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Régime d'autorisation pour la médecine nucléaire
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Un régime d’autorisation pour la médecine nucléaire

 

Article rédigé le 22 février 2022 par Me Nicolas Porte

Par deux décrets des 30 décembre 2021 et 1er février 2022 et un arrêté , le gouvernement a doté la médecine nucléaire d’un corpus juridique et l’a érigée en activité de soins à part entière. Comment est définie la médecine nucléaire ? Quelles sont les conditions techniques d’installation et de fonctionnement de cette activité ? Et quelles conséquences cette réforme peut-elle avoir sur l’offre de soins et les coopérations mises places dans ce domaine ?

 

 

Par deux décrets des 30/12/2021 et 01/02/2022, complétés par un arrêté du 01/02/2022 le gouvernement a enfin doté la médecine nucléaire d’un véritable corpus juridique. En dépit de sa haute spécialisation et de l’environnement technique qu’elle requiert, la médecine nucléaire n’était jusqu’à présent pas réglementée en tant que telle. Seules les activités nucléaires (détention et utilisation de produits ou dispositifs contenant des sources radioactives, détention et utilisation d’appareils électriques émettant des rayonnements ionisants) étaient encadrées par le code de la santé publique, sous le contrôle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire.
Cette anomalie est désormais réparée, les deux décrets précités érigent la médecine nucléaire en une activité de soins à part entière et organisent sa gradation en deux niveaux. L’activité fait l’objet d’une autorisation unique par site géographique, sur lequel le titulaire peut exploiter à son choix un maximum de trois appareils d’imagerie nucléaire

 

La médecine nucléaire devient une activité de soins à part entière

Le décret du 30 décembre 2021 commence en son article 1 par introduire la médecine nucléaire dans la liste des activités de soins de l’article R 6122-25 du code de la santé publique et retirer concomitamment les gammas caméras et les tomographes à émission de positons de la liste des équipements matériels lourds de l’article R 6122-26 du même code. La médecine nucléaire passe ainsi du statut d’activité d’imagerie médicale à celle d’activité de soins à part entière.

Autre modification de l’ordonnancement juridique l’autorisation de traitement du cancer par utilisation thérapeutique de radioéléments en sources non scellées disparaît de la liste des pratiques thérapeutiques fixée par l’article R 6123-87 du code de la santé publique, cette pratique thérapeutique se trouvant intégrée de fait dans l’autorisation de médecine nucléaire mention « B » cf. infra).

Pour asseoir ce changement de statut, le décret du 30 décembre 2021 définit l’activité de médecine nucléaire qui « consiste en l’utilisation, dans un but diagnostique ou thérapeutique, d’un médicament radiopharmaceutique ou d’un dispositif médical implantable actif, en sources non scellées, émetteur de rayonnements ionisants, administré au patient, incluant l’utilisation d’une caméra à tomographie d’émission mono photonique ou à tomographie par émission de positons et intégrant, le cas échéant, d’autres systèmes d’imagerie ».

 

La gradation de l’activité en deux niveaux

La réglementation organise une gradation de l’activité en deux niveaux :

L’autorisation de médecine nucléaire comporte l’une des deux mentions suivantes :

La mention « A », lorsque l’activité comprend les actes diagnostiques ou thérapeutiques hors thérapie des pathologies cancéreuses, réalisés par l’administration d’un médicament radiopharmaceutique prêt à l’emploi ou préparé conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptique en système clos ;

La mention « B », lorsque l’activité comprend, outre les actes relevant de la mention « A », les actes suivants :

  1. Les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés par l’administration d’un médicament radiopharmaceutique préparé selon un procédé aseptique en système ouvert ;
  2. Les actes diagnostiques réalisés dans le cadre d’explorations de marquage cellulaire des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides ;
  3. Les actes thérapeutiques réalisés par l’administration de dispositif médical implantable actif ;
  4. Les actes thérapeutiques pour les pathologies cancéreuses réalisés par l’administration d’un médicament radiopharmaceutique.

 

Une autorisation par site géographique sans différenciation des équipements installés

Comme on l’a dit, le décret exclut les appareils de médecine nucléaire du régime des autorisations d’équipements matériels lourds (où chaque appareil était autorisé séparément) et institue une autorisation par site géographique (article R 6123-96 du CSP), indépendamment du type d’équipements lourds qui y seront installés.

