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Passe sanitaire et vaccination obligatoire - 2e partie - médecins
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PASSE SANITAIRE ET OBLIGATION VACCINALE : ATTENTION À L’EFFET BOOMERANG – partie 2

 

Article rédigé le 11 août 2021 par Me Caroline Lesné et Me Marine Jacquet

 

Suite de l’article précédent Passe sanitaire et obligation vaccinale : attention à l’effet boomerang – partie 1

 

Après une montée en charge, l’obligation vaccinale contre la covid-19 pour les professionnels des établissements de santé, sociaux et médico-sociaux sera complètement effective le 15 septembre 2021. À défaut de s’y soumettre, les professionnels récalcitrants devront être écartés du service. La loi impose un régime spécifique de suspension sans maintien de rémunération. Pour quel profit ? pas sûr que par le bâton soit atteint l’objectif de garantir la santé publique. Attention à l’effet boomerang !

 

Le passage en force de la vaccination obligatoire des professionnels de santé contre la covid-19 pourrait bien ne pas atteindre son objectif de sécuriser la santé publique des citoyens français

 

Plus contraignant encore que le passe sanitaire, le gouvernement a décidé d’imposer aux professionnels de santé l’une des trois modalités du passe sanitaire : la vaccination contre la covid-19.
Afin de garantir la sécurité de la santé publique, les professionnels de santé tout comme la population française connaissent déjà des obligations vaccinales (4 vaccins obligatoires pour les professionnels de santé : hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et 11 vaccins obligatoires à notre actif pour la population).
Ce n’est donc qu’une énième obligation vaccinale pourrait-on dire.

 

Mais pourquoi rendre obligatoire le vaccin contre la covid-19 pour les professionnels de santé ?

 

Le Conseil d’État tout comme le Conseil constitutionnel ont validé cette nouvelle obligation vaccinale au motif qu’« il est parfaitement loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective ». Il lui est « également loisible de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques ».
Le Conseil d’État détaille spécifiquement sa motivation en relevant que « la propagation du variant Delta et un recul des gestes barrières en cette période estivale sont à l’origine d’un rebond épidémique dont la progression suit une trajectoire exponentielle ». Le Conseil d’État a pour se faire pris en considération les informations scientifiques et institutionnelles indiquant que la vaccination permet d’éviter 95 % des formes graves en cas d’infection à la covid-19, de ralentir la propagation du virus et de limiter la tension sur les capacités hospitalières.
C’est dans ce contexte grave, que les plus hautes institutions de l’État considèrent que le contexte épidémique qui connaît actuellement sa 4ème vague justifie d’imposer une obligation vaccinale aux professionnels de santé au regard des risques graves pour la vie et la santé de la population française. Cette mesure visant à la sécurité et à la santé publique des citoyens français prime donc sur leurs libertés individuelles que sont notamment la liberté d’exercice professionnelle et le droit à la vie privée dans la mesure où elle poursuit un but légitime qui, n’est pas manifestement, inappropriée à la lutte contre l’épidémie de la covid-19.

 

Quel périmètre des personnes concernées par l’obligation vaccinale ?

 

Dès le 7 août 2021, devront justifier de leur vaccination contre la covid-19 , sauf contre-indication médicale reconnue, les « personnes exerçant leur activité » notamment dans les établissements de santé, centres de santé, maisons de santé, les dispositifs d’appui à la coordination des parcours de santé complexe, les établissements et services sociaux et médico-sociaux, mais aussi plus largement les professionnels de santé, les psychologues, les ostéopathes ou de chiropracteurs, les psychothérapeutes.
Le périmètre est donc très large. Surtout, la loi ne prévoit pas la possibilité d’exonérer certaines catégories de professionnels de cette obligation. Sont visées « les personnes exerçant leur activité » dans ces lieux. Ainsi, peu importe qu’il s’agisse d’un agent intervenant au niveau de fonction support ou dans les services de soin. Certains professionnels des établissements et services de santé sociaux ou médico-sociaux ne sont pas nécessairement en contact avec des populations vulnérables.
La proportionnalité de la restriction apportée par la vaccination obligatoire à la liberté individuelle d’exercice professionnelle et au droit à la vie privée pose sérieusement question.
La seule limite prévue par les textes concerne les « personnes chargées de l’exécution d’une tâche ponctuelle au sein des locaux ». Faut-il comprendre que seuls les vacataires qui sont très marginalement représentés dans ces établissements et services seraient exonérés de l’obligation vaccinale ? Il est difficile de suivre le raisonnement de cette dérogation. En quoi les personnes chargées de l’exécution d’une tâche ponctuelle au sein des établissements et services visés exposeraient moins les personnes vulnérables accueillies à un risque de contamination ?

