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Salarié de droit privé et le devoir de réserve du fonctionnaire
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Salarié de droit privé et le devoir de réserve du fonctionnaire

Article rédigé le 12 décembre 2022 par Me Guillaume Champenois

La Cour de cassation a jugé le 19 octobre 2022 que le salarié de droit privé mis à la disposition d’une collectivité territoriale est soumis aux mêmes règles déontologiques que le fonctionnaire et qu’à ce titre il est tenu de respecter un devoir de réserve. La Cour de cassation motive sa décision tout à la fois par le fait que l’association employant le salarié assure une mission de service public et par le fait que le statut de la fonction publique prévoit expressément que le salarié de droit privé mis à la disposition d’une collectivité territoriale est soumis aux règles déontologiques des fonctionnaires.

 

 

Dans un arrêt rendu le 19 octobre 2022, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé au visa des dispositions de l’article 61-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de l’article 11 du décret du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités et aux établissements publics administratifs locaux, dans sa rédaction alors applicable au litige, que le salarié de droit privé mis à la disposition d’une collectivité territoriale était soumis au devoir de réserve comme tous agent public.

 

DES PROPOS OUTRANCIERS TENUS SUR UN RESEAU SOCIAL CONDUISANT A UN LICENCIEMENT POUR FAUTE

Dans cette affaire, monsieur X est engagé par une association puis mis à disposition d’une commune pour exercer ses fonctions dans le cadre d’un dispositif intitulé « seconde chance », issu d’une convention de partenariat entre la ville et la mission locale.

Ce dispositif visait à accompagner les jeunes en difficulté en leur proposant un accompagnement individualisé et personnalisé leur permettant de s’inscrire dans un parcours d’insertion professionnelle.

Ce salarié de droit privé, mis à disposition d’une collectivité territoriale, a tenu sur le réseau social Facebook les propos suivants ; « Je refuse de mettre le drapeau […] Je ne sacrifierai jamais ma religion, ma foi, pour un drapeau quel qu’il soit », « Prophète ! Rappelle-toi le matin où tu quittas ta famille pour aller placer les croyants à leurs postes de combat ».

L’association employeur a prononcé son licenciement pour faute. Cependant, la Cour d’appel d’Aix en Provence a prononcé la nullité du licenciement considérant qu’il reposait sur un motif discriminatoire en ce qu’il était, selon la Cour, fondé sur les opinions religieuses du salarié.

 

LE DEVOIR DE RESERVE S’IMPOSE AU SALARIE DE DROIT PRIVE MIS À DISPOSITION D’UNE COLLECTIVITE TERRITORIALE

La chambre sociale de la Cour de cassation casse l’arrêt en toute ses dispositions rendu par la Cour d’appel d’Aix en Provence au motif que « le salarié de droit privé mis à disposition d’une collectivité publique territoriale est soumis aux principes de laïcité et de neutralité du service public et dès lors à une obligation de réserve en dehors de l’exercice de ses fonctions ». De fait, la Cour d’appel ne pouvait prononcer la nullité du licenciement disciplinaire de ce salarié lequel avait bien méconnu son obligation de réserve.

On relève que la chambre sociale prend soin de motiver sa décision en plusieurs temps.

En premier lieu, elle juge au visa de l’article L 5314-2 du travail que les « missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes, dans le cadre de leur mission de service public pour l’emploi, ont pour objet d’aider les jeunes de seize à vingt-cinq ans révolus à résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion professionnelle et sociale en assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement à l’accès à la formation professionnelle initiale ou continue, ou à un emploi. Elles favorisent la concertation entre les différents partenaires en vue de renforcer ou compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle et sociale. »

En deuxième lieu, elle en déduit à juste titre, que « les missions locales pour l’insertion professionnelle et sociale des jeunes constituées sous forme d’association sont des personnes de droit privé gérant un service public ».

Elle aurait pu s’arrêter là et se contenter de reprendre la motivation de son arrêt sur la crèche Baby-Loup aux termes duquel elle avait jugé que « les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé » (Cassation sociale 19 mars 2013 n°12-11.690).

Ce faisant, et en troisième lieu, la chambre sociale poursuit sa démonstration en jugeant que le statut de la fonction publique territoriale, lequel prévoit la possibilité sous certaines conditions de bénéficier d’une mise à disposition d’un personnel de droit privé, énonce expressément que lesdits salariés mis à la disposition d’une collectivité territoriale sont soumis « aux règles d’organisation et de fonctionnement du service où ils servent et aux obligations s’imposant aux fonctionnaires » ainsi qu’aux « règles déontologiques qui s’imposent aux fonctionnaires°».

