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VEILLE JURISPRUDENTIELLE MAI 2019

Article rédigé le 3 juin 2019 par Marina Debray et Pierre-Alexis Fenelon

SOMMAIRE

  1. Clause d’indexation du prêt sur la valeur du franc suisse – Cour de cassation, Chambre civile 1, 20 février 2019, n°17-31.065 et 17-31.067.

  2. Autorité signataire d’un contrat de droit privé conclu par une commune- Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 mars 2019, n°16-25.117.

  3. QPC – Cour de cassation, Chambre civile 1, 14 mars 2019, n°18-21.567.

  4. Chambre régionale des comptes (CRC) – Conseil d’Etat, Chambres réunies, 24 avril 2019, n°409270.

  5. Taux effectif global (TEG) – Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 mai 2019, n°18-16.281. 

  6. FOCUS : Tarification à l’activité: Tous les moyens de forme et de procédure n’aboutissent pas à l’annulation de l’indu.

 

 


I- Clause d’indexation du prêt sur la valeur du franc suisse- Cour de cassation, chambre civile 1, 20 février 2019, n°17-31.065 et 17-31.067.

 

Une banque a consenti à un emprunteur un prêt libellé en francs suisses et remboursables en euros. L’emprunteur, invoquant l’irrégularité de la clause contractuelle relative à l’indexation du prêt sur la valeur du franc suisse ainsi qu’un manquement de la banque à son obligation d’information, a assigné cette dernière en annulation de la clause litigieuse et en indemnisation.

 

Sur le fondement de la jurisprudence européenne (CJUE, 20/09/2018, aff. C-51/17), la Cour de cassation rappelle que « l’exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible oblige les établissements financiers à fournir aux emprunteurs des informations suffisantes pour permettre à ceux-ci de prendre leurs décisions avec prudence et en toute connaissance de cause ; que cette exigence implique qu’une clause relative au risque de change soit comprise par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à sa portée concrète, en ce sens qu’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d’une telle clause sur ses obligations financières ; »

 

Au cas d’espèce, la cour de cassation estime que la banque a respecté ses obligations dans la mesure où l’offre préalable de prêt, entre autres, détaille les opérations de change réalisées au cours de la vie du crédit et précise que le taux de change euros contre francs suisses sera celui applicable deux jours ouvrés avant la date de l’évènement qui détermine l’opération et qui est publié sur le site de la BCE.

 

Plus encore, la haute juridiction confirme l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il a jugé que la banque n’avait pas failli à son obligation d’information aux motifs que le contrat explique sans équivoque le fonctionnement du prêt en devises, détaille les opérations effectuées à chaque paiement d’échéance et décrit les opérations de change pouvant avoir un impact sur le plan de remboursement, que l’emprunteur a été informé sur le risque de variation du taux de change et de son influence sur la durée du prêt, l’évolution de l’amortissement du capital et la charge totale du remboursement, et que la banque a informé l’emprunteur sur le coût total du crédit en cas de dépréciation de l’euro.

 

En conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi du requérant emprunteur.

II- Autorité signataire d’un contrat conclu par la commune- Cour de cassation, Chambre commerciale, 6 mars 2019, n°16-25.117.

 

Une Banque avait consenti deux prêts à une Commune, sous l’empire du droit applicable antérieurement à l’ordonnance du 10 février 2016.

 

La Commune a sollicité l’annulation desdits contrats de prêts au motif que le maire n’avait pas été régulièrement chargé par délégation du conseil municipal de conclure les contrats de prêts.

 

La Cour de cassation rappelle que les dispositions de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales relatives à la compétence de l’autorité signataire d’un contrat de droit privé conclu au nom d’une commune sont d’ordre public. Par conséquent, leur méconnaissance est sanctionnée par la nullité absolue et ne peut être couverte par la confirmation du contrat.

 

La juridiction suprême casse donc l’arrêt de la cour d’appel qui avait rejeté les demandes de la commune sur le fondement de la loyauté des relations contractuelles, au motif que le vice résultant de l’absence d’autorisation préalable à la signature des contrats par le conseil municipal (qui aurait donné son accord a posteriori) ne peut être regardé comme suffisamment grave pour justifier l’annulation des contrats.