 

Contrôle vaccinal et sanction ou comment placer les responsables d’établissements et services entre le marteau et l’enclume ?

 

Une montée en charge de l’obligation vaccinale est prévue.
Du 7 aout 2021 au 14 septembre 2021, seuls les professionnels de santé répondant à l’une des quatre modalités suivantes pourront continuer à exercer leurs fonctions au sein des établissements et services sanitaires sociaux et médico-sociaux :

  • présentation du certificat de statut vaccinal contre la covid-19,
  • présentation d’un certificat de rétablissement,
  • présentation du justificatif de l’administration des doses de vaccins requises par voie décrétale,
  • présentation du résultat pour sa durée de validité de l’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19.

À compter du 15 septembre 2021, seuls les professionnels de santé vaccinés pourront continuer à exercer leurs fonctions au sein des établissements et services sanitaires sociaux et médico-sociaux selon l’une des quatre modalités suivantes :

  • présentation du certificat de statut vaccinal contre la covid-19,
  • présentation d’un certificat de rétablissement,
  • présentation du justificatif de l’administration des doses de vaccins requises par voie décrétale,
  • à titre dérogatoire, du 15 septembre au 15 octobre 2021 inclus : dans le cadre d’un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, les personnes qui justifient de l’administration d’au moins une des doses requises par voie décrétale sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l’examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19.

Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, déterminera les conditions de vaccination contre la covid-19.
Le Conseil d’État a estimé que le législateur peut, compte tenu de la finalité de santé publique qu’il poursuit, sans méconnaître le 5ème alinéa du Préambule de 1946, soumettre la poursuite de l’exercice de l’activité professionnelle des personnes mentionnées au point 30 à la transmission des documents établissant qu’elles respectent l’obligation vaccinale contre la covid-19 (Conseil constitutionnel, décision n° 2011-119 QPC du 1er avril 2011).

 

Du contrôle à la suspension sans maintien de la rémunération en l’absence de vaccination contre la covid-19

 

Le contrôle de l’obligation vaccinale contre la covid-19 des professionnels de santé, devra être effectué par l’établissement et le service employeur pour les salariées ou les agents publics. Pour les autres personnes dont les professionnels de santé libéraux, cette charge reviendra aux agences régionales de santé (ARS) compétentes qui accèdent aux données relatives au statut vaccinal de ces mêmes personnes, avec le concours des organismes locaux d’assurance maladie.
À défaut pour les professionnels de santé de respecter l’obligation vaccinale dans les conditions précitées, l’employeur ou l’ARS selon leurs compétences respectives rappelées précédemment devront constater qu’ils ne peuvent plus exercer leur activité professionnelle. Ils les informeront alors sans délai des conséquences qu’emporte cette interdiction d’exercer ainsi que des moyens de régulariser la situation.
Les professionnels salariés et agents publics qui feront l’objet d’une interdiction d’exercer pourront être gérés provisoirement selon une alternative :

  • soit ils utiliseront, avec l’accord de leur employeur, des jours de repos conventionnels ou des jours de congés payés,
  • soit ils seront suspendus.

La suspension répond à un régime spécifique. Elle s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération et prend fin dès que le professionnel remplit les conditions nécessaires à l’exercice de son activité (l’une des trois modalités liées à la vaccination). Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits légaux ou conventionnels acquis par le salarié au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, le professionnel conserve néanmoins le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit.
Il aurait été loisible au gouvernement de laisser les établissements décider de l’opportunité de prendre une décision de suspension conservatoire dans l’attente de l’issue d’une éventuelle décision disciplinaire pour manquement à cette nouvelle obligation professionnelle de vaccination.
Ce choix n’a pas été retenu et l’on comprend pourquoi. Si le régime de suspension à titre conservatoire permet de bénéficier du maintien de sa rémunération, le régime spécifique de la suspension pour manquement à l’obligation vaccinale retire aux professionnels le bénéfice du maintien de la rémunération. Le gouvernement entend faire pression sur les professionnels des établissements sanitaires sociaux et médico-sociaux en s’attaquant à leurs revenus. Après le Ségur de la santé, le gouvernement passe de la carotte au bâton. Il n’est pas certain qu’en procédant de la sorte, le gouvernement obtienne l’effet escompté.
En tout état de cause, cette suspension devra être assortie de garanties pour le professionnel concerné telles que, comme le souligne le Conseil d’État, l’information sans délai de cette décision et de la convocation à un entretien permettant d’examiner les moyens de régulariser la situation.

