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La lettre du service public de santé
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LA LETTRE DU SERVICE PUBLIC DE SANTÉ #8
MAI 2024

Me Laurent Houdart, Me Guillaume Champenois, Me Caroline Lesné  , Me Xavier Laurent et Me Jessica Phillips  ont participé à la rédaction de cette lettre.

SOMMAIRE

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DÉCRYPTAGE

Harcèlement sexuel à l’hôpital et enquête administrative

Le mouvement #Metoo vient de franchir timidement les portes de l’hôpital. Madame Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint Antoine, a révélé au travers un article de Paris Match avoir fait l’objet d’un harcèlement sexuel et moral de la part d’un praticien urgentiste. Le harcèlement sexuel défini à l’article 222-33-2 du code pénal est une réalité quotidienne pour nombres de professionnelles exerçant à l’hôpital. Comment mener une enquête administrative ? Quand et comment saisir le Procureur de la République ? Faut-il suspendre l’agent présumé auteur du harcèlement moral ? Si oui, qui est compétent pour le faire ? La réponse dans cet article.

 

Le site internet France Info a mis en ligne récemment un article dont le titre est le suivant ; « #MeToo à l’hôpital : l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn raconte le harcèlement qu’elle a subi lorsqu’elle était médecin ». Cet article du 7 mai 2024 fait le constat d’une libération de la parole sur le harcèlement sexuel au sein des hôpitaux publics dans la continuité du témoignage de madame Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine laquelle a rendu public, par l’intermédiaire d’un article paru dans le magazine Paris Match, le fait d’avoir subi du harcèlement sexuel et du harcèlement moral de la part de l’un de ses confrères urgentistes.

 

La dénonciation d’une situation de harcèlement sexuel est une réalité pour tout directeur d’un établissement public santé ou médico-social

En effet, il n’est pas rare que le directeur d’un tel établissement soit destinataire d’un courrier ou d’un courrier électronique émanant d’un agent imputant à un autre professionnel de l’établissement un comportement qualifié d’inadapté et qui présente en réalité toutes les caractéristiques d’un harcèlement sexuel.

Une telle dénonciation ne doit jamais être négligée par l’employeur public.

En effet, aux termes de l’article L 133-1 du code général de la fonction publique, « aucun agent public ne doit subir les faits : 1° De harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ; 2° Ou assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers. »

Surtout, le harcèlement sexuel est une infraction pénale (article 222-33-2 du code pénal) tout comme le harcèlement moral (article 222-33-2-2 du code pénal).

Comme nous le verrons ci-après, cela pose nécessairement la question de l’avis à donner au Procureur de la République de la connaissance d’une telle infraction au visa et sur le fondement des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale.

Cela pose aussi et surtout la question de l’instruction d’une telle dénonciation à l’autorité administrative employeur.

 

Comment instruire la dénonciation d’un harcèlement sexuel ?

On peut distinguer schématiquement trois hypothèses, celle d’une dénonciation ne présentant aucun caractère de vraisemblance ou de sérieux, celle d’une dénonciation présentant un caractère de vraisemblance suffisant conduisant à considérer que nous sommes en présence d’une véritable présomption laquelle doit faire l’objet d’une confirmation ou d’une infirmation, et enfin l’hypothèse où l’agent public apporte la preuve incontestable de la matérialité dudit harcèlement.

Dans cette dernière hypothèse, l’analyse et les actions à mener sont simples. Le harcèlement moral comme le harcèlement sexuel sont des fautes disciplinaires d’une gravité certaine justifiant le prononcé d’une sanction disciplinaire parmi les plus lourdes.

Pour les fonctionnaires, il conviendra de saisir le conseil de discipline dans les règles et prescriptions des dispositions du code général de la fonction publique et du décret relatif à la procédure disciplinaire dans la fonction publique hospitalière.

Pour les praticiens nommés à titre permanent, l’autorité titulaire du pouvoir de nomination et détentrice du pouvoir disciplinaire n’est pas le directeur de l’établissement employeur mais la directrice générale du centre national de gestion. De fait, il incombe alors au chef d’établissement de saisir l’intéressée sans délai et de solliciter de sa part non seulement l’ouverture d’une procédure disciplinaire à l’encontre du praticien harceleur mais également sa suspension à caractère conservatoire.

C’est donc au centre national de gestion et à lui seul de prendre ici cette responsabilité.

Par ailleurs, le harcèlement sexuel comme le harcèlement moral étant des infractions pénales, dans cette hypothèse d’une démonstration avérée de l’existence d’un harcèlement sexuel, le directeur d’établissement doit également adresser au Procureur de la République un signalement au visa et sur le fondement des dispositions de l’article 40 du code de procédure pénale qui prescrit à tout fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs.

C’est ici une obligation légale confortée par les dispositions de l’article L 121-11 du code général de la fonction publique lequel dispose que « les agents publics se conforment aux dispositions du second alinéa de l’article 40 du code de procédure pénale pour tout crime ou délit dont ils acquièrent la connaissance dans l’exercice de leurs fonctions. »

Au-delà de cette gestion strictement juridique, il ne faut cependant pas négliger la gestion d’une telle situation sur le terrain de la santé au travail. Il est ici nécessaire de recevoir l’agent pour lui rappeler ses droits, notamment son droit à déposer une demande d’imputabilité au service de ses arrêts de travail comme son droit à bénéficier de la protection fonctionnelle, mais aussi et surtout pour s’assurer de son état de santé. Si nécessaire, il conviendra de saisir le service de santé au travail afin que l’agent soit convoqué au plus vite par le médecin du travail.

En outre, dans l’hypothèse où la dénonciation d’une situation de harcèlement, sexuel comme moral, est opérée par plusieurs professionnels d’un même service, la direction de l’établissement pourra ici saisir la formation spécialisée du comité social d’établissement dans la finalité de mettre au vote la réalisation d’une visite de service dont la mission sera d’appréhender la situation sur le terrain des conditions de travail et des éventuels risques pour la santé des professionnels. À l’issue de cette visite de service, une restitution sera opérée en séance et il sera dressé un procès-verbal qui formulera des recommandations à l’employeur.

Dans l’hypothèse où la dénonciation ne présente aucun caractère sérieux ou aucun caractère de vraisemblance, l’employeur public doit faire le constat qu’il ne dispose pas, en l’état des pièces et informations transmises à son attention d’éléments suffisant permettant de caractériser l’existence d’une situation de harcèlement.

Concrètement, cela induit d’adresser à l’agent une réponse écrite qui expose que les éléments portés à la connaissance de la direction ne permettent pas, en l’état, de caractériser une présomption de harcèlement sexuel.

La gestion d’une telle situation est ici fonction des circonstances propres à chaque dossier.

Pour autant, il est également ici opérant de recevoir l’agent. En effet, si l’agent est ici possiblement dans un simple ressenti d’une situation qui, dans les faits, ne révèle aucun harcèlement moral ou aucun harcèlement sexuel, ledit ressenti peut néanmoins générer une réelle souffrance qui peut être particulièrement préjudiciable pour sa santé. Or, l’employeur hospitalier a, comme tout autre employeur, une obligation de moyen renforcé en termes de santé au travail.

Ainsi, en fonction des constatations opérées durant l’entretien, le chef d’établissement ou son adjoint en charge des ressources humaines, pourront saisir le service de santé au travail afin que l’agent soit convoqué par le médecin du travail.

Au-delà de cette légitime préoccupation, recevoir l’agent est opérant pour lui expliquer la notion même de harcèlement qui implique la réitération de faits et non pas l’expression d’un ressenti. Il pourra ainsi lui être expliqué qu’il est nécessaire de viser des faits précis. C’est plus opérant et efficace que la seule notification d’un courrier de rejet.

Dans l’hypothèse où les faits dénoncés par l’agent présentent un caractère de vraisemblance, la direction de l’établissement doit ici chercher à confirmer ou à infirmer l’existence d’un tel harcèlement sexuel par tout moyen à sa disposition. Ce faisant, à la différence des deux précédentes hypothèses, la nécessité de confirmer ou infirmer la présomption de harcèlement sexuel ainsi établie par l’agent doit conduire à ordonner l’ouverture d’une enquête administrative.

Enfin, tout comme dans les hypothèses précédentes, il conviendra également de recevoir l’agent et d’évoquer avec lui les faits ainsi dénoncés et de s’assurer de son état de santé.

 

Comment mener une enquête administrative ?

En dehors du chapitre IV du titre 1er du livre 1 du code de la sécurité intérieur portant sur les enquêtes administratives dans le cadre du recrutement de professionnels occupant des emplois très spécifiques et mises en œuvre au visa de l’article L 114-1 dudit code, aucun autre texte n’encadre l’ouverture comme n’encadre le déroulement d’une enquête administrative.

