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La lettre du service public de santé
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LA LETTRE DU SERVICE PUBLIC DE SANTÉ
FÉVRIER 2023

Rédigé par Me Laurent Houdart

SOMMAIRE

L’ACTU BRÛLANTE

Tandem Directeur-Médecin, pour le meilleur et pour le pire

Par l’annonce d’un tandem Directeur-médecin pour diriger l’hôpital, le Président de la République cherche à répondre aux difficultés systémiques de la gestion de l’hôpital exacerbées par la crise sanitaire.Il ne faut cependant pas se méprendre. La gestion d’un hôpital n’en sera pas sensiblement meilleure quelles qu’en soient l’organisation promue et la virtuosité de ses dirigeants si n’est pas réinterrogée dans le même temps la question des moyens. Le tandem dont il est souhaité ici à juste titre un renouveau pourra-t-il ou devrait il aller jusqu’à une cogestion ? Dans quels domaines et avec quelles responsabilités ?

 

« On a dit ça ne doit être les soignants qui dirigent l’hôpital, ça doit être les administratifs. Après on a dit le problème, c’est les administratifs qui dirigent. Ça marche quand c’est ensemble et donc je souhaite […] qu’on puisse mettre à la tête de nos hôpitaux un tandem administratif et médical sur la base d’un projet soumis au conseil d’administration [conseil de surveillance] » (allocution du 6 janvier 2023 du Président de la République, Emmanuel Macron, lors des vœux aux acteurs de la Santé à Corbeil-Essonnes)

 

La répartition du pouvoir entre administratifs et soignants est un débat aussi vieux que l’hôpital.

 

Un tandem ancien

A partir de l’après-guerre, l’hôpital est sorti de sa logique d’assistance par l’action commune des directeurs, au statut nouvellement créé, et des médecins désormais recrutés en nombre et à temps plein sous l’égide de l’Etat modernisateur et reconstructeur aux fins de développer une offre de soins organisée sur le territoire à l’instar des cliniques.

« Le directeur dirige l’hôpital » pour la première fois avec la loi de 1991 portant réforme hospitalière qui ainsi écarte de la direction le corps médical. Le directeur d’hôpital, qui représente l’hôpital depuis la loi portant réforme hospitalière de 1970, voit alors sa fonction consacrée.

Les réformes successives ont ensuite renforcé la logique du « Directeur patron » (loi HPST) dans un contexte socio-économique tendu qui légitimait le positionnement d’un directeur d’hôpital gestionnaire d’entreprise aux fins de rationalisation des coûts de l’activité hospitalière. Ce positionnement promu et contrôlé par l’Etat ne permet plus aux directeurs d’être des alliés objectifs du corps médical sur tous les dossiers.

Les Directeurs sont aujourd’hui contraints d’engager un travail de négociation avec les soignants et les élus, pour s’inscrire dans une politique territoriale dépassant leur seul établissement (politique sanitaire, politique de santé publique, politique de l’emploi, politique d’aménagement du territoire…etc.).

La promotion faite par le Président de la République d’un tandem médico-administratif à la direction de l’hôpital ambitionne de trouver une solution aux difficultés de gestion et aux tensions des hôpitaux exacerbées par la crise sanitaire de la covid-19. Cette annonce s’intègre parmi d’autres et notamment celle de donner plus d’autonomie à chaque service d’ici le 1er juin 2023, dans le but affiché d’assouplir la charge de travail des soignants et de rendre le métier plus attractif.

Mais, l’opportunisme de cette annonce et les attentes qu’elle suscite doivent être interrogées.

 

Un tandem à réinventer

Un point est sûr. Il est essentiel de préserver et de reconstruire le binôme Directeur-représentant du corps médical et soignant de l’hôpital. C’est d’ailleurs ce à quoi s’emploient lesdits acteurs dans bon nombre d’établissement. Certains comme le GHEF intègre à l’équipe de direction des médecins et crée un comité de stratégie et d’organisation médicale réunissant directeur et représentants de la communauté médicale.

Cela étant, comme avait pu le relever très justement l’ancien Directeur du CHU de Bordeaux, Alain Hériaud, si la période couvrant les années 60 à 80 a marqué le développement fantastique de l’hôpital et a fait du directeur et du médecin un binôme acteur et porteur de ce développement, le contexte socio-économique était bien différent.

