MÉDICOSOCIAL : LES BONNES PRATIQUES DU DROIT À L’IMAGE SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Article rédigé le 02 novembre 2020 par Me Laurence Huin
L’animation sur les réseaux sociaux de groupes ou pages liés à un établissement du secteur médico-social est une pratique de plus en plus courante. Or, la publication de photographies sur un réseau social par un acteur du secteur du médico-social, tels que les Ehpad ou les instituts médico-éducatifs, nécessite une attention particulière au regard de la règlementation spécifique au droit à l’image. La présence sur les réseaux sociaux pour un acteur du secteur médico-social est-elle possible ? Voici quelques clés pour animer un groupe ou une page d’un réseau social, tout en préservant le droit à la vie privée des personnes représentées sur les photographies publiées.
La publication de photographies sur les réseaux sociaux par un acteur du secteur médico-social a pour objectif de maintenir un contact entre les résidents et leur famille, en témoignant des activités réalisées (ateliers créatifs, animations…) et autres événements festifs organisés (carnaval, fête de Noël…). De nombreuses personnes peuvent apparaître sur ces photographies : on pense aux membres des familles venus visiter leurs proches, ainsi que les salariés des établissements et, bien évidemment, aux résidents eux-mêmes dont certains peuvent être des majeurs protégés ou des mineurs, spécificité du secteur médico-social. Si cette pratique courante est légitime, elle n’en est pas libre pour autant et doit s’effectuer dans le respect des principes régissant le droit à l’image. A ce titre, plusieurs points sont à mettre en œuvre par les établissements du secteur médico-social présents sur les réseaux sociaux.
Une autorisation expresse nécessaire
Le principe
Sans revenir sur les fondements théoriques du droit à l’image et sa construction prétorienne, l’exploitation de l’image d’une personne physique, quelle qu’elle soit, mineur – majeur – majeur protégé, doit être réalisée dans des conditions conformes au droit dont elle dispose sur son image, composante du « droit à la personnalité », protégé par l’article 9 du Code civil. Ainsi, il est établi que toute personne peut s’opposer à la reproduction et diffusion de ses traits sans son autorisation. Le principe est donc la nécessité d’obtenir pour l’établissement médico-social l’autorisation expresse des personnes représentées sur l’image, avant la publication des photographies les représentant sur les réseaux sociaux.
La condition préalable : l’identification de la personne sur la photographie
Le principe étant posé, il conviendra, avant toute chose, de vérifier que les personnes représentées sur les photographies sont identifiables. En effet, il convient de rappeler que le droit à l’image, naturellement, ne peut être revendiqué par une personne que sous la réserve qu’elle soit reconnaissable, l’identification étant nécessaire. Ainsi, selon la taille de l’image extrêmement réduite, l’utilisation de procédés de floutage ou la représentation au sein d’un groupe sans identification possible, aucun droit à l’image ne pourra être accordé à la personne représentée sur la photographie et ainsi aucune autorisation n’aura à être obtenue.
Les (rares) exceptions appliquées au secteur médico-social
Il est vrai cependant que des exceptions à l’autorisation existent. Sans revenir sur les exceptions qui ne s’appliqueront pas aux cas visés dans cet article (on pense notamment lorsque l’image représente une personnalité publique dans l’exercice de ses fonctions ou lorsque l’image représente un groupe ou une scène de rue dans un lieu public si aucune personne n’est individualisée), deux exceptions à l’autorisation pourront être envisagées avec parcimonie par l’établissement du secteur médico-social présent sur les réseaux sociaux. D’une part, un courant jurisprudentiel a retenu l’acceptation « tacite » ou « implicite » de l’individu majeur apparaissant sur la photographie. Certaines décisions admettent qu’il a pu y consentir dès lors que l’exploitation faite est restée prévisible ou du fait des circonstances de la prise de vue démontrant que la personne concernée ne pouvait avoir aucun doute sur la captation de son image. Toutefois, il sera difficile, tout d’abord, pour un établissement du secteur médico-social d’utiliser ce fondement pour des mineurs ou majeurs protégés représentés sur les photographies. Par ailleurs, le recours à ce fondement nécessite pour l’établissement publiant les photographies d’être en mesure de démontrer que l’usage des photographies sur les réseaux sociaux était prévisible et accepté par les personnes représentées. On comprend donc que cette première exception n’est pas sans risque pour les établissements qui souhaiteraient l’invoquer.
D’autre part, l’autorisation expresse des personnes représentées n’est également pas nécessaire au regard du droit à l’information légitime du public. En effet, la photographie d’une personne illustrant de manière adéquate un événement d’actualité autorise l’utilisation de son image. Si les photographies sont publiées sur un réseau social par un établissement du secteur médico-social pour « informer » les familles des activités et événements organisés, il sera difficile pour un établissement de se fonder sur l’exception du droit à l’information légitime du public pour animer un réseau social qui aurait vocation à promouvoir les activités de l’établissement dans une approche commerciale.
On comprend donc bien que l’autorisation expresse sera, dans la très grande majorité des cas, nécessaire pour publier des photographies sur les réseaux sociaux.
