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COVID-19 ET PRESCRIPTION D'HYDROXYCHLOROQUINE
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COVID-19 ET LA PRESCRIPTION DE HYDROXYCHLOROQUINE

Article rédigé le 22 avril 2020 par Laurine  Jeune et Margot Pambrun

Dans le cadre de la lutte contre l’épidémie du Covid-19, des mesures sans précédent ont été initiées afin de limiter la transmission du virus, et, par voie de conséquence, le bilan des décès qu’elle cause.

Nous avons souhaité nous intéresser de plus près à l’un des sujets qui fait débat et pour lequel des mesures dérogatoires spécifiques ont été mises en place : la prescription de la chloroquine.

 

 

Comme chacun le sait, la prescription dans la lutte contre le Covid-19 de la chloroquine et son dérivé chimique l’hydroxychloroquine (qui sont commercialisés sous les noms respectivement de Nivaquine®et de Plaquenil®), a été initiée en France par le Professeur Didier Raoult dans le cadre de l’IHU Méditerranée Infection.

 

Bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), ce médicament est toutefois utilisé par cet IHU et dans d’autre Etats (Chine, Etats-Unis…etc.) pour un usage différent de celui pour lequel il a été autorisé.

 

Quel est donc le cadre de sa prescription et quelles sont les conditions ?

 

Un médicament bénéficiant d’une AMM

 

Tout médicament doit en principe bénéficier d’une AMM conformément aux dispositions de l’article L. 5121-8 du code de la santé publique.

 

L’hydroxychloroquine bénéficie, sous forme de médicaments, d’une autorisation de mise sur le marché délivrée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui précise qu’il est indiqué pour :

  • Traitement symptomatique d’action lente de la polyarthrite rhumatoïde,
  • Lupus érythémateux discoïde,
  • Lupus érythémateux subaigu,
  • Traitement d’appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques,
  • Prévention des lucites.

 

La prescription de ce médicament dans le cadre du Covid-19 ne s’effectue donc pas dans le cadre de son AMM.

 

La prescription hors AMM

Un médicament peut se révéler efficace pour traiter des affections non prévues par l’AMM. Sa prescription dite « hors AMM » est alors possible sous la responsabilité du médecin prescripteur et sous certaines conditions.

 

  • Le principe de liberté de prescription

 

Il n’est pas inutile de rappeler que sur le plan déontologique, le médecin est en principe « libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance. ».

 

Les articles R. 4127-8 et R. 4127-39 du code de la santé publique fixent les contours de ce principe :

 

  • Le médecin doit tenir compte des « données acquises de la science »
  • Primum non nocere : le médecin doit limiter ses prescriptions « à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins» et « tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ». Le remède ne doit pas non plus être « illusoire ou insuffisamment éprouvé », car, on l’imagine, il peut être potentiellement dangereux.

 

L’article L. 1110-5 du code de la santé publique garantie quant à lui au patient le droit de recevoir les soins les plus appropriés et le bénéfice des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des « connaissances médicales avérées ».

 

Lorsqu’un médicament n’a pas subi les tests nécessaires pour être prescrit pour traiter des affections non prévues par l’AMM, se pose la question de ses effets et surtout de son degré de dangerosité.

 

Les grands scandales sanitaires ont souvent été la suite de prescriptions hors AMM comme dans la tristement célèbre affaire du Mediator.

 

L’affaire du Mediator a justement conduit le législateur à poser des conditions de prescription hors AMM.

 

  • Les conditions de la prescription hors AMM 

La loi n° 2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé a créé l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.

 

En synthèse, la prescription hors AMM en l’absence de recommandation temporaire d’utilisation (RTU) est possible sous les conditions cumulatives suivantes :

 

  • La prescription hors AMM ne peut s’effectuer que s’il n’existe pas d’alternative médicamenteuse bénéficiant d’une AMM ou d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU).

 

  • Les données acquises de la science permettent au médecin de juger que le traitement est indispensable à l’amélioration ou la stabilisation de l’état de santé du patient.

 

  • Le prescripteur doit s’acquitter de son obligation d’information à l’égard du patient.

 

  • L’ordonnance doit comporter la mention spécifique : « prescription hors autorisation de mise sur le marché » ou « prescription sous recommandation temporaire d’utilisation » le cas échéant.

 

Quid de l’hydroxychloroquine ?

Si l’on s’en tient à l’article L. 5121-12-1 du code de la santé publique précité, et puisqu’aucun traitement alternatif n’a été mis sur le marché, même temporairement, il faudrait que le prescripteur s’appuie sur les « données acquises de la science » pour légitimer le traitement.

 

Le concept de « données acquises de la science » est ancien et a été introduit, sur le plan juridique, par l’arrêt Mercier (Civ., 20 mai 1936). Ce concept n’a jamais vraiment varié dans son principe, mais le juge a parfois retenu la notion de données « actuelles » de la science (Civ. 1re, 28 octobre 1974), notion écartée par la Cour de cassation dans l’arrêt Pocheron (Civ. 1re, 6 juin 2000).