« nous sommes à cette époque-là, dans une société en forte expansion, où le chômage est résiduel et où les ressources de santé c’est-à-dire les ressources qui proviennent des organismes d’assurance maladie sont au beau fixe. Donc, dans cette période 60-80, la structure de direction de l’hôpital et la structure médicale prennent forme, au sein de l’institution et le font sans véritable conflit. Pourquoi ?… eh bien parce qu’il n’est pas obligatoire de communiquer lorsque tout va bien … le directeur et le médecin jouent leur rôle, mais jouent chacun leur partition. »  (table ronde communication et hôpital – Les pouvoirs à l’hôpital : les relations entre médecins et directeurs, 1994, HS n°1 Communication&Organisation, revue scientifique francophone en communication organisationnelle)

Les métiers de directeur et de médecin ont évolué, se modelant au gré des contraintes budgétaires, économiques, sanitaires, sociales et sont bien différents de ceux qui existaient à cette époque fastueuse.

L’enjeu est de prendre en compte ces évolutions pour créer un nouvel équilibre dans la répartition des rôles entre ces deux acteurs indispensables à l’hôpital.

 

L’arbre qui ne doit pas cacher la forêt

Pour autant, il serait illusoire et dangereux de faire endosser la responsabilité du succès ou de l’échec du renouveau de l’hôpital public à ce binôme.

Le manque de moyens notamment humains lié au manque d’attractivité, à la crise des vocations et à la fuite du personnel soignant ne pourra être remédié par la seule action aussi efficiente qu’elle puisse être du tandem ici valorisé.

La politique d’optimisation et de rationalisation de l’activité hospitalière engagées par les précédentes réformes demeure d’actualité. Cela étant, l’idée selon laquelle si l’hôpital va mal c’est qu’il est mal géré en interne éluderait à peu de frais la réalité du problème qui est que l’hôpital manque de moyens notamment humains.

La politique de valorisation des études et des formations professionnalisantes des soignants est un enjeu. Les lieux de stage dans les hôpitaux doivent donc être attractifs. Nous rejoignons ici les enjeux des conditions de travail et d’exercice à l’hôpital et de qualité de prise en charge des patients (entre autres sujets, le ratio soignants-patients). Le manque d’effectifs invoqué globalement dans les établissements tributaires des contraintes budgétaires ne peut plus être considéré comme une simple problématique de gestion interne imputable au gestionnaire. Des enveloppes budgétaires supplémentaires doivent être accordées pour faciliter les recrutements et l’atteinte de ratios de soignants par nombre de patients appréciés selon les services. Le débat sur ce point est relancé dans le cadre d’une proposition de loi adopté au Sénat le 1er février 2023 qui charge la HAS de définir ces ratios avant le 31 décembre 2024.

Le tandem médico-administratif tel qu’annoncé par le Président sera sélectionné sur projet « en lien avec » le Conseil de surveillance. Le tropisme jacobin de l’hôpital permettra-t-il que le conseil de surveillance choisisse le tandem ? Rien n’est moins sûr. Alors que le Président, dans son allocution, évoquait un projet soumis au conseil de surveillance pour sélectionner le tandem, le ministre de la santé parle désormais de la nécessité de définir les conditions de sélection du tandem sur la base d’un projet en lien avec le conseil de surveillance.

 

 

Un tandem en cogestion ?

Il semble que le tandem retenu prendra la forme d’une cogestion. Aux côtés du Directeur, le représentant du corps médical ne participera alors plus seulement à la gestion de l’établissement mais exercera également le pouvoir de gestion avec le Directeur. Cela ressort de la mission diligentée par le ministre de la Santé.