Contenu de l’autorisation
Si le principe de l’autorisation expresse est retenu par l’établissement, il conviendra de veiller à plusieurs points lors de la rédaction d’un tel document :
- Un document écrit:
Tout d’abord, la charge de la preuve pesant sur celui qui reproduit et diffuse l’image, il sera ainsi recommandé de prévoir une autorisation écrite, afin d’éviter toute difficulté d’interprétation.
- Un document anticipant les usages de la photographie :
Par ailleurs, il conviendra de définir précisément la finalité de l’autorisation et son étendue, tant concernant les supports que son objet, les tribunaux interprétant de manière restrictive de telles autorisations. Ainsi, l’accord donné par une personne pour la diffusion de son image ne peut valoir accord pour la divulgation de ses nom et fonctions. De même, la question des supports autorisés fait l’objet de nombreux contentieux. Ainsi, une autorisation accordée pour une publication dans le journal papier, voire la newsletter d’un établissement, ne vaudra pas accord pour la publication sur le groupe/la page d’un réseau social animé(e) par l’établissement. L’établissement aura ainsi tout intérêt à anticiper ses besoins en matière de communication.
- Aucun formalisme obligatoire
Enfin, au regard de l’interprétation stricte qui est faite de ces autorisations de droit à l’image, ces documents reprennent souvent le formalisme imposé par le code de la propriété intellectuelle lors d’une cession de droits de propriété intellectuelle. Si ce formalisme peut être bénéfique permettant ainsi de définir l’autorisation en terme de durée, zone géographique, étendue et destination, il n’est pas obligatoire et les dispositions spécifiques relatives à la rémunération en matière de cession de droits de propriété intellectuelle seront inapplicables en matière d’autorisation de droit à l’image, comme ont pu le réaffirmer les tribunaux.
- Un document intégrant les mentions d’information au titre de la réglementation en matière de données personnelles
Le traitement des photographies et l’animation sur les réseaux sociaux constituent des traitements de données personnelles au sens de la réglementation en matière de données personnelles. A ce titre, les personnes concernées par ces traitement doivent être informées par les responsables de traitement. L’autorisation écrite sera le support idéal pour informer les personnes concernées de ces traitements, notamment concernant leurs droits, la finalité du traitement, sa durée, les destinataires… Le choix de la base juridique du traitement devra, à cette occasion, être mûrement réfléchi si l’établissement souhaite pérenniser son traitement et ne pas faire face à de multiples demandes d’opposition ou de retrait du consentement.
Spécificités pour les majeurs protégés et mineurs
Les spécificités du secteur du médico-social impliquent que très régulièrement les personnes représentées sur les photographies soient des mineurs et des majeurs protégés. Conformément aux dispositions du Code civil en matière d’incapacité, des règles particulières devront alors s’appliquer.
Concernant les mineurs non émancipés
Les personnes de moins de 18 ans non émancipées sont frappées, par l’article 414 du Code civil, d’une incapacité générale d’exercice dont il résulte qu’elles ne peuvent, sauf exception, conclure un contrat sans être légalement représentées. Le système de représentation varie selon que le mineur a, ou non, au moins un parent exerçant l’autorité parentale. Si aucun des parents n’exerce l’autorité parentale, l’enfant est soumis au régime de la tutelle, ce qui suppose la désignation d’un tuteur et la constitution d’un conseil de famille présidé par le juge des tutelles. En principe, si l’image dont l’exploitation est envisagée est celle d’un mineur, il convient de recueillir, en sus du consentement de l’intéressé lorsque celui-ci est en âge de l’exprimer, l’autorisation de ses représentants légaux. Ainsi, l’autorisation devra être obtenue directement auprès des représentants légaux ; un directeur ou chef d’établissement ne pouvant se substituer à ces derniers.
Concernant les majeurs protégés
Un majeur peut être soumis à un régime de protection non seulement lorsque ses facultés mentales sont altérées par une maladie ou un affaiblissement dû à l’âge, mais également en cas d’altération de ses facultés corporelles s’il s’avère que cette altération empêche l’expression de sa volonté. La publication de photographies de majeurs protégés nécessite également l’autorisation de leurs représentants légaux. Ainsi en a-t-il été jugé à propos de la réalisation d’un film concernant la vie de jeunes adultes handicapés mentaux, hébergés dans des centres :
« le gérant de tutelle ne peut accomplir, seul, les actes relatifs à la personne du majeur protégé, tel celui de consentir à la reproduction de son image, et qu’il lui appartient, à cet effet, […] de saisir le juge des tutelles qui pourra soit l’autoriser à faire ces actes et éventuellement sous les conditions qu’il déterminera, soit décider de constituer une tutelle complète ».
La présence des acteurs du médico-social sur les réseaux sociaux est donc tout à fait envisageable à condition d’encadrer juridiquement la publication des photographies au regard des exigences du droit à l’image mais également … celles relatives à la réglementation en matière de données personnelles. Autre réglementation, autre article. À suivre donc !
Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.