Tandem Directeur-Médecin, pour le meilleur et pour le pire
Article rédigé le 17 février 2023 par Me Caroline Lesné
Par l’annonce d’un tandem Directeur-médecin pour diriger l’hôpital, le Président de la République cherche à répondre aux difficultés systémiques de la gestion de l’hôpital exacerbées par la crise sanitaire.Il ne faut cependant pas se méprendre. La gestion d’un hôpital n’en sera pas sensiblement meilleure quelles qu’en soient l’organisation promue et la virtuosité de ses dirigeants si n’est pas réinterrogée dans le même temps la question des moyens. Le tandem dont il est souhaité ici à juste titre un renouveau pourra-t-il ou devrait il aller jusqu’à une cogestion ? Dans quels domaines et avec quelles responsabilités ?
« On a dit ça ne doit être les soignants qui dirigent l’hôpital, ça doit être les administratifs. Après on a dit le problème, c’est les administratifs qui dirigent. Ça marche quand c’est ensemble et donc je souhaite […] qu’on puisse mettre à la tête de nos hôpitaux un tandem administratif et médical sur la base d’un projet soumis au conseil d’administration [conseil de surveillance] » (allocution du 6 janvier 2023 du Président de la République, Emmanuel Macron, lors des vœux aux acteurs de la Santé à Corbeil-Essonnes)
La répartition du pouvoir entre administratifs et soignants est un débat aussi vieux que l’hôpital.
Un tandem ancien
A partir de l’après-guerre, l’hôpital est sorti de sa logique d’assistance par l’action commune des directeurs, au statut nouvellement créé, et des médecins désormais recrutés en nombre et à temps plein sous l’égide de l’Etat modernisateur et reconstructeur aux fins de développer une offre de soins organisée sur le territoire à l’instar des cliniques.
« Le directeur dirige l’hôpital » pour la première fois avec la loi de 1991 portant réforme hospitalière qui ainsi écarte de la direction le corps médical. Le directeur d’hôpital, qui représente l’hôpital depuis la loi portant réforme hospitalière de 1970, voit alors sa fonction consacrée.
Les réformes successives ont ensuite renforcé la logique du « Directeur patron » (loi HPST) dans un contexte socio-économique tendu qui légitimait le positionnement d’un directeur d’hôpital gestionnaire d’entreprise aux fins de rationalisation des coûts de l’activité hospitalière. Ce positionnement promu et contrôlé par l’Etat ne permet plus aux directeurs d’être des alliés objectifs du corps médical sur tous les dossiers.
Les Directeurs sont aujourd’hui contraints d’engager un travail de négociation avec les soignants et les élus, pour s’inscrire dans une politique territoriale dépassant leur seul établissement (politique sanitaire, politique de santé publique, politique de l’emploi, politique d’aménagement du territoire…etc.).
La promotion faite par le Président de la République d’un tandem médico-administratif à la direction de l’hôpital ambitionne de trouver une solution aux difficultés de gestion et aux tensions des hôpitaux exacerbées par la crise sanitaire de la covid-19. Cette annonce s’intègre parmi d’autres et notamment celle de donner plus d’autonomie à chaque service d’ici le 1er juin 2023, dans le but affiché d’assouplir la charge de travail des soignants et de rendre le métier plus attractif.
Mais, l’opportunisme de cette annonce et les attentes qu’elle suscite doivent être interrogées.
Un tandem à réinventer
Un point est sûr. Il est essentiel de préserver et de reconstruire le binôme Directeur-représentant du corps médical et soignant de l’hôpital. C’est d’ailleurs ce à quoi s’emploient lesdits acteurs dans bon nombre d’établissement. Certains comme le GHEF intègre à l’équipe de direction des médecins et crée un comité de stratégie et d’organisation médicale réunissant directeur et représentants de la communauté médicale.
Cela étant, comme avait pu le relever très justement l’ancien Directeur du CHU de Bordeaux, Alain Hériaud, si la période couvrant les années 60 à 80 a marqué le développement fantastique de l’hôpital et a fait du directeur et du médecin un binôme acteur et porteur de ce développement, le contexte socio-économique était bien différent.