La mission est prévue en deux phases. S’agissant de la première phase devant aboutir fin mars 2023, il est demandé d’envisager :

  • « les différentes possibilités permettant de matérialiser ce tandem
  • Les missions attachées à ce tandem ou à chacun de ses membres et les responsabilités associées y compris financières et pénales
  • Les conditions de sélection sur la base d’un projet, lien avec le conseil de surveillance
  • les conditions de mobilité du tandem
  • les préconisations de formation des médecins appelés à participer au tandem
  • l’impact des choix qui pourraient être faits en particulier concernant l’évolution du rôle des instances locales et notamment de la CME et du rôle des parties prenantes actuelles, notamment le PCME, le Vice-président du directoire, le directeur de l’UFR de médecin pour les CHU et le coordonnateur général des soins »

 

La seconde phase, qui doit aboutir fin juin 2023, visera à accompagner les directions centrales du ministère de la santé dans la détermination des conditions juridiques et opérationnelles de déploiement du tandem retenu.

La cogestion consiste d’une part à prendre ensemble des décisions le cas échéant de nature juridique sur la gestion de l’établissement en qualité de co-autorité compétente, et d’autre part en corollaire à assumer ensemble les responsabilités qui en découle.

La plus-value de la cogestion médico-administrative porte sur les projets de stratégie médicale, d’offre et de qualité des soins, de coopération ainsi que sur l’organisation interne ou encore sur la politique d’attractivité et de fidélisation de médecins.

Il sera donc cohérent que la cogestion médico-administrative inclut la signature du CPOM, des contrats de pôles et la définition des structures internes relevant de la gouvernance médicale interne.

A ce titre, la loi RIST du 26 avril 2021 a d’ores et déjà posées les premières pierres de cette cogestion en permettant qu’à titre dérogatoire « un établissement peut organiser le fonctionnement médical, les soins et la gouvernance en son sein conformément au projet d’établissement approuvé par le conseil de surveillance » (art.L.6149-1 CSP). De même, à titre dérogatoire, « le directeur et le président de la commission médicale d’établissement d’un établissement public de santé peuvent décider d’organiser librement le fonctionnement médical et la dispensation des soins, conformément au projet médical d’établissement approuvé par le directoire. Cette décision est prise sur avis conforme de la commission médicale d’établissement et de la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques.» (art. L6146-1-2 CSP).

Le législateur a donc déjà permis des situations de cogestion en ouvrant au tandem médico-administratif la possibilité de prendre des décisions conjointes engageant juridiquement l’établissement. La participation de la CME et de la CSIRMT à la gestion de l’établissement dans son segment gouvernance médicale et soignante a également été renforcée puisque ces instances peuvent émettre un avis conforme qui lie le tandem dans le cas où serait décidée cette organisation dérogatoire.

 

Des incidences multiples

La mise en place d’un tandem médico-administratif interroge également nécessairement sur la place et l’évolution du rôle du représentant des autres soignants dans la participation à la gestion de l’établissement. Cet aspect n’est pour l’heure pas évoqué.

La cogestion qu’impliquerait le tandem médico-administratif devrait également avoir des incidences sur la présidence du directoire qui à ce jour est occupée par le seul Directeur de l’établissement. De la même manière, au niveau de la gouvernance du GHT, la présidence du comité stratégique du GHT aujourd’hui assurée par le Directeur de l’établissement support devrait être réinterrogée pour prendre en compte la mise en place de ce tandem.

Nécessairement le champ de la cogestion retenue interrogera celui de la responsabilité. Si le représentant du corps médical investit les oripeaux d’un gestionnaire, il lui faudra être pleinement conscient de la responsabilité financière et pénale qui pourrait être la sienne (article 20 décembre 2022 Laurent Houdart – responsabilité-financière-des-gestionnaires-publics/)

Sur le plan des moyens, la cosignature par le tandem médico-administratif des délégations de gestion aux chefs de pôle apparaît aujourd’hui symboliquement importante ainsi que celle des contrats de recrutement des personnels médicaux eu égard aux difficultés de recrutement et aux enjeux d’attractivité.

 

On le pressent, il faudra prendre toutes les précautions pour éviter qu’en cas de divergence au sein du tandem, la cogestion mise en place fasse naître des situations de blocage. L’enjeu de ce tandem sera de faire que l’émulation de deux cerveaux aux atouts complémentaires servent les innovations et les défis du service public hospitalier sur le territoire.