Cette autorisation ne pourra être accordée que si le titulaire dispose, éventuellement couplée avec d’autres systèmes d’imagerie, d’au moins une caméra à tomographie d’émission mono photonique (gamma-caméra) ou une caméra à tomographie à émission de positons (TEP).

Si le titulaire ne dispose pas des deux types appareils sur le même site ou sur un autre site lui appartenant, il doit établir une convention avec un titulaire de l’équipement manquant de façon à ce que les patients puissent y avoir accès (article R 6123-136 du CSP).

Le nombre maximal d’équipements par site autorisé est fixé à 3 par l’arrêté du 1er février 2022.

L’article R 6123-136 du CSP créé par le décret prévoit que :

« Pour toute installation d’un nouvel équipement, ou changement d’un équipement, qui n’aurait pas pour effet le dépassement du seuil mentionné à l’alinéa précédent, le titulaire de l’autorisation informe l’agence régionale de santé compétente des caractéristiques de l’équipement avant toute mise en service de ce dernier ».

Il s’évince de cette disposition que les titulaires d’une autorisation de médecine nucléaire pourront à leur choix, installer une ou plusieurs gamma-caméras et/ou TEP dans la limite du nombre d’équipements autorisés par site et procéder librement au renouvellement et/ou au changement des appareils.

Cette relative libéralisation de l’installation et des changements d’appareils devrait avoir pour effet d’accroître le nombre d’équipements en service sur le territoire français. Chaque site de médecine nucléaire autorisé n’ayant pas atteint le nombre maximum d’équipements autorisés pourrait en effet être tenté de « saturer » ce seuil, pour peu qu’il dispose de ressources médicales suffisantes pour les exploiter. C’est d’autant plus vrai pour les TEP qui jusqu’à présent, faisaient l’objet d’une politique de déploiement prudente de la part des autorités sanitaires qui encourageaient (voire imposaient) la mise en place de coopérations public-privé pour mutualiser l’utilisation des machines et constituer des plateaux uniques par ville.

L’on devrait assister à un phénomène de rattrapage dans la mesure où le taux d’équipement en TEP en France (2 appareils/million d’habitants) reste nettement inférieur à celui d’autres payes (4 appareils/million d’habitants en Belgique et 7 aux USA) [source, Société Française de Médecine Nucléaire]. L’on dénombrait en 2017 139 TEP pour 217 centres de médecine nucléaire, ce qui laisse augurer d’un potentiel de développement certain pour ce type d’équipement.

 

Les conditions d’implantation et les conditions techniques de fonctionnement de l’activité de médecine nucléaire

Les conditions communes à tous les sites de médecine nucléaire

  • Les locaux

En termes de locaux, le site autorisé de médecine nucléaire, devra comprendre une zone délimitée disposant a minima des espaces suivants :

  1. Une salle dédiée à l’administration des médicaments radiopharmaceutiques ;
  2. Une salle dédiée à l’attente des patients après l’administration de médicaments radiopharmaceutiques ;
  3. Une salle dédiée aux examens réalisés après l’administration de médicaments radiopharmaceutiques ;
  4. Un local de préparation et de reconstitution de médicaments radiopharmaceutiques pour les sites de mention “ A ” ne disposant pas d’une pharmacie à usage intérieur ;
  5. Un local dédié aux contrôles des médicaments radiopharmaceutiques préparés, conformément aux résumés des caractéristiques des produits ou, à défaut, un espace réservé aménagé dans le local de préparation et de reconstitution ;
  6. Un local dédié, le cas échéant, à l’activité de marquages cellulaires des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides ;
  7. Au moins un local dédié à l’entreposage des déchets solides contaminés et des effluents radioactifs.

 

  • Les équipements

Le site autorisé de médecine nucléaire doit disposer :

  1. d’un chariot d’urgence permettant la prise en charge des patients le nécessitant ;
  2. Les équipements permettant  la gestion des déchets et effluents radioactifs (art. D 6124-188 du CSP).

 

  • Système d’information et assurance qualité

Les équipements du site autorisé sont connectés à un système d’archivage et de partage des images ainsi qu’à un système d’archivage et d’analyse des doses (art. D 6124-191 du CSP).