L’enquête administrative visant à établir la matérialité d’un fait fautif dans l’exercice des fonctions d’un agent public donc n’est pas normée par un texte législatif ou règlementaire. Le code général de la fonction publique n’en fait pas mention. C’est la jurisprudence du conseil d’État qui en a fixé, au fil des années, les contours et les limites.

En premier lieu, il n’existe aucun texte législatif ou règlementaire comme aucun principe général du droit qui conduit à contraindre l’autorité administrative employeur à diligenter ou ordonner une enquête administrative. Le corollaire de ce constat est que relevant du libre pouvoir d’appréciation de l’administration, la décision consistant à diligenter une enquête administrative interne est une mesure d’ordre intérieur insusceptible de recours (Cour administrative d’appel de Paris – 4ème chambre 11 mars 2022 / n° 21PA04591 : « La décision de procéder ou non à une enquête interne constitue une mesure d’ordre intérieur »).

En deuxième lieu, l’enquête administrative n’est pas un acte de procédure pénale et la retranscription des entretiens ne s’analysent pas tout à fait comme des procès-verbaux d’un service d’enquête judiciaire. Plus précisément, nous sommes ici sur des comptes rendus d’entretien lesquels n’ont pas nécessairement à être co-signés par la personne entendue. Il ne ressort en effet d’aucun texte que la personne entendue dans le cadre d’une enquête administrative doit signer la retranscription des réponses apportées aux questions qui lui sont posées.

En troisième lieu, l’enquête administrative n’est pas une procédure disciplinaire de sorte que l’agent entendu n’a aucun droit à être assisté de la personne de son choix comme il n’a aucun droit à exiger une quelconque confrontation. Ce faisant, si ce n’est pas un droit pour l’agent, rien ne fait obstacle à ce que l’administration employeur accepte que l’agent entendu soit assisté d’une tierce personne mais de préférence un représentant du personnel de l’établissement.

Ce faisant, l’actualité de la jurisprudence des juridictions administratives conduit à devoir se poser la question du droit de se taire de l’agent entendu par une délégation d’enquête et donc de refuser de répondre aux questions.

 

En l’état de la jurisprudence, le droit de se taire lors de la procédure disciplinaire ne s’étend pas à l’enquête administrative

Comme précisé précédemment, l’enquête administrative n’est pas normée et aucun texte ne pose le principe que l’agent entendu dispose du droit de se taire et donc ne pas répondre aux questions qui lui sont posées. Ce faisant, par un arrêt du 2 avril 2024 rendu sous le numéro 22PA03578, faisant suite à une décision du conseil constitutionnel n°2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris a jugé ceci ;

« 2. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : ” Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi “. Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

Le principe ainsi dégagé par la jurisprudence est simple. L’agent à l’encontre duquel est engagé une procédure disciplinaire doit être informé qu’il a le droit de se taire.

Ce faisant, la jurisprudence du conseil d’Etat est constante quant au fait qu’une enquête administrative n’est pas assimilable à une enquête disciplinaire raison d’ailleurs pour laquelle la haute juridiction administrative dénie à l’agent le droit d’être assisté par le défenseur de son choix lors de son audition par la délégation d’enquête.

Aussi, faut-il craindre une évolution de la jurisprudence qui conduirait  à devoir informer chaque agent entendu dans le cadre d’une enquête administrative qu’il a le droit de se taire et donc de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées ?

En droit, le conseil constitutionnel vise bien les seules procédures disciplinaires dans sa décision du 8 décembre 2023 précitée. Le juge administratif a fait de même dans son arrêt de la CAA de Paris du 2 avril 2024. Ainsi, le fait que le conseil d’Etat juge de manière constante que l’enquête administrative n’est pas assimilable à une procédure disciplinaire conduit à faire le constat que l’agent entendu dans le cadre de l’enquête administrative ne devrait avoir aucun droit de se taire et donc de refuser de répondre aux questions.

En opportunité, informer l’ensemble des agents entendus qu’ils ont le droit de se taire et donc de ne pas répondre aux questions de la délégation d’enquête va à l’encontre même du principe de l’enquête administrative. Il apparait ici inopérant d’inviter ou de proposer à un agent qui est entendu en tant que seul témoin de se taire. C’est d’autant moins opérant que le droit de se taire a pour objectif de s’assurer que l’agent puisse ne pas s’accuser et reconnaître la matérialité de la faute. La Cour administrative d’appel de Paris motive son arrêt ainsi ; « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi “. Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. »

C’est ici un point qui n’est pas anodin alors que la jurisprudence considère qu’un grief reproché à l’agent public est établi dès lors que l’intéressé l’a reconnu (arrêt du 30 avril 2024 de la CAA de Lyon rendu sous le numéro 22LY02714).

eOr, la présumée victime comme la personne simplement témoin d’une scène ou d’un fait ne saurait « s’accuser » en répondant aux questions qui lui sont posées.

Ce faisant, la question se pose avec plus d’acuité pour la personne qui est entendue comme auteur présumé d’un harcèlement sexuel . En effet, si la procédure d’enquête administrative n’est pas une procédure disciplinaire, les propos, explications et autre observations formulées par l’agent entendu dans le cadre de l’enquête pourront être utilisés contre lui ultérieurement au cours de la procédure disciplinaire.

De fait, pour prévenir tout risque juridique, il peut paraître opérant d’informer cet agent qu’il a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées. C’est ici une précaution qui permet de sécuriser la procédure d’enquête.

Au demeurant, dans les faits, on constate en réalité que les agents ainsi mis en cause sont plutôt en demande d’être entendu et plus précisément d’être entendu en la présence de leur conseil. Ils sont attachés à combattre l’imputation de harcèlement sexuel formulée à leur encontre. Aussi, l’information ainsi délivrée que l’agent concerné dispose du droit de se taire ne devrait pas constituer une difficulté prégnante pour finaliser l’enquête administrative.

 

La bonne méthodologie pour réaliser l’enquête administrative

Au-delà de ces points de droit, la question de l’enquête administrative pose nécessairement la question de son déroulé, de celle des questions pouvant ou devant être posées, de celle de la synthèse des comptes rendus d’entretien. Autrement formulé, et c’est là un point à ne pas négliger, diligenter une enquête administrative c’est aussi adopter une méthodologie rigoureuse permettant de garantir la confidentialité des échanges comme la nécessaire objectivation des faits.

La première étape est celle de la constitution d’une délégation d’enquête et la fixation de la lettre de mission du chef d’établissement à son attention laquelle doit être rédigée de manière neutre et doit présenter un périmètre suffisamment large pour permettre aux membres de la délégation d’enquête d’entendre l’ensemble des professionnels susceptibles d’apporter un éclairage sur les faits portés à la connaissance de la direction et présentés comme des faits de harcèlement sexuel.

Si l’imputation de harcèlement sexuel est opéré à l’encontre d’un praticien, la délégation d’enquête sera opportunément composé d’un ou plusieurs membres de la gouvernance médicale (PCME ou chef de pôle) et d’un représentant de la direction en la personne, par exemple, du directeur des affaires médicales.

Dans un deuxième temps, il convient de préparer en amont des entretiens la liste des questions qui seront posées aux professionnels entendus par la délégation d’enquête. Celles-ci doivent être parfaitement objectives ; Avez-vous fait l’objet de propos répétés à connotations sexuelle ? monsieur X a-t-il formulé des avances sexuelles ? Monsieur X a-t-il apposé ses mains sur une partie de votre corps et si oui laquelle ou lesquelles ? Peut on objectivement qualifié monsieur X de « tactile » et si oui pourquoi ? Pouvez-vous situez le lieu et la date des faits ? Avez-vous été témoin de propos à connotation sexuelle de la part de monsieur X ? Si oui pouvez-vous dater les faits ? etc…

La nature des questions sera naturellement fonction de la nature du harcèlement dénoncé et il conviendra de tenir compte des caractéristiques propres au harcèlement moral comme des caractéristiques propres au harcèlement sexuel.

Il faut faire preuve d’une capacité d’adaptation et donc savoir rebondir sur une réponse qui permet d’ouvrir un autre champ de questions et de réponses même si cela conduit évoquer un comportement fautif qui va, dans sa nature, au-delà dudit harcèlement sexuel.

Pour ce qui concerne l’ordre des entretiens, on peut conseiller d’entendre en premier lieu la personne ayant dénoncé les faits de harcèlement sexuel auprès de la direction. A cette occasion, il pourra être demandé à l’agent d’étayer ses propos par des exemples précis et concret outre la communication de toute pièce, tout témoignage à l’appui de son propos.