POUR ALLER PLUS LOIN

CSE : De l’importance d’une base de données économiques et sociales

Le comité social d’établissement (CSE) a fait sa rentrée en ce début d’année 2023. Exit le CTE et le CHSCT, place à une seule et unique institution représentative du personnel. Le décret n°2021-1570 du 3 décembre 2021 encadre de manière claire et précise le fonctionnement de cette nouvelle institution représentative du personnel.

Ce faisant, la difficulté n’est pas tant de s’approprier les dispositions règlementaires issues du décret précité mais bien de parvenir à opérer un renouveau du dialogue social à l’hôpital en se servant dudit CSE comme rampe de lancement.

Pour faciliter ce renouveau du dialogue social, il eut été peut-être utile d’instaurer une véritable base de données économiques et sociales à l’image de ce que prévoit l’article L 2312-18 du code du travail afin d’y verser toutes les informations, tous les documents, auxquels les membres du CSE ont accès.

Dans les faits, on constate qu’une majorité d’établissements utilisent le réseau intranet pour mettre à la disposition des organisations syndicales l’ensemble des informations qui leurs sont accessibles.

Reste que cet intranet n’est pas toujours utilisé de manière optimale et les documents ou pièces à transmettre à l’instance en amont d’une information & consultation y sont rarement versés puis entreposés. L’usage est encore très majoritairement d’adresser lesdits documents par mél en parallèle de la convocation de la séance.  Les directions des ressources humaines, en lien avec la DSI, pouraient parfaitement s’inspirer de ce qui se pratique dans le secteur privé sur ce point même si aucun texte ne le prescrit pour le moment.

 

+ d’informations à retrouver dans les articles suivants :

ÇA VA FAIRE L’ACTU

Projet régional de santé et sécurité juridique : Fluctuat nec mergitur

 

A l’heure où les travaux d’élaboration des projets régionaux de santé de troisième génération battent leur plein, une décision de la cour administrative d’appel de Toulouse du 19 juillet 2022 (CAA Toulouse 19/07/2022, n°20TL21835) vient mettre en lumière l’importance pour les ARS de mener les travaux préparatoires du PRS avec la plus grande rigueur et de conserver une trace de ces travaux.

L’enjeu est de taille en termes de sécurité juridique, car si l’illégalité pour vice de forme ou de procédure du PRS, ou de l’une de ses composantes, ne peut être invoquée par voie d’action ou d’exception que dans un délai de six mois suivant la date de prise d’effet du document concerné (article L 1434-5 du CSP), la légalité interne du PRS et des autres documents de planification sanitaire peut quant à elle être soulevée par voie d’exception sans limite de délai.

 

La remise en cause de la légalité du PRS par le biais de documents qui n’en font pas partie intégrante

Dans l’affaire jugée par les magistrats toulousains, une clinique installée à Muret avait saisi le tribunal administratif de Toulouse d’un recours visant à obtenir l’annulation partielle de l’arrêté portant adoption du schéma régional de santé d’Occitanie, en tant qu’il détermine les objectifs quantitatifs de l’offre de soins des activités de interventionnelles sous imagerie médicale en cardiologie de type 3 (angioplastie coronaire) pour la Haute-Garonne.

Entre autres moyens d’illégalité, la clinique soulevait notamment l’insuffisance du diagnostic initial des besoins de santé, sur la base duquel le PRS doit être élaboré (1), ainsi que la non-conformité de l’arrêté délimitant les zones donnant lieu à la répartition des activités de soins et des équipements matériels lourds (2).

 

1 – Le contenu du diagnostic initial des besoins de santé

L’article L 1434-2 du code la santé publique prévoit que le schéma régional de santé est établi pour cinq ans « sur la base d’une évaluation des besoins sanitaires, sociaux et médico-sociaux ».

S’agissant des modalités suivant lesquelles cette évaluation doit être réalisée, l’article R 1434-4 du code de la santé publique précise que :

« Le schéma régional de santé est élaboré par l’agence régionale de santé sur le fondement d’une évaluation des besoins. A cette fin, elle effectue un diagnostic comportant une dimension prospective des besoins de santé, sociaux et médico-sociaux et des réponses existantes à ces besoins, y compris celles mises en œuvre dans le cadre d’autres politiques publiques.