Le titulaire de l’autorisation est en outre soumis à l’obligation d’assurance de la qualité définie à l’article L 1333-19 du code de la santé publique (art. D 6124-192 du CSP).

 

Les conditions spécifiques à l’activité de la mention « A »

  • Procédure d’urgence

L’autorisation de médecine nucléaire comportant la mention « A » ne peut être accordée  que si le titulaire dispose d’une procédure d’urgence  formalisée permettant la prise en charge du patient en cas de nécessité dans des délais compatibles avec les exigences de la protection de la santé (art. R 6123-137 I du CSP).

 

  • Locaux

Comme indiqué supra, les sites de mention « A » ne disposant pas d’une pharmacie à usage intérieur doivent disposer d’un local de préparation et de reconstitution de médicaments radiopharmaceutiques.

 

  • Equipe médico-soignante

Le titulaire de l’autorisation de mention «  A » doit disposer d’une équipe comprenant :

  1. Au moins un médecin spécialiste en médecine nucléaire présent sur le site au cours de la prise en charge des patients ;
  2. Au moins un manipulateur d’électroradiologie médicale présent sur le site au cours de la prise en charge des patients ;
  3. Au moins un médecin habilité aux épreuves d’effort présent sur site pendant les épreuves d’effort.

 

Le titulaire de l’autorisation s’assure du concours d’un physicien médical et d’un radiopharmacien régulièrement inscrit, au tableau de la section compétente de l’ordre des pharmaciens (art. D 6124-189) Le concours du radiopharmacien a pour but la sécurisation du circuit des médicaments radiopharmaceutiques. Il participe également à l’élaboration et à la mise en œuvre du processus de qualité dans son domaine de compétence et habilite le personnel en charge de la préparation et du contrôle des médicaments radiopharmaceutiques (art. 6124-190 du CSP).

Lors de la phase de consultation menée par le ministère de la santé sur les projets de décrets, la Société Française de radiopharmacie, le Syndicat national des radiopharmaciens et l’Académie nationale de pharmacie avaient demandé une modification des articles D 6124-189 et D 6124-190 du CSP qui, selon ces organismes, « laissent entendre que les médicaments radiopharmaceutiques, objet du monopole pharmaceutique, ne seraient pas placés sous le contrôle et la responsabilité d’un radiopharmacien dans les services de médecine nucléaire en mention A. L’emploi de la notion de « s’assurer le concours » laisse entendre au mieux une intervention ponctuelle du radiopharmacien, voire une simple caution de ce professionnel ». L’Académie nationale de pharmacie avait demandé  « la modification de l’article D.6124-189 pour que toute installation de médecine nucléaire, quelle que soit sa mention A ou B, bénéficie de la présence d’un ou plusieurs radiopharmaciens présents pour les activités relevant de leur responsabilité » [cf. communiqué de l’Académie Nationale de Pharmacie du 23/04/2021]

Force est de constater que l’Académie et les autres instances représentant les radiopharmaciens n’ont pas été entendus puisque la rédaction finale des articles D 6124-189 et D 6124-190 ne prévoit pas la présence sur site d’un radiopharmacien pour l’activité en mention « A ».

 

Les conditions spécifiques à l’activité de la mention « B ».

  • Locaux

Les conditions d’implantation et de fonctionnement imposées par la réglementation conduiront le site de médecine nucléaire autorisé avec la mention « B » à devoir s’adosser à un établissement de santé MCO autorisé en soins critiques puisque le titulaire devra disposer sur site ou par convention :

  • D’un secteur d’hospitalisation permettant la prise en charge des patients le nécessitant en hospitalisation complète (art. D6123-137 II du CSP) ; les chambres, le cas échéant radioprotégées sont reliées à des cuves de décroissance pour le recueil des effluents contaminés par des radionucléides (art. D 6124-186 I du CSP)
  • D’une unité de soins intensifs ou d’une unité de réanimation permettant la prise en charge du patient dans des délais compatibles avec les exigences de protection de la santé (art. D6123-137 II du CSP).