 

III- QPC- Cour de cassation, chambre civile 1, 14 mars 2019, n°18-21.567.

 

Une cour d’appel a rendu un arrêt annulant la clause stipulant l’intérêt conventionnel d’un prêt consenti à un Centre de lutte contre le cancer.

 

À l’occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, la banque a posé une QPC : Les dispositions des articles 1907 du code civil, L.313-2 du code de la consommation (dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2000-916) et L.313-4 du code monétaire et financier, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante qui sanctionne de manière automatique de défaut de mention du TEG dans tout écrit constatant un contrat de prêt par l’annulation de la stipulation conventionnelle d’intérêt et sa substitution par le taux légal, porte-t-elle atteinte excessive au droit de propriété et à la liberté contractuelle, protégés par les articles 2 et 4 de la DDHC de 1789 ?

 

Conformément à sa jurisprudence antérieure, la Cour de cassation a jugé que « Attendu que, si tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la juridiction suprême compétente, il résulte tant des dispositions de l’article 61-1 de la Constitution et de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée que des décisions du Conseil constitutionnel, que la contestation doit concerner la portée que donne à une disposition législative précise l’interprétation qu’en fait la juridiction suprême de l’un ou l’autre ordre ; »

 

Au cas d’espèce, estimant que « la question posée, sous le couvert de critiquer l’article 1907 du code civil, l’article L. 313-2 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, et l’article L. 313-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010, porte exclusivement sur la règle jurisprudentielle, énoncée au visa de ces textes, », la Cour de cassation a déclaré la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable.

 

IV- Chambre régionale des comptes (CRC) – Conseil d’Etat, Chambres réunies, 24 avril 2019, n°409270. 

 

Le président d’une école de formation, délégataire du service public, a demandé à la chambre régionale des comptes (CRC) d’apporter plusieurs modifications au rapport d’observations définitives établi à l’issue de son examen de la gestion du service départemental d’incendie et de secours (SDIS), ayant eu lieu en 2012.

 

Le demandeur a saisi un tribunal administratif afin d’annuler la décision de la CRC ne faisant que partiellement droit à sa demande de rectification du rapport d’observations définitives.

 

L’ensemble des juridictions administratives ayant eu à connaître de ce litige ont rejeté les demandes du président de l’école de formation.

 

Si les observations formulées par une CRC ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, le Conseil d’État rappelle à cette occasion les contours de ces demandes de rectification et du contrôle effectué par la juridiction administrative :

 

« Les dirigeants des personnes morales contrôlées et les autres personnes nominativement ou explicitement mises en cause peuvent demander à la chambre régionale des comptes la rectification de ses observations définitives, (…). Le législateur n’ayant pas limité l’objet de la demande de rectification, celle-ci (…) peut porter sur une simple erreur matérielle, sur une inexactitude ou sur l’appréciation à laquelle la chambre régionale des comptes s’est livrée et dont il serait soutenu qu’elle serait erronée. Il appartient à la chambre régionale des comptes d’examiner l’ensemble des allégations contenues dans la demande de rectification et de lui donner la suite qu’elle estime appropriée. La décision par laquelle la chambre régionale des comptes, soit refuse d’apporter la rectification demandée, soit ne donne que partiellement satisfaction à la demande, est susceptible de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif. Il incombe au juge administratif, saisi d’un tel recours, de contrôler la régularité de la procédure suivie et de vérifier que la décision contestée ne repose pas sur des faits inexacts et n’est pas entachée d’une méconnaissance par la chambre régionale de l’étendue de son pouvoir de rectification. Il ne lui appartient pas, en revanche, eu égard à l’objet particulier de la procédure de rectification des observations définitives, de se prononcer sur le bien-fondé de la position prise par la chambre en ce qui concerne l’appréciation qu’elle a porté, dans le cadre des attributions qui lui sont conférées par la loi, sur la gestion de la collectivité ou de l’organisme en cause. »