« nous sommes à cette époque-là, dans une société en forte expansion, où le chômage est résiduel et où les ressources de santé c’est-à-dire les ressources qui proviennent des organismes d’assurance maladie sont au beau fixe. Donc, dans cette période 60-80, la structure de direction de l’hôpital et la structure médicale prennent forme, au sein de l’institution et le font sans véritable conflit. Pourquoi ?… eh bien parce qu’il n’est pas obligatoire de communiquer lorsque tout va bien … le directeur et le médecin jouent leur rôle, mais jouent chacun leur partition. » (table ronde communication et hôpital – Les pouvoirs à l’hôpital : les relations entre médecins et directeurs, 1994, HS n°1 Communication&Organisation, revue scientifique francophone en communication organisationnelle)
Les métiers de directeur et de médecin ont évolué, se modelant au gré des contraintes budgétaires, économiques, sanitaires, sociales et sont bien différents de ceux qui existaient à cette époque fastueuse.
L’enjeu est de prendre en compte ces évolutions pour créer un nouvel équilibre dans la répartition des rôles entre ces deux acteurs indispensables à l’hôpital.
L’arbre qui ne doit pas cacher la forêt
Pour autant, il serait illusoire et dangereux de faire endosser la responsabilité du succès ou de l’échec du renouveau de l’hôpital public à ce binôme.
Le manque de moyens notamment humains lié au manque d’attractivité, à la crise des vocations et à la fuite du personnel soignant ne pourra être remédié par la seule action aussi efficiente qu’elle puisse être du tandem ici valorisé.
La politique d’optimisation et de rationalisation de l’activité hospitalière engagées par les précédentes réformes demeure d’actualité. Cela étant, l’idée selon laquelle si l’hôpital va mal c’est qu’il est mal géré en interne éluderait à peu de frais la réalité du problème qui est que l’hôpital manque de moyens notamment humains.
La politique de valorisation des études et des formations professionnalisantes des soignants est un enjeu. Les lieux de stage dans les hôpitaux doivent donc être attractifs. Nous rejoignons ici les enjeux des conditions de travail et d’exercice à l’hôpital et de qualité de prise en charge des patients (entre autres sujets, le ratio soignants-patients). Le manque d’effectifs invoqué globalement dans les établissements tributaires des contraintes budgétaires ne peut plus être considéré comme une simple problématique de gestion interne imputable au gestionnaire. Des enveloppes budgétaires supplémentaires doivent être accordées pour faciliter les recrutements et l’atteinte de ratios de soignants par nombre de patients appréciés selon les services. Le débat sur ce point est relancé dans le cadre d’une proposition de loi adopté au Sénat le 1er février 2023 qui charge la HAS de définir ces ratios avant le 31 décembre 2024.
Le tandem médico-administratif tel qu’annoncé par le Président sera sélectionné sur projet « en lien avec » le Conseil de surveillance. Le tropisme jacobin de l’hôpital permettra-t-il que le conseil de surveillance choisisse le tandem ? Rien n’est moins sûr. Alors que le Président, dans son allocution, évoquait un projet soumis au conseil de surveillance pour sélectionner le tandem, le ministre de la santé parle désormais de la nécessité de définir les conditions de sélection du tandem sur la base d’un projet en lien avec le conseil de surveillance.
Un tandem en cogestion ?
Il semble que le tandem retenu prendra la forme d’une cogestion. Aux côtés du Directeur, le représentant du corps médical ne participera alors plus seulement à la gestion de l’établissement mais exercera également le pouvoir de gestion avec le Directeur. Cela ressort de la mission diligentée par le ministre de la Santé.
La mission est prévue en deux phases. S’agissant de la première phase devant aboutir fin mars 2023, il est demandé d’envisager :
- « les différentes possibilités permettant de matérialiser ce tandem
- Les missions attachées à ce tandem ou à chacun de ses membres et les responsabilités associées y compris financières et pénales
- Les conditions de sélection sur la base d’un projet, lien avec le conseil de surveillance
- les conditions de mobilité du tandem
- les préconisations de formation des médecins appelés à participer au tandem
- l’impact des choix qui pourraient être faits en particulier concernant l’évolution du rôle des instances locales et notamment de la CME et du rôle des parties prenantes actuelles, notamment le PCME, le Vice-président du directoire, le directeur de l’UFR de médecin pour les CHU et le coordonnateur général des soins »
La seconde phase, qui doit aboutir fin juin 2023, visera à accompagner les directions centrales du ministère de la santé dans la détermination des conditions juridiques et opérationnelles de déploiement du tandem retenu.