 

  • Equipe médico-soignante

Outre les professionnels requis pour la mention « A », le titulaire de l’autorisation de  mention « B » doit disposer :

  1. d’au moins un physicien médical présent sur le site pendant les activités relevant de sa responsabilité ;
  2. d’au moins un radiopharmacien présent sur le site pendant les activités relevant de sa responsabilité.

 

  • Pharmacie à usage intérieur

Le titulaire d’une autorisation de médecine nucléaire de mention « B doit disposer d’une pharmacie à usage intérieur autorisée à assurer l’activité de préparation des médicaments radiopharmaceutiques.

 

Une entrée en vigueur de la réforme à compter du 1er juin 2023 et une procédure aménagée pour les actuels titulaires d’autorisations

Les dispositions des deux décrets et de l’arrêté entreront en vigueur le 1er juin 2023.

Le décret du 30 décembre 2021 prévoit (art. 2) que les titulaires d’autorisations de TEP er de gamma-caméras, ainsi que les titulaires d’autorisation de traitement du cancer par utilisation thérapeutique de radioéléments en sources non scellées, délivrées avant le 1er juin 2023 devront déposer une nouvelle demande d’autorisation pour l’activité de médecine nucléaire lors de la première fenêtre de dépôt qui s’ouvrira après le 1er juin 2023.

Cette demande fera l’objet d’un dossier spécifique selon les modalités fixées par arrêté du ministre chargé de la santé (à paraître). Les demandeurs pourront poursuivre l’exploitation de leurs autorisations jusqu’à ce qu’il soit statué sur leur demande.

L’enjeu pour les actuels titulaires d’autorisations sera de remplir les conditions techniques d’implantation et de fonctionnement fixées par la réglementation pour obtenir la mention souhaitée.

 

La question des centres d’imagerie nucléaire structurés en GCS reste en suspens

L’arrivée de la médecine nucléaire dans la catégorie des activités de soins aura, si les textes n’évoluent pas, une conséquence fâcheuse pour les groupements de coopération sanitaire actuellement détenteurs d’autorisation de TEP et de gamma-caméras. L’obtention par ces groupements après le 1er juin 2023 d’une autorisation d’activité de soins de médecine nucléaire va les contraindre à devenir des établissements de santé, par application des dispositions de l’article L 6133-7 du code de la santé publique, aux termes desquelles :

« Lorsqu’il est titulaire d’une ou plusieurs autorisations d’activités de soins, le groupement de coopération sanitaire est un établissement de santé avec les droits et obligations afférents. Le groupement de coopération sanitaire de droit privé est érigé en établissement de santé privé et le groupement de coopération sanitaire de droit public est érigé en établissement public de santé, par décision du directeur général de l’agence régionale de santé ».

 

La perspective pour les GCS d’imagerie nucléaire de devoir assumer les obligations inhérentes au statut d’établissement de santé constitue pour ces groupements une contrainte supplémentaire qui n’apparaît pas vraiment justifiée, en particulier lorsque le centre d’imagerie est implanté sur le site d’un établissement de santé et qu’il est intégré au fonctionnement médical de cet établissement.

Il serait opportun, pour éviter les superpositions organisationnelles, que le législateur modifie les dispositions de l’article L 6133-7 du CSP afin que les GCS titulaires d’autorisation d’activités de soins ne soient pas systématiquement érigés en établissements de santé et puissent choisir entre assumer seuls ce statut ou s’intégrer au fonctionnement d’un établissement de santé sur le site duquel ils sont implantés.

La réforme du régime d’autorisation de l’activité de médecine nucléaire était nécessaire, à la fois pour mieux encadrer sa mise en œuvre, dans le souci de garantir la qualité et la sécurité des soins, et pour faciliter son déploiement encore insuffisant en France, alors même que les indications d’imagerie nucléaires se développent, en cancérologie bien sûr, mais également pour d’autres pathologies.

De nombreux centres de médecine nucléaire fonctionnent actuellement sous la forme de partenariats (public-privé ou public-public) qu’il convient de préserver dans leur forme actuelle. Le basculement vers un régime d’autorisation d’activité de soins ne doit pas être une source de complexité inutile pour les centres ayant fait le choix de se structurer en groupements de coopération sanitaire. C’est pourquoi, il nous semble nécessaire d’adapter le droit des GCS en conséquence.

 

Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.

Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.

Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.

Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.