 

Dans ce cadre, et si la CRC doit statuer sur les demandes de rectification d’observations définitives à l’issue d’une procédure contradictoire en application des articles L. 245-4 et L. 241-8 du code des juridictions financières applicables au litige, le Conseil d’État précise que le principe du contradictoire est respecté « quand bien même, hormis le droit d’accès prévu par l’article R. 241-13 au stade des observations provisoires, le demandeur n’a pas accès à l’intégralité du dossier au vu duquel la chambre régionale des comptes se prononce sur sa demande »,et même si le requérant ne s’est pas vu communiquer le« rapport du magistrat instruisant sa demande ou des conclusions du procureur financier. »

V- Taux effectif global (TEG) – Cour de cassation, Chambre civile 1, 22 mai 2019, n°18-16.281.

 

Un établissement bancaire a consenti un prêt immobilier à un particulier assorti d’un taux effectif global (TEG) de 4,45 %. L’emprunteur a assigné l’établissement bancaire afin de demander l’annulation de la stipulation d’intérêts en substitution de l’intérêt au taux légal et le remboursement des intérêts indus.

 

La cour d’appel de Paris a déclaré cette demande en nullité de la stipulation d’intérêt irrecevable et a rejeté les demandes en dommages et intérêts, au motif que l’article L.312-33 du code de la consommation qui sanctionne l’irrégularité du TEG uniquement par la déchéance du droit aux intérêts et non par la nullité de la stipulation d’intérêts, ne permet pas à l’emprunteur de disposer d’une option entre nullité ou déchéance, et que par conséquent, il pouvait simplement invoquer la déchéance du droit aux intérêts.

 

Les Hauts magistrats, cassent et annulent l’arrêt de la cour d’appel de Paris en précisant que « l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation. »

FOCUS : TARIFICATION À L’ACTIVITÉ : TOUS LES MOYENS DE FORME ET DE PROCEDURE N’ABOUTISSENT PAS À L’ANNULATION DE L’INDU

 

La tarification à l’activité, introduite dans les établissements MCO (Médecine – Chirurgie – Obstétrique) publics en 2004 et privés en 2005, repose sur un système déclaratif et implique, en contrepartie, un contrôle du respect des règles de codage et des règles de législation de sécurité sociale.

 

Lorsqu’un indu est constaté au sein d’un établissement de santé, le directeur de l’organisme d’assurance maladie envoie au débiteur une notification de payer le montant qu’il estime indu par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.

 

L’établissement de santé peut contester la décision du directeur devant la commission de recours amiable (CRA), soit après avoir présenté des observations écrites ou orales, soit dès réception de la notification de l’indu, dans un délai de deux mois à compter de la notification.

 

A l’expiration de ce délai de deux mois ou après notification de la décision de la commission de recours amiable, le directeur de la CPAM adresse à l’établissement de santé une mise en demeure de payer dans un délai d’un mois. Lorsque la mise en demeure est restée sans effet après un délai d’un mois, le directeur de la CPAM peut délivrer une contrainte qui, à défaut d’opposition devant une juridiction, comporte tous les effets d’un jugement et confère le bénéfice de l’hypothèque judiciaire.[1].

 

La jurisprudence a pu récemment apporter des précisions s’agissant de la procédure de recouvrement de l’indu : d’une part concernant les régimes juridiques de la signature de la notification de l’indu et de la mise en demeure (I) ; d’autre part quant à l’articulation du recouvrement avec la saisine de la commission de recours amiable (II).

 

1 – Les signatures des actes de la procédure de recouvrement de l’indu.