La cogestion consiste d’une part à prendre ensemble des décisions le cas échéant de nature juridique sur la gestion de l’établissement en qualité de co-autorité compétente, et d’autre part en corollaire à assumer ensemble les responsabilités qui en découle.
La plus-value de la cogestion médico-administrative porte sur les projets de stratégie médicale, d’offre et de qualité des soins, de coopération ainsi que sur l’organisation interne ou encore sur la politique d’attractivité et de fidélisation de médecins.
Il sera donc cohérent que la cogestion médico-administrative inclut la signature du CPOM, des contrats de pôles et la définition des structures internes relevant de la gouvernance médicale interne.
A ce titre, la loi RIST du 26 avril 2021 a d’ores et déjà posées les premières pierres de cette cogestion en permettant qu’à titre dérogatoire « un établissement peut organiser le fonctionnement médical, les soins et la gouvernance en son sein conformément au projet d’établissement approuvé par le conseil de surveillance » (art.L.6149-1 CSP). De même, à titre dérogatoire, « le directeur et le président de la commission médicale d’établissement d’un établissement public de santé peuvent décider d’organiser librement le fonctionnement médical et la dispensation des soins, conformément au projet médical d’établissement approuvé par le directoire. Cette décision est prise sur avis conforme de la commission médicale d’établissement et de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques.» (art. L6146-1-2 CSP).
Le législateur a donc déjà permis des situations de cogestion en ouvrant au tandem médico-administratif la possibilité de prendre des décisions conjointes engageant juridiquement l’établissement. La participation de la CME et de la CSIRMT à la gestion de l’établissement dans son segment gouvernance médicale et soignante a également été renforcée puisque ces instances peuvent émettre un avis conforme qui lie le tandem dans le cas où serait décidée cette organisation dérogatoire.
Des incidences multiples
La mise en place d’un tandem médico-administratif interroge également nécessairement sur la place et l’évolution du rôle du représentant des autres soignants dans la participation à la gestion de l’établissement. Cet aspect n’est pour l’heure pas évoqué.
La cogestion qu’impliquerait le tandem médico-administratif devrait également avoir des incidences sur la présidence du directoire qui à ce jour est occupée par le seul Directeur de l’établissement. De la même manière, au niveau de la gouvernance du GHT, la présidence du comité stratégique du GHT aujourd’hui assurée par le Directeur de l’établissement support devrait être réinterrogée pour prendre en compte la mise en place de ce tandem.
Nécessairement le champ de la cogestion retenue interrogera celui de la responsabilité. Si le représentant du corps médical investit les oripeaux d’un gestionnaire, il lui faudra être pleinement conscient de la responsabilité financière et pénale qui pourrait être la sienne (article 20 décembre 2022 Laurent Houdart – responsabilité-financière-des-gestionnaires-publics/)
Sur le plan des moyens, la cosignature par le tandem médico-administratif des délégations de gestion aux chefs de pôle apparaît aujourd’hui symboliquement importante ainsi que celle des contrats de recrutement des personnels médicaux eu égard aux difficultés de recrutement et aux enjeux d’attractivité.
On le pressent, il faudra prendre toutes les précautions pour éviter qu’en cas de divergence au sein du tandem, la cogestion mise en place fasse naître des situations de blocage. L’enjeu de ce tandem sera de faire que l’émulation de deux cerveaux aux atouts complémentaires servent les innovations et les défis du service public hospitalier sur le territoire.
Caroline LESNÉ est avocate associée et Responsable du département Fonction publique du pôle social. Elle accompagne depuis plus de 15 ans les établissements de santé. Encadrant une équipe d’avocats spécialisés, Maître Lesné conseille quotidiennement les directions d’établissements sur leurs projets et leur stratégie tant au plan individuel que collectif de leur GRH notamment dans le cadre des regroupements et coopérations. Elle les représente et les assiste devant les juridictions administratives et judiciaires et assure par ailleurs des formations, Outre des compétences aguerries en droit de la fonction publique, Maître Lesné délivre une expertise poussée en droit statutaire des médecins et des conseils en gestion stratégique notamment dans le cadre des différentes formes de coopération.
Elle intervient également tant en conseil qu’en représentation en justice en droit du travail auprès d’opérateurs de droit privé et en droit de la sécurité sociale.