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Plan urgence hôpital - Intérim médical
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RENFORCEMENT DU CONTRÔLE DE L’INTÉRIM MÉDICAL À L’HÔPITAL : ATTENTION À LA DOUBLE PEINE !

Article rédigé le 19 décembre 2019 par Me Nicolas Porte

À l’occasion de la présentation à l’Hôtel de Matignon du plan d’urgence pour l’hôpital le 20 novembre dernier, la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a annoncé « des campagnes de contrôle dans les prochaines semaines auprès des médecins pratiquant l’intérim via des comptables publics ». Pour la ministre, il s’agit de « mettre fin [au] mercenariat » de l’intérim médical ; « l’hôpital ne peut constituer une zone de non droit dans laquelle certains acteurs imposeraient par le chantage exercé sur la continuité des soins leurs conditions tarifaires aux acteurs du système de santé » ( Cf. discours du Premier ministre E. Philippe ).

Mais derrière la métaphore militaire et le vocabulaire ministériel « musclé », de quoi parle-t-on exactement ?

Le phénomène de l’emploi médical temporaire de courte durée à l’hôpital public

 

Le mercenariat, auquel les pouvoirs publics entendent s’attaquer, représente la dérive ultime du phénomène plus large de l’emploi médical temporaire de courte durée à l’hôpital. Celui-ci recouvre en réalité deux situations : d’une part, l’intérim proprement dit au sens du code du travail, cf. Article L 1251-1 du code du travail. (c’est à dire, la mise à disposition d’un praticien salarié par une entreprise de travail temporaire au bénéfice d’un centre hospitalier pour l’exécution d’une mission) et d’autre part, la relation contractuelle directe entre un médecin remplaçant et un établissement de santé, le cas échéant après une mise en relation par le biais d’une entreprise de travail temporaire (au titre de leur activité de placement prévue à l’article L 1251-4 du code du travail).

 

Comme l’indique elle-même la ministre, le recours à l’intérim (ou à d’autres formes de travail temporaire) n’est pas en soi un problème. Comme dans beaucoup de secteurs d’activité, il s’avère indispensable pour palier à certaines difficultés conjoncturelles (absences, surcroîts d’activité…).

 

Mais depuis maintenant plusieurs années, le recours à l’emploi temporaire est devenu de plus en plus fréquent au point d’être, dans certains cas extrêmes, le principal voire le seul mode de recrutement des praticiens. Il ne s’agit pas d’un phénomène massif, loin de là, ni d’un choix de gestion de la part des hôpitaux qui, pour l’immense majorité d’entre eux, subissent cette situation.

 

Le phénomène a été décrit il y a déjà quelques années dans un rapport parlementaire au titre évocateur : « Hôpital cherche médecins, coûte que coûte » (« Hôpital cherche médecins, coûte que coûte. Essor et dérive du marché de l’emploi médical temporaire à l’hôpital public ».Rapport O. Véran, avec les députés du groupe socialiste de la commission des affaires sociales de l’Assemblée Nationale. Décembre 2013.).

 

Certains établissements, en particulier les centres hospitaliers de petite taille ou de taille moyenne, souvent situés dans des territoires peu attractifs, éprouvent de grandes difficultés à recruter des médecins. C’est plus particulièrement vrai dans certaines disciplines dites « sous tension » : la médecine d’urgence, la radiologie, l’anesthésie-réanimation et la gynécologie-obstétrique.

 

L’essor de l’intérim médical est un symptôme – parmi d’autres – de la crise que traverse actuellement l’hôpital public.

 

Les causes du phénomène sont multiples et complexes (démographie médicale, désaffection pour l’exercice hospitalier du fait de la pénibilité et/ou du différentiel de rémunération avec le secteur privé, faible attractivité de certains établissements, évolution des comportements professionnels…) et nécessitent certainement des réponses structurelles de long terme.  Mais le sujet est trop vaste pour être abordé dans le cadre du présent article (nous nous bornerons à renvoyer aux pistes proposées par le rapport Véran et aux mesures gouvernementales annoncées pour « restaurer l’attractivité de l’hôpital ».).