Le diagnostic porte également sur la continuité des parcours de santé, l’identification d’éventuels points de rupture au sein de ces parcours et les difficultés de coordination entre professionnels, établissements ou services.

Le diagnostic tient compte notamment :

1° De la situation démographique et épidémiologique ainsi que de ses perspectives d’évolution ;

2° Des déterminants de santé et des risques sanitaires ;

3° Des inégalités sociales et territoriales de santé ;

4° De la démographie des professionnels de santé et de sa projection ;

5° Des évaluations des projets régionaux de santé antérieurs ;

6° Le cas échéant, des besoins spécifiques de la défense, des contributions, moyens et interventions du service de santé des armées mentionnés au IV de l’article L. 1434-3 ».

 

En première instance la tribunal administratif de Toulouse avait jugé que « les objectifs quantitatifs de l’offre de soins fixés en Haute-Garonne par le schéma régional de santé pour les activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire en cardiologie pour la pratique des actes portant sur les autres cardiopathies de l’adulte ne s’appuie pas sur un diagnostic réalisé en conformité avec les dispositions » de l’article R 1434-4 du code de la santé publique.

Pour en arriver à cette conclusion, les  juges de première instance estimaient que la partie du SRS intitulée « diagnostic prospectif des besoins et des réponses » ne comportait « aucune analyse s’agissant des perspectives d’évolution de la situation démographique et épidémiologique, des déterminants de santé et des risques sanitaires, des inégalités sociales et territoriales de santé, de la démographie des professionnels de santé alors notamment que, ainsi que l’a fait valoir la clinique d’Occitanie, il existe une forte disparité géographique de l’offre de soins en Haute-Garonne, et que la rapidité de l’accessibilité à celle-ci s’avère essentielle ».

Le tribunal administratif avait suivi à la lettre le raisonnement de la société requérante qui soutenait en substance que le diagnostic initial, à partir duquel est élaboré le schéma régional de santé, doit impérativement comporter, pour chaque activité de soins et équipement matériel lourd l’ensemble des éléments énoncés à l’article R 1434-4.

Cette approche très bureaucratique du travail de planification sanitaire conduit à faire peser sur les ARS une obligation qui dans « la vraie vie », est tout simplement impossible à remplir : celle de réaliser, pour chaque activité de soins, un diagnostic exhaustif des besoins de santé devant rigoureusement intégrer tous les éléments énoncés à l’article R 1434-4 du CSP. Non seulement le respect d’une telle obligation conduirait à devoir produire des diagnostics extrêmement détaillés et partant, très volumineux, à rebours de l’effort de synthèse demandé aux ARS lors de la rédaction des PRS de deuxième génération, mais surtout, le respect d’un formalisme aussi rigoureux pourrait nuire à la qualité même du diagnostic. Une analyse pertinente des besoins de santé suppose que ceux-ci soient appréhendés de manière transversale, ce que ne permet pas un diagnostic segmenté.

L’objectif de la règlementation n’est pas d’imposer à l’autorité sanitaire un formalisme pointilleux dénué d’utilité (si ce n’est celle d’offrir à bon compte aux plaideurs des moyens d’illégalité) mais de fixer un cadre minimal permettant de guider la démarche intellectuelle du planificateur.

Fort heureusement, la cour administrative d’appel de Toulouse l’a parfaitement compris et a infirmé le jugement de première instance. Selon les juges d’appel, les dispositions de l’article R 1434-4 du code de la santé publique « n’exigent pas (…) que l’ensemble des éléments du diagnostic soit inclus dans le schéma, ni que chaque élément soit identifié dans tous les domaines ». En l’espèce, la cour administrative d’appel a considéré qu’il ressortait des pièces du dossier, « notamment du diagnostic général, du diagnostic prospectif de juin 2017 (…) et des pièces produites pour la première fois en appel telles que le tableau de bord sur la santé en Occitanie ou des éléments de diagnostic présentés dans le cadre du groupe de travail sur la cardiologie interventionnelle dont les travaux ont servi à élaborer le schéma, que le diagnostic réalisé par l’agence régionale de santé, à partir duquel les besoins de santé (…) ont été évalués, a été réalisé conformément aux dispositions de l’article R 1434-4 du code de la santé publique ».

