Loi Rist : la grande ciguë ou le ricin
Article rédigé le 27 mars 2023 par Me Guillaume Champenois
Les dispositions de la loi RIST doivent être appliquées à compter du lundi 3 avril 2023. Cette loi vise à mettre fin au mercenariat médical en plafonnant la rémunération d’une journée de garde de 24 heures. Le message adressé par le ministère de la santé, urbi et orbi, est que son application sera très stricte. Ce faisant, les outils mis en ligne par la DGOS visant à aider les directeurs d’établissement à gérer cette mise en application peinent à convaincre. En réalité, les directeurs vont devoir faire face à une injonction contradictoire et paradoxale : soit ils se conforment strictement à la loi au risque de devoir fermer les services, soit ils appliquent avec souplesse la loi et ils engagent leur responsabilité sans garantie aucune que les services ne fermeront pas.
L’hôpital public est confronté aujourd’hui aux conséquences d’un choix qui se révèle aujourd’hui hautement problématique, celui de restreinte le nombre de médecins pouvant être diplômés chaque année. L’idée sous-jacente de ce choix était que trop de médecins induira trop de dépenses pour l’assurance maladie. Ce faisant, nous sommes aujourd’hui confronté à une pénurie de praticiens et ce n’est pas sans poser une multitude de problème, dont le mercenariat médical.
La loi RIST
La loi n° 2021-502 du 26 avril 2021 visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification, dite loi RIST, du nom de la députée qui en est à l’origine, doit être appliquée à compter du 3 avril 2023. Elle vise à mettre fin au « mercenariat » des praticiens intérimaires qui peuvent percevoir en une journée ce que perçoit un praticien en une semaine voir un mois dans certaines hypothèses. Pour atteindre cet objectif, le législateur contraint l’autorité de tutelle à déférer les « actes juridiques » qui ne respecteraient pas le plafond de rémunération journalier prévu à l’article L 6146-3 du code de la santé publique devant le tribunal administratif. Ce plafond est de 1.170,24 euros brut la garde de 24 heures.
En d’autres termes, alors que l’hôpital est dépendant de l’intérim au regard de la pénurie de médecins (notre article du 27 octobre 2021), l’agence régionale de santé aura l’obligation de demander au tribunal administratif l’annulation du ou des contrats qu’elle considérera irrégulier.
Il va ici se poser un certain nombre de questions sur la responsabilité des directeurs d’établissement qui seront confrontés à ce déféré, tant vis-à-vis du médecin co-contractant que vis-à-vis du nouveau régime de responsabilité des ordonnateurs entré en vigueur le 1er janvier 2023 (notre article sur cette réforme).
La DGOS annonce une application stricte de la loi Rist
La mise en œuvre de ce texte législatif combinée à l’application des dispositions issues du Décret n°2022-135 du 5 février 2022 relatif aux nouvelles règles applicables aux praticiens contractuels (confer ici les dispositions de l’article R 6152-338 du code de la santé publique) suscitent un émoi certain sur l’ensemble du territoire métropolitain comme en outre-mer. Ce qui suscite cet émoi n’est pas l’objectif poursuivi qui fait l’unanimité mais l’absence de prise en compte effective des réalités de terrain et des sanctions qui vont accompagner désormais le moindre écart.
Selon Hospimedia, « L’application s’annonce très stricte. Pour passer ce cap risqué, la DGOS diffuse plusieurs textes précisant non seulement la teneur des contrôles comptables à venir mais aussi les solutions RH aux mains des directeurs » (édition du 23 mars 2023).
La mise en œuvre de cette réforme est confiée aux agences régionales de santé (ARS).
La mise à disposition d’outils RH pour accompagner les établissements
Pour accompagner les directeurs des établissements publics de santé et les ARS, le Ministère a mis en ligne les outils suivants :
- Une fiche outil RH
- Une FAQ prime de solidarité territoriale
- Une FAQ contrats motif 2
- L’instruction contrôles comptables
- Les fiches de frais professionnels
La fiche outil RH mentionne les outils suivants :
- La mobilisation des ressources au niveau territorial (ex. : GHT) via des mises à disposition de personnels d’un établissement à l’autre ou en aménageant l’offre de soins ou les circuits patients entre établissements ;
- La coordination avec les autres établissements publics et privés et acteurs du territoire pour mutualiser les problématiques touchant aux ressources humaines et élaborer une réponse coordonnée : mises à disposition, conventionnement entre structures ;
- La réorganisation des cycles, des services (ouverture/fermeture, réaffectation de personnel) ;
- Pour les personnels volontaires : utilisation des heures supplémentaires et du temps additionnel, réintégration anticipée des personnels en disponibilité ou mobilisation des personnels retraités depuis moins de 6 mois…
Voilà pour la théorie.
Néanmoins ces outils peinent à convaincre
Dans la pratique, le recours au temps de travail additionnel et aux heures supplémentaires ne nous semblent pas opérant.