Si la dénonciation vise nominativement un ou une professionnelle de l’établissement, celle-ci devra nécessairement être entendue par la délégation d’enquête. Il est ici préférable de l’entendre en dernier, une fois que la délégation d’enquête dispose de l’ensemble des comptes rendu d’entretien de l’ensemble des professionnels entendus. C’est ici la logique du cercle concentrique. Après avoir entendu la présumée victime, il faut commencer les entretiens dans un ordre qui évoque un cercle qui se resserre petit à petit jusqu’à la personne même à l’encontre de laquelle est dénoncé des faits de harcèlement sexuel.

Le point le plus important est celui de la bonne rédaction des comptes rendus d’entretien. Par bonne rédaction, il faut entendre une rédaction qui reflète avec précision les réponses des agents entendus sur les questions précises et objectives posées par les membres de la délégation d’enquête.

Une rédaction trop générale et peu précise préjudicie à la démonstration de la matérialité d’un fait fautif. Cela fragilise donc l’ensemble de la procédure d’enquête administrative.

Dernière étape de l’enquête administrative, il faut établir un rapport de synthèse de l’enquête administrative ou rapport d’enquête. Un tel rapport ne se limite pas à la retranscription de tels ou tels entretiens. Il est le reflet de l’analyse de la délégation d’enquête sur les faits dénoncés à la lumière des informations, pièces et témoignages recueillis quant à l’existence ou non de faits laissant présumer un harcèlement. Cela induit de maîtriser a minima la notion juridique de harcèlement sexuel comme la notion de harcèlement moral.

Ce rapport d’enquête administrative, une fois finalisé, a vocation à être adressé au chef d’établissement lequel doit en accuser réception et donner ses instructions qui découlent des conclusions de ladite enquête.

Si l’enquête administrative conclut à l’existence d’un harcèlement sexuel, le chef d’établissement doit alors donner instruction de l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Tout autant, il doit saisir sans délai le ministère public au visa et sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale s’il ne l’a pas déjà fait.

A l’inverse, si les conclusions de l’enquête conduisent à constater qu’il n’existe pas d’éléments permettant de confirmer l’imputation d’un harcèlement, l’autorité administrative employeur doit clore le dossier.

Durant le déroulé de l’enquête, la direction pourra utilement faire passer le message dans le service que l’agent mis en cause est présumé innocent des faits qui lui sont imputés et que l’enquête administrative interne n’est pas une procédure disciplinaire.

 

Faut-il prononcer la suspension à caractère conservatoire de l’agent visé par des imputations de harcèlement sexuel ?

Lorsqu’il est établi qu’un agent public a commis des faits de harcèlement sexuel ou que les faits ainsi imputés présentent un caractère de vraisemblance suffisant pour considérer que lesdits faits ont eu lieu, il est pertinent de prononcer la suspension à caractère conservatoire de l’agent.

Si cela ne pose aucune difficulté pour les fonctionnaires (suspension prononcée au visa du code général de la fonction publique) comme pour les agents contractuels (suspension prononcée au visa du décret n°91-155 du 6 février 1991), il en est tout autrement pour les praticiens nommés à titre permanent. En effet, pour ces professionnels, seule la directrice générale du centre national de gestion est juridiquement compétente pour prononcer la suspension à caractère conservatoire du praticien hospitalier en prévision de l’ouverture d’une procédure disciplinaire.

Si le chef d’établissement peut suspendre un praticien hospitalier si des circonstances exceptionnelles révèlent tout à la fois une mise en péril du patient et une mise en péril de la continuité du service, ce n’est ici qu’une simple tolérance prétorienne. Elle a d’ailleurs tendance à se restreindre de plus en plus année après année, le juge administratif considérant que le recours à cette mesure de suspension à caractère conservatoire ne doit pas devenir un mode de gestion habituelle des comportements fautifs des praticiens.

La suspension conservatoire d’un praticien hospitalier au motif qu’il est établi qu’il a commis du harcèlement sexuel sans que ne soit démontré l’existence d’une telle situation exceptionnelle conduira invariablement à l’annulation de la mesure de suspension par le juge administratif.

A titre d’exemple, dans un jugement du 1er juillet 2021 rendu sous le numéro 1806768 le tribunal administratif de Lille a annulé la décision de suspension prononcée par un directeur d’établissement à l’encontre d’un praticien par les considérants suivants ;

« Le 25 janvier 2018, deux autres infirmières de bloc opératoire ont informé le directeur du centre hospitalier de X qu’elles faisaient également l’objet de la part de M. Y de gestes et remarques particulièrement indélicats. Il ressort toutefois des pièces du dossier, et en particulier d’une feuille d’événement indésirable datée du 16 décembre 2015 et des témoignages de praticiens recueillis par le directeur du centre hospitalier de X, que le comportement regrettable de M. Y, qui est défavorablement connu pour son attitude inconvenante à l’égard des femmes, imposant des contacts physiques non désirés et multipliant gestes choquants et remarques dégradantes à caractère sexuel, est notoire depuis plusieurs années au sein de l’établissement. Le centre hospitalier X n’apporte aucun élément de nature à établir que la poursuite de l’activité hospitalière de M. Y était de nature à caractériser une situation exceptionnelle mettant en péril, de manière imminente, la continuité du service ou la sécurité des patients. Dans ces circonstances, M. Y est fondé à soutenir qu’en le suspendant de ses fonctions par la décision attaquée, le directeur du centre hospitalier de X a fait une inexacte application des principes rappelés au point 2 et, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, à demander l’annulation de cette décision, ainsi que de la décision de rejet de son recours gracieux. »

La direction d’un établissement public de santé est donc ici totalement dépendant du centre national de gestion et ce n’est pas sans poser de réelles et récurrentes difficultés.

Or, il est rare que l’on puisse faire la démonstration d’une mise en péril tout à la fois du patient et de la continuité du service en raison d’un harcèlement sexuel commis par un praticien sur une infirmière et ou une aide-soignante ou a préjudice de l’une de ses consœurs.

Dans les faits, un directeur d’établissement peut donc se retrouver dans une situation où il est démontré la réalité d’une situation de harcèlement sexuel au préjudice du personnel féminin de l’établissement par un praticien hospitalier nommé à titre permanent sans que ledit praticien ne soit suspendu du fait de l’absence de toute mesure prise en ce sens par le centre national de gestion.

 

En conclusion

L’expérience de ces dossiers montre que l’enquête administrative est le plus souvent indispensable. Elle permet de disposer d’une vision claire de la situation et permet de contribuer à la libération de la parole au sein du service. Au-delà de cette instruction d’une dénonciation d’un harcèlement sexuel porté à la connaissance de la direction d’un établissement, il est pertinent de s’inscrire au long cours dans une logique de prévention. Il faut bien percevoir que nous sommes ici, au-delà du débat juridique, sur un sujet de savoir être et que nombres de personnels médicaux n’ont toujours pas compris qu’il est des comportements qui n’ont plus lieu d’être.

Sur ce terrain de la prévention, la direction d’un établissement public de santé peut utilement recourir à la formation spécialisée du comité social d’établissement pour proposer aux représentants du personnel y siégeant différentes actions communes sur le terrain de la prévention. C’est ici l’opportunité de les amener à réaliser des actions de prévention concrètes aux côtés de l’employeur ce qui ne peut être que bénéfique sur le terrain du dialogue social.

La seule réelle difficulté prégnante et hautement problématique à laquelle un chef d’établissement est aujourd’hui confrontée dans ce type de dossier c’est lorsque la dénonciation portée à sa connaissance vise un praticien hospitalier nommé à titre permanent. En effet, en pareille hypothèse, l’action du chef d’établissement se limite à pouvoir engager une enquête administrative et, le cas échéant, à saisir le procureur de la République. Le chef d’établissement est ici totalement dépendant du centre national de gestion et donc de son bon vouloir. Si l’enquête administrative interne confirme la présomption de harcèlement sexuel, le chef d’établissement sera néanmoins totalement dépourvu pour écarter temporairement du service l’intéressé. Il demeure dépendant du bon vouloir du centre national de gestion.

Cela pose, dans les faits et au quotidien, de graves et récurrentes difficultés.

