements de celle-ci.
Après son licenciement pour motif économique, le salarié saisit la juridiction prud’homale de demandes au titre de la réparation du préjudice d’anxiété, dirigées tant contre son employeur que contre SNCF mobilités, en sa qualité d’entreprise utilisatrice.

Déclarée responsable du préjudice du salarié par la cour d’appel, la SNCF forme alors un pourvoi en cassation, en faisant notamment valoir que l’action en réparation du préjudice d’anxiété invoqué par le salarié soutenant avoir été exposé à l’inhalation de poussières d’amiante se rattache à l’exécution du contrat de travail et ne peut dès lors être dirigée que contre l’employeur ayant manqué à l’obligation de sécurité prévue par le code du travail – et à titre subsidiaire, l’absence de lien de causalité et l’absence d’exposition personnelle à l’amiante.

La Haute juridiction rejette cette fois encore le pourvoi.

Elle juge ainsi que si la responsabilité de l’entreprise utilisatrice, qui n’est pas liée au salarié mis à sa disposition par un contrat de travail, ne peut pas être recherchée sur le fondement de l’obligation de sécurité à la charge de l’employeur telle qu’édictée par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, « sa responsabilité peut néanmoins être engagée au titre de la responsabilité extracontractuelle, dès lors que sont établies des fautes ou négligences de sa part dans l’exécution des obligations légales et réglementaires mises à sa charge en sa qualité d’entreprise utilisatrice, qui ont été la cause du dommage allégué ».
La Cour d’appel ayant retenu l’existence « d’un lien de causalité entre les fautes de l’entreprise utilisatrice qu’elle a constatées et le préjudice d’anxiété personnellement subi par le salarié résultant de son exposition à l’amiante générant un risque élevé de développer une pathologie grave », elle pouvait valablement condamner l’entreprise utilisatrice à indemniser le salarié de ce préjudice « sans qu’il soit nécessaire que la responsabilité des employeurs sous-traitants au titre de l’obligation de sécurité ait été retenue ».

Si ces différents arrêts constituent ainsi de nouvelles mises en garde à l’égard des employeurs continuant à être confrontés à l’amiante, ils semblent aussi illustrer les difficultés concrètes rencontrées par de nombreux employeurs – dont un grand nombre de directeurs d’établissements de santé – d’éradiquer définitivement toute trace d’amiante au sein de leurs établissements.
Outre les obstacles d’ordre financier qu’impliquent des travaux de désamiantage de grande envergure, que décider, pendant le temps requis par de telles opérations, s’agissant des patients dont la prise en charge au sein de l’établissement est nécessaire ? Ne pourrait on alors envisager, à l’image du droit pénal, d’exiger de ces employeurs restés passifs l’existence d’un dol spécial pour engager leur responsabilité ?

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