La réalisation d’heures supplémentaires requiert des médecins qui travaillent à l’hôpital et si ce dernier a recours à l’intérim c’est bien qu’il n’en dispose pas en nombre suffisant.
En outre, sans entrer dans le détail de l’organisation du temps de travail des praticiens hospitaliers, on objectera que la marge de manœuvre pour les praticiens exerçant leurs fonctions au sein d’un établissement public de santé en termes d’heures supplémentaires est très limitée. Les praticiens sont, pour la plupart, déjà au maximum de ce qui est permis par la règlementation en termes de durée journalière de travail comme en termes de durée hebdomadaire et cela concerne tant les praticiens que les internes (confer – arrêt du Conseil d’Etat du 22 juin 2022 jugeant qu’il est de la responsabilité des établissements de santé de se doter d’un dispositif fiable, objectif et accessible de décompte des heures de travail effectuées par chaque agent).
La réorganisation des cycles et des services nous semble peu efficace dans les faits. La question n’est pas celle d’une organisation défaillante mais celle d’une absence de main d’œuvre.
La mise à disposition de praticiens entre établissements d’un même GHT nous semble, là encore, tout autant illusoire puisque que la pénurie de praticiens touche tous les établissements au sein de tous les GHT. C’est prendre ici le risque de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Reste la coordination entre établissements publics et établissements privés.
Elle est en marche ! Sous l’impulsion des ARS, diverses réunions de travail sont organisées en la présence des équipes de direction des établissements publics de santé, des services de l’ARS et des représentants des groupes privés sur le territoire. Au cours de ces réunions, les établissements publics de santé présentent les difficultés auxquelles ils sont confrontés en la présence des opérateurs privés. Il est évoqué au cours de ces réunions la prise en charge des patients de l’hôpital par les opérateurs privés, ce qui suscite une multitude d’interrogations tant sur les services concernés que sur les incidences de voir ainsi des opérateurs privés au cœur des discussions entre les établissements publics de santé et leur tutelle sur les éventuelles fermetures de service à venir.
Un soutien sans faille du gouvernement
Une visio-conférence s’est tenue le mercredi 22 mars 2023 au niveau national au cours de laquelle monsieur Gabriel Attal, ministre de l’action des comptes publics, ainsi que monsieur François Braun, Ministre de la santé et de la prévention, ont réaffirmé leur plein et entier soutien à l’ensemble des participants non sans avoir évoqué longuement au préalable les modalités de contrôle des contrats souscrits au visa du décret cité plus haut comme des modalités de contrôle du recours à l’intérim par chaque comptable public et chaque directeur général de l’Agence régionale de santé.
Le choix entre la grande CiguË et le ricin
Nous sommes ici sur une injonction paradoxale, une de plus.
Si le directeur fait le choix d’une application stricte de la règlementation, il prend le risque de devoir fermer des services de l’établissement au détriment des usagers et donc de la population au motif que les praticiens contractuels comme intérimaires ne voudront pas signer les contrats proposés. Accessoirement, le risque d’être relevé de sa chefferie d’établissement n’est pas à écarter : « maître, ayez conscience que si je ferme le service, demain, je saute ! ».
Si le directeur fait le choix d’une application souple de la règlementation, en vue de conserver les médecins dans son établissement, il engage alors sa responsabilité personnelle au titre de sa qualité d’ordonnateur. Il prend donc le risque d’être poursuivi par le juge financier et encourt une amende.
Ce faisant, même dans cette dernière hypothèse, la continuité des soins n’est pas garantie puisque le comptable public est en situation de compétence liée pour rejeter le mandatement de l’intégralité de la rémunération du praticien en cas de dépassement des plafonds règlementaires, même pour un euro, et que le directeur général de l’ARS est tout autant en situation de compétence liée pour déférer le contrat irrégulier à la censure du juge administratif.
Autrement formulé, même si le directeur d’hôpital entend prendre tous les risques pour garantir à la population un accès aux soins, l’application stricte de la loi RIST ne peut que conduire à la fermeture des services.
Pour un directeur d’hôpital, dont l’engagement professionnel repose sur l’objectif de garantir à la population un accès aux soins, c’est bien plus qu’un choix cornélien, c’est choisir entre la grande siguë et le ricin.
Guillaume CHAMPENOIS est associé et responsable du pôle social – ressources humaines au sein du Cabinet.
Il bénéficie de plus de 16 années d’expérience dans les activités de conseil et de représentation en justice en droit de la fonction publique et droit du statut des praticiens hospitaliers.
Expert reconnu et formateur sur les problématiques de gestion et de conduite du CHSCT à l’hôpital, il conseille les directeurs d’hôpitaux au quotidien sur l’ensemble des problématiques statutaires, juridiques et de management auxquels ses clients sont confrontés chaque jour.
Il intervient également en droit du travail auprès d’employeurs de droit privé (fusion acquisition, transfert d’activité, conseil juridique sur des opérations complexes, gestion des situations de crise, contentieux sur l’ensemble des problématiques sociales auxquelles sont confrontés les employeurs tant individuelles que collectives).