LE FOCUS DU MOIS

5 ans de rupture conventionnelle dans la fonction publique : revue de jurisprudence

Près de 5 ans après l’entrée en vigueur du décret d’application de l’article 72 de la loi de transformation de la fonction publique autorisant l’administration à recourir à la rupture conventionnelle, il est intéressant de procéder à un état de lieux de la jurisprudence administrative

Faute pour le Conseil d’Etat de s’être prononcé à ce jour sur la légalité des décisions rendues par les juges de première instance et d’appel, nous nous proposons d’effectuer une revue – bien évidemment non exhaustive – des jugements et arrêts ayants été rendus depuis environ deux ans sur les sujets intéressant directement la gestion des ressources humaines, en gardant à l’esprit que les solutions dégagées pourront toujours être remises en cause par le Conseil d’Etat, juge de cassation.

Sans prétendre élaborer ici un guide, nous attirons l’attention des décideurs publics sur les principaux points de vigilance de cette procédure encore jeune – et parfois surprenante – pour l’administration employeuse.

 

Des décisions d’appel peu nombreuses mais fort éclairantes

Les décisions des juges du fond dont nous avons pu prendre connaissance ne sont pas particulièrement nombreuses – moins de 70 – mais, d’une part, ce nombre s’explique autant par le caractère récent du dispositif que par sa nature amiable, et d’autre part, il suffit à disposer désormais d’une idée assez précise des points de vigilance essentiels.

Si nous n’avons identifié que six arrêts d’appel, certains d’entre eux sont particulièrement éclairants et retiendrons immanquablement l’attention des employeurs publics du fait de la « valeur » supérieure d’une telle décision sur un jugement de première instance.

Il s’agit d’arrêts des cours de Marseille (27/06/2023, 22MA02314), Lyon (11/01/2024, 22LY02371), Douai (30/01/2024, 22DA02637) et Bordeaux (31/05/2022, 20BX00502)

Certaines lignes de force peuvent ainsi être dégagées :

  • S’agissant du contrôle du juge : il a été plusieurs fois rappelé que la rupture conventionnelle ne constitue pas un droit pour l’agent, de sorte que l’intérêt du service justifie pleinement le rejet de la demande et qu’en tout état de cause, le juge limite son contrôle à l’erreur manifeste d’appréciation (soit une erreur grossière commise dans l’appréciation de la situation de fait conduisant à la décision) :
    • Le fait que la rupture conventionnelle permettrait à l’administration de générer des économies ne peut être valablement opposé au refus de l’administration d’y recourir (CAA de Marseille)
    • Assurer la continuité du service en présence d’un budget contraint justifie quant à lui le refus (CAA de Lyon)
  • S’agissant des différents délais fixés par la règlementation
    • le délai d’un mois pour organiser l’entretien préalable à la suite de la réception de la demande de rupture conventionnelle de l’agent « n’est pas prescrit à peine de nullité » et n’est donc qu’indicatif (CAA de Marseille) ; en outre, ce délai d’un mois « ne constitue pas une garantie» et peut donc être dépassé sans vicier la procédure (CAA de Lyon)
    • aucun texte n’oblige l’administration à rejeter la demande de rupture conventionnelle après l’entretien préalable dans un délai déterminé (CAA de Marseille)
    • Le point de départ du délai de rétraction de 15 jours francs est la signature de la convention de rupture par les deux parties (CAA de Douai)
  • S’agissant de la signature d’une rupture conventionnelle dans un contexte contentieux entre l’administration et l’agent : contrairement à ce que l’on pourrait penser au premier abord au regard du caractère amiable da la procédure, la convention de rupture ne peut pas être considérée comme un protocole transactionnel mettant fin au litige en cours, notamment « en l’absence de toute précision en ce sens» (CAA de Bordeaux).

Par prudence, il conviendra donc de n’accepter la demande de rupture conventionnelle que si elle s’accompagne de la signature d’un protocole transactionnel distinct par lequel l’agent s’engage à se désister de son recours

 

Des décisions de première instance parfois originales conduisant à une certaine prudence en vue de sécuriser les décisions de refus

L’analyse des jugements des tribunaux administratifs fait apparaître une indéniable originalité dans certaines décisions rendues ; les juges de première instance font incontestablement preuve d’inventivité dans l’appréciation juridique d’un contentieux par nature sans précédent au regard de la récence du dispositif de rupture conventionnelle.

Ces jugements donnent malgré tout de précieux enseignements pour sécuriser pleinement le refus de l’administration de recourir à la rupture conventionnelle.

  • Etendue du contrôle du juge

Le tribunal administratif de Lille s’est par deux fois « illustré » dans une appréciation très favorable aux agents.

La première fois en allant au-delà de ce que les cours de Marseille et Lyon avaient retenu quant à l’intensité du contrôle du juge, limitée selon elles à l’erreur manifeste d’appréciation.

La juridiction Lilloise considère quant à elle que « le juge de l’excès de pouvoir se borne à vérifier que ce refus n’est pas entaché d’incompétence, d’un vice de procédure, d’une erreur de droit ou de fait, et qu’il n’est pas fondé sur des motifs étrangers à l’intérêt du service » (TA de Lille, 9 février 2024, 2108039).

Dans cette espèce, elle a annulé la décision de refus de l’administration de rompre conventionnellement avec l’agent au motif que cette décision « est uniquement motivée par l’existence d’autres dispositifs statutaires permettant à M. B de réaliser son projet professionnel d’exploitation d’un gîte en Bretagne », ce motif étant étranger à l’intérêt du service.

Fort heureusement, l’administration en cause doit uniquement réexaminer la demande de l’agent et pourra alors envisager de la justifier, soit par la continuité du service public, soit par un budget contraint, soit même par son opposition de principe aux ruptures conventionnelles (cf. infra).

  • Tenue obligatoire d’un entretien préalable

La deuxième curiosité juridictionnelle proposé par le tribunal administratif de Lille n’est, soyons honnête, pas propre à cette juridiction mais semble faire florès auprès de plusieurs tribunaux.

Ains plusieurs juges de première instance considèrent-ils qu’à la suite de la réception d’une demande de rupture conventionnelle par un agent, l’administration est obligée de le recevoir :

« Eu égard à l’objet de cet entretien, qui doit notamment porter sur le principe même de la rupture conventionnelle, et alors même qu’une telle rupture ne peut résulter que de l’accord entre les parties intéressées, il résulte des dispositions précitées du décret du 30 décembre 2019, qui définissent précisément sur ce point les modalités d’application de l’article 72 de la loi du 6 août 2019, que l’autorité administrative dont il relève ne peut légalement opposer un refus à la demande régulièrement formée par le fonctionnaire qui envisage une telle rupture, sans avoir préalablement organisé l’entretien qu’elles prévoient » (TA de Lille, 26 mars 2024, 2107448)

Le tribunal administratif de Melun (13 juin 2023, 2111509), celui de Châlons-en-Champagne (20 février 2024, 2202238), celui de Rennes (24 octobre 2023, 2105263) ou celui de Nantes (29 décembre 2023, 2110346) s’inscrivent dans le même mouvement, ajoutant que la tenue de cet entretien constitue « une garantie » pour l’agent.

Si l’on résume, le respect du délai d’un mois pour organiser l’entretien ne constitue pas une garantie (CAA de Lyon) mais la tenue de l’entretien en constitue bien une.

La sécurisation juridique des refus de rupture conventionnelle commande donc d’organiser systématiquement un entretien préalable à la suite de la réception de la demande de l’agent.

  • Justification de l’intérêt du service

Le tribunal administratif de Cergy Pontoise, s’il a lui aussi retenu que la tenue de l’entretien préalable est obligatoire, a considéré que l’administration pouvait légalement justifier sa décision de refuser une rupture conventionnelle au motif de son « opposition de principe » à ce dispositif (18 janvier 2024, 2207348).

Dès lors que l’administration est en mesure d’articuler les raisons objectives pour lesquelles elle est opposée par principe aux ruptures conventionnelles (lors de l’entretien préalable par exemple), son refus ne semble pas pouvoir être qualifié d’erreur manifeste d’appréciation.

Le tribunal administratif de Marseille a quant à lui validé le fait que le refus de rupture conventionnelle peut être fondé sur un motif « exclusivement pécuniaire » dès lors que l’administration estime que la mesure représente un coût excessif (22 novembre 2023, 2108518).

La « préservation des deniers publics » justifie également le refus de rupture conventionnelle selon le TA de Nîmes (3 octobre 2023, 2102232).

  • Nécessité de motiver la décision

Il existe sur le point de la motivation de la décision de refus de rupture conventionnelle une manifeste divergence juridictionnelle.