 

Dans l’immédiat, le résultat est souvent le même : des hôpitaux qui doivent massivement recourir à l’emploi temporaire pour assurer la continuité du service public et voient leurs dépenses de personnels s’alourdir, alors qu’ils se trouvent déjà dans une situation financière difficile.

 

Deux exemples concrets peuvent être donnés pour illustrer le propos.

 

Le premier exemple est celui d’un hôpital du centre-ouest de la France dont la maternité (qui réalisait moins de 300 accouchements par an) a fonctionné pendant plusieurs mois sans aucun médecin titulaire en gynécologie-obstétrique, pédiatrie et anesthésie-réanimation (soit les trois disciplines médicales indispensables au fonctionnement d’une unité d’obstétrique au regard de la réglementation), avant que la direction de l’établissement soit contrainte de fermer l’unité d’obstétrique, faute de trouver suffisamment de médecins pour remplir les tableaux de garde. Le seul praticien hospitalier à temps plein avait démissionné de son poste quelques mois plus tôt pour se faire réembaucher aussitôt par l’établissement en tant que praticien contractuel à temps partiel.

 

Le second exemple est celui d’un centre hospitalier d’Auvergne Rhône-Alpes, dont la Chambre régionale des comptes a révélé qu’il avait augmenté ses dépenses liées à l’intérim de 116 % en l’espace de 2 ans, le montant desdites dépenses (environ 3 M €) dépassant celui du déficit constaté de l’établissement (2,7 M€). La juridiction financière a mis au jour des situations caractéristiques des dérives de l’emploi médical temporaire à savoir, des rémunérations excessives, un dévoiement de la mise en disponibilité des praticiens statutaires et une concurrence sur l’intérim médical entre des établissements membres d’un même groupement hospitalier de territoire.

 

Ainsi la Chambre régionale des comptes cite-t-elle dans son rapport le cas d’un praticien hospitalier titulaire à 80% exerçant dans un autre établissement membre du même GHT venu faire un remplacement d’une semaine pour une rémunération de 4550 euros nets (hors frais de déplacement et d’hébergement) qu’il a cumulée avec sa rémunération statutaire, laquelle comprenait une indemnité d’engagement exclusif… Ce médecin, après avoir obtenu son placement en disponibilité pour convenances personnelles, est revenu travailler dans le même établissement comme médecin contractuel pour un salaire de 21 000 euros pour 31 jours de travail.

 

L’amplification du phénomène de l’intérim médical et les dérives qui l’accompagne ont des effets potentiellement délétères sur le fonctionnement des hôpitaux :

 

  • Sur les finances des établissements tout d’abord : une journée d’intérim coûte en moyenne plus du triple du coût normal d’une journée de travail d’un praticien hospitalier (Cf. rapport O. Véran, précité, page 14.) et nombre d’établissements contraints de recourir à l’intérim connaissent déjà des difficultés financières, qui de ce fait s’en trouvent aggravées ;

 

  • Sur la qualité et la sécurité des soins ensuite. Même s’il convient d’être prudent sur ce point dans la mesure où l’impact du travail temporaire sur la qualité de la prise en charge n’a, à notre connaissance, pas été objectivé, il n’en demeure pas moins que la médecine hospitalière est une affaire d’équipe. Or, l’intégration des médecins intérimaires et remplaçants au sein des équipes médico-soignantes et leur connaissance des procédures internes des unités de soins dans lesquelles ils interviennent ne vont pas de soi et constituent un vrai sujet d’interrogation ;

 

  • Sur le « vivre ensemble » enfin. Les écarts de rémunération, parfois considérables, entre les praticiens intérimaires et les autres personnels, qu’il s’agisse des médecins ou des soignants, peuvent avoir un impact sur l’ambiance et la cohésion au sein des équipes.