Trois enseignements peuvent être tirés de cette décision.

Premièrement, il n’est pas exigé que le diagnostic initial des besoins sanitaires fasse partie intégrante du schéma régional de santé, ce qui correspond à la lettre des textes. L’article R 1434-4 ne prévoit pas, même implicitement, que le diagnostic prospectif doive être intégré au schéma régional de santé, ni même qu’il y soit annexé. De surcroît, l’article R 1434-5 précise que le schéma est élaboré « au terme » du diagnostic, ce qui signifie que celui-ci- précède le schéma et n’en fait pas partie intégrante.

Deuxièmement, il n’est pas non plus nécessaire que ce diagnostic contienne pour chaque activité de soin et équipement matériel lourd, l’ensemble des éléments énoncés à l’article R 1434-4. Cette interprétation du texte est de bon aloi car elle évite au planificateur de devoir s’astreindre à un formalisme excessif qui, comme on l’a vu, peut s’avérer contre-productif.

Troisièmement, les autres documents préparatoires servant de base à l’élaboration du schéma régional de santé peuvent pris en considération par le juge lorsqu’il s’agit de déterminer si l’ARS a réalisé le diagnostic dans le respect de l’article R 1434-4.

Certes, l’évaluation des besoins de santé doit être formalisée, mais cette formalisation n’est pas univoque ; elle peut résulter de plusieurs documents. Il y a donc un réel enjeu pour les ARS à d’une part, être attentives à la qualité des documents de travail qu’elles produisent lors des travaux d’élaboration du PRS et d’autre part, à veiller à leur conservation. Car il est possible que des mois, voire des années plus tard, ces documents soient utiles à la défense d’une exception d’illégalité du SRS soulevée par exemple, lors d’un recours contre une décision d’autorisation.

 

2 – La délimitation des zones de répartition des activités de soins et d’équipements matériels lourds

Le second point d’intérêt de la décision porte sur la délimitation par l’ARS des zones donnant lieu à la répartition des activités de soins et des équipements matériels lourds, prévues à l’article L 1434-9 du code de la santé publique.

La clinique soulevait par voie d’exception l’illégalité du « zonage », arguant de ce que l’ARS aurait commis une erreur de droit en faisant coïncider les limites des zones avec celles des 13 départements occitans, sans prendre en compte les critères définis à l’article R 1434-30 du code de la santé publique

Selon l’article R 1434-30 du CSP :

« La délimitation de ces zones prend en compte, pour chaque activité de soins et équipement matériel lourd :

1° Les besoins de la population ;

2° L’offre existante et ses adaptations nécessaires ainsi que les évolutions techniques et scientifiques ;

3° La démographie des professionnels de santé et leur répartition ;

4° La cohérence entre les différentes activités de soins et équipements matériels lourds soumis à autorisation ;

5° Les coopérations entre acteurs de santé 

La délimitation des zones concourt à garantir pour chaque activité de soins et équipement matériel lourd la gradation des soins organisée pour ces activités, la continuité des prises en charge et la fluidification des parcours, l’accessibilité aux soins, notamment aux plans géographique et financier, la qualité et la sécurité des prises en charge et l’efficience de l’offre de soins.»

Il est vrai que le moyen d’illégalité soulevé par la clinique n’était pas dénué de sérieux, car dans son arrêté de zonage, l’ARS avait motivé le choix du département comme zone d’implantation en retenant que l’échelon départemental « constitue le lieu de synergie de la politique de santé portée par l’ARS avec les autres politiques publiques développées par ses principaux partenaires » et qu « ’il a été reconnu pour définir les territoires de démocratie sanitaire de la région Occitanie, sur lesquels sont installés les conseils territoriaux de santé ».

Alors qu’elle aurait pu conclure à l’erreur de droit, la cour administrative d’appel ne s’est pas arrêtée aux motifs énoncés dans cet arrêté. Procédant à une analyse circonstanciée des éléments de fait fournis par l’ARS dans son dossier d’appel, la cour a estimé que le cadre départemental concourt à la finalité du zonage, à savoir garantir la gradation des soins, la continuité des prises en charge et la fluidification des parcours, l’accessibilité aux soins, la qualité des prises en charge et l’efficience de l’offre de soins. Elle a jugé en conséquence que l’agence « n’a pas méconnu les modalités de délimitation des zones définies par les dispositions de l’article R 1434-30 du code de la santé publique ».