Ainsi, si la CAA de Lyon analyse la motivation de la décision en réponse à l’argument d’insuffisante motivation soulevé par l’agent, le TA de Marseille considère quant à lui que :

« La rupture conventionnelle prévue par les dispositions précitées ne constitue pas un droit pour les fonctionnaires qui en remplissent les conditions et aucun texte législatif ou réglementaire ni aucun principe général du droit ne l’imposant, la décision attaquée rejetant la demande de rupture conventionnelle présentée par la requérante n’avait pas à être motivée. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation ne peut qu’être écarté » (TA de Marseille, 12 octobre 2023, 2107358)

Le TA de Caen a adopté la même position que le TA de Marseille s’agissant de la motivation du refus de rupture conventionnelle (12 mai 2023, 2101640), .de même que plusieurs autres TA.

Ajoutons que le TA de Marseille a considéré, dans cette dernière décision, que les demande de rupture conventionnelle relèvent du « pouvoir discrétionnaire » de l’administration, en précisant qu’elles « font l’objet d’un examen par l’administration au regard de l’intérêt du service et de la situation personnelle des agents les ayant présentées », confirmant le courant jurisprudentiel évoqué ci-dessus.

Il n’apparaît donc pas indispensable de motiver une décision de refus de rupture conventionnelle.

 

*

En conclusion de ce tour d’horizon de la jurisprudence, il apparait, en cette matière comme dans tant d’autres, que la consultation de son avocat habituel n’est jamais superflue !

POUR ALLER PLUS LOIN

Les lignes directrices de gestion : l’art et la manière du juste milieu

Mises en place dans le cadre de la réforme de la fonction publique en 2019, les lignes directrices de gestion restent un “outil mal utilisé car dépourvu de volet stratégique”, selon la Cour des comptes (rapport public thématique, novembre 2023, « LA LOI DE TRANSFORMATION DE LA FONCTION PUBLIQUE :  BILAN D’ÉTAPE »).

Si la loi de transformation de la fonction publique (LTFP) du 6 août 2019 a retiré aux commissions administratives paritaires (CAP) leurs attributions en matière d’avancement et de mobilité au profit d’une consultation préalable des organisations syndicales représentatives sur la politique de gestion des ressources humaines (GRH) en la matière, censée rendre cette gestion plus réactive, transparente et efficiente, la Cour des comptes considère que cette réforme ne s’est pas traduite pour le moment par un renforcement de la dimension qualitative de la GRH.

 

Qu’est-ce que les lignes directrices de gestion ?

Dans la fonction publique hospitalière, les LDG …  :

  • … déterminent la « stratégie pluriannuelle de pilotage des ressources humaines notamment en matière de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences » (GPEC).
  • « fixent les orientations générales en matière de promotion et de valorisation des parcoursdes agents publics » ; ( L. 413-1 CGFP)

Les LDG sont donc de deux ordres. Les premières lignes sont d’ordre stratégique alors que les secondes sont d’ordre opérationnel.

Les lignes stratégiques doivent nécessairement faire écho au projet social et au projet managérial de l’établissement (loi RIST) ainsi qu’au rapport social unique. Ces lignes fixent un cap sur les axes et actions retenus dans la politique sociale de l’établissement au regard de l’état de la gestion des ressources humaines et des objectifs stratégiques retenus en conséquence. Pour ce faire, la loi a de nouveau incité les employeurs publics à mettre en place des démarches de GPEC / GPMC, favorisant une gestion dynamique des ressources humaines davantage centrée sur les métiers, l’emploi et les compétences et dépassant la seule gestion statutaire. Ces lignes stratégiques ou de politique RH peuvent tout aussi bien porter sur la GPEC, que sur les recrutements, la formation, la mobilité, la promotion et les parcours professionnels, la santé au travail, l’égalité hommes femmes …etc.

La Cour des comptes regrette que les employeurs publics des trois versants de la fonction publique ne se soient pas emparés ou trop peu ou trop lacunairement de ces lignes stratégiques pluriannuelles (5 ans).

Les lignes opérationnelles fixent des « orientations générales » en vue des avancements de grade en définissant en amont, des critères généraux au regard desquels seront prises les décisions individuelles d’avancement.

A l’inverse des premières, les lignes opérationnelles de gestion pour la promotion professionnelle ont généralement été arrêtées dans les établissements publics hospitaliers selon une méthodologie propre non homogénéisée.

Dans le cadre de ces lignes opérationnelles de gestion des avancements, les critères d’appréciation doivent être formalisés mais également priorisés, pour que les agents aient connaissance les conditions dans lesquelles le directeur in fine détermine au sein des agents promouvables inscrits au tableau d’avancement les agents promus à l’avancement de grade.

Les LDG, pas seulement un outil : une nouvelle décision juridique contraignante

Y étant incité par le Conseil d’Etat dès 2013, le législateur a fait entrer dans le droit de la fonction publique ce « droit souple » qu’incarne les LDG.

Selon le Conseil d’Etat dans son étude annuelle de 2013 sur le droit souple, ce droit est défini comme « l’ensemble des instruments qui :

  • Ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible leur adhésion ;
  • Par leur contenu et leur mode d’élaboration, présentent un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit ;
  • Ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires».

L’instauration du droit souple dans la fonction publique par le biais des LDG ne se substitue pas au droit statutaire, mais s’ajoute comme un outil managérial, en vue d’édicter des « orientations générales », des « directives » publiées et portées à la connaissance des agents, que l’employeur public se devra de respecter sauf à justifier par l’effet de son pouvoir discrétionnaire de situations individuelles particulières, de circonstances particulières ou d’un motif d’intérêt général.

Les lignes directrices de gestion sont susceptibles de recours devant le juge administratif. Cela a été réaffirmé par l’arrêt GISTI (Conseil d’état, 12 juin 2020, n°418142) qui précise que : « les documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif, peuvent être déférés devant le juge de l’excès de pouvoir lorsqu’ils sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ont notamment de tels effets ceux de ces documents qui ont un caractère impératif ou présentent le caractère de lignes directrices ».

Un avancement de grade peut désormais être contesté s’il contrevient aux lignes directrices de gestion sans qu’il ne puisse être justifié au regard des situations individuelles, des circonstances ou d’un motif d’intérêt général. (Conseil d’Etat, avis, 21 mars 2019, n° 397088, pt 15).

S’il n’existe encore que peu de jurisprudences, le Tribunal Administratif de Strasbourg a pu, par exemple, annuler la promotion d’un agent au grade de rédactrice principale de 1ère classe avec une date d’effet au 30 décembre 2021 au lieu du 1er juillet 2021, au motif que cette décision était contraire aux lignes directrices de gestion de la commune, qui prévoyaient une promotion au 1er juillet chaque année, sauf en cas de situation individuelle, de circonstances particulières ou de motif d’intérêt général. Le directeur général des services justifiait la prise d’effet différé par la volonté de sa hiérarchie de « tester » l’agent sur le grade de promotion. L’agente a ainsi été nommée sur les fonctions du grade de promotion à plus haute responsabilité dès le 1er juillet, tout en étant maintenu sur son grade d’origine. Une telle gestion – contrevenant au demeurant au principe statutaire selon lequel un fonctionnaire a vocation à exercer les fonctions de son grade – imposait à un agent une « période probatoire » de six mois en dehors de toute disposition statutaire organisant une telle période – et dérogeait aux orientations des LDG applicables. (TA de Strasbourg, 6ème chambre, 26 septembre 2023, n°2107832)

Teneur des LDG et précisions jurisprudentielles

Les lignes directrices de gestion (LDG) sont des décisions fixant des orientations permettant la prise de décision finale à venir sur notamment des avancements de grades, des recrutements ou des mobilités. Elles ne peuvent retirer à l’employeur public hospitalier son pouvoir discrétionnaire. Les LDG s’imposent aux administrations sous réserve « des situations individuelles, des circonstances ou d’un motif d’intérêt général ». Les LDG arrêtées par le directeur après avis du CSE doivent être rédigées sous cette réserve pour ne pas s’exposer à un risque contentieux.

S’agissant des LDG relatives aux avancements de grade, qui rappelons-le doivent correspondre à des « orientations générales », des critères d’appréciation doivent être précisés et priorisés tant pour l’établissement du tableau d’avancement (agents promouvables inscrits au tableau) que pour les décisions finales d’avancement de grade.

Un jugement du 31 octobre 2022 du Tribunal Administratif de Poitiers apporte un mode d’emploi à la rédaction des LDG opérationnelle en matière d’avancement de grade. Dans cette affaire, un syndicat du centre hospitalier d’Angoulême avait contesté les LDG dans leur partie relative aux critères prévus pour l’établissement du tableau d’avancement de grade.

