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Reprise de la dette de l hopital public - un renouveau
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REPRISE DE LA DETTE DE L’HÔPITAL PUBLIC : UN RENOUVEAU ?

Article rédigé le 26 novembre 2019 par Me Stephanie Barré-Houdart et Manlius

 

La reprise de la dette peut-elle servir le rinascimento de l’hôpital public ?

 

Dans le cadre du plan d’urgence pour l’hôpital public dévoilé la semaine dernière, le gouvernement a annoncé la reprise par l’État d’un tiers de la dette des établissements publics de santé soit un effort financier de 10 milliards d’euros réparti sur trois ans afin d’aider à “restaurer l’équilibre financier des établissements”.


Cette mesure qui devra faire l’objet d’une loi annoncée pour le premier semestre 2020 est évidemment une bonne nouvelle dans son principe et a été plutôt favorablement accueillie par les représentants des directeurs d’hôpitaux et par la Fédération Hospitalière de France.

 

« Notre appel pour des mesures d’urgence en faveur de l’hôpital et des hospitaliers a été entendu. Le gouvernement nous a écoutés et je souhaite saluer ces mesures qui permettent d’accompagner et aussi d’accélérer le plan MaSanté2022. Ces mesures sont une mise en cohérence entre les annonces politiques et les actes budgétaires, ce qui avait cruellement fait défaut dans les intentions budgétaires initiales. » a indiqué Frédéric Valletoux, Président de la FHF.

Un endettement critique qui paralyse l’hôpital public

 

La situation est en effet particulièrement critique ce qu’a pu souligner la Cour des comptes dans son dernier rapport sur la dette des hôpitaux : un tiers d’entre eux (319 dont 19 CHR) sont en situation d’endettement excessif au sens de l’article D. 6145-70 du Code de la santé publique[1].

 

Ce même rapport a aussi signalé la part des frais financiers (850M€ par an au total) dans les déficits enregistrés par les établissements les plus endettés.

 

Comme le relève la Cour des comptes il en va notamment ainsi de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille (41,6 M€ de déficit en 2016, dans le contexte de charges financières de 33,5 M€), du centre hospitalier régional d’Orléans (14,7 M€ de déficit en 2016, avec des charges financières de 11,6 M€) ou du centre hospitalier du Sud francilien (8,3 M€ de déficit, pour des charges financières de 16,8 M€).

 

Nombre d’établissements sont dans l’incapacité de faire face à leurs obligations d’investissements ne serait-ce que pour répondre à des impératifs liés à la sécurité et la vétusté de leurs locaux. Il est vrai aussi que l’architecture même de leur financement obère leur capacité d’investir.

 

Cependant et comme toujours, tout sera une question d’exécution, et l’effet de cette mesure sera plus ou moins efficace et bénéfique suivant les critères de détermination des bénéficiaires et de reprise de cette dette qui restent encore à définir.

 

Mettre en place des critères objectifs d’efficience

 

Pour y contribuer, il est permis de faire un certain nombre de suggestions de simple bon sens.

 

En premier lieu il ne servirait de rien de saupoudrer cette mesure sur l’ensemble des établissements.

 

Un tel saupoudrage n’aboutirait qu’à produire un effet d’aubaine pour ceux qui n’ont pas besoin d’une reprise de leur dette car celle-ci est supportable et d’ailleurs supportée, et disperserait inutilement les moyens qu’on peut consacrer à la réduction de la dette des hôpitaux en réduisant la part de ceux qui en ont réellement besoin.

 

 

L’occasion d’en finir avec les emprunts toxiques ?

 

On peut aussi s’interroger sur l’utilité de réserver cette mesure à l’ensemble de ces derniers, c’est à dire a priori à tous ceux qui sont en situation d’endettement excessif et/ou (car ce sont parfois les mêmes) qui ont encore dans leurs encours de dettes des « emprunts toxiques » qui n’ont pu être traités au moyen du dispositif de sortie résultant des deux instructions interministérielles du 22 décembre 2014 et le 28 juillet 2015.