 

Dans un arrêt de la Cour de cassation, en date du 14 mars 2019[2], une clinique a fait l’objet d’un contrôle de facturation de la tarification à l’activité au titre de l’année 2010. Ce contrôle ayant révélé des anomalies de facturation, la CPAM lui a adressé une notification de payer, suivie d’une mise en demeure. Ces deux actes avaient été signés par un agent de la CPAM, en vertu d’une délégation de « « signer à titre permanent tous les documents administratifs courants, à procéder à toutes les opérations se rapportant au bon fonctionnement des directions et services…, en tant que de besoin les conventions, avenants et contrats… » et « à engager, sous réserve de mon accord de principe, les procédures de sanctions conventionnelles à l’encontre des professionnels de santé ». »

 

  • La signature de la notification de payer.

 

En droit, la notification de payer est adressée au professionnel ou à l’établissement de santé par le directeur de l’organisme d’assurance maladie[3].

 

La Cour de cassation, dans l’arrêt cité supra, a pourtant jugé que « ces dispositions n’exigent pas à peine de nullité que la lettre de notification soit signée par le directeur ou par un agent de l’organisme muni d’une délégation de pouvoir ou de signature de celui-ci ; ».

 

  • La signature de la mise en demeure.

 

Inversement, la Cour de cassation a jugé que « la mise en demeure ne constitue pas un document administratif courant mais un acte de recouvrement » tant est si bien que l’agent bénéficiaire d’une délégation relative aux documents administratifs n’était pas compétent pour procéder à la notification de la mise en demeure.

 

2 – L’indication des voies de recours dans la notification de payer.

 

Antérieurement au décret du 7 septembre 2012, les articles R.133-9-1 et R. 133-9-2 du code de la sécurité sociale prévoyaient que le directeur de la CPAM adressait à l’établissement de santé une notification de payer, avant d’envoyer, en cas de désaccord avec les observations de l’intéressé et en l’absence de paiement dans le délai d’un mois imparti, une mise en demeure mentionnant notamment le délai de saisine de la commission de réforme amiable.

 

Dans un arrêt du 10 mai 2019 de la cour d’appel de Paris[4], une clinique faisait valoir que ces deux articles formaient une seule et même procédure en deux étapes, et que l’absence d’envoi de la mise en demeure constituait une omission de formalité substantielle entachant la notification de l’indu de nullité.

 

Les magistrats n’ont pas suivi ce raisonnement, et ont considéré que « cette mise en demeure était indifférente à la régularité de la procédure, puisque la notification d’indu du 28 janvier 2014 précisait que la société appelante disposait d’un délai de deux mois pour saisir la commission de recours amiable ».

 

En effet, les magistrats estiment qu’ayant fait usage de la nouvelle voie de recours qui lui était offerte par le décret n° 2012-1032 du 7 septembre 2012 avant tout procédure de recouvrement – à savoir la saisine de la commission de réforme amiable dès la réception de la notification d’indu (et non à la seule réception de la mise en demeure), l’établissement eu la possibilité de contester l’indu de façon contradictoire devant la commission de réforme amiable puis devant une juridiction. Ainsi, il n’a pas été porté atteinte à ses droits justifiant l’annulation de l’indu.

 

Cette décision de la cour d’appel s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, qui considérait déjà que l’absence de mise en demeure n’entache pas la procédure de nullité en cas de saisine de la commission de recours amiable postérieurement à la notification de payer, laquelle indiquait la possibilité d’user de cette voie de recours amiable[5].

 

Ainsi, les magistrats contrôlent uniquement que l’établissement de santé a eu l’opportunité de contester l’indu de façon contradictoire avant l’émission d’un titre exécutoire par la CPAM, et fasse application du régime postérieur au décret du 7 septembre 2012 aux contrôles intervenus antérieurement.

 


 

[1]Articles L.133-4 et R.133-3 et suivants du code de la sécurité sociale.

[2]Cour de cassation, chambre civile 2, 14 mars 2019 n°18-10680

[3]Articles L.133-4, R.133-9-1 dans sa version antérieure au décret n°2012-1032 du 7 septembre 2012 du code de la sécurité sociale.

[4]n°16/02534

[5]Voir en ce sens : Cour de cassation, chambre civile 2, 15 décembre 2016, n°15-28915 et Cour d’appel de Paris, Pôle 6, chambre 13, 16 novembre 2018 n°16/02537.