 

 

Un plafonnement des rémunérations qui peine à être appliqué

 

Le législateur et le gouvernement ont apporté une réponse – partielle – à ces dérives par un texte législatif, l’ article L 6146-3 du code de la santé publique issu de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 (article 136) :

« Les établissements publics de santé peuvent avoir recours à des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques pour des missions de travail temporaire, dans les conditions prévues à l’ article 9-3 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Les entreprises d’intérim mentionnées à l’article L. 1251-1 du code du travail attestent auprès des établissements de santé, avant le début de la mission de travail temporaire du professionnel proposé, qu’elles ont accompli les obligations prévues à l’article L. 1251-8 du même code.

Le montant journalier des dépenses susceptibles d’être engagées par praticien par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire prévue au premier alinéa du présent article ne peut excéder un plafond dont les conditions de détermination sont fixées par voie réglementaire ».

 

Lui-même complété d’un décret: Décret n°2017-1605 du 24 novembre 2017 relatif au travail temporaire des praticiens intérimaires dans les établissements publics de santé (J0 du 26/11/2017).

Tous deux encadrent la rémunération des praticiens intérimaires dans les établissements publics de santé et obligent les entreprises de travail temporaire à transmettre, lors de la signature du contrat de mise à disposition, des documents attestant que le praticien a satisfait à ses obligations de formation professionnelle continue, qu’il ne contrevient pas aux règles de non cumul d’emplois de la fonction publique et qu’il a bénéficié d’un repos de sécurité suffisant avant le début de sa mission.

 

Mais ces obligations ne concernent que les entreprises de travail temporaire et ne s’appliquent pas aux contrats de gré à gré conclus directement entre les hôpitaux et les praticiens ( Comme l’indique la notice du décret du 24 novembre 2017, celui-ci fixe un salaire brut maximum pour la rémunération d’un praticien mis à disposition dans un établissement public de santé par une entreprise de travail temporaire pour une journée de vingt-quatre heures de travail effectif.).

 

Côté rémunération, le décret institue un plafond journalier de dépenses susceptibles d’être engagées par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire d’un médecin, odontologiste ou pharmacien (Codifie aux articles R 6146-25 et R 6146-26 du code de la santé publique.). Aux termes d’un arrêté du 24 novembre 2017, le montant plafond journalier de la rémunération brute d’un praticien intérimaire pour 24 heures de travail effectif est fixé à 1 287 euros pour l’année 2019 et à 1 170 euros à partir de 2020 (cf. Arrêté du 24 novembre 2017 fixant le montant du plafond des dépenses engagées par un établissement public de santé au titre d’une mission de travail temporaire (JO du 26/11/2017)).

 

Mais cette réglementation, édictée il y a déjà deux ans, ne semble pas avoir eu les effets escomptés car de l’avis général, des établissements ne respectent pas le plafonnement pour continuer d’attirer des intérimaires (cf. les propos du Député Thomas Mesnier, cité par la CSMF) . Pire, les établissements qui respectent la réglementation courent le risque d’être boycottés par les praticiens (le syndicat national des médecins remplaçants des hôpitaux a invité ses adhérents à « éviter » les hôpitaux appliquant le plafond réglementaire, ce qui a provoqué une vive réaction de la ministre des Solidarités et de la Santé qui a déposé une plainte auprès du Conseil National de l’Ordre des Médecins (cf. article du Monde).

 

Dans un contexte où les hôpitaux publics ne sont pas en position de force face aux praticiens intérimaires et remplaçants, quel effet utile peut avoir la campagne de contrôles annoncée par le gouvernement ?

 

 

 

Une campagne de contrôles pour quoi faire ?

 

Les contrôles annoncés par la ministre porteront sur le respect des règles relatives au repos de sécurité, au cumul d’emplois publics et au plafonnement des rémunérations.

 

  • S’agissant du respect du repos de sécurité et des règles de cumul d’emplois, les contrôles permettront sans doute d’objectiver plus précisément l’ampleur d’un phénomène semble-t-il assez nouveau, celui des praticiens hospitaliers à temps plein qui pratiquent l’intérim sur leurs plages de repos, et de sanctionner les comportements les plus opportunistes.

