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jurisprudence judiciaire
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manquement aux exigences du RGPD et concurrence déloyale 

Article rédigé par Alice Agard et Céline Cadoret

Tribunal Judiciaire de Paris, 15 avril 2022 n°19/12628 

Dans un jugement rendu le 15 avril 2022, le Tribunal judiciaire de Paris a considéré que constitue un acte de concurrence déloyale le manquement aux exigences du Règlement général sur la protection des données (RGPD) et de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 modifiée.

En l’espèce, une première société est titulaire de deux brevets sur des machines agricoles et a procédé au dépôt d’une marque verbale de l’Union européenne. Une seconde société a procédé à la commercialisation sur son site internet de produits sous la marque de la première société, ces produits reproduisant les caractéristiques des revendications de ses deux brevets.

La première société assigne alors la seconde devant le tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon des revendications de ses brevets et de sa marque, ainsi qu’en concurrence déloyale sur fondement de l’article 1240 du Code civil.

Au sujet du site internet sur lequel ont été commercialisés les produits litigieux, la société demanderesse reproche à la société défenderesse la violation de certaines dispositions de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (qui imposent aux personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne de mettre à disposition du public certaines informations dans la rubrique « mentions légales »), de l’article L.616-1 du code de la consommation imposant une mention sur le site internet relative à la possibilité de recourir à un médiateur de la consommation, ainsi que la méconnaissance de certaines règles du RGPD.

Sur ce dernier point, le tribunal judiciaire de Paris rappelle que la législation relative à la protection des données, à savoir le RGPD et la loi Informatique et Libertés, impose en effet à tout responsable de traitement ou sous-traitant d’assurer la confidentialité et la sécurité des données personnelles collectées et traitées.

Or, il ressort des faits de l’espèce que la société défenderesse procède à une collecte de données à caractères personnel des personnes concernées (portant sur le nom, l’email et le numéro de téléphone) sans que ne soit fournie aucune information sur les conditions de ce traitement.

Certes, le site internet de la société défenderesse possède bien un onglet « mentions légales » précisant que les informations enregistrées sont uniquement réservées à l’usage du service concerné et ne peuvent être communiquées à des sociétés tierces. Toutefois, le tribunal constate qu’aucune charte de confidentialité n’est mise à la disposition des personnes concernées, le lien dédié renvoyant à une page d’erreur et caractérise ainsi un manquement de la société à son obligation d’information fondée sur les articles 12, 13 et 14 du RGPD.

La société demanderesse a ainsi fait valoir que « son association dans l’esprit des internautes à un site internet violant la règlementation en vigueur est de nature à nuire à son image, et à sa réputation »

Considérant qu’ « au regard de l’ensemble de ces éléments et dans la mesure où tout manquement à la règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu par son auteur », le tribunal constate sans difficulté l’existence d’actes de contrefaçon commis par la société défenderesse.

En effet, s’agissant des actes de concurrence déloyale, le juge rappelle que leur caractérisation est fondée sur le principe général de responsabilité prévu par l’article 1240 du code civil. Sont ainsi constitutifs de concurrence déloyale des agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle régissant des activités économiques et régissant la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur.

Partant, le tribunal relève ce que soutient la société demanderesse, à savoir qu’une situation de concurrence directe ou effective n’est pas une condition de l’action en concurrence déloyale, qui exige seulement l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice (Cass. Com., 13 mai 2016, no14-24.905).

Ainsi, le tribunal de Paris rappelle que constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale, dès lors qu’il induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur. Le juge réitère ce faisant la jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 17 mars 2021 (Cass, com 17 mars 2021 n°01-10.414).

Emboitant le pas à certaines juridictions étrangères [1], le tribunal judiciaire se fonde pour la première fois sur la violation du RGPD par la société défenderesse dans l’exercice de son activité commerciale pour juger cette dernière coupable d’acte de concurrence déloyale au préjudice de la société demanderesse et la condamner à des dommages et intérêts.

Ce jugement atteste ainsi de l’importance croissante des règles en matière de protection des données, y compris dans le domaine des affaires.

L’appel de cette décision n’étant pas exclu, cette affaire reste dès lors à suivre attentivement…

[1] Les juridictions allemandes notamment. Voir par exemple : LG Würzburg, Beschluss v. 13.09.2018 – 11 O 1741/18 UWG

 

 

 

 

 

 

 

 

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