Ce faisant, les juges administratifs toulousains ont privilégié les motifs véritables, exposés dans le cadre de la requête d’appel, à ceux figurant dans l’arrêté litigieux. Le choix de retenir le département comme zone de répartition et de planification des activités de cardiologie interventionnelle était effectivement pertinent et c’est parce que l’ARS a pu le démontrer a posteriori que les modalités de délimitation ont été jugées conformes aux dispositions de l’article R 1434-30, même si la seule lecture de l’arrêté de zonage pouvait laisser penser le contraire.

A l’heure où les ARS travaillent à l’élaboration des PRS de troisième génération, la décision de la Cour administrative d’appel de Toulouse du 19 juillet 2022 leur envoie un signal somme toute rassurant. Le travail de planification sanitaire est un exercice complexe ; les chausses trappes y sont nombreuses et il est très difficile – pour ne pas dire impossible- d’être irréprochable. Pour autant, la possibilité de contester presque indéfiniment la légalité des documents de planification sanitaire par voie d’exception ne doit pas être perçue comme une source d’insécurité juridique permanente, où la moindre erreur sera implacablement sanctionnée.

Le contrôle normal exercé par le juge administratif sur le contenu des documents de planification sanitaire permet d’assurer leur sauvegarde en dépit de certaines imperfections. A une condition toutefois : que l’ARS puisse établir après coup le bien-fondé des orientations et des décisions contenues dans ces documents.

À LA BARRE DU TRIBUNAL

La nouvelle Chambre du contentieux de la Cour des comptes est arrivée !

 

C’est un adieu définitif pour la Cour de discipline budgétaire et financière qui a bel et bien disparu le 31 décembre 2022 à minuit.

Juridiction emblématique crée en 1948 et tant redoutée des ordonnateurs, la CDBF renait déjà de ses cendres avec l’installation de la Chambre du contentieux de la Cour des comptes.

Sans oublier la création de la toute nouvelle Cour d’appel financière près la Cour des comptes.

D’aucuns pourraient considérer que la Justice française s’est désormais dotée d’un troisième pilier juridictionnel aux côtés de l’Ordre judiciaire et de l’Ordre administratif.

Les dossiers en cours sont transmis au greffe de la nouvelle juridiction et les premiers déférés ne vont pas tarder.

Entre les propos rassurants des pouvoirs publics sur le sens de l’Ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et les fortes inquiétudes exprimées par la profession, il faudra être attentif à l’exact périmètre de la zone de vérité.

Vigilance en revanche car l’indépendance procédurale du magistrat chargé de l’instruction restant inachevée hélas, le Parquet de la Cour des comptes continue de décider seul des suites à donner ou non au terme de l’instruction préparatoire.

Vigilance enfin pour ne pas dilapider l’héritage jurisprudentiel de la CDBF dont les derniers arrêts ont été particulièrement importants pour la protection des dirigeants du service public hospitalier.

INNOVATION NUMÉRIQUE

Service Achats attention ! : Ne pas vérifier la certification HDS peut coûter cher

La cour d’Appel de Nîmes dans un arrêt du 15 décembre 2022 a annulé un contrat informatique conclu entre une infirmière libérale et l’éditeur d’un logiciel de télétransmission de feuilles de soins avec effet rétroactif et restitution des sommes versées par la cliente, sur le fondement de la violation des dispositions du code de la santé publique relatives à l’hébergement des données de santé (HDS).

En effet, la société sous-traitait ici l’hébergement des données de ses clients auprès d’un prestataire qui n’était pas certifié HDS au moment où le contrat litigieux a été conclu. En l’espèce, l’hébergeur OVH n’a obtenu son agrément HDS qu’en 2016, alors que l’infirmière téléversait des documents contenant des données de santé sur le logiciel depuis la date de conclusion du contrat en 2013.