Le syndicat contestait le fait que les lignes directrices en litige fixaient une période minimale de 90 jours de présence effective pour qu’un agent puisse être évalué et pris en compte dans le tableau annuel d’avancement et soutenait qu’aucune durée minimale de présence au sein du service ne pouvait être fixée de butte-en-blanc pour apprécier les mérites des agents. Les lignes directrices en cause prévoyaient une exception à l’obligation de présence minimale, mais uniquement pour les agents bénéficiant d’un congé de maternité, d’adoption ou de paternité.

Dans le cadre de son contrôle normal, le Tribunal a retenu que si des lignes directrices de gestion peuvent fixer des orientations générales, notamment, pour l’inscription au tableau d’avancement, y compris un critère tenant à la durée de présence d’un agent, ces LDG doivent être rédigées en des termes qui préservent le pouvoir d’appréciation de l’autorité investie du pouvoir de nomination, laquelle doit pouvoir tenir compte des situations individuelles, des circonstances ou d’un motif d’intérêt général.

Constatant que les lignes directrices en litige étaient impératives et ne laissaient aucune marge d’appréciation au directeur, le Tribunal a annulé les lignes directrices de gestion sur ce point, en tant qu’elle fixait, de manière stricte et impérative, une durée minimale de 90 jours de présence effective pour qu’un agent puisse être inscrit au tableau d’avancement, y compris pour les agents placés en congé d’invalidité temporaire imputable au service, de maladie, de longue maladie, de longue durée ou en disponibilité pour élever un enfant (TA de Poitiers, 3ème Chambre, 31 octobre2022, n° 2100708)

Ensuite, dans cette opération complexe qu’est le processus d’avancement de grade, un jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne est également venu apporter quelques précisions sur les LDG relatives à la détermination des agents promus (dernière décision du processus d’avancement).

Dans cette affaire, les LDG arrêtées par le président du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Marne pour l’avancement des fonctionnaires territoriaux employés par les collectivités relevant de ce centre ont été jugées illégales en ce qu’elles accordaient « une importance disproportionnée aux modes d’entrée dans la fonction publique et d’évolution de la carrière des candidats, au détriment des critères relatifs à la manière de servir et aux fonctions exercées par les intéressés » ( Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne, 13 juin 2023, n° 2102846)

On le voit, les tribunaux veillent au respect du pouvoir discrétionnaire du directeur en contrôlant que les LDG ne soient que des « orientations générales ».

La jurisprudence veille également à ce que les LDG ne contreviennent pas au cadre statutaire posé par le CGFP. Pour les avancements de grade au choix, la loi pose explicitement que ceux-ci résultent de l’appréciation de « la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle du fonctionnaire » (art. L522-34 CGFP). Les LDG ne peuvent donc déroger ces critères déterminants d’appréciation en retenant de manière disproportionnée « les modes d’entrée dans le fonction publique et d’évolution de la carrière des candidats ».

La Cour des comptes dans son rapport de novembre 2023 a pu relever le caractère suffisamment précis des critères posés dans les LDG de la communauté de communes Éguzon-Argenton Vallée de la Creuse établissant huit critères d’inscription au tableau d’avancement : Nomination équilibrée homme/femme ; ancienneté ; nombre d’année entre deux avancements ou promotions ; obtention de l’examen professionnel ; besoin de la collectivité ; effort de formation ; valeur professionnelle ; comportement. Ces critères font chacun l’objet d’une notation concertée entre le responsable hiérarchique, le DGS et l’autorité territoriale. Les agents inscrits au tableau d’avancement de grade font l’objet discrétionnairement d’une notation au regard des critères définis dans les LDG avant la prise des arrêtés individuels d’avancement par l’employeur public (rapport d’observations définitives et sa réponse exercice 2017 et suivants de la communauté de communes Éguzon-Argenton Vallée de la Creuse).

Tout l’enjeu donc pour les établissements est de trouver le juste milieu, le bon curseur pour fixer ces « orientations générales » que sont les LDG opérationnelles. Ni trop impératives, ni trop imprécises. Tout un art.

LES FICHES HOUDART

Audits juridiques : stop aux fraudeurs !

Le temps est à l’audit de la fonction achat, et nous ne pouvons que saluer les pouvoirs adjudicateurs pour cette démarche de sécurisation des pratiques en matière de marchés publics.
Il est toutefois regrettable que ces prestations soient parfois confiées à des entités non habilitées à les réaliser.
Car oui l’audit de Marchés publics est un audit juridique ; et oui les audits juridiques sont des prestations juridiques protégées qui ne peuvent être diligentées que par certaines personnes habilitées, comme le confirme la loi du 31 décembre 1971.

Il ne nous viendrait pas à l’esprit d’aller acheter une baguette de pain chez le libraire.
Et pourtant…
Alors même que l’audit juridique compte parmi les prestations de « consultations juridiques » visées par la loi du 31 décembre 1971, réservées à certaines catégories professionnelles, il est parfois confié à des structures non habilitées.
Les audits de Marchés publics , ou audits de fonction Achat, qui sont bel et bien des audits juridiques, ne font pas exception.
Les risques juridiques induits par cette pratique sont importants ; non pas tant sur la passation (en pratique peu nombreux sont les professionnels habilités évincés qui intentent un recours contentieux contre un pouvoir adjudicateur) ; mais sur la qualité des analyses diligentées, voire la justesse et la suffisance des préconisations émises.
Le constat alarme. Sérieusement.
Faisons le point.
Une présentation sous forme « d’alertes » apparait tout particulièrement opportune.

 

Alerte 1 : Toute structure n’est pas habilitée à délivrer des prestations juridiques, selon les termes de la loi du 31 décembre 1971 !

La loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pourrait difficilement être plus explicite :

« Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :

S’il n’est titulaire d’une licence en droit ou s’il ne justifie, à défaut, d’une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d’actes en matière juridique qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66.

Les personnes mentionnées aux articles 56,57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique.

Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l’article 59, elle résulte des textes les régissant ».

En substance, les personnes habilitées à délivrer des prestations juridiques, communément visées par le législateur sous le terme « consultations juridiques », hors agréments spécifiques, sont :

  • Les avocats ;
  • Les notaires ;
  • Les huissiers de justice ;
  • Les commissaires-priseurs judiciaires ;
  • Les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs ;
  • Les enseignants des disciplines juridiques des établissements privés d’enseignement supérieur reconnus par l’Etat.

 

Peuvent également délivrer des prestations juridiques, sous certaines conditions :

  • Les juristes d’entreprise, uniquement au bénéfice exclusif des entreprises qui les emploient ;
  • Les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée, uniquement s’agissant du domaine de leur activité principale.

 

La liste est exhaustive.

L’absence des qualifications requises par la loi est ainsi régulièrement constatée par le juge administratif :

« La société Antea Group, qui ne possède pas les qualifications requises pour effectuer des prestations juridiques entrant dans le champ d’application de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971, et le cabinet d’avocats De Castelnau » (CAA de Nantes, 4e chambre, 15 février 2019, n°18T02067, CNB, Inédit au Recueil Lebon).

Le juge est tout aussi strict pour les hypothèses « conditionnées ».

Ainsi, un cabinet de gestion en assurance, relevant pourtant d’une profession réglementée, ne peut signer un marché public d’assistance à maîtrise d’ouvrage comportant, outre du conseil dans le domaine des assurances, une activité de conseil juridique pour la passation des marchés d’assurance :

« 19. Considérant qu’il résulte du contrat signé le 9 mai 2011 entre le cabinet CEGA et le centre hospitalier Edmond Morchoisne que celui-ci portait sur une mission d’assistance à la maîtrise d’ouvrage comportant, outre du conseil dans le domaine des assurances pour la définition des besoins en assurances du centre hospitalier, une activité de conseil juridique pour la procédure de passation des marchés d’assurances ; que si, en vertu des dispositions précitées des articles 54 et 59 de la loi du 31 décembre 1971, les intermédiaires d’assurances, qui constituent une profession réglementée au sens de ces dispositions, peuvent donner des consultations juridiques relevant de cette activité, il résulte de ce qui a été dit au point 17 ci-dessus que le marché litigieux ne concernait pas des prestations d’intermédiation d’assurances » (CAA, Nantes, Chambre 4, 1er décembre 2015 – n° 13NT03406).

 

Alerte 2 : Toute personne non habilitée à délivrer des prestations juridiques au titre de la loi du 31 décembre 1971, qui s’en voit confier, ne sera pas couverte par l’assurance professionnelle spécifique prévue en la matière !

Ce corolaire ne doit pas être minimisé.

Il constitue un levier important de protection des personnes à l’initiative de la demande de prestations.