 

La faiblesse juridique de ce régime spécifique de suspension pour les agents publics

 

Une difficulté juridique dans la mise en œuvre de cette suspension doit néanmoins être relevée. Les dispositions de la loi relatives à la suspension qui concernent les trois versants de la fonction publique et les personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques auraient dû être soumises pour avis au Conseil commun de la fonction publique (CCFP) et au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques comme le souligne le Conseil d’État dans son avis. Pour mettre en œuvre une mesure de suspension sans versement de rémunération ce qui ne correspond pas à un dispositif existant, il était nécessaire de recueillir leur avis préalable. Or, le gouvernement ayant fait le choix d’une procédure accélérée, cette consultation préalable obligatoire n’a pas eu lieu faute de temps. Il n’en reste pas moins que les dispositions de la loi sur ce point sont affectées d’un vice de procédure qui remet en cause la validité d’une suspension sans versement de la rémunération.

 

Attention à l’effet boomerang

 

Cela étant, si le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ont validé l’obligation vaccinale et ses sanctions tout comme le passe sanitaire au regard des risques du contexte pandémique, les réactions que suscite cette loi pourraient bien amener à reconsidérer la donne.
Avant même la promulgation et la publication de la loi, les préavis de grève ont été déposés par les syndicats de professionnels de santé dans tout l’hexagone, dans les établissements de santé et médico- sociaux. Les directeurs d’hôpitaux et leurs représentants ont alerté sur les graves difficultés auxquelles ils allaient être confrontés pour assurer les contrôles qui leur sont imposés à la fois sur le passe sanitaire et sur les vaccinations.
Il est fort à craindre qu’alors que la période estivale fait déjà rappeler des professionnels pour répondre à l’affluence des services, il ne soit pas possible dans certains établissements de tenir les effectifs minimums nécessaires pour prendre en charge les patients au cours de la rentrée de septembre.
Comment alors assurer la sécurité et la continuité des soins si une partie significative de professionnels de santé refuse de répondre à son obligation de vaccination contre la covid-19 et que leurs employeurs seront contraints en application de la loi de l’écarter du service pour répondre au but légitime qui est d’écarter les risques de contamination à la covid-19 ?
Le dispositif imposé par la loi ambitionne un coup d’arrêt au risque de contamination à la covid-19 dans ces établissements et services. Mais c’est ici avoir négligé le contexte social et les données sur les inquiétudes que suscitent le vaccin. Les réactions que provoque l’obligation vaccinale pourraient constituer un plus grand risque de rupture de l’accès aux soins et d’effondrement de la continuité, de la qualité et de la sécurité des soins.

 

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Caroline LESNÉ est avocate associée et Responsable du département Fonction publique du pôle social. Elle accompagne depuis plus de 15 ans les établissements de santé. Encadrant une équipe d’avocats spécialisés, Maître Lesné conseille quotidiennement les directions d’établissements sur leurs projets et leur stratégie tant au plan individuel que collectif de leur GRH notamment dans le cadre des regroupements et coopérations. Elle les représente et les assiste devant les juridictions administratives et judiciaires et assure par ailleurs des formations, Outre des compétences aguerries en droit de la fonction publique, Maître Lesné délivre une expertise poussée en droit statutaire des médecins et des conseils en gestion stratégique notamment dans le cadre des différentes formes de coopération.
Elle intervient également tant en conseil qu’en représentation en justice en droit du travail auprès d’opérateurs de droit privé et en droit de la sécurité sociale.

Marine JACQUET, avocate associée, exerce au sein du Cabinet HOUDART ET ASSOCIÉS depuis 2011.

Maître Jacquet se consacre plus particulièrement aux problématiques relatives aux ressources humaines au sein du Pôle social du cabinet, Pôle spécialisé en droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit public et droit de la fonction publique.

Présentant une double compétence en droit du travail et en droit de la fonction publique, elle conseille quotidiennement depuis 7 ans  les établissements de santé privés comme publics, les établissements de l’assurance maladie, les acteurs du monde social, médico social et les professionnels de santé libéraux notamment sur la gestion de leurs personnels,  leurs projets et leur stratégie en s’efforçant de proposer des solutions innovantes.

Elle accompagne ces acteurs sur l’ensemble des différends auquel ils peuvent être confrontés avec leur personnel (à titre d’exemple, gestion d’accusation de situation d’harcèlement moral ou de discrimination syndicale, gestion en période de grève, gestion de l’inaptitude médicale, des carrières et contentieux y afférents, procédures disciplinaires ou de licenciement, indemnités chômage …etc).