 

Ces instructions ont créé un fonds de soutien participant à la prise en charge des coûts de sortie de ces emprunts dans la limite d’un taux plafond de 75 %, du coût des indemnités de remboursement anticipé (IRA) dues en cas de sortie d’un emprunt à risque.

 

Mais tous les établissements ayant dans leur encours de dette des emprunts à risque de taux élevé n’ont pu bénéficier de ce dispositif, puisqu’il était réservé aux hôpitaux ayant réalisé moins de 100 M€ de produits de fonctionnement en 2013 (seuil porté à 200 M€ dans le cas particulier des emprunts indexés sur la parité euro/franc suisse). Les CHU et les gros centres hospitaliers n’ont donc pas eu accès à ce fonds de soutien.

 

En outre tous les cas d’emprunts à risques n’ont pu être traités. A la différence du dispositif mis en place pour les collectivités territoriales, seuls les emprunts dits « hors charte » (catégorie « 6F ») ont en effet été éligibles au fonds de soutien hospitalier. Les emprunts présentant un niveau de risque inférieur (3E, 4E et 5E), mais tout de même substantiel n’ont donc pas pu être traités.

 

Il en résulte que même si le stock d’emprunts structurés à risque a diminué de moitié depuis 2012, au prix toutefois d’un effort financier considérable tant des établissements que des pouvoirs publics, cet encours représente encore d’après la Cour des comptes 4,6 % de la dette des établissements publics de santé.

 

Par conséquent et en évitant également la dispersion qui est le plus sûr moyen de n’atteindre aucun objectif, on pourrait imaginer d’allouer une part de l’enveloppe de reprise de dette aux emprunts structurés les plus risqués que ce soit par leur volume ou par rapport à ce qu’ils représentent en proportion dans l’encours de dette de certains emprunteurs, afin d’en finir une fois pour toute avec ce problème qui menace, ou qui grève, encore l’équilibre financier de certains établissements.

 

Éviter de siphonner l’enveloppe avec les établissements dont l’endettement est le plus lourd ?

 

Si l’on s’intéresse ensuite au cas des établissements en situation d’endettement excessif hors emprunts structurés à risques, il est aussi permis d’appeler de ses vœux un examen au cas par cas pour définir de la façon la plus appropriée la politique de reprise de leur dette.

 

D’abord parce qu’il y a des degrés dans l’endettement excessif : certains établissements sont plus en péril financier que d’autres.

 

Ensuite parce qu’il ne serait pas nécessairement de bonne méthode de concentrer l’utilisation de l’enveloppe de 10 milliards d’Euros prévue pour cette reprise de dette sur les établissements dont l’endettement est le plus important en volume.

 

On peut en effet rencontrer dans la population des 319 hôpitaux en endettement excessif recensés par la Cour des comptes dans son rapport de 2018 des établissements dont le service de la dette est insupportable au regard de leurs ressources, mais dont les encours sont en définitive assez limités.

 

Si ces établissements sont nombreux, ce qui est possible, utiliser une partie de cette enveloppe pour eux n’absorberait qu’une petite partie des ressources disponibles, tout en obtenant un effet maximal de sortie de la « zone rouge » d’un grand nombre d’établissements.

 

 

Redonner des marges de manœuvre aux établissements qui sauront en mesure de les utiliser.

 

Enfin parce que la reprise de dette doit avant tout redonner des marges de manœuvre financière à ceux qui en ont réellement besoin et qui sont en mesure d’utiliser ces marges de manœuvre à bon escient.

 

Il serait inefficace d’alléger la dette d’un établissement structurellement déficitaire, a fortiori si son déficit structurel est lié à une mauvaise gestion. L’argent qui lui serait consacré s’engloutirait dans le tonneau des Danaïdes et quelques années plus tard les mêmes causes produiraient les mêmes effets avec à nouveau un endettement excessif.