En effet, toute personne habilitée à délivrer des prestations juridiques est couverte par une assurance spécifique, couvrant les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle qu’elle peut encourir au titre de ses activités (en ce sens, confer article 55 de loi du 31 décembre 1971).

L’enjeu est donc majeur.

En confiant la réalisation de prestations juridiques à une personne non habilitée, et donc non couverte par l’assurance visée, l’acheteur prend le risque de contractualiser avec une entité qui ne sera pas nécessairement en mesure de couvrir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile professionnelle qui pourrait être engagée.

Très concrètement, si par exemple un cabinet de conseils non habilité à délivrer des activités de consultations juridiques, dépourvu de tout agrément (confer Alerte 3), a été mandaté par un établissement public de santé, et préconise une stratégie donnant par la suite lieu à une condamnation pécuniaire de l’établissement, ce dernier ne sera pas assuré du remboursement de la condamnation (si le cabinet de conseils n’est pas en mesure de payer, en cas d’insolvabilité notamment). A contrario, une telle condamnation serait nécessairement couverte par l’assurance professionnelle imposée aux professions habilitées.

 

Alerte 3 : Les cabinets d’audits et de consultants ne sont pas habilités par la loi du 31 décembre 1971 pour diligenter des prestations dites de « consultations juridiques » sans agrément les y autorisant expressément !

Les cabinets d’audits et de consultants ne sont ni des avocats, ni des notaires, ni des huissiers de justice, ni des commissaires-priseurs judiciaires, ni des administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs, ni des enseignants des disciplines juridiques.

Ils ne sont pas non plus de des juristes d’entreprises.

Ils ne relèvent pas des professions réglementées. Ce point est confirmé de jurisprudence constante :

« Le cabinet CEGA, qui a signé le marché litigieux en qualité d’auditeur et de consultant en assurances, activité professionnelle non réglementée au sens des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971 » (CAA, Nantes, Chambre 4, 1er décembre 2015 – n° 13NT03406).

Ils ne peuvent donc en principe pas délivrer de prestations de consultations juridiques, sauf à pouvoir justifier d’un agrément spécifique encadré par l’article 60 de la loi du 31 décembre 1971:

« Les personnes exerçant une activité professionnelle non réglementée pour laquelle elles justifient d’une qualification reconnue par l’Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé peuvent, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité ».

A défaut d’agrément, un cabinet d’audits ou de consultants ne peut réaliser de prestations juridiques dites de « consultations juridiques ».

Ce point est aussi confirmé par une jurisprudence tout aussi constante :

« Le cabinet CEGA, qui a signé le marché litigieux en qualité d’auditeur et de consultant en assurances, activité professionnelle non réglementée au sens des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971, devait, pour être autorisé à donner des consultations juridiques dans le cadre de l’article 60 précité de la loi du 31 décembre 1971, remplir les conditions fixées, pour les auditeurs et consultants en assurances, par l’agrément, prévu par l’article 54 précité de la même loi, et accordé par un arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice du 6 février 2001 modifié par un arrêté du 1er décembre 2003 » (CAA, Nantes, Chambre 4, 1er décembre 2015 – n° 13NT03406).

Pour aller plus loin, les professionnels non réglementés ayant obtenus un agrément doivent s’y conformer, strictement, et le champ de ces agréments est limité.

A ce titre, une société habilitée à exercer des prestations juridiques à titre accessoire, et bénéficiant d’un agrément à ce titre, ne peut diligenter une mission d’audit juridique, même si cette dernière est mixte et comprend une partie « contrôle de gestion » ; car il faut prendre l’objet principal de la mission, à savoir un audit, prestation de « consultation juridique »; impliquant donc quelqu’un y étant habilité à titre principal :

« 6. Il est vrai que la société Exelcia a fait valoir qu’elle bénéficie d’une qualification accordée par l’organisme professionnel de qualification des conseils en management pour son activité ” finances “, et que son activité de consultation juridique constitue l’accessoire de son activité comptable. Toutefois, la convention qui, selon son intitulé, est une convention de prestation de services d’audit juridique, répartit elle-même les missions de la société ” entre missions de conseil de gestion (9 jours) et les services juridiques (12 jours) ” en précisant expressément ” que le montant le plus élevé revient aux services juridiques tant au stade de la rédaction du rapport de consultation que de la mise en oeuvre des recommandations “, ajoutant se référer aux règles applicables aux marchés de services juridiques. Dans ces conditions, l’activité de consultation juridique de la société Exelcia ne peut être regardée comme une prestation accessoire, au sens des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971, à une activité purement comptable » (o  CAA, Nancy, 4e chambre, 18 Juin 2019 – n° 19NC00350).

 

Alerte 4 : L’audit de Marchés publics (ou audit de la fonction achat) relève bien des activités de consultations juridiques visées par la loi du 31 décembre 1971, réglementées donc, et qui ne peuvent être confiées à une structure (cabinet d’audits et de consultants inclus) ne disposant pas d’un agrément adapté !

S’il était nécessaire le préciser, nous confirmons qu’une analyse des modalités de passation juridiques des marchés publics / de la fonction Achat (de manière isolée, ou à l’échelle d’un groupement hospitalier de territoire) et l’appréciation de la conformité de ces modalités de passation avec les règles imposées par le code de la commande publique doivent de toute évidence être regardées comme relevant des activités de consultations juridiques visées par la loi du 31 décembre 1971. Ce type audit est par nature juridique (gare aux codes CPV donc ; la nature juridique de l’audit doit être prise en compte).

En effet, la jurisprudence retient sur ce sujet :

« Pour autant et alors même qu’il n’est pas sans intérêt de relever que si la société Alma Consultinggroup décrit son activité principale comme n’étant que technique et non pas juridique, le SYNCOST pour sa part soutient que cette activité principale pourrait consister en des prestations juridiques qu’il distingue, arbitrairement, de la consultation juridique, il demeure et ceci quel que soit l’intitulé retenu par la société Alma Consultinggroup qui emploie le terme ” audit ” que la vérification à laquelle elle procède, la détection des erreurs de tarification des cotisations dues au titre des accidents du travail qui sont l’essence de sa mission et l’objectif de son client constituent en elles mêmes une véritable prestation de nature juridique et non pas un simple audit strictement technique à caractère financier. En effet l’appréciation de l’imputation des coûts juridiquement non fondés nécessite la recherche et donc la connaissance, ainsi que l’analyse des textes juridiques applicables. Elle suppose comme le rappelle le CNB, de déterminer le régime juridique qui reçoit application, d’interpréter les normes juridiques applicables, notamment celles relatives aux méthodes de calcul des taux de cotisation AM/ PM par les caisses d’assurance retraite au regard du régime juridique auquel est soumise l’entreprise et donc d’apprécier si les décisions prises par celles-ci en raison des erreurs de droit ou de fait commises sont entachées ou pas d’illégalité et nécessitent la mise en oeuvre des voies de recours. Ces prestations qui sont personnalisées, bien qu’intervenant en amont des services d’un avocat, ne se bornent donc pas à la diffusion d’une simple information de type documentaire mais tendent à analyser une situation juridique et en résoudre les difficultés quel qu’en soit leur niveau de complexité et à concourir directement à la prise de décision par le client. Ainsi l’activité principale que la société Alma Consultinggroup présente comme un audit d’ordre technique s’avère en réalité être de nature juridique ce que celle-ci n’est pas habilitée à exécuter au regard des dispositions des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 précités » (Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2013, 10/25413).

Or, les missions d’audits de Marchés publics :

  • Ne se limitent pas à la diffusion d’une simple information de type documentaire ;
  • Impliquent l’analyse d’une situation juridique ;
  • Ont pour finalité d’identifier et résoudre des difficultés et d’aboutir à certaines mesures correctrices.

 

Elles doivent donc bien être considérées comme relevant des activités de consultations juridiques au sens de la loi susvisée.

Sans « langue de bois »: elles ne peuvent en conséquence être confiées à un cabinet de conseils ou consultants dépourvu d’agrément.

 

Alerte 5 : Même la réalisation de prestations juridiques dans le cadre d’un groupement appelle à une certaine vigilance !

Et les groupements d’opérateurs économiques comprenant des personnes habilitées dans tout ça ?

Les prestations juridiques sont alors possibles, mais le groupement ne doit pas être un habillage.