 

Il n’existe pas de définition précise des « données acquises de la science ». En substance, il peut toutefois être considéré qu’il s’agit des normes / des règles admises par la communauté médicale. La jurisprudence a ainsi pu considérer que les recommandations de bonne pratique élaborées par les institutions compétentes (HAS, l’ANSM) en relèvent (CE 12 janv. 2005, n° 256001 ; CE 27 avr. 2011, n° 334396, Association Forminder). Le juge peut également s’appuyer sur les publications (CAA Marseille, 3 juin 2010 no 04MA02633), les sociétés savantes, ou encore de l’attitude de la communauté médicale.

 

A ce jour, deux études menées par le Professeur Didier Raoult et son équipe ont produit des résultats. Un essai clinique européen baptisé « Discovery » et coordonné par l’Inserm été lancé dans le but de tester 4 traitements, dont l’hydroxychloroquine. Les résultats de l’essai clinique européen Discovery ne seraient pas disponibles avant fin avril. Le CHU d’Angers a également lancé l’étude Hycovid en collaboration avec 36 autres hôpitaux français.

 

Les praticiens peuvent ils s’en satisfaire et prescrire l’hydroxychloroquine ?

 

Le contexte actuel et la médiatisation importante du recours à ce medicament a singulièrement compliqué  la problématique et contraint les pouvoirs publics à intervenir.

 

On peut alors comprendre l’embarras du gouvernement à devoir déterminer si, oui ou non, la prescription de l’hydroxychloroquine est autorisée.

 

Cela revient à prendre partie et gare à l’erreur :

 

L’autoriser alors que des études démontreraient que la prescription de ce médicament présente davantage de risques, induirait une responsabilité de l’Etat.

 

A l’inverse, l’interdire dans le cas du Covid-19 alors qu’il serait démontré ultérieurement son efficacité, conduirait à des reproches inévitables.

 

 

Cet embarras éclaire les mesures règlementaires qui ont été adoptées et que l’on peut qualifier  d’« intermédiaire » : une prescription autorisée dans un milieu exclusivement hospitalier et une responsabilité collégiale dans la prise de décision.

 

Une autorisation dérogatoire pour la prescription de l’hydroxychloroquine a été créée afin de traiter les cas de Covid-19, au terme d’un décret du 25 mars 2020 complété par un décret du 26 mars 2020.

 

Il s’agit d’une autorisation dérogatoire aux dispositions relatives aux AMM (cf. article L. 5121-8 du code de la santé publique précité), pour que l’hydroxychloroquine puisse être prescrite, dispensée et administrée « sous la responsabilité d’un médecin aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. »

 

La « décision collégiale » avant la prescription de l’hydroxychloroquine doit respecter les recommandations du Haut conseil de la santé publique. Le Haut conseil de la santé publique a recommandé de n’utiliser l’hydroxychloroquine que pour des formes graves de l’infection, et sous surveillance médicale stricte. Les mesures règlementaires encadrant sa prescription sont claires : « En présence de signes de gravité, un traitement peut être envisagé : utilisation dans ce contexte d’une molécule à effet antiviral attendu (association fixe lopinavir ritonavir, voire le Remdesivir dans les cas les plus sévères) ou, à défaut de l’hydroxychloroquine. »

 

Ainsi la porte n’est ni fermée ni totalement ouverte.

 

Le débat est donc loin d’être terminé et trouvera sa conclusion alors que la pandémie aura cessé dans un probable règlement de compte…. Comme l’histoire de la médecine en est émaillée périodiquement.

 

 

Me Laurine Jeune, avocate associée, a rejoint le Cabinet Houdart et Associés en janvier 2011.

Elle conseille et accompagne depuis plus de douze ans les acteurs du secteur de la santé et du médico-social, publics comme privés, dans leurs projets d’organisation ou de réorganisation de leurs activités :

- Coopération (GCS de moyens, GCS exploitant, GCS érigé en établissement, GCSMS, GCSMS exploitant, GIE, GIP, convention de coopération, co-construction,…etc.)
- Transfert partiel ou total d’activité (reprise d’activités entre établissements (privés vers public, public vers privé, privé/privé, public/public),
- Fusion (fusion d’association, fusion entre établissements),
- Délégation et mandat de gestion,
- GHT, etc.

Me Laurine Jeune intervient également en qualité de conseil juridique auprès des acteurs privés en matière de création et de fonctionnement de leurs structures (droit des associations, droit des fondations, droit des sociétés).

Enfin, elle intervient sur des problématiques juridiques spécifiquement liés à :

- la biologie médicale,
- la pharmacie hospitalière,
- l’imagerie médicale,
- aux activités logistiques (blanchisserie, restauration),
- ou encore à la recherche médicale.