 

 

  • Concernant les contrôles du respect du plafonnement des rémunérations, il est permis de se montrer sceptique sur leur efficacité. Tant que la demande sera supérieure l’offre, il est probable que la loi du marché prévaudra et qu’elle poussera certains établissements à rester dans l’illégalité pour assurer la continuité du service public. Nécessité fait loi.

 

Car contrôler est une chose, mais sanctionner en est une autre et il ne faudrait pas que le gouvernement se trompe de cible en laissant les chefs d’établissements seuls en première ligne. On soulignera que ces derniers engagent leur responsabilité personnelle devant le juge financier (en l’occurrence la cour de discipline budgétaire et financière, sur le fondement de l’article L 313-4 du code de juridictions financières) lorsqu’ils ordonnent le versement de rémunérations excédant les plafonds règlementaires (Pour des exemples en jurisprudence v. not. CDBF 8 déc. 2014, Maison de retraite publique de Vertheuil, no 196: Gestion et fin. publ. 2016, no 4, p. 157 et CDBF , 17 juill. 2015, AP-HM, no 201: Gestion et fin. publ. 2016, no 4, p. 157.).

 

Lorsqu’un directeur d’hôpital se trouve face au dilemme de devoir choisir entre fermer provisoirement un service faute de médecins en nombre suffisant, ou recruter des intérimaires « au prix du marché », la décision qu’il doit prendre n’est pas seulement managériale, mais aussi politique et il ne doit pas être seul à devoir l’assumer. Les ARS doivent y prendre leur part, car elles sont les garantes, en leur qualité d’autorités de police administrative, de la continuité des soins et du respect de la réglementation prise pour la protection de la santé publique (Cf. les articles L 1431-2 2° et L 6122-13 du code de la santé publique).

 

Aussi, l’éventualité évoquée par la ministre (Cf. le discours du Premier ministre E. Philippe) d’adopter un texte législatif donnant au comptable public le pouvoir d’écrêter le montant de la rémunération versée au titre d’une mission d’intérim, doit être examinée avec prudence. Une telle mesure reviendrait à instituer une forme d’automaticité dans l’application du plafond de rémunération, laquelle pourrait se révéler contre-productive si elle devait avoir pour effet de raréfier encore plus la ressource médicale.

 

Sur le sujet de l’intérim médical, le gouvernement est sur une ligne de crête. Compte tenu des déclarations qu’il a faites, il est contraint de faire preuve de fermeté, au moins pour réprimer les abus les plus manifestes. Mais il ne peut pas non plus faire abstraction de la réalité du marché de l’emploi médical, car une application trop rigoureuse des textes risquerait de pénaliser avant tout les hôpitaux publics et leurs usagers.

 

La lutte contre le mercenariat est légitime, mais il sera nécessaire de veiller à ce qu’elle ne conduise pas à infliger une « double peine » aux hôpitaux déjà en grande difficulté.

Nicolas Porte, avocat associé, exerce son métier au sein du Pôle organisation du Cabinet Houdart & Associés.

Après cinq années consacrées à exercer les fonctions de responsable des affaires juridiques d’une Agence Régionale de Santé, Nicolas PORTE a rejoint récemment le Cabinet Houdart et Associés pour mettre son expérience au service des établissements publics de santé et plus généralement, des acteurs publics et associatifs du monde de la santé.

Auparavant, il a exercé pendant plus de dix années diverses fonctions au sein du département juridique d’un organisme d’assurance maladie.

Ces expériences lui ont permis d’acquérir une solide pratique des affaires contentieuses, aussi bien devant les juridictions civiles qu’administratives, et d’acquérir des compétences variées dans divers domaines du droit (droit de la sécurité sociale, droit du travail, baux, procédures collectives, tarification AT/MP, marchés publics). Ses cinq années passées en ARS lui ont notamment permis d’exercer une activité de conseil auprès du directeur général et des responsables opérationnels de l’agence et développer une expertise spécifique en matière de droit des autorisations sanitaires et médico-sociales (établissements de santé, établissements médico-sociaux, pharmacies d’officines) et de contentieux de la tarification à l’activité.