Il doit être effectivement constitué ; de sorte que la société ne peut se contenter de proposer dans son offre l’assistance vague et à la marge d’un cabinet d’avocats pour certaines prestations juridiques dans le cadre de la mission principale :

« 8. Il résulte de l’instruction que la communauté de communes Loué-Brûlon-Noyen a informé dès le 18 juin 2015 l’un des candidats évincés du rejet de son offre et de ce que le marché avait été attribué à la société Antea Group. Or, si l’offre de cette dernière proposait en son point 4.4 intitulé ” validation juridique ” l’assistance du cabinet d’avocats De Castelnau, avec lequel la société Antea Group disposait de nombreuses références et habitudes de travail, pour procéder à une relecture juridique de l’ensemble des pièces du dossier de consultation des entreprises et du rapport d’analyse des offres du marché portant sur la collecte, le transport et le traitement des déchets, il ressort des termes de cette même offre, dont la fiche synthétique n’a été au demeurant signée que par un représentant de la société Antea Group, que cette dernière s’engageait seule à accompagner la communauté de communes jusqu’au terme de la procédure de passation du marché en l’assistant notamment dans la mise au point et la rédaction de l’ensemble des dispositions contractuelles et dans la négociation avec le candidat retenu, pour sécuriser la passation du marché. Dans ces conditions, et même si, postérieurement à la décision d’attribution du marché litigieux intervenue au plus tard le 18 juin 2015, d’une part une lettre de candidature a été présentée par un groupement conjoint constitué de la société Antéa France et du cabinet d’avocats, co-signataires de cette lettre respectivement les 31 juillet 2015 et 6 août 2015, et d’autre part, un acte d’engagement du 18 août 2015 a attribué le marché à ce groupement conjoint, le marché ne peut être regardé comme ayant été attribué à un tel groupement conjoint» (o               CAA de Nantes, 4e chambre, 15 février 2019, n°18T02067, CNB, Inédit au Recueil Lebon).

 

Même quand un groupement est effectivement constitué, il est impératif que la répartition des tâches entre la société et la personne habilitée (le plus souvent un cabinet d’avocats) soit précisément établie, et permette de démontrer qu’aucune mission protégée relevant de la loi du 31 décembre 1971 n’est confiée à la société non habilitée :

« Au demeurant, s’agissant d’un marché portant essentiellement sur des prestations d’assistance juridique et de rédaction de documents contractuels, il ne ressort pas de la répartition des tâches entre la société Antea Group et le cabinet d’avocats De Castelnau que la première n’exercerait pas des missions entrant dans le champ d’application de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 » (o              CAA de Nantes, 4e chambre, 15 février 2019, n°18T02067, CNB, Inédit au Recueil Lebon).

 

A contrario, est dès lors tout à fait régulière l’attribution à un groupement effectif et réel, comprenant un avocat en charge de l’intégralité de la partie juridique de la prestation, clairement définie :

« 6. D’autre part, il résulte de l’instruction que l’accord-cadre a été attribué à un groupement solidaire composé de la société NH Concept RSE et du cabinet d’avocat Wilfried Samba Sambeligue. Or, il résulte de la répartition des tâches figurant dans le contenu de l’offre du groupement attributaire que l’avocat du groupement prendra en charge la partie juridique des traitements donnant lieu à des rapports individuels et interviendra en matière de conseil lorsque le besoin de l’appelant porte sur une analyse purement juridique (…)

Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le marché attaqué serait entaché d’illicéité car l’offre de la société attributaire ne respecterait pas le monopole de la profession d’avocat tel qu’il résulte de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 » (Tribunal administratif de Paris, 18 janvier 2024, 2329607).

De même :

« 15. D’autre part, il résulte de l’instruction que l’offre, présentée par la société Espelia dans le cadre de sa note méthodologique, intègre, pour les aspects juridiques, l’intervention, au sein de son équipe projet, d’un avocat partenaire Me Zimmer du cabinet Soler-Couteaux ainsi qu’un consultant juriste et un expert juriste, tous deux titulaires d’un master en droit. La société Espelia dispose, en outre, d’un certificat de qualification professionnelle des sociétés et ingénieurs conseils en management dans les domaines finances et assurances, management de projets, approche globale des organisations et achats, délivré en application de l’arrêté du 19 décembre 2000 susvisé. (…). Par suite, la société requérante n’est pas fondée à soutenir que le marché attaqué serait entaché d’illicéité car l’offre de la société attributaire ne respecterait pas le monopole de la profession d’avocat tel qu’il résulte de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 » (Cour d’appel de Paris, 18 septembre 2013, 10/25413).

 

Alerte 6 : Il est dans l’intérêt des pouvoirs adjudicateurs de respecter le cadre légal des prestations juridiques « protégées » !

Outre l’impérieuse et évidente nécessité de respecter les règles posées par le législateur, ce qui n’est déjà pas rien, confier des prestations juridiques, dont des audits juridiques, aux seules personnes habilitées à le faire est un gage de qualité.

Et sans ce gage de qualité, la mission d’audit juridique n’est-elle pas vidée de toute substance ?

Nous ne nous risquerons pas à nous interroger sur le sujet de la compatibilité, à long terme, avec l’impératif de bonne gestion des deniers publics. Les propositions tarifaires proposées sont souvent attractives, mais permettent-elles réellement des économies à long terme ?

Quoi qu’il en soit, nous nous contenterons de synthétiser ainsi : ne prenez pas de risque !

 

ARCHIVES : RETROUVEZ NOS PRÉCÉDENTES LETTRES

03 Juin: Audits juridiques : stop aux fraudeurs !

Les audits juridiques, dont audits de Marchés publics, sont des prestations juridiques protégées qui ne peuvent être diligentées que par certaines personnes habilitées.

27 Mai: Harcèlement sexuel à l’hôpital et enquête administrative

En cas de dénonciation d’un harcèlement sexuel à l’hôpital, il est parfois conseillé de réaliser une enquête administrative avant toute action disciplinaire

24 Mar: Espoir déçu : pas de CTI aux exclus du Ségur SMS public

Au sortir de l’audience du conseil constitutionnel du 13 mars 2024, faut-il nourrir un espoir à l’octroi du CTI aux exclus du Ségur du secteur public SMS? Nous le pensons

20 Mar: La lettre du Service Public de Santé #7 – Mars 2024

Lettre du service public de Mars 2024 – Houdart & Associés, avocats experts au service des acteurs de la santé, du social et du médico-social

Caroline LESNÉ est avocate associée et Responsable du département Fonction publique du pôle social. Elle accompagne depuis plus de 15 ans les établissements de santé. Encadrant une équipe d’avocats spécialisés, Maître Lesné conseille quotidiennement les directions d’établissements sur leurs projets et leur stratégie tant au plan individuel que collectif de leur GRH notamment dans le cadre des regroupements et coopérations. Elle les représente et les assiste devant les juridictions administratives et judiciaires et assure par ailleurs des formations, Outre des compétences aguerries en droit de la fonction publique, Maître Lesné délivre une expertise poussée en droit statutaire des médecins et des conseils en gestion stratégique notamment dans le cadre des différentes formes de coopération.
Elle intervient également tant en conseil qu’en représentation en justice en droit du travail auprès d’opérateurs de droit privé et en droit de la sécurité sociale.

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).

Avocat depuis 2014, Xavier LAURENT a initialement exercé au sein d’un Cabinet parisien une activité plaidante et de conseil auprès d’entreprises sociales pour l’habitat tant publiques que privées (OPHLM, SA d’HLM), notamment dans le cadre de contentieux immobiliers (droit locatif, copropriété, construction, urbanisme).

Fort d’une solide formation en droit public et désireux de donner une nouvelle orientation à sa carrière, Xavier LAURENT a par la suite intégré un Cabinet spécialisé en droit de la fonction publique, au sein duquel il a exercé en conseil et contentieux pour de nombreuses collectivités territoriales (contentieux du harcèlement moral et des sanctions disciplinaires, conseil en gestion RH, marchés publics, etc…).

C’est en 2018 qu’il a rejoint le pôle social du Cabinet HOUDART ET ASSOCIE.

Au-delà de ses compétences en droit de la fonction publique, Xavier Laurent a eu l’occasion de traiter des dossiers en droits du travail et de la sécurité sociale, lui donnant une vision transversale et une capacité d’analyse complète sur toutes les questions intéressant la gestion des ressources humaines des acteurs du monde de la santé (salariés relevant du code du travail, agents statutaires et contractuels).

Jessica Phillips est avocate collaboratrice au sein du cabinet depuis 2019, et intervient principalement sur les dossiers de conseils et de contentieux en droit public et droit de la commande publique.

Elle réalise des audit Marchés publics pour les acheteurs.

Elle assure également des formations en droit de la commande publique au profit des agents en charge de la passation et l’exécution des marchés publics.

Jessica Phillips possède une Spécialisation droit public - Qualification spécifique droit de la commande publique.

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.