Il serait tentant de circonscrire la portée de cette décision aux petites solutions informatiques spécifiques au secteur libéral. Certes, la plupart des grands éditeurs sont certifiés hébergeur de données de santé (HDS) et à ce titre on en compte plus de deux cents référencés sur le site de l’ANS. Malgré tout, il n’est pas impossible qu’une solution informatique innovante, intégrant de l’IA, telle une solution de reconnaissance vocale, retenue par un établissement public, voire à l’échelle du GHT, soit hébergée non par l’éditeur de la solution directement mais chez un prestataire hébergeur de l’éditeur.

Le service achat ou bien la centrale d’achat référençant cette solution se sont-ils assurés de la certification HDS de ce prestataire ?

Lorsqu’un marché innovant est conclu en application de l’article Article R2122-9-1 du code de la commande publique, l’exigence de certification est-elle également bien encadrée notamment si la certification est perdue au cours du marché ?

Cette vérification devra être menée par l’acheteur avant toute conclusion de marché mais également lorsque les relations se tendent avec le titulaire du marché afin de pouvoir rajouter l’obligation de certification HDS à la liste des manquements contractuels déjà observés (tels que des manquements aux niveaux de service, retard dans le calendrier…).

Fondateur du Cabinet Houdart et Associés en 1987, Laurent Houdart assiste, conseille et représente nombres d’opérateurs publics comme privés au sein du monde sanitaire et médico-social depuis plus de 20 ans.

Après avoir contribué à l’émergence d’un « Droit de la coopération sanitaire et médico-sociale », il consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans la restructuration de l’offre de soins (fusions, transferts partiel d’activité, coopération publique & privé, …). 

Expert juridique reconnu dans le secteur sanitaire comme médico-social, il est régulièrement saisi pour des missions spécifiques sur des projets et ou opérations complexes (Ministère de la santé, Ministère des affaires étrangères, Fédération hospitalière de France, AP-HM,…).

Il ne délaisse pas pour autant son activité plaidante et représente les établissements publics de santé à l’occasion d’affaires pénales à résonance nationale.

Souhaitant apporter son expérience au monde associatif et plus particulièrement aux personnes en situation de fragilité, il est depuis 2015 Président de la Fédération des luttes contre la maltraitance qui regroupe 1200 bénévoles et 55 centres et reçoit plus de 33000 appels par an.

Caroline LESNÉ est avocate associée et Responsable du département Fonction publique du pôle social. Elle accompagne depuis plus de 15 ans les établissements de santé. Encadrant une équipe d’avocats spécialisés, Maître Lesné conseille quotidiennement les directions d’établissements sur leurs projets et leur stratégie tant au plan individuel que collectif de leur GRH notamment dans le cadre des regroupements et coopérations. Elle les représente et les assiste devant les juridictions administratives et judiciaires et assure par ailleurs des formations, Outre des compétences aguerries en droit de la fonction publique, Maître Lesné délivre une expertise poussée en droit statutaire des médecins et des conseils en gestion stratégique notamment dans le cadre des différentes formes de coopération.
Elle intervient également tant en conseil qu’en représentation en justice en droit du travail auprès d’opérateurs de droit privé et en droit de la sécurité sociale.

Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.

Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.

Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.

Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.

Depuis sa prestation de serment (février 2000), Pierre-Yves FOURÉ conseille et défend directeurs d’établissements, cadres et professionnels du monde de la santé (établissements de santé, médecins, établissements médico-sociaux, organismes d’assurance maladie et complémentaires), de l’université, ainsi que tous dirigeants et institutions nationales, déconcentrées ou locales.

Avocat de la défense dans les affaires complexes à forts enjeux de responsabilités (sang contaminé, amiante, surriradiés, accidents graves, harcèlement et conflits professionnels, infractions aux biens), Pierre-Yves FOURÉ est également le conseil de proximité au quotidien comme celui des situations de crises médiatisées.

Pierre-Yves FOURÉ intervient devant les juridictions pénales (juge d’instruction, tribunal correctionnel), disciplinaires (conseil de l’ordre), financières (cour de discipline budgétaire et financière), administratives ou civiles.

Au-delà de sa maitrise des matières juridiques qu’il pratique depuis plus de 20 ans, Pierre-Yves FOURÉ est reconnu pour son engagement dans la défense et la forte dimension humaine de la relation client.

Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.