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Vidéosurveillance sans information et recevabilité de la preuve
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Vidéosurveillance sans information et recevabilité de la preuve

 

Article rédigé le 24 janvier 2022 par Me Laurence Huin et Adriane Louyer

 

Dans un arrêt en date du 10 novembre 2021, la Cour de cassation s’est prononcée sur la recevabilité de la preuve résultant d’un traitement de vidéosurveillance dans le cadre d’un contentieux social. Plus précisément par cet arrêt, la Haute juridiction considère que l’absence d’information des salariés sur le traitement de données personnelles n’écarte pas à lui seul la recevabilité de la preuve. Le juge du fond devra procéder à une mise en balance des intérêts entre le droit au respect de la vie personnelle et le droit de la preuve.

 

 

Dans cette décision, la Cour de cassation rappelle les modalités d’information des personnes concernées qu’un responsable de traitement doit respecter, puis elle fait une application concrète de sa nouvelle jurisprudence sur la recevabilité d’une preuve non conforme au droit des données personnelles. Cette évolution ne doit toutefois pas être interprétée comme un relâchement de l’exigence de conformité des traitements de données personnelles mis en œuvre par l’employeur.

 

L’obligation d’information des personnes concernées par le traitement

 

En l’espèce, une caissière avait été licenciée pour faute grave sur la base d’images de vidéosurveillance ; dispositif qui constituait un traitement de données personnelles mis en œuvre par son employeur. Cette vidéosurveillance déployée au motif de la protection et la sécurité des biens et des personnes dans les locaux de l’entreprise avait bien fait l’objet d’une information des salariés. Toutefois, ce dispositif avait été également mis en place pour contrôler et surveiller l’activité des salariés et il avait à ce titre permis à l’employeur de recueillir et exploiter des informations concernant la salariée. Or, ni les salariés, ni le comité d’entreprise, n’avaient été informés de cette autre finalité du traitement de vidéosurveillance.

Dans cet arrêt du 10 novembre dernier, la Cour de cassation rappelle que l’information des salariés doit être réalisée avant la mise en œuvre d’un traitement et mentionner « l’identité du responsable du traitement des données ou de son représentant, de la (ou les) finalité(s) poursuivie(s) par le traitement, des destinataires ou catégories de destinataires de données, de l’existence d’un droit d’accès aux données les concernant, d’un droit de rectification et d’un droit d’opposition pour motif légitime, ainsi que des modalités d’exercice de ces droits ». La Cour de cassation intègre ici les exigences prévues à l’article 13 du RGPD sur les mentions d’information obligatoires des personnes concernées préalablement à la réalisation d’un traitement de données personnelles.

 

L’évolution de la jurisprudence du juge de cassation sur la recevabilité de la preuve dans un contentieux social

 

Jusqu’alors, la Cour de cassation considérait qu’en matière de vidéosurveillance « tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite » (Cour de cassation, ch. sociale, 20 nov. 1991 n° 88-43.120). Ainsi, un employeur qui n’avait pas informé les salariés selon les dispositions de la Loi Informatique et Libertés, ne pouvait utiliser ces données personnelles comme preuve dans le cadre d’un contentieux.

 

La récente décision rendue par la Cour de cassation le 10 novembre 2021 démontre le changement de jurisprudence opérée par la haute juridiction sur la recevabilité d’une preuve issue d’un traitement qui n’est pas conforme à la réglementation des données personnelles. En effet, ce revirement de jurisprudence intervient à la suite de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme en date du 17 octobre 2019 (CEDH, gr. ch., 17 oct. 2019, n° 1874/13 et n° 8567/13, Lopez Ribalda et a. c/ Espagne) dans lequel la Cour s’était prononcée sur la vidéosurveillance secrète des salariés. Dans cet arrêt de Grande chambre, la CEDH a estimé que la vidéosurveillance secrète des salariés ne portait pas une atteinte répréhensible au droit au respect de la vie privée, protégé à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, dès lors que ce dispositif répondait à des motifs légitimes et ne méconnaissait pas le principe de proportionnalité.

 

Dans cette décision analysée du 10 novembre 2021, la Cour de cassation confirme sa précédente décision du 25 novembre 2020 n°17-19.523 en considérant que « l’illicéité d’un moyen de preuve (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

 

Plus précisément, dans son arrêt du 10 novembre 2021, la Haute juridiction fait une application concrète de sa nouvelle jurisprudence précédemment dégagée dans son arrêt du 25 novembre 2020 en cassant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion. La Cour de cassation estime que les juges du second niveau auraient dû, à la suite d’une une mise en balance du droit au respect de la vie privée et le droit à la preuve, apprécier si l’utilisation de cette preuve avait bien porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble. La Cour de cassation renvoie l’affaire à nouveau devant la Cour d’appel.

 

Les conséquences à tirer de cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation

 

Tout d’abord, cette décision permettra de diminuer le risque d’une irrecevabilité de la preuve provenant d’un traitement illicite de données à caractère personnel et à ce titre, cette solution intéressera fortement les professionnels du droit exerçant devant les juridictions.

Par ailleurs, aussi tentant que cela puisse être, cette décision ne doit pas être interprétée comme un signe d’indulgence vis-à-vis de la réglementation relative aux traitements de données personnelles. La possibilité laissée au juge civil de recevoir, à l’issue d’une balance des intérêts en question, une preuve non conforme au droit des données personnelles ne doit pas conduire à un relâchement des employeurs sur la mise en conformité de leurs traitements de données personnelles, dont l’information des personnes constitue l’une des principales obligations.

En effet, on rappellera que les salariés ont toujours la possibilité de saisir la CNIL d’une plainte sur des manquements au droit des données personnelles dans le cadre d’un traitement de vidéosurveillance. La Commission pourra alors décider de vérifier la conformité du traitement de vidéosurveillance et le cas échéant, sanctionner une entreprise en cas de manquement à l’information des personnes concernées. La CNIL a d’ailleurs prononcé une sanction de 20 000 euros à l’encontre d’une TPE dans une délibération en date du 13 juin 2019 en raison de plusieurs manquements dont l’obligation d’informer les personnes concernées par un traitement de vidéosurveillance.

 

En conséquence, les responsables de traitement devront toujours s’assurer du respect de l’information complète des salariés dans le cadre d’un traitement de vidéosurveillance, et ce malgré cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.

 

Avocat depuis 2015, Laurence Huin exerce une activité de conseil auprès d’acteurs du numérique, aussi bien côté prestataires que clients.
Elle a rejoint le Cabinet Houdart & Associés en septembre 2020 et est avocate associée en charge du pôle Santé numérique.
Elle consacre aujourd’hui une part importante de son activité à l’accompagnement des établissements de santé publics comme privés dans leur mise en conformité à la réglementation en matière de données personnelles, dans la valorisation de leurs données notamment lors de projets d’intelligence artificielle et leur apporte son expertise juridique et technique en matière de conseils informatiques et de conseils sur des projets de recherche.

Avant de rejoindre le cabinet Houdart & Associés en 2021, Adriane Louyer a travaillé au sein de cabinets d’avocats et de plusieurs administrations publiques. Elle dispose de compétences en droit administratif et a développé une expertise juridique en droit des données dans le secteur public (droit des données personnelles, open data, droit d’accès aux documents administratifs).

Au sein du pôle santé numérique, elle conseille et assiste les établissements publics et privés du secteur sanitaire et médico-social en droit du numérique.