 

Il serait de même peu utile de redonner des marges de manœuvre à un établissement qui n’aurait pas de besoins d’investissement ou, ce qui revient au même, aurait des besoins d’investissement ne répondant pas aux critères d’efficience auquel doit normalement satisfaire tout projet d’investissement.

 

Ce que souligne d’ailleurs le Président de la FHF :

«  Nous voulons que les allégements de dette soient réservés aux établissements qui ont un projet d’investissement, et éviter d’offrir un blanc-seing aux mauvais gestionnaires ». (Les Echos, 20 novembre 2019 )

 

La reprise de dette doit servir à la recomposition et l’amélioration de l’offre de soins publique

 

Cette reprise de dette et l’accès au Fonds de Modernisation des Etablissements de Santé Publics et Privés (qui devrait bénéficier d’un apport de 150 millions d’€ par an pendant 3 ans) devraient ainsi être réservés à ceux dont le niveau de dette leur interdit de contracter de nouveaux emprunts ou limite leur capacité à emprunter, alors qu’ils ont pourtant des projets d’investissement suffisamment efficients et participant à la recomposition et l’amélioration de l’offre de soins, notamment dans le cadre des groupements hospitaliers de territoire.

 

De tels projets doivent assurément pouvoir être financés par l’emprunt car la dette qui les financera est de la “bonne dette” : elle crée au bénéfice des générations futures des actifs utiles répondant aux besoins de modernisation liés au progrès médical ou aux mises en conformité et qui sont nécessaires à la qualité des prises en charge pour les patients tout en dégageant les gains d’efficience indispensables à la maîtrise des dépenses d’assurance maladie, et à la soutenabilité de la situation financière des établissements.

 

Par ailleurs l’opportunité et le calibrage d’une reprise de dette pourraient s’apprécier non pas entité par entité mais au niveau d’un GHT.

 

Pour que la reprise de la dette ne soit pas un coup d’épée dans l’eau ou un cautère sur une jambe de bois qui se traduirait pas une simple transmission de dette d’une entité publique à une autre mais serve véritablement le rinascimento de l’hôpital public, alors cette mesure doit s’appliquer en fonction de critères objectifs et n’avoir qu’un but servir l’intérêt des populations et permettre aux établissements de réaliser leurs missions (ce qui supposent que leur rôle notamment au sein des GHT soit clairement défini).

 

L’occasion est également donnée de porter une réflexion intelligente sur l’investissement mutualisé au sein des GHT, la mutualisation des trésoreries et les financements groupés pour donner (enfin) toutes ses chances à la filière publique et donc à la pérennité d’une offre de santé de qualité, accessible à tous et sur tous les territoires.

 

 


 

[1] le ratio d’indépendance financière, qui résulte du rapport entre l’encours de la dette à long terme et les capitaux permanents, excède 50 % ;

    • la durée apparente de la dette excède dix ans ;
    • l’encours de la dette, rapporté au total de ses produits toutes activités confondues, est supérieur à 30 %.

Stéphanie BARRE-HOUDART est associée et responsable du pôle droit économique et financier et co-responsable du pôle organisation sanitaire et médico-social.

Elle s’est engagée depuis plusieurs années auprès des opérateurs du monde public local et du secteur sanitaire et de la recherche pour les conseiller et les assister dans leurs problématiques contractuelles et financières et en particulier :

- contrats d’exercice, de recherche,

- tarification à l’activité,

- recouvrement de créances,

- restructuration de la dette, financements désintermédiés,

- emprunts toxiques

Elle intervient à ce titre devant les juridictions financières, civiles et administratives.

Elle est par ailleurs régulièrement sollicitée pour la sécurisation juridique d’opérations complexes (fusion, coopération publique & privée) et de nombreux acteurs majeurs du secteur sanitaire font régulièrement appel à ses services pour la mise en œuvre de leurs projets (Ministères, Agences Régionales de Santé, financeurs, Etablissements de santé, de la recherche, Opérateurs privés à dimension internationale,…).