En effet, l’article 11 du décret n°2008-580 du 18 juin 2008 relatif au régime de la mise à disposition applicable aux collectivités territoriales et aux établissements publics administratifs locaux et afférent aux salariés de droit privé mis à la disposition de la collectivité territoriale prévoit que « les règles déontologiques qui s’imposent aux fonctionnaires sont opposables » aux personnels de droit privé mis à disposition.

Or, l’obligation de neutralité et de laïcité fait partie intégrante des obligations déontologiques du fonctionnaire au même titre que le devoir de réserve nonobstant la circonstance que ce dernier est d’origine jurisprudentielle et non légale.

Enfin et en quatrième lieu, la Cour de cassation conclut que le salarié a manqué à son obligation déontologique en méconnaissant son obligation de réserve et en déduit, fort logiquement, que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a entaché sa décision d’un défaut de base légale.

Cette solution, ainsi dégagée par la Cour de cassation, s’inscrit dans la continuité du fameux arrêt « Baby Lou » précité. Il peut être relevé qu’en l’espèce, un texte règlementaire précisait de manière expresse que les salariés mis à disposition d’une collectivité territoriale sont soumis aux mêmes obligations déontologiques que les fonctionnaires. La solution ainsi dégagée par la Cour de cassation était donc parfaitement prévisible.

 

UNE SOLUTION TRANSPOSABLE A LA FONCTION PUBLIQUE HOSPITALIERE

Cette solution dégagée par la Cour de cassation est-elle transposable à la fonction publique hospitalière ?

Absolument !

L’article 11 du décret n°88-976 du 13 octobre 1988 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires hospitaliers, à l’intégration et à certaines modalités de mise à disposition.

« I.- Les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 susvisée peuvent, lorsque les besoins du service le justifient, bénéficier de la mise à disposition de personnels de droit privé pour la réalisation d’une mission ou d’un projet déterminé qui ne pourrait être mené à bien sans les qualifications techniques spécialisées détenues par un salarié de droit privé. …/… III.- Les règles déontologiques qui s’imposent aux fonctionnaires sont opposables aux personnels mis à disposition en application du I. Il ne peut leur être confié de fonctions susceptibles de les exposer aux sanctions prévues aux articles 432-12 et 432-13 du code pénal. Ils sont tenus de se conformer aux instructions de leur supérieur hiérarchique, dans les conditions prévues pour les fonctionnaires à l’article 28 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée. »

 

QU’EN EST-IL DE LA MISE A DISPOSITION D’UN SALARIE DE DROIT PRIVE AUPRES D’UN GROUPEMENT ?

Cette solution s’applique-t-elle dans le cadre d’une mise à disposition auprès d’un groupement de coopération sanitaire (GCS) ?

La réponse est positive si le GCS est érigé en établissement public de santé. En effet, en pareille hypothèse, les règles régissant les établissements publics de santé s’appliquent pleinement en sus des dispositions propres aux groupements de coopération sanitaire.

La réponse est incertaine pour le GCS de moyens de droit public comme pour le GCS de moyens de droit privé.

Par définition, le GCS de moyens est un groupement et non un établissement visé du 1° jusqu’au 6° de l’article 2 de la loi 86-33 du 9 janvier 1986 (loi aujourd’hui abrogée et dont les dispositions sont codifiées au code général de la fonction publique).

De fait, la mise à disposition de salariés de droit privé auprès d’un GCS de moyens de droit public ne permet pas d’invoquer directement les dispositions de l’article 11 du décret n°88-976 du 13 octobre 1988 précité.

Aussi, il faut donc ici appliquer les critères dégagés par la Cour de cassation dans le cadre de l’affaire de la crèche Baby-Lou citée plus haut. Si le groupement assure une mission de service public, tout salarié mis à sa disposition est tenu aux mêmes obligations déontologiques que les fonctionnaires et donc au principe de neutralité et de laïcité. Subséquemment, il sera tenu au devoir de réserve. Tout dépendra ici de l’objet social du groupement et donc de la rédaction de l’objet du groupement dans la convention constitutive.

 

Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.

Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.

Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.

Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).